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Rapport

En Nouvelle-Calédonie, un référendum décisif le 12 décembre ?

Le 12 décembre 2021, un 3e référendum aura lieu en Nouvelle-Calédonie en application de l’Accord de Nouméa. Les électeurs devront choisir entre le maintien dans la République et l’indépendance. La question, présente dans le débat politique calédonien depuis plus de 40 ans, sera-t-elle résolue pour autant ? Déjà, le Gouvernement annonce un « référendum de projet », à l’issue d’une période de transition de deux ans, pour tirer toutes les conséquences du résultat du 12 décembre.
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Avertissement : L’objectivité est toujours difficile. Elle l’est spécialement sur un tel sujet, à la veille d’échéances politiques importantes pour l’archipel, pour le rédacteur engagé depuis 40 ans dans les problématiques politiques et administratives calédoniennes, à Paris ou à Nouméa. La note cite le plus souvent possible les textes bruts afin de permettre au lecteur de se faire son opinion.

Introduction : Une accumulation de normes juridiques changeantes

Pour tenter de résoudre la question calédonienne, la France a organisé, depuis 33 ans, un référendum national (6 novembre 1988), quatre consultations dans l’archipel sur son avenir (13 septembre 1987, 8 novembre 1998, 4 novembre 2018, 4 octobre 2020), la cinquième étant prévue le 12 décembre 2021 et adopté deux lois constitutionnelles sur ce sujet (lois constitutionnelles des 20 juillet 1998 et 23 février 2007). Il est probable que la liste n’est pas close. Un « référendum de projet » est annoncé à l’issue d’une période de transition de deux ans qui suivra la consultation du 12 décembre 2021. Il n’est pas exclu qu’il doive être précédé d’une nouvelle révision constitutionnelle permettant d’inscrire dans le droit des dispositions dérogeant à des dispositions ou des principes constitutionnels.

Pourquoi tant de réformes institutionnelles pour un territoire de moins de 300 000 habitants ?

C’est que l’histoire a multiplié dans ce territoire du bout du monde, les contradictions, jusqu’à créer un redoutable nœud gordien, inextricable à dénouer, dangereux à trancher.

Dans la « Lettre à tous les Français » adressée par François Mitterrand le 7 avril 1988 pour la campagne présidentielle, un passage est consacré à la Nouvelle-Calédonie. Il mérite d’être cité car il pose une problématique qui a fondamentalement peu évolué.

« Je ne crois pas que l’antériorité historique des Canaques sur cette terre suffise à fonder le droit. Histoire contre Histoire : les Calédoniens d’origine européenne ont aussi, par leur labeur, modelé ce sol, se sont nourris de sa substance, y ont enfoncé leurs racines. Les deux communautés face à face n’ont aucune chance d’imposer durablement leur loi, sans l’autre et contre l’autre – sinon par la violence et la violence elle-même atteindra ses limites. L’indépendance, pourquoi pas ? La population eût été homogène que la Nouvelle-Calédonie en serait là comme ses voisins. Mais l’indépendance dans cet état de rupture entre deux populations d’importance comparable signifie guerre civile, la seule guerre inexpiable (…). Le droit bafoué des Canaques ne sera relevé, restauré que par la paix intérieure et le garant de cette paix et de ces droits ne peut être que la République française. Il n’est pas d’autre arbitre (…). »

Plusieurs fondamentaux sont déjà présents : deux principales communautés face à face ; l’importance de la démographie ; la France arbitre.

 

1. Une colonie de peuplement : la population d’origine devenue minoritaire

La question calédonienne est d’abord démographique. La communauté kanak[1] peut estimer avoir été victime d’un « remplacement ». Sa crainte pour l’avenir est encore celle d’une submersion, comme pour les Aborigènes, qui n’étaient en 2016 à 3,3 % de la population australienne, minorité protégée, mauvaise conscience du pays.

La population indigène au moment de l’arrivée des Français est estimée entre 40 000 et 80 000 personnes.

Le premier chiffre solide est celui du recensement de 1887 : 42 519 habitants dont 41 784 autochtones (98%). Il est admis que la population kanak diminue ensuite sous l’effet des maladies. En 1911, elle est estimée à 28 075 personnes sur un total de 50 098 (56%). En 1946 elle est de 31 000 personnes sur un total de 62 700, dont 18 100 Européens et 13 600 membres d’autres communautés, essentiellement asiatiques – venus pour travailler dans les mines. La proportion des Kanak est alors encore d’environ la moitié (49%). La population totale est stable en 1956 (68 480) et les proportions des communautés sans changement significatif.

Tout change avec le « boom » du nickel[2] à partir des années 1960. Comme le montrent les tableaux ci-après, la population augmente régulièrement dans de fortes proportions à partir de 1963 : de 86 519 en 1963, elle atteint 133 233 en 1976 soit une augmentation de moitié en 13 ans.

La population kanak reste constamment plus importante que la population d’origine européenne mais elle diminue en proportion notamment du fait de la progression des autres communautés. La progression de la population wallisienne et futunienne est particulièrement remarquable. Mesurée pour la première fois au sein des « autres communautés" au recensement de 1976 à 9571 personnes, soit 7% de la population d’alors, elle atteint en 2019 22 520 personnes, soit 8,3% de la population totale.

Surtout, en parallèle, la population des îles de Wallis et de Futuna diminue constamment. Au recensement de 2008 à Wallis-et-Futuna, la population était de 13 484 personnes et la population d’origine wallisienne ou futunienne en Nouvelle-Calédonie de 21 262 personnes au recensement de 2009 en Nouvelle-Calédonie (+ 58%). Aux recensements respectivement de 2018 et 2019 les populations wallisiennes et futuniennes étaient de 12 067 personnes dans les deux îles et de 22 520 en Nouvelle-Calédonie (+ 87%). Les deux-tiers de la population originaire des îles Wallis et Futuna vit ainsi aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie.

En conséquence de ces évolutions, la population kanak descend en dessous de la moitié de la population totale en 1963 (47,7%), puis de 45% en 1976 (41,7%), puis de 40% en 2014 pour se stabiliser autour de 40% (41,2%) en 2014.

Entre 2014 et 2019, toutefois, pour la première fois depuis 1983, le solde migratoire n’a pas contribué à cette croissance de la population. Entre ces deux dates, 27 600 personnes ont quitté la Nouvelle-Calédonie et 17 300 y sont arrivées, soit un solde net de 2 000 départs par an pour cette période. La population a donc seulement augmenté par l’effet du solde positif des naissances sur les décès.

Ces statistiques sur les communautés ethniques d’appartenance, autorisées par la CNIL à titre dérogatoire, doivent être interprétées avec prudence en raison de leur caractère déclaratif et des effectifs des catégories « plusieurs communautés, « autre communauté » et « non déclarée », un nombre significatif de personnes se refusant à se ranger dans une catégorie ethnique préétablie et notant « Calédonien ».

On ne peut davantage se contenter d’une analyse de l’évolution de ces répartitions. L’évolution des taux de natalité, le métissage, toujours présent et sans doute croissant, l’urbanisation sont les marqueurs d’évolutions structurelles en cours.

Ce n’est pas le seul territoire ou du fait d’une colonisation de peuplement, le peuple d’origine est devenu minoritaire. Pour autant, relève-t-on souvent en Nouvelle-Calédonie, les Indiens d’Amérique du Nord, ou les Aborigènes ou les Maoris de Nouvelle-Zélande (17 % de la population) ne peuvent raisonnablement prétendre à l’indépendance. On ne peut renverser le cours de l’histoire. Leurs droits relèvent de la protection des peuples autochtones.

La situation en Nouvelle-Calédonie présente cependant trois singularités au regard de ce raisonnement :

  • Les Kanak sont autour de 40 %, c’est-à-dire proches de la majorité et ils ne sont minoritaires que depuis « peu de temps »
  • Dès lors que les indépendantistes de Nouvelle-Calédonie présentent une revendication d’indépendance pluriethnique, la critique du caractère minoritaire des Kanak devient inopérante
  • La volonté de maintenir les Kanak dans une situation de minorité démographique pour éviter l’indépendance a été explicitement exprimée par M. Pierre Messmer, alors Premier ministre.

Le Premier ministre de Georges Pompidou écrit le 19 juillet 1972 au Secrétaire d’Etat chargé des départements et territoires d’outre-mer, M. Xavier Deniau, une lettre retrouvée dans les archives du ministère et qui n’est pas écrite en langue de bois :

« La Nouvelle-Calédonie, colonie de peuplement, bien que vouée à la bigarrure multiraciale, est probablement le dernier territoire tropical non indépendant au monde où un pays développé puisse faire émigrer ses ressortissants.

Il faut donc saisir cette chance ultime de créer un pays francophone supplémentaire. La présence française en Calédonie ne peut être menacée, sauf guerre mondiale, que par une revendication nationaliste des populations autochtones appuyées par quelques alliés éventuels dans d’autres communautés ethniques venant du Pacifique.

À court et moyen terme, l’immigration massive de citoyens français métropolitains ou originaires des départements d’outre-mer (Réunion) devrait permettre d’éviter ce danger en maintenant et en améliorant le rapport numérique des communautés.

À long terme, la revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire. Il va de soi qu’on n’obtiendra aucun effet démographique à long terme sans immigration systématique de femmes et d’enfants. (…) 

Le succès de cette entreprise indispensable au maintien de positions françaises à l’est de Suez dépend, entre autres conditions, de notre aptitude à réussir enfin, après tant d’échecs dans notre Histoire, une opération de peuplement outre-mer. »

Ainsi se trouvent liées pour la Nouvelle-Calédonie les questions de l’immigration et de l’indépendance. La question reste donc très présente, au moins implicitement, de cette évolution démographique différentielle des communautés.

La revendication d’indépendance, d’abord d’une « indépendance kanak » puis élargie aux « victimes de l’histoire » s’est transformée avec les accord en revendication d’une indépendance ouverte aux autres communautés. Cependant, la crainte d’une indépendance qui serait dominée par les non-Kanak n’est pas loin et pèse sur le débat sur l’accès à la future citoyenneté.

Qui est Calédonien, dans la République et qui pourrait l’être dans l’indépendance ?  Signe d’un territoire à la population non stabilisée, cette question est en arrière-plan des débats politiques en Nouvelle-Calédonie. Sans consensus sur ce point, tout accord politique sera fragile.

 

2. Un défi à la République : les peuples et les communautés

Selon l’article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 dans sa dernière version : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. »

Il est ainsi prohibé de tenir compte des « origines » ou de la « race », donc de distinguer des communautés au sein de la République, a fortiori des « peuple ».

Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, déclaré contraires à la Constitution, par sa décision 91–290 DC du 9 mai 1991, les dispositions de la loi portant statut de la collectivité territoriale de la Corse.

Après avoir rappelé que « la Constitution de 1958 distingue le peuple français des peuples d’outre-mer auxquels est reconnu le droit à la libre détermination, que la référence faite au « peuple français » figure d’ailleurs depuis deux siècles dans de nombreux textes constitutionnels ; qu’ainsi le concept juridique de « peuple français » a valeur constitutionnelle », il juge : « (…)  que la France est, ainsi que le proclame l’article 2 de la Constitution de 1958, une République indivisible, laïque, démocratique et sociale qui assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens quelle que soit leur origine ; que dès lors la mention faite par le législateur du « peuple corse, composante du peuple français » est contraire à la Constitution, laquelle ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d’origine, de race ou de religion ».

Cependant, le Conseil constitutionnel a aussi jugé par sa décision n° 2000–428 DC du 4 mai 2000 portant sur la loi organisant une consultation de la population de Mayotte que selon le deuxième alinéa du Préambule de la Constitution de 1958 : « En vertu de ces principes et de celui de la libre détermination des peuples, la République offre aux territoires d’outre-mer qui manifestent la volonté d’y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l’idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique ». Il en a déduit que « (…) pour la mise en œuvre de ces dispositions, les autorités compétentes de la République sont, dans le cadre de la Constitution, habilitées à consulter les populations d’outre-mer intéressées, non seulement sur leur volonté de se maintenir au sein de la République française ou d’accéder à l’indépendance, mais également sur l’évolution statutaire de leur collectivité territoriale à l’intérieur de la République » en précisant « que toutefois, dans cette dernière éventualité, lesdites autorités ne sauraient être liées, en vertu de l’article 72 de la Constitution, par le résultat de cette consultation ».

La loi constitutionnelle °2008–724 du 23 juillet 2008 a modifié l’article 72–3 de la Constitution. Il y a désormais des « populations d’outre-mer », au sein du peuple français et non plus des « peuples » et il n’y a plus de « territoires d’outre-mer » mais des départements et régions d’outre-mer, des collectivités d’outre-mer, de l’article 73 ou de l’article 74, et le cas particulier de la Nouvelle-Calédonie, régie par le titre XIII de la Constitution, comportant des « dispositions transitoires ».

« Article 72–3. -  La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité.

« La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Mayotte, Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon, les îles Wallis et Futuna et la Polynésie française sont régis par l’article 73 pour les départements et les régions d’outre-mer et pour les collectivités territoriales créées en application du dernier alinéa de l’article 73, et par l’article 74 pour les autres collectivités.

Le statut de la Nouvelle-Calédonie est régi par le titre XIII.

La loi détermine le régime législatif et l’organisation particulière des Terres australes et antarctiques françaises et de Clipperton ».

Cependant, ces dispositions ne sont pas suffisantes pour priver de tout effet le deuxième alinéa du Préambule de la Constitution fondant le droit à l’autodétermination, sous réserve de déterminer son périmètre. Pour la Nouvelle-Calédonie ce droit a été reconnu et organisé par l’Accord de Nouméa. Une fois que celui-ci ne s’appliquera plus, le droit à l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie devra être fondé soit sur les nouvelles dispositions d’un titre XIII spécifique, soit sur les dispositions de l’article 72–3 après avoir précisé à quelle catégorie devrait être rattachée la Nouvelle-Calédonie.

S’il n’y a plus de « peuple d’outre-mer » peut-il y avoir un « peuple de Nouvelle-Calédonie » ? Une déclaration du Premier ministre, M. Edouard Philippe, selon laquelle il y avait un « peuple calédonien » a été contestée par une partie de l’opinion calédonienne au motif qu’aucun texte particulier ne le mentionne et que les Calédoniens ne peuvent donc appartenir qu’au peuple français.

L’Accord de Nouméa, dont les orientations ont valeur constitutionnelle, reconnaît l’existence de citoyens de statut particulier, d’un peuple d’origine et, à ses côtés, d’autres « communautés » et aussi d’une « citoyenneté » de la Nouvelle-Calédonie, ces citoyens calédoniens étant des citoyens français mais tous les citoyens français présents en Nouvelle-Calédonie n’ayant pas cette citoyenneté particulière.

Il y a en Nouvelle-Calédonie des citoyens de « statut personnel » et d’autres qui ont un « statut de droit commun ». L’article 75 de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit en effet : « Les citoyens de la République qui n’ont pas le statut civil de droit commun, seul visé à l’article 34, conservent leur statut personnel tant qu’ils n’y ont pas renoncé. »

Or, pour la plupart, les Kanak ont ce statut personnel particulier, qui n’est pas le statut de droit commun. Ce statut personnel a pour conséquence qu’ils échappent à la plupart des dispositions du code civil sur les personnes comme sur les biens. Ils sont régis par les coutumes, différentes selon les aires coutumières du territoire, pour les relations entre les personnes et la propriété. Le droit, colonial d’abord, puis du territoire d’outre-mer, confirmé par les Accords de Matignon et de Nouméa distingue, par conséquent, pour ce qui relève du statut personnel, selon un critère juridique mais qui recouvre largement un critère ethnique, les Kanak des autres citoyens français de Nouvelle-Calédonie.

Les Accords de Matignon du 26 juin 1988 Microsoft Word – Accords de Matignon.doc (mncparis.fr) évoquent « les populations », « les différentes communautés du territoire », les « Mélanésiens »[3]

L’Accord de Nouméa du 5 mai 1998, notamment dans son préambule, va plus loin Accord sur la Nouvelle-Calédonie signé à Nouméa le 5 mai 1998 – Légifrance (legifrance.gouv.fr). Il mentionne les Kanak, le « peuple d’origine » et relève que « la pleine reconnaissance de l’identité kanak » est un « préalable » à la « refondation d’un contrat social entre toutes les communautés qui vivent en Nouvelle-Calédonie ».

Dès lors qu’il y a une citoyenneté calédonienne, n’y a-t-il pas un peuple calédonien, composante du peuple français ?

 

3. Un défi à la démocratie : les restrictions des corps électoraux

Citoyens depuis 1946, les Kanak ont obtenu le droit de vote, progressivement, à partir de cette date, anciens combattants, chefs coutumiers, pasteurs et prêtres seulement dans un premier temps. Ce n’est qu’en 1956 qu’ils ont tous eu le droit de vote comme les autres citoyens français de la Nouvelle-Calédonie.

En 1998, en application de l’Accord de Nouméa, certains citoyens français ont été privés du droit de vote aux élections provinciales. Le suffrage universel, à proprement parler, n’a donc existé dans ce territoire que pendant 42 ans, à ce jour.

Pourquoi cette atteinte portée au droit de suffrage, alors que les débats en France portent sur son élargissement, aux jeunes de 16 ans ou aux étrangers non communautaires pour des élections locales, en aucun cas sur sa fermeture ?

On doit distinguer les corps électoraux pour les élections aux institutions locales (provinces et Congrès) et pour les consultations locales (référendums) sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.

Les principes

La situation est au regard des principes différente pour les élections à des assemblées locales et pour des scrutins d’autodétermination. Après avoir rappelé ces principes, on examinera en quoi et pourquoi les accords s’en écartent pour la Nouvelle-Calédonie.

Les élections aux assemblées locales (provinces et Congrès)

Le principe est l’universalité du suffrage.

Il est posé par l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de l’ONU, adopté le 16 décembre 1966) : « Tout citoyen a le droit et la possibilité, sans aucune des discriminations visées à l’article 2 et sans restrictions déraisonnables :  a) De prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis ; b) De voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs (…) ».

Le protocole n°1 additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales pose une exigence analogue dans son article 3 : « Les Hautes Parties contractantes s’engagent à organiser, à des intervalles raisonnables, des élections libres au scrutin secret, dans les conditions qui assurent la libre expression de l’opinion du peuple sur le choix du corps législatif. »

Une assemblée de province et le Congrès de la Nouvelle-Calédonie, en ce que notamment il vote l’impôt, sont incontestablement des « corps législatifs ». Par son arrêt du 11 janvier 2005 Py c/ France, la Cour européenne des droits de l’homme a cependant admis, sous conditions, une exception dans le cadre du processus de l’Accord de Nouméa (cf. infra).

Les consultations d’autodétermination

Elles ont pour objet de déterminer si la Nouvelle-Calédonie devient indépendante ou reste dans la République.

La Constitution du 4 octobre 1958 pose le principe de la consultation des « populations intéressées », par son article 53 « (…) Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n’est valable sans le consentement des populations intéressées ». Ce texte reprend à l’identique la formule de l’article 27 de la Constitution du 27 octobre 1946 de la IVème République.

Le Conseil constitutionnel en a précisé la portée dans sa décision n° 75–59 DC du 30 décembre 1975 Décision n° 75–59 DC du 30 décembre 1975 | Conseil constitutionnel (conseil-constitutionnel.fr)  , relevant notamment, à propos de Mayotte  « (…) que cette île ne saurait sortir de la République française sans le consentement de sa propre population » et que « l’île de Mayotte fait partie de la République française ; que cette constatation ne peut être faite que dans le cadre de la Constitution, nonobstant toute intervention d’une instance internationale ».

La décision n°97–226 DC du 2 juin 1987 Décision n° 87–226 DC du 2 juin 1987 | Conseil constitutionnel (conseil-constitutionnel.fr) portant sur la loi organisant la consultation des populations intéressées de Nouvelle-Calédonie, devenue la loi n° 87–369 du 5 juin 1987 est également intéressante en ce qu’elle précise à quelles conditions la consultation d’autodétermination satisfait à la « double exigence de loyauté et de clarté de la consultation ».

La question que la loi votée posait aux électeurs était la suivante : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à l’indépendance ou demeure au sein de la République française avec un statut dont les éléments essentiels ont été portés à votre connaissance ? ». Le Conseil constitutionnel a jugé que cette question était équivoque et contraire à l’exigence constitutionnelle de clarté de la consultation parce qu’« elle peut dans l’esprit des votants faire naître l’idée erronée que les éléments du statut sont d’ores et déjà fixés, alors que la détermination de ce statut relève, en vertu de l’article 74 de la Constitution, d’une loi prise après consultation de l’assemblée territoriale.  » La question a donc dû être modifiée dans le texte de la loi promulguée et ne plus faire référence à ce statut pour le scrutin organisé le 13 septembre 1987.

Comment déterminer les populations intéressées ? A contrario, une population ne peut être considérée comme intéressée si son lien avec le territoire pour lequel le scrutin d’autodétermination est organisé n’est pas suffisamment fort et durable pour que le « sort » à long terme du territoire la concerne véritablement.

La notion de population intéressée a varié selon les territoires pour les scrutins d’autodétermination, pour tenir compte de leur situation particulière.

Pour le référendum du 1er juillet 1962 sur l’indépendance de l’Algérie, pouvaient voter tous les citoyens nés en Algérie et résidant en Algérie ou en France métropolitaine ou outre-mer. Pour les deux référendums concernant les Comores et Mayotte, celui organisé par la loi n°74–965 du 23 novembre 1974 organisant une consultation des populations des Comores et celui organisé par la loi n° 75–1337 du 31 décembre 1975 sur l’autodétermination de Mayotte, étaient électeurs les personnes inscrites sur les listes électorales respectivement des Comores et de Mayotte, sans restriction particulière.

S’agissant de la consultation de la population du Territoire français des Afars et des Issas (Djibouti), l’article 3 de la loi 76–1221 qui l’organisait distinguait les électeurs et électrices originaires du territoire inscrits sur la liste électorale qui votaient sans autre condition et ceux qui n’en étaient pas originaires et qui devaient justifier d’une résidence effective dans le territoire pendant les trois années précédant le scrutin.

Ce délai d’au moins trois ans, calculé cette fois à la date de la promulgation de la loi n°87–369 du 5 juin 1987 organisant la consultation de la population de la Nouvelle-Calédonie et non à la date du scrutin, a été retenu pour le référendum organisé le 13 septembre 1987, et pour tous les électeurs.

La justification de ces restrictions est d’écarter du scrutin des personnes sans lien durable avec le territoire alors que la consultation porte sur son avenir. On comprend que soient ainsi écartés des fonctionnaires ou des magistrats installés pour un ou plusieurs séjours sans intention d’y rester et dont on ne voit pas quelle serait la légitimité à déterminer le lien du Territoire avec la France.

Pour la Nouvelle-Calédonie, avec les Accords de Matignon et de Nouméa, un objectif complémentaire, résultant d’un compromis politique, apparaît : écarter une partie des citoyens français issue d’une immigration récente dont il est difficile de déterminer l’intention de rester sur le territoire mais dont la présence sur les listes électorales, en tout cas, modifierait dans une proportion significative la composition du corps électoral pour les scrutins d’autodétermination.

Le délai de présence exigé pour participer à la consultation passe alors de 3 à 10 ans (Accords de Matignon) et à 20 ans (Accord de Nouméa.

Y a-t-il des normes de droit interne ou internationales pour déterminer les populations intéressées pour un scrutin d’autodétermination ?

En droit interne, la détermination des populations intéressées ne pourrait être discriminatoire mais la durée de résidence ne l’est pas par elle-même. Quant au respect du principe d’égalité il devrait être apprécié au regard du caractère durable de la présence des populations dans l’archipel.

Sur le plan conventionnel, il est établi que les articles pertinents du Pacte international des droits civiques et politiques ne s’appliquent pas aux consultations référendaires. De plus, il ne s’agit pas de l’élection de « corps législatifs ». La convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales n’offre pas davantage de prise à une critique du caractère restrictif de consultations d’autodétermination.

Pour les scrutins d’autodétermination organisés en application de l’Accord de Nouméa, en tout état de cause, la Constitution fait écran à l’application de ces stipulations conventionnelles (cf. infra. Décision Sarran du Conseil d’Etat). 

 

Application aux cas des Accords de Matignon et de Nouméa

Les Accords de Matignon

Une même restriction du corps électoral pour les élections aux assemblées de province et pour le scrutin d’autodétermination final était prévue par ces accords. La première n’a pu être mise en œuvre en l’absence d’un fondement constitutionnel, non plus que la seconde parce que ce scrutin n’a pas eu lieu (il a été remplacé par celui d’approbation de l’Accord de Nouméa).

Contrairement à ce qui est souvent affirmé, ce n’est donc pas l’Accord de Nouméa qui a, le premier, prévu une restriction du corps électoral pour les élections aux assemblées des provinces et au Congrès de la Nouvelle-Calédonie, ce sont les Accords de Matignon. 

Le texte n°2 des Accords de Matignon dispose en effet : « Les électeurs et les électrices de Nouvelle-Calédonie qui seront appelés à se prononcer sur le projet de loi référendaire, ainsi que leurs descendants accédant à la majorité, constituent les populations intéressées à l’avenir du Territoire. Ils seront donc seuls à participer jusqu’en 1998 aux scrutins qui détermineront cet avenir : scrutin pour les élections aux conseils de province et scrutin d’autodétermination ».

Cette disposition de l’accord bloquait ainsi le corps électoral pour le référendum d’autodétermination initialement prévu en 1998, qui n’aura pas lieu, au corps électoral des personnes ayant voté au référendum national approuvant les accords du 6 novembre 1988. Il s’agit d’une restriction du corps électoral pour un scrutin d’autodétermination que la Constitution permet, par son article 53, en faisant référence aux « populations intéressées ». 

Le texte des accords de Matignon va plus loin : il précise que cette limitation aux électeurs qui auront voté au référendum national portera aussi sur les élections aux élections aux assemblées des trois provinces, dont la réunion forme le Congrès.

Cette limitation du droit de suffrage est d’une nature tout à fait différente, puisqu’il s’agit de l’élection des conseils d’une assemblée locale d’une collectivité territoriale spécifique (le corps électoral pour l’élection des conseils municipaux reste celui de droit commun). Aucune disposition de la Constitution ne permettait alors une telle restriction, à la différence de celle prévue pour les scrutins d’autodétermination. En conséquence cette disposition pourtant très claire des Accords de Matignon ne fut pas retenue par la loi organique. Il s’agit du seul point majeur des accords qui n’a pu être confirmé, compte tenu de cet obstacle juridique qui, apparemment, n’avait pas été vu lors de la négociation – il est vrai rapide – de ces accords de juin 1988.

 

L’Accord de Nouméa

Le corps électoral pour les élections locales.

L’Accord de Nouméa ayant, dans ses orientations, valeur constitutionnelle, après le vote de la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998, a pu reprendre l’engagement des Accords de Matignon qui n’avait pu être mis en œuvre faute de fondement constitutionnel.

Son Préambule relève ainsi que : « Le corps électoral pour les élections aux assemblées locales propres à la Nouvelle-Calédonie sera restreint aux personnes établies depuis une certaine durée ».

Le document d’orientation de l’accord (point 2.2.1.) précise la composition de ce corps électoral, en faisant référence aux Accords de Matignon non appliqués sur ce point :

« Comme il avait été prévu dans le texte signé des accords de Matignon, le corps électoral aux assemblées des provinces et au Congrès sera restreint : il sera réservé aux électeurs qui remplissaient les conditions pour voter au scrutin de 1998, à ceux qui, inscrits au tableau annexe, rempliront une condition de domicile de dix ans à la date de l’élection, ainsi qu’aux électeurs atteignant l’âge de la majorité pour la première fois après 1998 et qui, soit justifieront de dix ans de domicile en 1998, soit auront eu un parent remplissant les conditions pour être électeur au scrutin de la fin de 1998, soit, ayant eu un parent inscrit sur un tableau annexe justifieront d’une durée de domicile de dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l’élection. »

Examinant la conformité à la Constitution de la loi organique n°99–209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie le Conseil constitutionnel a posé une réserve interprétative selon laquelle le « tableau annexe » des personnes non admises à voter était celui établi chaque année, ce qui rendait le corps électoral « glissant ». Ainsi, des personnes ayant leur domicile en Nouvelle-Calédonie à partir de 1999 auraient pu voter à ces élections locales dix ans plus tard soit à partir de 2009 et ainsi de suite. Le FLNKS ayant contesté cette interprétation, l’ambiguïté ainsi apparue dans l’Accord de Nouméa sur le tableau annexe a été tranchée par la seconde loi constitutionnelle, du 23 février 2007, après arbitrage du Président Jacques Chirac. Le tableau annexe devait désormais être compris comme étant uniquement celui établi pour le référendum local de 1998. En conséquence, le corps électoral devenait figé. Les personnes domiciliées en Nouvelle-Calédonie après le référendum de 1998 ne pouvaient plus voter à ces élections locales pendant la durée de l’Accord de Nouméa.

Comme dans les Accords de Matignon, non appliqués sur ce point, le droit de vote se trouvait donc limité pour ces élections à ceux qui étaient présents au moment de la conclusion de l’accord, par une sorte de « contrat social » passé avec les seuls présents.

La durée est cependant plus que double par rapport aux Accords de Matignon. Dans ces derniers, la privation du droit de vote aurait duré au plus dix ans. Dans l’Accord de Nouméa, toujours en vigueur en 2019 au moment des dernières élections aux assemblées de province et au Congrès, la privation du droit de vote est de 20 ans pour un citoyen français domicilié pour la première fois en 1999.

Ces restrictions au corps électoral résultent d’un compromis politique. Elles posent cependant un problème démocratique dans la mesure où à la fin du processus de l’Accord de Nouméa 40 000 personnes se trouvent exclues du suffrage universel pour ces élections aux institutions locales – ils conservent le droit de vote, dans les conditions de droit commun pour les élections nationales, communales et européennes. Elles posent aussi un problème juridique de conformité aux normes conventionnelles, le Congrès étant un « corps législatif » qui vote des lois et notamment l’impôt.

Par un arrêt du 11 janvier 2005 Py c/ France Py c. France (coe.int), la Cour européenne des droits de l’homme, saisie par un citoyen s’étant vu refuser l’inscription sur la liste électorale spéciale pour les élections aux assemblées de province et au Congrès, a jugé, mais avant que la révision constitutionnelle ne fige le corps électoral, que ces limitations n’étaient pas contraires aux stipulations de la convention car «  … après une histoire politique et institutionnelle tourmentée, cette condition de dix ans de résidence fixée par le statut du 19 mars 1999 a constitué un élément essentiel à l’apaisement du conflit meurtrier. La situation locale repose sur des problèmes plus profonds et lourds de conséquences pour l’avenir que les différends linguistiques à l’origine d’affaires que la Cour a précédemment examinées (cf. Polacco et Garofalo ; Mathieu-Mohin et Clerfayt). La Nouvelle-Calédonie connaît aujourd’hui une situation politique apaisée et poursuit son développement politique, économique et social. Partant, l’histoire et le statut de la Nouvelle-Calédonie sont tels qu’ils peuvent être considérés comme caractérisant des « nécessités locales » de nature à permettre les restrictions apportées au droit de vote du requérant. »

Le comité des droits de l’homme de l’ONU, cité dans la décision Py, avait livré une analyse comparable dès 2002[4].

Dans son arrêt Polacco et Garofalo du 15 septembre 1997, la Cour avait jugé, s’agissant de la condition de résidence de quatre ans ininterrompue pour voter au conseil régional de la région italienne autonome du Trentin-Haut-Adige, que cette disposition restrictive poursuivait le but légitime de protection des minorités linguistiques (allemandes) et pouvait être considérée comme proportionnée à ce but.

Si, après la fin de l’Accord de Nouméa, pour fonder à nouveau une citoyenneté calédonienne, une restriction temporaire du droit de vote pour les élections locales devait être inscrite dans une nouvelle disposition statutaire, ce qui supposerait, bien sûr, une révision constitutionnelle préalable pour le permettre, on peut penser que la Cour de Strasbourg pourrait la considérer comme non contraire aux stipulations de la convention si sa durée était située entre quatre et dix ans, l’histoire de la Nouvelle-Calédonie demeurant troublée et l’apaisement des conflits toujours difficile à obtenir dans la durée. La question se poserait en d’autres termes pour une restriction se présentant comme permanente d’une durée nettement supérieure aux quatre ans retenus pour la région autonome italienne.

Le corps électoral pour les consultations sur l’autodétermination.

Le corps électoral pour les consultations sur l’autodétermination n’a pas fait l’objet de contestations au même niveau que celui pour les élections aux assemblées locales. Aucune nouvelle modification n’a été nécessaire. Comme il a été dit plus haut, il n’y a d’ailleurs pas de normes constitutionnelles explicites pour déterminer les limites des restrictions au titre des « populations intéressées », non plus que de normes conventionnelles, celles applicables aux scrutins pour des élections à des assemblées ne s’appliquant pas à des référendums, notamment d’autodétermination.

Pour le référendum du 13 septembre 1987, selon la loi n° 97–369 du 5 juin 1987, étaient électeurs ceux inscrits sur les listes électorales du territoire à la date de la consultation et résidant en Nouvelle-Calédonie depuis au moins 3 ans à la date de promulgation de cette dernière loi.

L’article 2 de la loi n°88–1028 du 9 novembre 1988, approuvée par référendum national, précisait, conformément aux Accords de Matignon, que le scrutin d’autodétermination aurait lieu entre le 1er mars et le 31 décembre 1998 et que « seront admis à participer à ce scrutin les électeurs inscrits sur les listes électorales du territoire à la date de cette consultation et qui y ont leur domicile depuis la date du référendum, soit le 6 novembre 1988 ». L’Accord de Nouméa a supprimé ce scrutin d’autodétermination remplacé par une consultation d’approbation de ce dernier accord.

Pour les consultations d’autodétermination de la fin de l’Accord de Nouméa, le corps électoral est différent.  La condition principale est de pouvoir justifier d’une durée de 20 ans de domicile continu à la date de la consultation et au plus tard au 31 décembre 2014 (la première consultation aurait pu avoir lieu en 2014 si le Congrès l’avait décidé). Il existe de nombreuses conditions alternatives. L’ensemble du dispositif est d’une grande complexité et a suscité un important contentieux électoral.

4. La recherche de consensus

Face à la montée des revendications indépendantistes, depuis le début des années 1980, les gouvernements ont engagé plusieurs négociations.

La Table ronde de Nainville-les-Roches

La première a été la Table ronde de Nainville-les-Roches, qui a réuni du 8 au 12 juillet 1983, sous l’égide du Secrétaire d’Etat aux départements et territoires d’outre-mer, Georges Lemoine, les délégations du Front indépendantiste (rassemblement des indépendantistes qui a précédé le FLNKS), du Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR) et de la Fédération pour une Nouvelle société calédonienne (FNSC, parti « centriste »).

La Table ronde a eu les conclusions suivantes :

« I -     Volonté commune des participants de voir confirmer définitivement l’abolition du fait colonial par la reconnaissance à l’égalité de la civilisation mélanésienne et la manifestation de sa représentativité par la coutume dans les institutions à définir.

II -    Reconnaissance de la légitimité du peuple kanak, premier occupant du Territoire, se voyant reconnaître, en tant que tel, un droit inné et actif à l’indépendance, dont l’exercice doit se faire dans le cadre de l’autodétermination prévue et définie par la Constitution de la République française, autodétermination ouverte également, pour des raisons historiques, aux autres ethnies dont la légitimité est reconnue par les représentants du peuple kanak.

III -   Favoriser l’exercice de l’autodétermination est “une des vocations de la France” qui doit permettre d’aboutir à un choix, y compris celui de l’indépendance. Il faut préparer cette démarche vers l’autodétermination qui sera le fait du peuple calédonien défini par la logique ci-dessus admise, lorsqu’il en ressentira la nécessité. Pour préparer cette démarche, chacun est conscient qu’il faut élaborer un statut d’autonomie interne qui sera spécifique, qui sera évolutif et qui marquera donc une phase de transition en prenant en compte les données politiques et économiques car il n’y aura de développement économique qu’avec la stabilité politique. »

Un peu circulaire, cette déclaration, non approuvée par le RPCR, subordonnait la participation des autres communautés à l’autodétermination à la reconnaissance de leur légitimité par les représentants du peuple kanak.

 

Les Accords de Matignon (26 janvier 1988)

Les Accords de Matignon parce qu’il y a deux textes constituant l’accord. La négociation de Matignon a été complétée, pendant l’été, par la négociation tenue rue Oudinot, au siège du ministère des départements et territoires d’outre-mer, sous la présidence du ministre, Louis Le Pensec, qui n’était pas encore membre du Gouvernement pendant la négociation de Matignon. On parle ainsi souvent des Accords de Matignon-Oudinot.

François Mitterrand est réélu pour un second mandat de sept ans le 8 mai 1988. Il nomme Michel Rocard Premier ministre. Après l’assaut de la grotte d’Ouvéa, le 5 mai, par des commandos militaires n’appartenant pas à la Gendarmerie nationale (Opération Victor), assaut concluant une prise d’otages commencée le 22 avril, et qui fait 19 morts parmi les Kanak et deux parmi les militaires, la Nouvelle-Calédonie est dans une situation insurrectionnelle. La plus grande partie de l’archipel échappe à l’autorité de l’Etat. Il n’y a aucun dialogue politique avec les indépendantistes, ni sur place ni à Paris.

Le Premier ministre décide alors de l’envoi sur place d’une mission de personnalités, pour tenter de rétablir un dialogue. C’est la « Mission du dialogue »[5]. Sa composition est originale : présidée par le préfet de Seine-et-Marne Christian Blanc, ancien collaborateur d’Edgard Pisani à Bruxelles et à Nouméa, elle comprend Mgr Paul Guiberteau, recteur de l’Institut catholique de Paris, le Pasteur Jacques Stewart, alors président de la Fédération protestante de France, M. Roger Leray, ancien Grand Maître du Grand Orient de France, M. Jean-Claude Périer, conseiller d’Etat et ancien directeur général de la Gendarmerie et M. Pierre Steinmetz, sous-préfet, ancien conseiller pour l’outre-mer au cabinet du Premier ministre Raymond Barre. La présence de dirigeants d’Eglises et d’une obédience maçonnique, rare pour une mission officielle dans la France laïque, s’explique par l’importance de ces religions et courants de pensée en Nouvelle-Calédonie et par la nécessité d’avoir des discussions sur le vivre-ensemble et non, à ce stade, sur des questions politiques.

La mission rétablit les fils du dialogue et convainc les dirigeants des forces politiques antagonistes de venir à Paris pour une négociation d’urgence, conduite par Michel Rocard lui-même.

La délégation du RPCR est dirigée par Jacques Lafleur, député et celle du FLNKS par son président, Jean-Marie Tjibaou[6]

L’accord est signé le 26 juin 1988 après une négociation rapide.

La première année, à la demande des indépendantistes eux-mêmes, l’Etat doit reprendre l’exécutif du territoire, pour assurer l’ordre et l’impartialité de l’administration. Nommé délégué du Gouvernement, le préfet Bernard Grasset en est chargé.

Un « rééquilibrage », l’un des maîtres-mots des accords, sera assuré, sur plusieurs plans : les infrastructures, avec la réalisation de grands travaux routiers et portuaires ; la culture, avec la création de l’Agence de développement de la culture canaque, pour la promouvoir ; la formation, avec un programme « 400 cadres » au profit principalement de la communauté kanak ; les institutions territoriales, avec une compétence de droit commun des trois provinces (l‘Etat et le Territoire n’ayant donc qu’une compétence d’attribution sur des matières que le statut énumère), dont deux pourront obtenir une majorité indépendantiste, c’est-à-dire pour toutes les matières ne relevant des compétences ni de l’Etat, ni du Territoire, ni des communes ; la représentation institutionnelle des institutions coutumières, avec un Conseil consultatif coutumier ; le plan financier avec des clés de répartition obligatoires, qui subsistent encore aujourd’hui, pour les crédits d’investissement de l’Etat (3/4 pour les provinces Nord et Îles) et pour les crédits de fonctionnement du budget du Territoire (1/5 pour le Territoire, 2/5 pour les provinces Nord et Îles et 2/5 pour la province Sud.

La négociation d’Oudinot est conduite par le ministre Louis Le Pensec. Les chefs des délégations sont Jean-Marie Tjibaou pour le FLNKS et Dick Ukeiwe pour le RPCR. L’accord d’Oudinot est signé le 20 août 1988 par sept signataires des Accords de Matignon et d’autres signataires qui n’avaient pas participé aux discussions de Matignon[7]. Il donne l’accord des signataires sur le projet de loi qui sera présenté au référendum, en attestant qu’il est conforme aux Accords de Matignon.

La question du choix entre l’indépendance et le maintien dans la République, centrale, n’est pas soluble dans l’immédiat. Les deux parties l’ont admis et « ont reconnu l’impérieuse nécessité de contribuer à établir la paix civile pour créer les conditions dans lesquelles les populations pourront choisir, librement et assurées de leur avenir, la maîtrise de leur avenir ». Ce sera dans dix ans, en 1998.

Ce délai de 10 ans devait être mis à profit pour apaiser les esprits après une décennie de troubles (80 morts pour une population alors de l’ordre de 150 000 habitants), former des cadres, améliorer les conditions de vie puis dégager une solution rassemblant une large majorité.

Soit les indépendantistes convaincraient les partisans du maintien dans la République de la viabilité d’une indépendance ouverte à tous (et non plus seulement aux Kanak), soit les non-indépendantistes convaincraient les indépendantistes qu’ils bénéficieraient d’une plus sûre progression de leurs droits dans une Nouvelle-Calédonie maintenue dans la République.

Chacun espérait une large majorité sur la solution qu’il soutenait.

Les résultats du référendum

Ils sont contrastés entre les votes nationaux et en Nouvelle-Calédonie et, au sein de l’archipel, entre les provinces.

Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou ont chacun eu du mal à convaincre leur électorat, de retour de Paris. Pour l’ensemble du corps électoral national, le taux des abstentions a atteint 63,11 %. Le projet de loi a été approuvé par 79,99 % des suffrages exprimés.

En Nouvelle-Calédonie, le projet de loi est approuvé par 57,03% des suffrages, avec seulement 36 % d’abstentions. Dans les provinces à majorité kanak, les « oui » l’emportent avec 80,99 % des suffrages dans la province Nord et 85,10 % dans celle des Îles. En revanche, dans la province Sud, dans laquelle les Kanak sont minoritaires, le projet de loi est rejeté par 57,19 % des suffrages.

Jean-Marie Tjibaou et Yeiwené Yeiwené, venus à Ouvéa le 5 mai 1989, y sont assassinés par Djubelly Wea, opposé aux accords et accusant leurs signataires d’avoir trahi le mouvement indépendantiste.

Il faudra plusieurs années pour que les Accords de Matignon soient pleinement acceptés par les non-indépendantistes. 

 

L’Accord de Nouméa

Les Accords de Matignon devaient se conclure par un scrutin d’autodétermination 10 ans après leur conclusion.

Lors d’une convention de son parti, le RPCR, le 27 avril 1991, le député Jacques Lafleur propose de rechercher avec les indépendantistes une « solution consensuelle », à définir, qui permettrait d’éviter le « référendum-couperet » prévu en 1998, lequel en n’offrant qu’un choix binaire risquerait, développe-t-il, de cliver les positions et de rallumer les violences. Cette proposition est finalement acceptée, dans son principe, par les indépendantistes, puis par le Gouvernement. La maturation est lente mais après les élections provinciales de juillet 1995, des discussions sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie s’engagent et le Premier ministre Alain Juppé réunit en octobre les deux parties calédoniennes.

Le « préalable minier »

Dès février 1996, le FLNKS soucieux de la viabilité économique de l’indépendance, pose le « préalable minier ». Une deuxième usine métallurgique de nickel devra être créée dans la province Nord en plus de l’usine historique de la Société Le Nickel (SLN) située dans la Ville de Nouméa. Ce projet doit permettre de transformer une plus grande quantité de minerai, la valeur ajoutée de la transformation bénéficiant à la Nouvelle-Calédonie et particulièrement à la province Nord, riche en minerais garniéritiques, où elle exploite déjà par sa société de développement des gisements miniers dont les droits appartenaient à la Société minière du Sud Pacifique (SMSP) que Jacques Lafleur lui a vendue.

Une société ne peut toutefois investir les sommes considérables nécessaires à la construction d’une usine métallurgique que si elle a la garantie de la disposition d’un gisement de qualité aux ressources durables. Le massif du Koniambo a été considéré par les investisseurs comme adéquat pour un traitement pyrométallurgique de ses minerais. Les droits miniers d’exploitation étaient détenus par la SLN. Le président du groupe ERAMET, garant des intérêts sociaux de l’entreprise, se refusa à l’échange proposé avec un gisement de moindre valeur de la SMSP (à Poum).

Au moment de la dissolution de l’Assemblée nationale décidée par le Président Chirac le 21 avril 1997, le « préalable minier » n’était toujours pas levé.

Sous l’égide de M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l’économie et des finances, les Accords de Bercy sont signés le 1er février 1998. Ils sont constitués du Protocole d’Accord signé le 1er février 1998 régissant les conditions et le processus d’échange des massifs de Poum et de Koniambo, jusqu’à cette date détenus respectivement par la SMSP (Société Minière du Sud Pacifique) et Eramet, et de son avenant en date du 4 juin 1998.

Cet échange aura lieu si la décision irrévocable d’investir dans une usine métallurgique est prise avant le 1er janvier 2006 (clause suspensive). Le conseil d’administration d’ERAMET a consenti à l’échange sous réserve que l’indemnisation couvre toutes les pertes directes et indirectes résultant de l’échange.

La société d’exploitation de l’usine à construire doit être contrôlée majoritairement par des collectivités publiques calédoniennes. Le minerai extrait doit être exclusivement traité en Nouvelle-Calédonie.

L’échange futur est garanti et organisé en suivant strictement les modalités de l’accord entre les parties, par une « Entité » juridiquement constituée d’un « trustee » ad hoc, situé à Jersey, indépendant du Gouvernement français.

L’opérateur minier choisi pour la réalisation du projet a été la société canadienne Falconbridge. Un accord tripartite entre Falconbridge, SOFINOR (société de développement de la province Nord) et la SMSP, a été signé le 23 avril 1998 pour la mise en œuvre du protocole de Bercy. Il a été approuvé par la Province Nord.

La société Falconbridge est rachetée en 2006 par le groupe minier suisse Xstrata Plc. En 2013, Xstrata fusionne avec le groupe anglo-suisse de négoce de matières premières Glencore.

L’usine du Nord connaît des difficultés de montée en production et en rentabilité dues aux novations de son procédé technique pyrométallurgique, auxquelles s’ajoute l’instabilité des cours du nickel. Comme les deux autres usines métallurgiques en Nouvelle-Calédonie, elle ne peut bénéficier, au contraire de concurrents internationaux, ni de bas salaires, ni d’une énergie à coût substantiellement bas. En revanche, les usines de Nouvelle-Calédonie peuvent compter sur des gisements de qualité et des produits miniers certainement aux plus hauts standards sociaux et environnementaux vérifiables.

La négociation

Les conditions de la négociation de l’Accord de Nouméa ont été bien différentes de celles des Accords de Matignon, marquées par l’urgence et tenues à Paris dans le huis-clos de Matignon. La recherche d’une solution consensuelle lancée dans son principe par Jacques Lafleur dès 1991 pouvait aboutir jusqu’en 1998, date de la fin des Accords de Matignon même si cette solution pouvait aussi les interrompre.

En 1997, après la dissolution et la formation du Gouvernement de M. Lionel Jospin, la fin des Accords de Matignon approchait. Il restait beaucoup à faire malgré les avancées réelles réalisées sous le gouvernement de M. Alain Juppé.

Une fois conclus les Accords de Bercy, la négociation a eu lieu alternativement à Paris et à Nouméa. Il est apparu important pour la crédibilité de l’accord que des échanges aient lieu à Nouméa pour écarter la critique d’une négociation secrète loin du territoire concerné.

L’Accord de Nouméa est signé le 5 mai 1998, à Nouméa, à l’occasion d’une visite du Premier ministre, M. Lionel Jospin, accompagné notamment de M. Jean-Jack Queyranne, Secrétaire d’Etat à l’outre-mer.

Les signataires de l’accord sont, outre le Premier ministre et le ministre, pour le RPCR, Jacques Lafleur, Pierre Frogier, Simon Loueckhote, Harold Martin, Jean Lèques et Bernard Deladrière et pour le FLNKS, Roch Wamytan, Paul Néaoutyine, Charles Pidjot et Victor Tutugoro.

L’accord comprend un préambule et un document d’orientation.   Accord sur la Nouvelle-Calédonie signé à Nouméa le 5 mai 1998 – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

 

Le préambule

Il était déjà apparu pendant les discussions des Accords de Matignon que rien de solide ne pouvait être construit pour l’avenir sans une reconnaissance mutuelle du passé troublé de la Nouvelle-Calédonie. La déclaration introductive relevait juste que « Les communautés de Nouvelle-Calédonie ont trop souffert dans leur dignité collective, dans l’intégrité des personnes et des biens, de plusieurs décennies d’incompréhension et de violences ».

L’ambition du préambule est de dire, à plusieurs voix, celles de l’Etat, des partisans du maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République et des indépendantistes, ce qu’il faut retenir du passé pour construire un avenir commun pacifique. Il n’est pas un acte de repentance de l’Etat.

Dans un premier temps, il décrit le traumatisme pour la population indigène de la colonisation, alors que « ce territoire n’était pas vide » mais habité par un peuple à la forte identité, fondée sur un lien particulier à la terre. « Le moment est venu de reconnaître les ombres de la période coloniale, même si elle ne fut pas dépourvue de lumière ». « Le choc de la colonisation a constitué un traumatisme durable pour la population d’origine ». Fondamentalement, « La colonisation a porté atteinte à la dignité du peuple kanak qu’elle a privé de son identité. »

Dans un deuxième temps, le préambule reconnaît l’apport des autres communautés à l’édification de la Nouvelle-Calédonie. « Des hommes et des femmes sont venus en grand nombre, aux XIXème et XXème siècles, convaincus d’apporter le progrès, animés par leur foi religieuse, venus contre leur gré ou cherchant une seconde chance en Nouvelle-Calédonie. Ils se sont installés et y ont fait souche. Ils ont apporté avec eux leurs idéaux, leurs connaissances, leurs espoirs, leurs ambitions, leurs illusions et leurs contradictions. » « Les nouvelles populations sur le territoire ont participé, dans des conditions souvent difficiles, en apportant des connaissances scientifiques et techniques, à la mise en valeur minière ou agricole et, avec l’aide de l’Etat, à l’aménagement de la Nouvelle-Calédonie. Leur détermination et leur inventivité ont permis une mise en valeur et jeté les bases du développement. »

La légitimité de leur présence en Nouvelle-Calédonie est expressément reconnue, pour le présent et pour l’avenir : « Les communautés qui vivent sur le territoire ont acquis par leur participation à l’édification de la Nouvelle-Calédonie une légitimité à y vivre et à continuer de contribuer à son développement. Elles sont indispensables à son équilibre social et au fonctionnement de son économie et de ses institutions sociales. »

Pour l’avenir, « La décolonisation est le moyen de refonder un lien social durable entre les communautés qui vivent aujourd’hui en Nouvelle-Calédonie, en permettant au peuple kanak d’établir avec la France des relations nouvelles correspondant aux réalités de notre temps. » Comme pour les Accords de Matignon, la décolonisation doit s’entendre d’abord d’un processus de suppression des inégalités de nature coloniale.

La filiation avec les Accords de Matignon est soulignée : « Dix ans plus tard, il convient d’ouvrir une nouvelle étape, marquée par la pleine reconnaissance de l’identité kanak, préalable à la refondation d’un contrat social entre toutes les communautés qui vivent en Nouvelle-Calédonie, et par un partage de souveraineté avec la France, sur la voie de la pleine souveraineté. Le passé a été le temps de la colonisation. Le présent est le temps du partage, par le rééquilibrage. L’avenir doit être le temps de l’identité, dans un destin commun. »

« Destin commun » et « partage de souveraineté » sont un horizon pour les relations entre les communautés, d’une part, celles avec la France, d’autre part.

Enfin, dans un troisième temps, le préambule résume les orientations de l’accord : revalorisation de la place des institutions coutumières, signes identitaires, « lois du pays » contrôlées par le Conseil constitutionnel, manifestant le degré élevé d’autonomie juridique de la Nouvelle-Calédonie, citoyenneté réservée aux personnes installées depuis une certaine durée, donnant le droit de participer aux élections aux assemblée locales et une priorité sur le marché du travail à niveau égal, transfert progressif des compétences détenues par l’Etat, à l’exception des seules compétences « régaliennes », .

Puis, « Au terme d’une période de vingt années, le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité seront proposés au vote des populations intéressées. Leur approbation équivaudrait à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie ».

Affiché dans les écoles et les bâtiments publics, le préambule a été assez généralement perçu, en Nouvelle-Calédonie et au-dehors, comme une tentative réussie de dépasser les antagonismes par une lecture commune du passé conflictuel et un éclairage des valeurs communes.

 

Le document d’orientation

Détaillé en six points, le document d’orientation donne le mode d’emploi de l’accord.

Les points suivants sont particulièrement notables :

par dérogation à l’article 75 de la Constitution, des personnes n’ayant plus le statut coutumier parce que leurs parents ou eux-mêmes y ont renoncé, peuvent le retrouver. L’abandon du statut coutumier était en effet mal vécu par des Kanak qu’il privait de leurs droits fonciers et donc d’une partie de leur identité.  Le statut coutumier distinguera aussi les biens situés dans les terres coutumières « qui seront appropriés et dévolus en cas de succession selon les règles de la coutume et ceux situés en dehors des terres coutumières qui obéiront à des règles de droit commun », ceci afin de tenir compte de la présence croissante de Kanak en zone urbaine

la présence des langues kanak sera accrue dans l’enseignement et dans la recherche

Des signes identitaires du pays, nom, drapeau, hymne, devise, graphismes des billets de banque doivent être recherchés en commun pour exprimer l’identité kanak et le futur partagé entre tous. Seuls les trois derniers signes ont été trouvés. Le drapeau commun ne l’a pas été alors même que la Polynésie française en a un. Les deux drapeaux, national et indépendantiste, sont présents sur tous les bâtiments officiels, y compris ceux de l’Etat, en application d’un vœu du Congrès, voté à l’initiative du sénateur Pierre Frogier. Ensemble, ils symbolisent la reconnaissance mutuelle mais ne constituent pas le signe identitaire unique mentionné par l’accord.

les assemblées des trois provinces, élues pour cinq ans, comprennent certaines de leurs membres qui forment également, par leur réunion, le Congrès, assemblée de la Nouvelle-Calédonie dans son ensemble. Le corps électoral qui les élit est restreint (cf. supra).

le Conseil coutumier devient « Sénat coutumier »

L’Exécutif de la Nouvelle-Calédonie devient un gouvernement collégial, élu par le Congrès, responsable devant lui. Il est désigné à la proportionnelle par le Congrès, sur proposition par les groupes politiques de listes de candidats.

Les compétences détenues par l’Etat doivent être transférées à la Nouvelle-Calédonie, selon le document, dans les conditions suivantes : – certaines dès la mise en œuvre de la nouvelle organisation politique ; – d’autres dans des étapes intermédiaires (par exemple la sécurité civile, le droit civil et le droit commercial) ; – certaines si le Congrès le décide à une majorité qualifiée (article 27 : contrôle de légalité des institutions locales et des communes, audio-visuel, recherche et enseignement supérieur) – d’autres doivent être partagées entre l’Etat et la Nouvelle-Calédonie (en matière internationale et de réglementation minière par exemple) ; – les dernières, de caractère régalien, ne pourraient être transférées que si les populations choisissaient l’accès à la pleine souveraineté à l’issue des consultations finales prévues par l’accord.

En réalité, le transfert des compétences a tardé après la conclusion de l’accord et ne s’est accéléré qu’à partir de 2004 et en partie sous la pression du Gouvernement national.

le programme de formation « 400 cadres » est prolongé sous le nom de « Cadre avenir »

– l’Etat continue de signer avec le Territoire, les provinces des contrats de développement (analogues aux contrats de plan avec les collectivités métropolitaines)

l’autodétermination s’effectuera par une, deux ou trois consultations

Seule la première consultation est obligatoire. Le Congrès peut l’organiser à partir de la première année de son quatrième mandat, soit en 2014. S’il ne l’a pas fait en 2018, l’Etat doit l’organiser. Si le résultat est le maintien dans la République, une deuxième consultation pourra être organisée dans la deuxième année suivant la première si un tiers des membres du Congrès le demande. Si le résultat est encore négatif sur l’accession à la pleine souveraineté, une troisième et dernière consultation pourra être organisée dans les mêmes conditions. Enfin, « Si la réponse est encore négative, les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée ».

Un dispositif destiné à éviter une solution du type de celle pratiquée pour Mayotte après que les résultats du référendum sur l’indépendance des Comores ont été différents selon les îles a été explicitement prévu : « Le résultat de cette consultation s’appliquera globalement pour l’ensemble de la Nouvelle-Calédonie. Une partie de la Nouvelle-Calédonie ne pourra accéder seule à la pleine souveraineté ou conserver seule des liens différents avec la France, au motif que les résultats de la consultation électorale y auraient été différents du résultat global ».

Cette succession de trois consultations uniquement dans le cas où la précédente ne donne pas un résultat favorable à l’accession à la pleine souveraineté a fait l’objet de critiques à la fois juridiques et politiques :

  • Pourquoi trois consultations ?

La demande émanait du FLNKS mais les non-indépendantistes ne s’y sont pas opposés. Une première interprétation est qu’ils comptaient que l’écart en faveur du « non » dès la première consultation dissuaderait les indépendantistes d’en demander d’autres. Une seconde interprétation est que, quand bien même les indépendantistes utiliseraient ces autres possibilités, les trois résultats négatifs pour l’indépendance, sur un corps électoral qu’ils avaient accepté, ne feraient que rendre plus difficile pour eux la contestation du sens du résultat, devant les opinions calédonienne, nationale et internationale.

  • Pourquoi cette dissymétrie selon le sens de la réponse ? Pourquoi un choix en faveur de l’indépendance n’aurait-il pas lui aussi dû être confirmé par un ou plusieurs votes?

Ce sont les indépendantistes qui portent la revendication de changement. Il n’est pas anormal que seule cette demande soit réitérée.

 

un vote sur l’Accord de Nouméa est prévu avec le corps électoral qui était prévu pour le scrutin d’autodétermination qui devait, selon les Accords de Matignon, avoir lieu en 1998

un comité des signataires est mis en place pour participer à la préparation des textes de mise en œuvre de l’accord et, surtout, tout au long de l’accord, veiller à son suivi. Comme le comité de suivi des Accords de Matignon, le comité des signataires sera, de fait une instance importante de discussions, régulièrement présidée par le Premier ministre, et un rendez-vous politique souvent décisif des « partenaires » de l’accord.

La loi constitutionnelle du 20 juillet 1998

Une loi constitutionnelle était doublement nécessaire, pour organiser la consultation en Nouvelle-Calédonie sur l’Accord de Nouméa (aucune disposition ne le permettait alors pour l’approbation d’un statut ; ce n’était possible que pour l’autodétermination) et aussi pour prévoir les dérogations à la Constitution que l’Accord de Nouméa impliquait.

Cette loi constitutionnelle ajoute deux articles à la Constitution, dans un nouveau titre XIII « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie »[8]

L’article 76 dispose que la consultation sur l’accord signé à Nouméa aura lieu avant le 31 décembre 1998 et que pourront y participer « les personnes remplissant les conditions fixées à l’article 2 de la loi n° 88–1028 du 9 novembre 1988 », c’est-à-dire celles qui auraient pu voter pour la consultation d’autodétermination prévue en 1998 par les Accords de Matignon si elle avait eu lieu.

L’article 77 donne un fondement constitutionnel aux dispositions dérogatoires à des principes constitutionnels de la future loi organique, pour l’application de l’Accord de Nouméa, en énumérant les transferts de compétences, les règles d’organisation et de fonctionnement des institutions, la citoyenneté, le régime électoral, l’emploi, le statut civil coutumier et les scrutins sur l’accession à la pleine souveraineté.

Le scrutin du 8 novembre 1998

A la différence des Accords de Matignon, l’Accord de Nouméa est largement approuvé, dans les trois provinces, même si les résultats sont inférieurs dans la province Sud : l’accord est approuvé par 71,86 % des suffrages exprimés avec un taux d’abstention de 25,77 %

La loi organique et la question du corps électoral pour les élections locales

La loi organique n° 99–209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie met en œuvre, en 234 articles, ce dispositif complexe. Loi n° 99–209 organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie (1) – Légifrance (legifrance.gouv.fr)

Comme il doit le faire pour toutes les lois organiques, le Conseil constitutionnel a examiné la conformité à la Constitution du projet de loi organique.

Sa décision n° 99–410 DC du 15 mars 1999 trace le cadre juridique d’interprétation de la loi. Décision n° 99–410 DC du 15 mars 1999 | Conseil constitutionnel (conseil-constitutionnel.fr)

Elle affirme le caractère constitutionnel dérogatoire des « orientations » de l’Accord de Nouméa. Le contrôle du Conseil constitutionnel sur les lois organiques ou les lois ordinaires qui lui seraient déférées, concernant la Nouvelle-Calédonie porte donc sur leur conformité à la Constitution et aux principes constitutionnelles tels que complétés et parfois contredits par les orientations de l’Accord de Nouméa.

« (…) rien ne s’oppose, (…) à ce que le pouvoir constituant introduise dans le texte de la Constitution des dispositions nouvelles qui, dans les cas qu’elles visent, dérogent à des règles ou principes de valeur constitutionnelle, ces dérogations pouvant n’être qu’implicites ; que tel est le cas en l’espèce ; qu’il résulte en effet des dispositions du premier alinéa de l’article 77 de la Constitution que le contrôle du Conseil constitutionnel sur la loi organique doit s’exercer non seulement au regard de la Constitution, mais également au regard des orientations définies par l’accord de Nouméa, lequel déroge à un certain nombre de règles ou principes de valeur constitutionnelle ; que, toutefois, de telles dérogations ne sauraient intervenir que dans la mesure strictement nécessaire à la mise en œuvre de l’accord ».

La décision valide la priorité à l’emploi local donnée aux citoyens de la Nouvelle-Calédonie par l’Accord de Nouméa, dans les conditions suivantes : «  (…) il appartiendra aux « lois du pays » pour chaque type d’activité professionnelle et chaque secteur d’activité, de fixer la « durée suffisante de résidence » mentionnée aux premier et deuxième alinéas de cet article en se fondant sur des critères objectifs et rationnels en relation directe avec la promotion de l’emploi local, sans imposer de restrictions autres que celles strictement nécessaires à la mise en œuvre de l’accord de Nouméa ; qu’en tout état de cause, cette durée ne saurait excéder celle fixée par les dispositions combinées des articles 4 et 188 pour acquérir la citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie. »

Par une réserve d’interprétation, le Conseil constitutionnel juge que le corps électoral restreint pour les élections aux assemblée de province et au Congrès est glissant, avec la motivation suivante : «  (…) doivent notamment participer à l’élection des assemblées de province et du congrès les personnes qui, à la date de l’élection, figurent au tableau annexe mentionné au I de l’article 189 et sont domiciliées depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie, quelle que soit la date de leur établissement en Nouvelle-Calédonie, même postérieure au 8 novembre 1998 ; qu’une telle définition du corps électoral restreint est au demeurant seule conforme à la volonté du pouvoir constituant, éclairée par les travaux parlementaires dont est issu l’article 77 de la Constitution, et respecte l’accord de Nouméa, aux termes duquel font partie du corps électoral aux assemblées des provinces et au congrès, notamment, les électeurs qui, « inscrits au tableau annexe, rempliront une condition de domicile de dix ans à la date de l’élection ».

Contestée par le FLNKS, cette interprétation sera renversée par une nouvelle loi constitutionnelle du 23 février 2007 modifiant l’article 77 de la Constitution, introduit par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998[9] (cf. infra).

5. Quel bilan pour les accords ?

Le bilan des accords réalisé par les sociétés DME et CMI : un « rééquilibrage » bien engagé avec des résultats appréciables mais une autonomie économique et financière limitée

A la demande du comité des signataires, un bilan de l’Accord de Nouméa a été réalisé par des sociétés privées. Publié le 15 décembre 2011, il a été actualisé en 2018. Une note de synthèse de la direction générale des outre-mer le résume. IDE Note de synthèse Accords de Nouméa (nouvelle-caledonie.gouv.fr)

On peut en retenir les développements suivants » :

Sur le rééquilibrage, de manière générale :

Le rééquilibrage est bien engagé.

« Plusieurs avancées emblématiques méritent d’être citées, comme l’identité kanak valorisée par les actions de préservation du patrimoine culturel, de sauvegarde et d’enseignement des langues, ou encore la poursuite de la réforme foncière. Le niveau d’éducation constitue un autre domaine où les efforts ont été particulièrement importants, tant dans l’enseignement primaire et secondaire que supérieur. Il faudra néanmoins attendre encore quelques décennies avant de tirer tous les fruits de ces dispositifs, en particulier pour la formation des élites locales. Dans un troisième registre, la politique des Contrats de Développement s’est poursuivie et a permis de mailler le territoire en infrastructures de base et en services aux populations. Elle a ainsi contribué à accélérer le processus de rééquilibrage social et territorial de la Nouvelle Calédonie, avec des impacts aujourd’hui très prometteurs dans les Provinces Nord et des Iles Loyauté en matière de développement humain (niveau de vie, d’éducation et état de santé des populations). »

 

Sur les enjeux d’identité culturelle :

L’usage des langues kanak s’atténue. Une culture néo-calédonienne reste à construire.

« La transmission de l’héritage kanak se fragilise sous l’effet conjugué de la polarisation urbaine, de l’individualisation de la société et du renouvellement des générations. Malgré les travaux conséquents de collecte et de codification des langues kanak, l’érosion linguistique se poursuit. A Nouméa, où se concentre les deux tiers de la population, le contexte pluriethnique et urbain réduit l’usage du kanak. L’UNESCO déclarait déjà en 2009, 18 langues kanak en danger dont 5 en quasi-disparition. Dans un autre registre, la mémoire de la terre tend à s’estomper d’une génération à l’autre et en particulier avec le départ des jeunes quittant leur foyer pour suivre des études.

Plus fondamentalement encore, c’est un socle de références culturelles et identitaires partagées qui reste à construire par et pour tous les néocalédoniens, quelle que soit leur communauté d’origine. Le drapeau et le nom du pays ne font pas consensus, et cristallisent les oppositions entre communautés et ancrages politiques. Bien au-delà des symboles, certains appellent de leurs vœux une nouvelle culture néocalédonienne façonnée par le métissage des populations. »

 

Sur les enjeux d’éducation :

L’offre de formation s’est développée même si les disparités territoriales persistent.

« En 2011, cet enjeu d’éducation au sens large semblait encore largement « en friche » avec plusieurs dispositions des Accords de Nouméa peu mises en œuvre. Les progrès réalisés depuis ces sept dernières années, tant au niveau de l’Etat que des acteurs néocalédoniens est à souligner fortement. Pour ne citer que quelques avancées majeures, le transfert de compétences de l’enseignement secondaire a bien eu lieu et de nombreuses mesures ont été prises pour développer l’offre de formation et l’adapter aux spécificités de la Nouvelle-Calédonie, accroître le niveau d’éducation de la population et faciliter l’accès à la haute fonction publique des néocalédoniens. Malgré tout, les disparités territoriales et sociales restent très présentes sur le territoire et mettront probablement plusieurs années à se résorber. »

Entre 1998 et 2017, le nombre d’établissements scolaires du second degré a crû de 10% dans la province des Iles et de plus de 20% en province Nord. Cet effort d’équipement scolaire s’est traduit à son tour par une augmentation sensible de la part des diplômés (bac et plus) dans la population (âgée de plus de 15 ans). Entre 1996 et 2014, cette proportion a été multipliée par 3,7 dans la province des Iles et par 3,5 en province Nord (contre 2,4 en province Sud et 2,8 en moyenne sur l’ensemble du territoire).

 

Sur le fonctionnement des institutions et l’autonomie économique et financière de la Nouvelle-Calédonie :

La répartition des compétences est trop complexe. Le fonctionnement de l’exécutif collégial a montré ses limites. L’autonomie économique et financière est insuffisante.

« Plusieurs enjeux peuvent cependant être soulignés pour le futur de ces institutions. En règle générale, encore en 2018, la répartition des compétences entre les différentes institutions « légiférant » sur le territoire (Etat, Nouvelle-Calédonie, provinces, communes) n’est pas toujours aisée à établir. Même si les questions de compétence sont résolues au gré des avis rendus par le Conseil d’État, un travail de clarification pourrait être effectué sur ce point.

S’agissant du Gouvernement, l’institution connaît des crises régulières, malgré la révision de la loi organique opérée en 2011. Notamment suite à la crise de 2011, un groupe politique a fait chuter systématiquement les gouvernements successifs jusqu’en 2014. Du 31 décembre 2014 au 1er avril 2015, et du 31 août au 1er décembre 2017, le Gouvernement a fonctionné sans président faute de consensus, ne pouvant alors gérer que les « affaires courantes », situation potentiellement génératrice de contentieux. Le système de la collégialité montre ses limites depuis plusieurs années. La composition et le mode de fonctionnement du Gouvernement restent un enjeu à couvrir pour les prochaines années.

L’émancipation de la Nouvelle Calédonie passe aussi par le renforcement de son autonomie économique (interne et externe), qui reste aujourd’hui en demi-teinte. Une autonomie interne renforcée. L’autonomie interne renvoie à la capacité du pays à financer ses dépenses publiques par des ressources propres. Cette capacité s’est sensiblement renforcée depuis le début des années 2000. (…) Les prélèvements obligatoires financent désormais quelques70% du total des dépenses publiques (y compris les dépenses sociales) contre 60% à peine au début des années 2000. Corrélativement, le poids des transferts métropolitains dans le PIB n’a cessé de se réduire entre 2000 et 2014 (…).

Une autonomie externe qui demeure réduite. L’autonomie externe renvoie à la capacité du pays à financer ses importations par ses exportations. Cette autonomie demeure limitée (…) alors qu’elle devrait approcher les 100% si le pays devait assurer sa souveraineté monétaire. La faiblesse du taux de couverture s’explique en partie par le caractère ultrapériphérique de la Nouvelle-Calédonie, ainsi que par le handicap de compétitivité dont souffre son appareil de production. Son amélioration passe par la réalisation de gains de productivité rétrocédés aux clients sous forme de baisse des prix intérieurs. »

 

Sur les équipements collectifs et le niveau de vie :

Les écarts de niveau de vie se sont réduits. Ils se sont résorbés pour la santé. Les progrès ont été importants pour le réseau électrique. Des écarts importants subsistent pour internet.

« (…) la dynamique de rééquilibrage s’est traduite, en premier lieu, par une réduction sensible des écarts de niveau de vie entre les provinces. Huit ans après la signature des Accords de Matignon (en 1996), le niveau moyen des habitants de la province Nord était encore inférieur de moitié à celui des résidents en province Sud. Quelques vingt ans plus tard (2014), les inégalités perdurent mais elles ont été réduites de moitié. Les progrès dans le domaine éducatif enregistrés au cours des vingt dernières années ont été sensibles. Mais, le fort handicap dont souffraient les provinces Nord et Iles en début de période n’a pu être totalement résorbé dans un laps de temps aussi court. En 2014, la province Nord comptait ainsi moitié moins de diplômés de niveau bac et plus que celle du Sud (60% d’écart en ce qui concerne les Iles).

Historiquement faibles, les écarts concernant l’état de santé de la population entre les provinces se sont presque totalement résorbés au cours des 20 dernières années. En conséquence, les progrès dans ce domaine n’ont finalement qu’assez peu contribué à la réduction des écarts de développement humain entre les provinces.

Dans le domaine de la santé, avec notamment le renforcement des capacités hospitalières en province Nord et la création récente d’un nouvel hôpital à Koné. Dans l’adduction d’eau. En 1996, le taux de raccordement en eau courante dans le logement en province Nord était inférieur de 40% à celui de la province Sud. Vingt ans plus tard, l’écart entre les deux provinces n’était plus que de 6%. Et (…) le rééquilibrage dans ce domaine a été encore plus sensible dans la province des Iles.

Le rééquilibrage s’est traduit aussi par un développement volontariste du réseau électrique (notamment en milieu rural grâce au FER) ainsi que du réseau de téléphonie mobile : Le rééquilibrage est par contre encore en devenir en ce qui concerne les connexions internet. Le taux de raccordement au web en province Nord est encore inférieur de moitié à celui de la province Sud (et de près de 75% dans les Iles). La réduction rapide de la fracture numérique fait désormais enjeu. »

En conclusion, les efforts de rééquilibrage conduits pendant 30 ans entre les provinces et entre les communautés, à partir d’une situation de grande inégalité, voire de marginalisation communautaire et géographique, ont commencé à porter leur fruits grâce aux crédits publics et à leur répartition volontariste ainsi qu’à la paix civile retrouvée.

 

Les critiques de l’Accord de Nouméa

L’injustice : de nouvelles inégalités

La plus forte critique concerne les restrictions du corps électoral, soit sur le principe même de priver des citoyens français de la citoyenneté calédonienne et donc du droit de vote aux élections aux assemblées de province et au Congrès, soit sur la durée de cette exclusion, du fait de la loi constitutionnelle de 2007 qui a figé ce corps électoral, ce qui a pour effet, 23 ans après la signature de l’accord, d’exclure du suffrage universel 40 000 personnes.

Les inégalités contestées portent aussi sur la représentation des électeurs aux assemblées locales. Le Conseil constitutionnel avait jugé, par une décision n°85–196 DC du 8 août 1985, à propos d’un découpage antérieur de la Nouvelle-Calédonie : « … s’il ne s’ensuit pas que la répartition des sièges doive être strictement proportionnelle à la population, ni qu’il ne puisse être tenu compte d’autres impératifs d’intérêt général, ces considérations ne peuvent toutefois intervenir que dans une mesure limitée ».

Les électeurs de la province des Îles Loyauté élisent 14 membres de l’assemblée de province, dont 7 siègent au Congrès, ceux de la province Nord 22, dont 15 siègent au Congrès et ceux de la province Sud 40 dont 32 siègent au Congrès.

Le Congrès de 54 membres est donc composé de 13% de représentants des Îles, 28 % du Nord et 59 % du Sud, alors que les proportions des populations des trois provinces dans la population totale de la Nouvelle-Calédonie sont, selon les résultats du recensement de 2019, respectivement de 6,8 % pour les Îles, 18,4 % pour le Nord et 74,8% pour le Sud. Pour élire un membre du Congrès, il faut 7192 habitants du Sud, 3327 du Nord et 2621 des Îles Loyauté, soit 2,74 fois plus pour le Sud. Pour les élections législatives de 2017, entre la 2ème circonscription des Hautes-Alpes (63979 habitants) et la 5ème de Loire-Atlantique (151898) il fallait 2,37 plus d’électeurs pour élire un député. On pourrait aussi mentionner la circonscription unique de Saint-Pierre-et-Miquelon qui envoie un député à l’Assemblée nationale avec une population de 6057 habitants. L’écart de représentation des populations aux assemblées des provinces de la Nouvelle-Calédonie n’est donc pas aberrant. Examinant la loi organique de 1999 qui a prévu cette répartition des sièges, le Conseil constitutionnel n’a d’ailleurs rien trouvé à y redire.

Une critique porte enfin sur les clés de répartition des dépenses publiques entre les provinces, issues des Accords de Matignon et maintenues par celui de Nouméa. Le quart des crédits d’investissement de l’Etat doit être engagé au profit de la province Sud, contre les trois-quarts au profit des deux autres provinces, alors que la première rassemble maintenant les trois-quarts de la population. Cet écart peut sans doute se justifier par le déséquilibre inverse des dépenses d’investissement déjà réalisées par l’Etat avant les accords. La province Sud s’insurge plus vivement contre la clé de répartition des dépenses de fonctionnement du budget de la Nouvelle-Calédonie, 1/5 pour le territoire, 2/5 pour les provinces Nord et Îles et 2/5 pour la province Sud, soit la moitié des crédits destinés aux provinces pour le Sud qui doit supporter les dépenses de fonctionnement pour les ¾ de la population. Dès lors que des inégalités subsistent entre les trois provinces, des mécanismes correcteurs doivent être maintenus, même s’ils doivent, en effet, être adaptés, alors que la situation qui a conduit à les définir a évolué depuis 30 ans.

 

La complexité institutionnelle

Deux défauts sont particulièrement soulignés.

Comme l’a relevé le rapport sur le bilan des accords (cf. supra) la répartition des compétences entre la Nouvelle-Calédonie (collectivité désormais innomée) et les trois provinces est complexe. Elle conduit à des incertitudes qui ne sont levées que par le Conseil d’Etat, statuant sur une demande d’avis transmise par le tribunal administratif ou au contentieux.

Le fonctionnement du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie a aussi fait l’objet de critiques, au point de conduire à une modification de la loi organique.

Une fois fixé le nombre de membres du gouvernement par délibération du Congrès, entre 5 et 11 (article 109 de la loi organique), ses membres sont élus au scrutin de liste à la représentation proportionnelle en suivant la règle de la plus forte moyenne sans adjonction ni suppression de noms et sans modification de l’ordre de présentation, les listes de candidats, membres ou non du congrès, étant présentées par les groupes d’élus au congrès (article 110). Enfin, « (…) au plus tard cinq jours après leur élection, les membres du gouvernement, convoqués par le haut-commissaire et sous la présidence de leur doyen d’âge, procèdent, au scrutin secret et à la majorité de ses membres, à l’élection du président et du vice-président chargé d’assurer l’intérim en cas d’absence ou d’empêchement du président » (article 115).

En outre, selon l’article 128, le gouvernement est chargé « collégialement et solidairement » des affaires de sa compétence et ses décisions sont prises à la majorité de ses membres, la voix du président étant prépondérante en cas de partage égal des voix.

Par ailleurs, est prévue à l’article 121, modifié par l’article 1er de la loi organique n° 2011–870 du 25 juillet 2011, la démission des membres du gouvernement. Si au moins la moitié de l’effectif du gouvernement démissionne, une nouvelle élection du gouvernement doit avoir lieu sauf, depuis la modification, si une démission a déjà eu lieu dans les 18 derniers mois.

Ce dispositif est toujours accusé de gêner le fonctionnement des institutions par une obligation de consensus qui ne correspond pas à la situation politique de la Nouvelle-Calédonie, compte tenu des divergences entre non-indépendantistes et indépendantistes et parfois en leur sein.

De fait, les démissions des gouvernements ont été fréquentes et souvent longs les délais pour élire le président et le vice-président, avec la conséquence d’une prolongation du gouvernement précédent, limité à la gestion des affaires courantes.

 

L’issue privilégiée de l’indépendance

L’accord de Nouméa est volontiers accusé d’avoir privilégié la solution de l’indépendance à la fin du processus.

La principale critique porte sur le caractère asymétrique du dispositif de trois consultations sur l’accès à la pleine souveraineté. Comme il a été dit (cf. supra) cette proposition du FLNKS ne semble pas avoir soulevé de difficultés particulières dans la négociation de l’accord.

Il est reproché au Préambule de l’Accord de Nouméa de n’avoir suggéré, par le choix des mots, qu’une solution d’indépendance à l’issue de l’accord. Il relève ainsi que : « la décolonisation est le moyen de refonder un lien social durable en permettant au peuple kanak d’établir avec la France des relations nouvelles correspondant aux réalités de notre temps », qu’un « contrat social entre toutes les communautés qui vivent en Nouvelle-Calédonie, et par un partage de souveraineté avec la France, sur la voie de la pleine souveraineté ».

Est aussi mis en cause le document d’orientation qui indique, après avoir traité de la situation après les trois consultations éventuelles : « L’Etat reconnaît la vocation de la Nouvelle-Calédonie à bénéficier, à la fin de cette période, d’une complète émancipation ». Cette vocation à la « complète émancipation » ne peut pourtant être comprise comme une promesse de pleine souveraineté puisque celle-ci est subordonnée par l’Accord lui-même au vote majoritaire des populations en faveur du « oui ». La « voie de la pleine souveraineté » ne s’achève ainsi pas nécessairement à la fin de l’Accord de Nouméa.

L’Accord de Nouméa n’a voulu privilégier aucune solution pour la suite. Il ne pouvait le faire puisque ses signataires n’étaient pas en accord sur l’issue de ce processus. Le comité des signataires devait être l’instance par laquelle seraient engagées les réflexions permettant d’esquisser une ou plusieurs solutions selon le résultat des consultations. Il était cependant clair que le dispositif institutionnel issu de l’Accord ne pouvait devenir la solution définitive en raison notamment de ses exceptions constitutionnelles, comme l’a notamment montré le rapport de MM. Courtial et Mélin-Soucramanien (cf. infra).

 

La fragilisation économique

Des milieux économiques soulignent que le volontarisme public des accords ne peut déboucher durablement sur le développement économique espéré, au-delà de la croissance exceptionnelle de la décennie 1998–2008 (doublement du PIB), compte tenu des obstacles au développement qu’ils ne permettent pas de surmonter, voire accentuent.

La citoyenneté calédonienne, qui prive durablement des personnes venues travailler en Nouvelle-Calédonie d’un droit aussi essentiel que celui de voter, est vue sur le plan économique comme un frein au développement, accentué par la préférence pour l’emploi local qui empêcherait parfois des recrutements de qualité. Certains ont préconisé, du point de vue économique, une Nouvelle-Calédonie de 500 000 habitants, voire davantage, qui serait seule à même de créer un marché intérieur permettant une croissance durable, alors que les impératifs politiques qui sous-tendent l’Accord de Nouméa freineraient les arrivées de « sang neuf » pour le marché du travail. Pourtant, le principe de la priorité à l’emploi local est seulement qu’à niveau égal doit être privilégié le candidat local, s’il y en a un.

 L’architecture politique jugée coûteuse par excès d’institutions et paralysante par les blocages qu’elle permet est aussi parfois considérée comme conduisant à une gouvernance publique défaillante freinant le développement économique.

L’incertitude sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie, depuis 33 ans, est encore vue comme un obstacle majeur au développement en privant les entreprises de toute visibilité pour leurs investissements.

Plus généralement, dans une approche libérale, le rôle important des institutions publiques nationales et locales dans la politique économique est jugé lui-même excessif et contre-productif.

En tout cas, même si l’apport des financements publics est reconnu, les accords n’ont pas supprimé les fragilités de l’économie calédonienne résultant du poids dominant du nickel, soumis aux fluctuations internationales d’un cours non régulé.

Le rapport annuel de l’Institut d’émission d’outre-mer dresse un tableau complet de la situation économique du territoire.

Rapport annuel économique 2020 de la Nouvelle-Calédonie (ieom.fr)
Le rapport met notamment en lumière le poids de l’économie du nickel. Si elle ne contribue directement au PIB que pour 7 % en employant 5900 salariés, elle génère au total au moins 15 000 emplois indirectement.

Est particulièrement remarquable l’importance croissante de la transformation du minerai sur place. A l’unique usine de Nouméa de la Société Le Nickel dont les actionnaires principaux sont le groupe minier français ERAMET et la Société territoriale de participation industrielle (STCPI), créée en application de l’accord dit de la Chapelle en complément de l’Accord de Nouméa et de ceux de Bercy) rassemblant les sociétés de développement de la province Sud (Promosud) et des provinces Nord et Îles (Nordil), s’est ajoutée l’usine de Koniambo Nickel SAS, en application des Accords de Bercy, préalables à l’Accord de Nouméa, dont le capital est partagé entre la SMSP (Province Nord pour 51%) et Glencore (49 %).  Puis a été construite l’usine du Sud, exploitant des minerais latéritiques à basse teneur, d’abord propriété du groupe brésilien Vale, et désormais de Prony Ressources, associant, après un long conflit politique et coutumier, le groupe suisse de négoce de matières premières Trafigura, la Société minière du Sud calédonien rassemblant les trois provinces et la Compagnie financière de Prony, la société Tesla, qui ne participe pas au capital, jouant un rôle de conseil.

La faiblesse des cours du nickel a conduit l’Etat à accorder en 2016 à chacune de ces usines des aides conséquentes sous forme de prêts et de défiscalisation.

 

La non-résolution du conflit sur l’indépendance

 Les Accords de Matignon qui avaient prévu en 1988 de poser la question de l’indépendance en 1998, puis l’Accord de Nouméa, l’ont finalement repoussée de 30 ans. Cette incertitude durable sur l’avenir institutionnel apparaît comme une source d’inquiétude croissante qui contribue à tendre les relations sociales.

En ayant repoussé la résolution de la question à l’origine des troubles des années 1980, les deux accords auraient juste permis de gagner du temps mais pris le risque d’exaspérer les craintes.

La phrase du document d’orientation selon laquelle après les trois consultations, « Si la réponse est encore négative, les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée » est souvent citée comme un aveu d’impuissance, même si l’on voit mal ce que l’accord aurait pu dire d’autre puisqu’il ne pouvait ni juridiquement ni politiquement organiser sa propre succession.

L’approche des échéances accentue ainsi le désenchantement à l’égard d’accords, et notamment celui de Nouméa, qui ont suscité le soulagement et pour beaucoup l’espoir d’un accord de paix durable mais dont l’opinion croit comprendre qu’ils pourraient n’avoir été qu’un armistice. Il y a une crainte de « retour à la case départ ». La situation a beaucoup évolué depuis 30 ans sur le terrain économique et social mais qu’en est-il dans les esprits ?

 

6. Après l’Accord de Nouméa 

10 ans avaient paru en 1988 une durée suffisante pour répondre sereinement à la revendication d’indépendance. Les 20 ans ajoutés en 1998 donnaient un nouvel horizon une fois admis dès 1991 que 10 ans étaient une durée trop courte pour modifier en profondeur les réalités du terrain et faire évoluer les esprits. Jacques Lafleur avait proposé un pacte trentenaire mais cet horizon avait paru trop lointain pour les indépendantistes qui proposaient 10 ans.

 

La durée de l’Accord

Si 20 ans était un compromis simple entre 30 ans et 10 ans, l’Accord de Nouméa s’était arrêté à une solution plus complexe. L’article 217 de la loi organique a prévu le dispositif suivant :

 « La consultation est organisée au cours du mandat du congrès qui commencera en 2014 ; elle ne peut toutefois intervenir au cours des six derniers mois précédant l’expiration de ce mandat. Sa date est fixée par une délibération du congrès adoptée à la majorité des trois cinquièmes de ses membres. Elle doit être de six mois au moins postérieure à cette délibération. Si, à l’expiration de l’avant-dernière année du mandat du congrès commençant en 2014, celui-ci n’a pas fixé la date de la consultation, elle est organisée à une date fixée par le Gouvernement de la République, dans les conditions prévues au II de l’article 216, dans la dernière année du mandat.

Si la majorité des suffrages exprimés conclut au rejet de l’accession à la pleine souveraineté, une deuxième consultation sur la même question peut être organisée à la demande écrite du tiers des membres du congrès, adressée au haut-commissaire et déposée à partir du sixième mois suivant le scrutin. La nouvelle consultation a lieu dans les dix-huit mois suivant la saisine du haut-commissaire à une date fixée dans les conditions prévues au II de l’article 216.

Aucune demande de deuxième consultation ne peut être déposée dans les six mois précédant le renouvellement général du congrès. Elle ne peut en outre intervenir au cours de la même période.

Si, lors de la deuxième consultation, la majorité des suffrages exprimés conclut à nouveau au rejet de l’accession à la pleine souveraineté, une troisième consultation peut être organisée dans les conditions prévues aux deuxième et troisième alinéas du présent article. Pour l’application de ces mêmes deuxième et troisième alinéas, le mot : « deuxième » est remplacé par le mot : « troisième ». (…) »

La première consultation pouvait donc avoir lieu à partir de 2014. Ce n’est pourtant que le 19 mars 2018 qu’une délibération a été votée par le Congrès pour la décider, à la majorité requise. Elle a fixé la consultation au 4 novembre 2018. La deuxième consultation demandée par plus d’un tiers des élus au Congrès a eu lieu le 4 octobre 2020 et la troisième demandée dans les mêmes conditions aura lieu le 12 décembre 2021, sur décision du Gouvernement national. 

Or le préambule mentionne à deux reprises une durée de vingt ans pour l’Accord : « (…) « 5. Les signataires des Accords de Matignon ont donc décidé d’arrêter ensemble une solution négociée, de nature consensuelle, pour laquelle ils appelleront ensemble les habitants de la Nouvelle-Calédonie à se prononcer. Cette solution définit pour vingt ans l’organisation politique de la Nouvelle-Calédonie et les modalités de son émancipation » et, plus loin : « Au terme d’une période de vingt années, le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l’accès à un statut international de pleine responsabilité et l’organisation de la citoyenneté en nationalité seront proposés au vote des populations intéressées. »

Quelle est la durée de l’Accord de Nouméa ?

Il y a deux certitudes.

L’accord continue de s’appliquer au-delà de 2018.

La durée de vingt années mentionnée ne pouvait avoir pour conséquence que l’accord cessât de s’appliquer 20 ans après sa signature, le 5 mai 2018 ou après l’entrée en vigueur de la loi organique du 19 mars 1999 le 20 mars 2019, puisque l’accord a lui-même prévu son application éventuelle au-delà de ces dates.

La possibilité d’organiser trois consultations doit être effective. Dès lors que la première consultation avait eu lieu en 2014, comme la possibilité en était ouverte si le Congrès le décidait à la majorité des 3/5, la troisième consultation éventuelle aurait pu avoir lieu en 2018. Si la première consultation a lieu en 2018, comme l’accord en avait aussi prévu la possibilité, on ne pouvait considérer que les deuxième et troisième consultation ne pouvaient être organisées parce qu’elles auraient nécessairement lieu après 2018 en raison de l’espacement minimum entre les consultations, prévu par l’accord.

Le Conseil d’Etat l’a affirmé dans son avis sur l’échéance de l’accord, du 4 septembre 2018 (n°395203) en relevant qu’«  … il pourrait s’appliquer au-delà de la période de principe qu’il fixe en raison de l’organisation des consultations qu’il prévoit. » Il en avait logiquement déduit que les élections de 1999 « ne sauraient se tenir sur un autre fondement que celui de l’accord et des dispositions de la loi organique prise pour son application. »

L’accord ne reste pas en vigueur sans limitation de durée

Selon le Préambule de l’Accord : « Les compétences transférées ne pourront revenir à l’Etat, ce qui traduira le principe d’irréversibilité de cette organisation. » Quant au document d’orientation, il précise à son point 5 : « Tant que les consultations n’auront pas abouti à la nouvelle organisation politique proposée, l’organisation politique mise en place par l’accord de 1998 restera en vigueur, à son dernier stade d’évolution, sans possibilité de retour en arrière, cette « irréversibilité » étant constitutionnellement garantie. »

Comment comprendre cette « irréversibilité » alors que les dispositions constitutionnelles propres à la Nouvelle-Calédonie ont le caractère de « dispositions transitoires » ?

La « nouvelle organisation politique proposée » est celle qui résulte des consultations et de leur mise en œuvre. Les consultations aboutissent à une nouvelle organisation politique soit parce que l’une des consultations a eu pour résultat un vote favorable à l’indépendance, soit parce que les trois ont confirmé le maintien dans la République. Dans le premier cas, il convient de mettre en place les institutions du nouvel Etat. Dans le second, il y a lieu d’élaborer un statut. Dans l’intervalle, la loi organique statutaire reste en vigueur, sans possibilité de retour en arrière avant la mise en place des nouvelles institutions. 

Cette organisation est définie librement par les instances compétences : instances du nouvel Etat en cas de « oui », pouvoir constituant, si de nouvelles dispositions constitutionnelles sont nécessaires, législateur organique si, à la suite d’un « non », c’est dans la République que doivent s’organiser les nouvelles institutions.

Cette mise au point des nouvelles institutions nécessitera des délais – concertation avec les forces politiques locales, vote des textes nationaux ou internationaux. En attendant, les institutions issues de l’Accord de Nouméa resteront en place. Il ne peut y avoir de solution de continuité, dans l’intérêt de tous. Pendant la période de transition qui suivra le résultat de la troisième consultation, il ne pourra y avoir de retour de compétences de la Nouvelle-Calédonie vers l’Etat. C’est l’irréversibilité garantie.

Cette période de transition doit avoir une fin. Du point de vue démocratique, en cas de « oui » comme de « non », la volonté des électeurs doit pouvoir s’appliquer dans un délai raisonnable.

La date-limite pour la mise en place des nouvelles institutions semble devoir être la fin du mandat du Congrès élu en 2019, soit en 2024. La nouvelle assemblée élue en 2024 devra l’être dans les conditions qui auront été définies, en termes de corps électoral et de régime électoral, par le nouveau statut en cas de maintien dans la République, par la constitution du nouvel Etat en cas d’accès à la pleine souveraineté.

En cas de maintien dans la République, on ne pourrait davantage opposer à la volonté démocratique de mettre en place de nouvelles institutions une irréversibilité des dispositions de l’Accord de Nouméa même pour la seule répartition des compétences. Il n’y a pas de dispositions supra constitutionnelles selon le Conseil constitutionnel ; par conséquent l’irréversibilité constitutionnellement garantie tomberait avec de nouvelles dispositions constitutionnelles remplaçant les dispositions transitoires actuellement en vigueur au titre de l’Accord de Nouméa.

En revanche, sur le plan politique, la revendication d’irréversibilité, ou de non-retour en arrière, pourrait être présentée dans les discussions à venir sur tout ou partie des dispositions issues des institutions mises en place à partir de 1998.

L’Accord de Nouméa reste donc en application jusqu’à la fin de la période de transition, sous réserve des décisions contraires qui pourraient être rendues par le Conseil d’Etat ou le Conseil constitutionnel.

Le raisonnement selon lequel la loi organique subsisterait à titre transitoire alors que l’accord lui-même aurait disparu le 13 décembre 2021 se heurte à l’obstacle que l’accord, notamment par les dispositions constitutionnelles dérogatoires qu’il autorise, doit rester le fondement de la loi organique, sans qu’il y ait lieu de distinguer entre celles de ses dispositions qui seraient conformes à la Constitution hors ajouts et dérogations de l’Accord de Nouméa et les autres, qui cesseraient d’être applicables.

 

L’impossible consensus avant les consultations 

Supprimer les consultations ?

Le raisonnement tenu par Jacques Lafleur en 1991 sur le caractère clivant du référendum et le risque qu’il ne divise à nouveau une société calédonienne à la recherche d’un vivre-ensemble apaisé a resurgi dans la perspective des consultations prévues par l’Accord de Nouméa à partir de 2014 et, dans les faits, de 2018.

Il se serait agi de trouver une nouvelle solution consensuelle susceptible d’être adoptée à la place des consultations d’autodétermination prévues, selon un scenario analogue à celui du remplacement en 1998 du référendum d’autodétermination des Accords de Matignon par l’approbation de celui de Nouméa.

Le sénateur Pierre Frogier, signataire des Accords de Matignon et de Nouméa, a défendu avec conviction une telle solution.

La situation juridique était plus complexe que pour les Accords de Matignon. Le référendum prévu par la loi du 6 novembre 1988, adoptée par le peuple français dans un référendum national – mais une loi adoptée par référendum n’a pas une valeur juridique supérieure à une loi votée par le Parlement – avait été supprimé par un accord constitutionnalisé. L’obligation d’organiser les consultations prévues par le nouvel accord était donc de niveau constitutionnel.

En cas d’accord politique en Nouvelle-Calédonie, on peut toutefois penser que le constituant aurait accepté de défaire ce qu’il avait approuvé en 1988 pour adopter la nouvelle loi constitutionnelle sans doute encore nécessaire pour inscrire le nouvel accord dans l’ordre juridique.

L’obstacle juridique était donc surmontable. L’obstacle politique ne l’était pas : ni les indépendantistes ni la majorité des « loyalistes » ne voulaient d’un nouvel accord provisoire et un accord définitif posait nécessairement la question de savoir s’il s’inscrirait dans la République ou dans la pleine souveraineté, choix qui ne pouvait faire l’objet d’un consensus et qui ne pouvait par suite être tranché que par un scrutin d’autodétermination.

Pour l’exprimer autrement, un consensus aurait été préférable mais il aurait fallu d’abord déterminer s’il porterait sur un statut dans la République ou sur une forme d’indépendance, et il n’y avait pas de consensus possible sur un tel choix.

Examiner les différentes solutions possibles pour identifier les convergences

Le rapport de MM. Jean Courtial et Ferdinand Mélin-Soucramanien

Missionnés par le Premier ministre, M. Jean-Marc Ayrault, M. Jean Courtial, conseiller d’Etat et le professeur des universités, spécialiste de droit constitutionnel M. Ferdinand Mélin-Soucramanien ont remis des « Réflexions sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie » qui inventorient les solutions possibles après l’Accord de Nouméa. (RO) Réflexion sur l’évolution institutionnelle de la Nouvelle Calédonie III.indd (vie-publique.fr)

Les auteurs distinguent quatre « hypothèses d’aboutissement » de l’Accord de Nouméa et en déclinent les conséquences : « l’accès pur et simple à la pleine souveraineté », indépendance qui n’exclut pas des accords de coopération ; « la pleine souveraineté avec partenariat », en relevant que « cette idée d’une pleine souveraineté aux côtés de la République française s’est imposée peu à peu comme l’une des hypothèses majeures d’évolution institutionnelle », « l’autonomie étendue », allant au-delà de l’autonomie de l’Accord de Nouméa et « l’autonomie pérennisée », c’est-à-dire le maintien de l’Accord de Nouméa, tout en notant que certaines dispositions de l’accord ne pourraient être maintenues en l’état.

La mission d’écoute et de conseil sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie

Les participants du XIIème comité des signataires de l’accord de Nouméa ont retenu, le 3 octobre 2014, l’objectif de poursuivre la réflexion qui avait conduit au rapport de MM. Jean Courtial et Ferdinand Mélin-Soucramanien en travaillant, au sein de trois groupes de travail, sur les trois thèmes mentionnés au point 5 de l’accord : le transfert des compétences régaliennes, la transformation de la citoyenneté en nationalité et le statut international de pleine responsabilité.

Pour animer ces travaux, le comité des signataires a souhaité faire appel à des experts, désignés par le Premier ministre, M. Manuel Valls, pour une « mission d’écoute et de conseil sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie ». Cette mission était composée de six fonctionnaires ayant servi en Nouvelle-Calédonie ou ayant travaillé sur la Nouvelle-Calédonie à Paris, pour des gouvernements d’orientations politiques différentes. Dans une première phase, de mars à décembre 2015, la mission a présenté à ses interlocuteurs, en rencontres bilatérales, puis lors de séances plénières présidées par le haut-commissaire, pour sept chantiers correspondant aux trois thèmes mentionnés plus haut, un état des lieux et une analyse des conséquences, pour chaque chantier, d’évolutions institutionnelles allant du statu quo, à une plus grande autonomie dans la France ou à la pleine souveraineté. Un rapport d’étape rendant compte des travaux de cette première phase a été présenté au comité des signataires réuni le 7 février 2016.

Lors de ce comité des signataires, les partenaires ont émis le souhait que le travail de préparation de la fin d’application de l’accord de Nouméa soit poursuivi sous la forme d’un exercice d’identification des « convergences (et par voie de conséquence, des divergences) sur les sept chantiers régaliens examinés lors des ateliers thématiques tenus en 2015 », sous l’égide du haut-commissaire et avec l’appui de la mission d’écoute et de conseil sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Le rapport définitif a été remis en octobre 2016. La mission a pointé de nombreuses convergences. Elle a aussi proposé une « Charte des valeurs communes » rédigée avec le concours de personnalités locales.

Rapport mission v définitif 101016 (nouvelle-caledonie.gouv.fr)

Le « groupe sur le chemin de l’avenir »

Le nouveau Premier ministre, M. Edouard Philippe a confié à un groupe de travail local la rédaction d’une charte des valeurs calédoniennes, à partir des travaux déjà réalisés. Il a désigné en avril 2018 M. François Séners, conseiller d’Etat, ancien collaborateur de MM. Louis Le Pensec puis Alain Juppé pour le représenter dans ce groupe aux côtés du haut-commissaire.

20180330 CP P. ministre – Réunion du groupe sur le chemin de l’avenir.pdf (nouvelle-caledonie.gouv.fr)

Charte des valeurs calédoniennes (nouvelle-caledonie.gouv.fr)

La consultation de la société civile

Une consultation de la société civile sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie a aussi été conduite auprès des maires, d’associations, de syndicats et du monde économique et social. Elle fournit d’utiles indications sur les aspirations de la population, qui adhère, quels que soient les mots employés, au « destin commun » et n’exprime pas une hostilité à la France, mais le besoin de cette présence, d’une manière ou d’une autre.

Contributions à la consultation de la société civile sur l’avenir institutionnel / Publications / Accueil – Les services de l’État en Nouvelle-Calédonie (nouvelle-caledonie.gouv.fr)

 

7. Les consultations sur l’accès à la pleine souveraineté

Les deux premières

La première consultation sur l’accès à la pleine souveraineté a eu lieu le 4 novembre 2018.

La question posée est, pour toutes les consultations, la même : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ». Elle résulte d’un compromis, les indépendantistes souhaitant l’utilisation de la seule expression « pleine souveraineté » qui est employée dans l’accord, les non-indépendantistes demandant l’utilisation du mot « indépendance » jugé plus clair (et aussi plus répulsif).

Les trois derniers sondages avant le scrutin, réalisés avec des échantillons ne dépassant pas 1000 personnes, donnaient une moyenne de 66 % de votes « non », pour le maintien de la Nouvelle-Calédonie dans la République.

Le résultat a été de 56,67 % des suffrages exprimés pour le « non », avec seulement 18,99 % d’abstentions, soit un net succès du « non », mais auquel l’écart avec les prévisions des sondages a donné des allures de quasi-défaite pour les non-indépendantistes.

La deuxième consultation, demandée par les indépendantistes au Congrès, s’est tenue le 4 octobre 2020. Un compromis avait dû être trouvé sur la date. Les dates initialement envisagées étaient fin août et début septembre. Le report national du second tour des élections municipales dû à l’épidémie, limitant la durée de la campagne électorale, le Premier ministre a décidé de reporter la consultation au 4 octobre, alors que le FLNKS avait proposé le 25 octobre. 

Avec une participation encore plus importante – les abstentions ont été inférieures à 15 % – le vote « non » a été de 53,26 % sur l’ensemble du territoire. Il a été de 70,86 % dans la province Sud, mais de 21,66 % dans la province Nord et de 15,73 % dans celle des Îles Loyauté. Cette répartition suggère que le vote a été communautaire. Les études qualitatives l’ont confirmé en révélant que les Kanak ont voté à une très forte majorité pour le « oui » – dont ils représentent au moins 85 % des suffrages.

Ce résultat en progression ne pouvait qu’encourager les partis indépendantistes à demander la troisième consultation permise par l’Accord de Nouméa.

La troisième consultation

La demande de troisième consultation date du 8 avril 2021, soit au cours du 6ème mois suivant le scrutin du 4 octobre, comme le prescrit l’article 217 de la loi organique. Ce même article dispose que la nouvelle consultation doit avoir lieu dans les dix-huit mois suivant la saisine du haut-commissaire. Un délai de six mois doit être observé après la demande. La 3ème consultation pouvait donc se tenir jusqu’en octobre 2022.

 

La date

Alors que la date du 4 octobre 2020 avait été acceptée sans difficulté par les deux partenaires, même si les indépendantistes souhaitaient une date plus tardive en octobre, le choix de la date n’a pu, en définitive, faire l’objet d’un consensus pour cette troisième consultation. Le désaccord des indépendantistes sur la date du scrutin, après l’épidémie de convid-19 en Nouvelle-Calédonie a eu pour conséquence une consigne de non-participation à ce scrutin.

Il faut remonter à octobre 2019 pour tenter de comprendre l’enchaînement des événements et la controverse.

Le 10 octobre 2019, M. Édouard Philippe, Premier ministre, déclarait à l’issue du dernier comité des signataires de l’accord de Nouméa : « Nous avons exclu que cette troisième consultation puisse être organisée entre le milieu du mois de septembre 2021 et la fin du mois d’août 2022. Il nous est collectivement apparu qu’il était préférable de bien distinguer les échéances électorales nationales et celles propres à l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. » Si cette déclaration ne figure pas au compte rendu du comité des signataires, il n’est contesté par personne qu’elle a été prononcée.

Fin octobre 2020, le ministre des outre-mer, M. Sébastien Lecornu, en visite en Nouvelle-Calédonie, a réuni sur l’ilot Le Prédour du lagon un groupe de dix personnalités politiques de Nouvelle-Calédonie, indépendantistes et non indépendantistes, plus réduit que le comité des signataires, pour engager un dialogue après la deuxième consultation. Au cours de cette réunion, la date de la 3ème consultation, qui n’avait pas encore été demandée, aurait été évoquée et une date avant la fin 2021 n’aurait pas suscité d’opposition de la part des indépendantistes, selon le ministère.

Après le départ du ministre pour Paris, le désaccord entre la province Sud et les indépendantistes sur la succession du groupe Vale pour l’usine métallurgique du Sud a conduit à de violentes manifestations qui ont empêché le démarrage des conversations politiques dont le principe avait été acté au cours de la réunion.

Puis le ministère a fait parvenir, d’abord confidentiellement, aux participants du groupe Le Prédour, un document élaboré par les administrations gouvernementales sur les conséquences du « oui » et du « non » (cf. infra). Initialement, une élaboration conjointe de ce document sur la base des données fournies par le Gouvernement avait été envisagée. Puis le Gouvernement a souhaité que le document soit examiné au cours d’une nouvelle réunion du « groupe Le Prédour » à Paris, fin mai. Les non-indépendantistes et l’Union calédonienne ont accepté d’y participer. Le président de la province Nord (UNI) a refusé de se joindre à cette discussion à ce moment en indiquant que le document de l’Etat, très complet et d’importance, nécessitait un examen approfondi qui ne pouvait être fait dans le délai imparti. Il demandait un report de la réunion pour tenir d’abord des rencontres bilatérales avec l’Etat sur le document avant une réunion plénière au cours de l’été.

Au cours de la réunion qui s’est néanmoins tenue fin mai et début juin, les indépendantistes qui y participaient ont donné leur accord sur la date de la consultation proposée par le Gouvernement, soit le 12 décembre, en soulignant que l’Etat avait compétence pour la fixer.

Ce choix du 12 décembre répondait alors à plusieurs préoccupations du Gouvernement : permettre que le processus de l’Accord de Nouméa s’achève à la fin du quinquennat, dès lors que c’était juridiquement possible ; éviter les interférences avec les campagnes électorales nationales pour préserver la question calédonienne des combats nationaux (mais on a vu que le précédent Premier ministre tirait des conclusions différentes de la même préoccupation affichée) ; ne pas prêter le flanc à la critique de laxisme à l’égard des indépendantistes de la part de l’opposition nationale et des « loyalistes » avec, pour ces derniers, le risque de manifestations en cas de report à 2022, sur le thème du « largage » programmé du territoire ; argumentation des milieux économiques de Nouvelle-Calédonie faisant valoir qu’un report, en prolongeant les incertitudes politiques, aurait des conséquences économiques défavorables dans une situation économique déjà atone du fait des conséquences du confinement sanitaire. 

Après l’annonce de la date du 12 décembre, les indépendantistes, y compris l’UNI absente de Paris, n’ont pas évoqué une non-participation au scrutin.

L’évolution de la situation sanitaire a modifié la donne. La Nouvelle-Calédonie était « covid free » à la suite d’une fermeture des frontières, selon une approche du même type que celle de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. En conséquence, la population n’était pas vaccinée.

Puis, 7 cas ont été diagnostiqués le 7 septembre 2021. Au 21 novembre le nombre total de cas était de 11 871 avec 276 décès. Le nombre de décès par million d’habitants s’élevait à 1767 pour la France (dans son ensemble) et 946 pour la Nouvelle-Calédonie (en prenant la population estimée en 2021 de 291 664 habitants et non celle du recensement de 2019) mais ces décès sont intervenus en Nouvelle-Calédonie en seulement deux mois et demi. Au 26 novembre, 62 % de la population avait reçu un schéma vaccinal complet et aucun décès n’avait été déploré depuis le 9 septembre à la même date.

Les partis indépendantistes ont alors fait valoir qu’un tel nombre de décès (dont la moitié semble-t-il pour la population kanak) ne permettait plus les échanges nécessaires pour une campagne électorale compte tenu des deuils, longs dans les coutumes kanak.

Cette argumentation a été mise en doute par les non-indépendantistes qui ont considéré qu’il s’agissait d’un prétexte pour éviter un scrutin dont les indépendantistes auraient craint qu’il ne donnât un résultat inférieur à celui de la deuxième consultation compte tenu de l’impact du document de l’Etat sur les conséquences du « oui » et du « non », des dissensions entre indépendantistes, révélées par les difficultés à former un gouvernement et par l’importance de l’aide de l’Etat apportée pour résoudre la crise sanitaire. 

Affirmant vouloir s’en tenir à une analyse technique, le Gouvernement national a indiqué que la décision serait prise au vu de la situation sanitaire. Comme elle s’est améliorée, ce qui a permis un allègement des contraintes, le haut-commissaire de la République a finalement annoncé le maintien de la date du 12 décembre. Ce terrain n’est pas le même que celui des indépendantistes qui pointaient la difficulté culturelle de mener une campagne politique pendant les deuils.

Après le maintien de la date du 12 décembre, les indépendantistes ont indiqué qu’ils ne participeraient pas à la consultation (en commençant par ne pas communiquer leurs documents de propagande électorale) sans pour autant empêcher les votes de ceux qui voudraient voter. Les maires des communes indépendantistes ont fait savoir qu’ils prendraient les dispositions pour que le scrutin puisse se dérouler dans leur commune.

 

Le document de l’Etat sur les conséquences du « oui » et du « non »

Nouvelle-Calédonie OUI-NON.pdf (nouvelle-caledonie.gouv.fr)

Le document sur les conséquences du « oui » et du « non » a pour objet d’éclairer les électeurs de la troisième consultation sur leurs choix. Présenté aux élus, il a été complété par les réponses à certaines de leurs interrogations. Le document joint est celui qui résulte de ces échanges.

La qualité technique de ce document n’est pas contestable. Les références juridiques sont précises. Les chiffres nombreux.

Sur les conséquences du « oui ».

La critique qui peut lui être faite est qu’il présente les conséquences du « oui « pour une indépendance « sèche », ordinaire, sans accords particuliers, alors que, depuis 30 ans, la Nouvelle-Calédonie bénéficie d’un régime spécifique, y compris constitutionnel. Le document indique d’ailleurs d’emblée qu’il « s’attache à présenter les conséquences juridiques, économique, financières et politiques d’une indépendance pleine et entière ».

L’accord d’association ou de partenariat est ainsi présenté : « Si la volonté du nouvel Etat et de la France est de rechercher sincèrement une relation partenariale privilégiée, cela pourrait se traduire par un traité global (accord d’association ou de partenariat ou plusieurs traités thématiques (défense, sécurité, justice etc …). Une telle démarche est néanmoins sans garantie de succès car ce partenariat reposerait sur de nombreuses variables dépendant de deux Etats non encore connues à ce stade ».

Les démarches de recherche d’accord s’engagent toujours sans garantie de succès et dépendent généralement de variables encore incertaines.

Quelle sera la marge de discussion ? « Le champ de la discussion politique est ouvert sur tous les sujets avant la tenue de la troisième consultation d’autodétermination. Après le vote, le champ sera, par la force des choses, restreint ». On comprend qu’après la consultation, les discussions devront s’engager selon le sens du vote mais en quoi le champ des discussions sera-t-il autrement « restreint » ?

Sur la nationalité, la présentation met l’accent sur la perte automatique de la nationalité française en cas d’indépendance pour les Français restant sur le territoire – en mentionnant juste que « des accords bilatéraux pourraient prévoir des situations plus favorables », alors que c’est le cas général pour les indépendances qui ont eu lieu (comme le montrent d’ailleurs les annexes au document). Cette formulation a conduit une organisation professionnelle, relayée par les réseaux sociaux, à assurer que les Calédoniens n’auraient en cas de « oui » qu’une solution pour échapper à la perte de leur nationalité qui aurait lieu aussitôt, quitter immédiatement la Nouvelle-Calédonie.

Le document relève aussi que « les cas de conservation de plein droit de la nationalité française et de la binationalité ne pourraient être généralisés, sauf à priver le nouvel Etat d’une réelle population propre ». La généralisation étant en effet exclue – encore que l’Accord du Vendredi Saint pour l’Irlande du Nord ait prévu pour ses citoyens la possibilité d’une double nationalité britannique et irlandaise, sans restriction, semble-t-il – il reste de nombreuses solutions intermédiaires.

Les diplômes calédoniens ne seraient plus reconnus à l’extérieur mais « le nouvel Etat pourrait également souhaiter étudier la possibilité de la signature d’une convention avec la France et / ou d’autres pays européens pour faciliter la reconnaissance mutuelle de diplômes ». Ne pouvait-on aller jusqu’à écrire que de tels accords pourraient être conclus dès lors que la France le souhaiterait également ?

« Dans l’hypothèse de l’indépendance, à défaut d’accord et au terme de la période de transition, les Forces armées de la Nouvelle-Calédonie auraient quitté la Nouvelle-Calédonie ». Cette hypothèse est-elle la plus vraisemblable compte tenu de l’importance stratégique de la Nouvelle-Calédonie, l’installation des forces armées françaises en Australie ou à Wallis-et-Futuna, parfois envisagée comme solutions alternatives, présentant des difficultés certaines ?

Le développement le plus étonnant est celui sur les conséquences des départs de populations provoqués par l’indépendance. « Les fonctionnaires d’Etat précédemment affectés en Nouvelle-Calédonie se verraient proposer une nouvelle affectation sur le territoire national. Selon le sondage réalisé dans le cadre de l’écoute profonde de la société civile calédonienne, en cas d’indépendance 10 000 intentions de départ semblent certaines et jusqu’à 70 000 départs. Ces départs impliqueraient des conséquences sur la disponibilité de la main d’œuvre, la consommation intérieure et les recettes fiscales. Compte tenu de la forte incertitude associée à ce sujet, ces conséquences sont difficilement quantifiables même si elles sont réelles. » Les conséquences sont « réelles » bien que « non quantifiables ». Ces conséquences ne sont pas quantifiables mais les départs le sont, à partir d’intentions manifestées par un sondage qui varient dans un rapport de 1 à 7. On croyait aussi avoir observé dans d’autres régions du monde une forte présence de fonctionnaires français affectés dans des pays indépendants au titre de la coopération, dont l’arrivée pourrait ainsi compenser, au moins en partie, les départs de fonctionnaires quittant le territoire devenu indépendant. 

Il est certain que, pour la clarté du scrutin, il était nécessaire de montrer les risques de l’indépendance en cas d’absence d’accords de coopération. La présentation privilégiée des hypothèses les plus défavorables nourrit la critique de manque d’objectivité.

La présentation des conséquences du « non » apporte, en revanche, d’utiles précisions.

Confirmation du refus de la partition.

« La France (…) respectera l’engagement de l’Accord de Nouméa et refusera toute partition du territoire calédonien quelle qu’elle soit. »

Affirmation du maintien du droit à l’autodétermination en cas de « non » et des différentes manières de sortir de la catégorie de « territoire non autonome »

Est rappelée la Résolution 41/4 A du 2 décembre 1986 de l’Assemblée générale des Nations Unies qui affirme « le droit inaliénable du peuple de Nouvelle-Calédonie à l’autodétermination et à l’indépendance » Il s’agit du peuple de Nouvelle-Calédonie et non du seul peuple kanak.

Quant à la Résolution 1541 / XV du 15 décembre 1960, elle affirme que la pleine autonomie (qui fait sortir de la catégorie de territoire non autonome) peut résulter de trois situations : devenir indépendant et souverain ; s’associer librement à un Etat indépendant ; être intégré à un Etat indépendant. Une résolution du 24 octobre 1970 a ajouté « tout autre statut politique librement décidé ».

Au total, ce document de qualité, mais parfois maladroit, aurait mérité une discussion contradictoire plus approfondie pour l’améliorer et le faire mieux prendre en compte par les tous les partenaires.

 La déclaration au terme de la session d’échanges et de travail du 26 mai au 1er juin 2021

declaration_au_terme_de_la_session_d’échanges_et_de_travail_du_26_mai_au_01_juin_2021_autour_de_lavenir_institutionnel_de_la_nouvelle-caledonie.pdf (gouvernement.fr)

Cette déclaration du 1er juin est le relevé de conclusions d’un comité (au format « Le Prédour »), dénommé « session d’échanges et de travail » qui n’est donc pas un « comité des signataires », et dont le but affiché est « de se projeter au-delà du « oui » et du « non » pour parvenir à une vision commune de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.

Dans l’hypothèse du « oui », sont rappelées la recherche « sincère » d’un partenariat avec la France mais « sans garantie de réussite » comme le développe le document sur les conséquences du « oui » et du « non » et le refus de la partition.

Pour l’hypothèse du « non » sont mises en lumière la garantie du droit constitutionnel à l’autodétermination, l’irréversibilité des compétences transférées, l’ouverture partielle du corps électoral pour les élections provinciales, rendu nécessaire par les conventions internationales et le temps qui a passé, et le refus de la partition du territoire.

Il faut comprendre que l’irréversibilité des compétences transférées est un engagement politique – puisque juridiquement la fin de l’accord de Nouméa supprime l’engagement – mais qu’il vaut de l’Etat vers les « institutions » de la Nouvelle-Calédonie, sans que soit exclu le transfert de certaines compétences de la Nouvelle-Calédonie vers les provinces. Pour autant, il n’est pas dépourvu d’effet juridique. L’irréversibilité –affirmée immédiatement après les règles sur les trois consultations – donne un fondement constitutionnel au maintien en vigueur de l’accord jusqu’à la mise en place de « la nouvelle organisation politique ».

Le refus de la partition est clair en tant qu’il exclut qu’une partie de la Nouvelle-Calédonie devienne seule indépendante (en maintenant par exemple le Sud dans la République si le « oui » l’emportait ou en laissant une province kanak devenir indépendante alors que le « non » l’emporterait).

En revanche, en cas d’extrême provincialisation après le « non », serait-on dans le cas d’une « partition » ainsi interdite ? (cf. infra).

L’Etat appelle à une discussion politique avant et après la consultation, pendant une période de transition d’une durée de deux ans, à compter de juin 2021, donc s’achevant en juin 2023. Les discussions doivent se conclure par un « référendum de projet ».

Le document donne une liste des travaux à mener : La réalisation de l’audit sur la décolonisation prévue par le comité des signataires du 2 novembre 2017 ; la résorption des inégalités, au service de la cohésion de la population, « en comprenant une réflexion sur l’évolution de la fiscalité » ; le système éducatif ; la diversification de l’économie calédonienne ; la poursuite du rééquilibrage, selon des modalités qui devront évoluer ; « la poursuite de la construction d’une identité calédonienne partagée, irriguée de la culture des Kanak  peuple premier et de l’apport des populations arrivées par la suite » ; la place de la Nouvelle-Calédonie dans son environnement régional « et, le cas échéant, dans la stratégie indopacifique portée par la France » ; « la définition d’un chemin coutumier pour œuvrer à la réconciliation des mémoires ».

Cette période de transition, de toute manière nécessaire en cas de « oui », pour développer le processus juridique national et international conduisant à l’indépendance et, tout autant, en cas de « non » pour préparer un nouveau statut dans la République, doit aussi permettre après les batailles politiques des consultations de donner du temps aux discussions pour tenter de rapprocher les points de vue. 

Le référendum de projet local consisterait, semble-t-il, à approuver les orientations des relations entre la France et le nouvel Etat indépendant en cas de réponse « oui » à la troisième consultation » et à donner un avis sur un projet de statut en cas de « non ».

 

Quelles dispositions constitutionnelles pourraient-elles permettre de telles consultations et quel serait alors, dans ce cas, le corps électoral appelé à se prononcer ?

Le statut de la Nouvelle-Calédonie doit être voté par une loi organique. L’article 72–1 de la Constitution, ajouté pour permettre un avis sur le projet de statut de la Corse, dispose que « Lorsqu’il est envisagé de créer une collectivité territoriale dotée d’un statut particulier ou de modifier son organisation, il peut être décidé par la loi de consulter les électeurs inscrits dans les collectivités intéressées. (…) » Or le Conseil d’Etat a jugé par une décision n°279323 du 13 décembre 2006 que la Nouvelle-Calédonie n’était pas une collectivité territoriale, dans la mesure où elle relève du titre XIII de la Constitution et non de l’article 72 de son titre XII.

En outre, à supposer que la Nouvelle-Calédonie puisse être assimilée à une collectivité territoriale pour l’application des dispositions de l’article 72–1, le corps électoral appelé à se prononcer à ce scrutin serait le corps électoral général puisque l’Accord de Nouméa n’ayant pas prévu un tel référendum de projet après les trois consultations sur l’autodétermination les corps électoraux restreints qu’il autorise ne pourraient lui être appliqués. Seule une nouvelle loi constitutionnelle pourrait prévoir spécifiquement un corps électoral restreint pour ce référendum de projet.

En cas de vote « oui », le référendum porterait sur les orientations d’un traité de coopération ou de partenariat. Là encore, aucune disposition constitutionnelle existante ne semble pouvoir servir de fondement à l’organisation d’un tel référendum local.

Cette période de transition consacrée aux discussions politiques risque toutefois d’avoir une durée réduite en raison des campagnes présidentielle et législatives nationales.

 

8. Quelles discussions à partir du 13 décembre ?

Quand les discussions pourront-elles s’engager ?

Le Gouvernement souhaite engager des discussions dès le lendemain du scrutin du 12 décembre.

La décision de non-participation des indépendantistes ne peut que conduire à un vote majoritaire pour le « non ». Même avec une consigne de participation, et en tenant compte des inscriptions d’office supplémentaires, le passage de 46,7 % de « oui » à plus de 50 % n’était pas assuré. Avec la non-participation d’un nombre certainement élevé d’électeurs kanak – même s’il semble que cette consigne de non-participation à un scrutin qui devait être décisif ne soit pas comprise de tous les électeurs de sensibilité indépendantiste -, une victoire du « oui » devient clairement impossible.

Les indépendantistes, considérant que la dernière consultation ayant été organisée à une date ne permettant, en raison des conséquences de l’épidémie, une participation optimale des Kanak, pourraient conclure qu’elle est politiquement de nul effet.

Ils pourraient ainsi se borner à demander l’organisation d’un nouveau référendum d’autodétermination, ou d’un référendum de projet portant sur un projet d’indépendance, et avec le corps électoral restreint de l’Accord de Nouméa. 

Même si cette position de principe s’infléchissait, le climat politique de la pré-campagne présidentielle, alors que la question de la Nouvelle-Calédonie a déjà été évoquée par plusieurs candidats, pourrait aussi rendre difficile l’engagement rapide d’une discussion ou au moins compromettre son avancée.

Il faudra pourtant bien qu’une discussion s’engage sauf à admettre que le Gouvernement détermine les nouvelles perspectives avec les seuls non-indépendantistes ce qui risquerait de conduire ensuite les indépendantistes à sortir des institutions, situation dangereuse pour tous. 

 

Qui autour de la table ?

« Loyalistes », indépendantistes et Etat devront être autour de la table, comme cela a été le cas depuis les Accords de Matignon.

Le comité des signataires, prévu par l’Accord de Nouméa, paraît incontournable pour un tel exercice. Les signataires physiques des accords sont maintenant peu nombreux mais doivent naturellement être présents ou représentés. Les comités des signataires associent désormais les représentants des institutions, parlementaires, présidents des provinces, du Congrès, du gouvernement et du Sénat coutumier. Ils ont été élargis le plus souvent aux représentants des forces politiques locales, si elles sont représentées par un groupe au Congrès ainsi qu’aux deux associations des maires et à la maire de Nouméa.

L’élection présidentielle de 2002 pourra conduire à un changement des représentants de l’Etat et les élections législatives et sénatoriales qui suivront en 2022 et 2023 à un changement dans la liste des parlementaires.

Les forces économiques et sociales devraient aussi être associées à une partie des discussions. On pourrait imaginer comme ce fut le cas en métropole sur plusieurs sujets une représentation de la société civile, qui devrait être paritaire et représentative des communautés, des âges et des sensibilités.

On pourrait alors approcher le « Grand Palabre », proposé par le sénateur Pierre Frogier, il est vrai dans une approche bien différente, celle d’éviter les consultations de l’Accord de Nouméa.

Avec les incertitudes sur les conséquences que les indépendantistes tireront le 13 décembre de leur non-participation le 12 et le calendrier des élections nationales, il est peu probable que les discussions marquent des avancées significatives avant les échéances nationales d’avril-juin. Il restera alors un an, et non deux, pour cette importante période de transition.

 

Le contenu des discussions

L’objectif central sera d’arrêter le dispositif institutionnel qui prendra la place de celui issu de l’Accord de Nouméa. Les institutions ont pour rôle d’élaborer et de mettre en œuvre des politiques publiques au service des populations.

La feuille de route donnée par la Déclaration au terme de la séance d’échanges et de travail de juin dernier (cf. supra) est fournie. On notera en particulier « La définition d’un chemin coutumier pour œuvrer à la réconciliation des mémoires », ce à quoi ont tenté de contribuer le Préambule de l’Accord de Nouméa et la charte des valeurs communes. « La poursuite de la construction d’une identité calédonienne partagée, « irriguée de la culture des Kanak, peuple premier et de l’apport des populations arrivées par la suite » contribuerait au même objectif, comme ont tenté de le faire d’autres travaux antérieurs.

Ce plan de travail ambitieux ne pourra être mené à bien, surtout dans le délai effectif d’un ans, sans une instance de pilotage extérieure aux administrations, comprenant des chercheurs et des experts de toutes origines (dont le secteur privé). Des contributions étrangères seraient bienvenues.

Il serait utile, si l’on veut que le sujet échappe autant que possible aux controverses politiques nationales, que les avancées de ces discussions soient portées régulièrement à la connaissance des instances créées dans les deux chambres du Parlement pour suivre la question de l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie : à l’Assemblée nationale, la « mission d’information sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie », actuellement présidée par M. Philippe Gosselin, député de la Manche et son homologue du Sénat, présidé par le Président Larcher lui-même.

 

9. Quels problèmes ?

Ce qui a changé depuis 30 ans

30 ans ont passé. La Nouvelle-Calédonie de 2022 n’est plus celle de 1988 ou de 1998. De cette évidence, mais qu’il est utile de rappeler, on peut tirer des conclusions différentes.

Il y a renouvellement des générations. 34 ans depuis la signature des Accords de Matignon, c’est plus qu’une génération. La Nouvelle-Calédonie est plus urbaine, l’éducation a progressé, l’ouverture sur le monde est forte, même si l’accès à internet est encore insuffisant.

Certains en concluent que les accords ne sont plus en rien une clé pour comprendre ce pays maintenant différent. La jeunesse, dans toutes les communautés, serait bien loin des combats du passé, considérés comme appartenant à l’histoire. Ils seraient tous citoyens du monde, ou au moins du Pacifique, rejetant les clivages politiques et communautaires et contestant les dirigeants des partis politiques.  Le vote pour l’indépendance, toujours de caractère communautaire, ne serait qu’une dernière affirmation identitaire, faite par fidélité, mais sans conviction.

Il faudrait aussi tenir compte de l’évolution internationale, tout aussi spectaculaire, notamment sur le plan régional. Le Pacifique Sud, longtemps isolé, est maintenant convoité. En particulier la République populaire de Chine, expansionniste idéologiquement, économiquement et militairement, développant son projet stratégique des nouvelles routes de la soie, est engagée dans un contrôle des petits pays de la région, notamment pour isoler Taiwan. Avec ses ressources en nickel, sa zone économique exclusive et sa proximité de l’Australie, la Nouvelle-Calédonie est un objectif majeur dans cette stratégie expansionniste. Une Nouvelle-Calédonie indépendante ne serait pas de taille à faire face à ces ambitions. Quant à la France, elle a besoin de l’appui territorial de la Nouvelle-Calédonie pour sa présence dans la zone indopacifique qui est un élément important de l’équilibre des forces dans cette région du monde.[10]

Changement des mentalités en interne, du paysage international : tout serait radicalement modifié. Ces évolutions ne peuvent être niées. Il ne faut pas pour autant sous-estimer les éléments fondamentaux qui semblent inchangés, du moins dans les toutes prochaines années, celles au cours desquelles il faudra donner à la Nouvelle-Calédonie des orientations au-delà des accords qui les ont tracées pendant 30 ans.

 

Permanences et fragilités : les problèmes à résoudre

Consensus et loi de la majorité

Depuis 30 ans, le mouvement indépendantiste est considéré comme un partenaire politique et non comme un mouvement sécessionniste minoritaire. Il y a donc avec lui une recherche de consensus permanente dans laquelle l’Etat, partenaire actif joue souvent le premier rôle pour rapprocher les points de vue.

Les violences qui ont marqué l’année 1988 ont fait l’objet de lois d’amnistie, la première excluant les « crimes de sang », la seconde les incluant. Si, certains avaient évoqué à Nouméa une dissolution du FLNKS, comme mouvement insurrection violent, les Accords de Matignon ont écarté cette voie.

Ces violences auraient pu être réprimées sur le fondement de l’article 412–3 du code pénal : « Constitue un mouvement insurrectionnel toute violence collective de nature à mettre en péril les institutions de la République ou à porter atteinte à l’intégrité du territoire national ». Les actions du FLNKS pendant cette période tombaient également sous le coup des différentes incriminations de l’article 412–4 de ce code[11].

La poursuite du dialogue suppose que le mouvement indépendantiste continue d’être considéré comme un mouvement de contestation légitime et que ses manifestations ne soient pas qualifiées par les autorités judiciaires de participation à un mouvement insurrectionnel.

Le mouvement indépendantiste est électoralement minoritaire, ce que devrait confirmer le scrutin du 12 décembre, du fait notamment de la consigne de non-participation. En démocratie, la minorité s’incline. En Nouvelle-Calédonie, elle reste porteuse d’une revendication qui doit continuer d’être prise en compte, en tant que représentative de la position majoritaire des Kanak. Prise en compte ne signifie pas que la loi de la majorité soit de nul effet – les consultations ont été acceptées, sauf la dernière pour sa date – mais que puisque la revendication peut subsister, ceux qui la portent ont le droit d’être écoutés dans la conduite des affaires de la Nouvelle-Calédonie. La recherche du consensus devrait dont rester la règle.

L’abandon des principes du gouvernement élu à la proportionnelle et fonctionnant collégialement, contestés pour leur capacité de blocage, devrait ainsi être murement réfléchi car il supprimerait un espace de dialogue.

 

La fin des communautés ?

La France n’est pas à l’aise avec les communautés. Son ADN idéologique est caractérisé par une méfiance à l’égard de l’existence de groupes intermédiaires entre l’individu et l’Etat.

On a vu que les communautés étaient enracinées en Nouvelle-Calédonie et reconnues dans l’Accord de Nouméa, au niveau constitutionnel.

L’évolution sociale et notamment l’urbanisation croissante de la population, le plus grand nombre de mariages mixtes vont-ils peu à peu faire disparaître les communautés fondées sur l’ethnie et la culture et aboutir à la constitution d’un peuple calédonien (ou de la partie calédonienne du peuple français) dans lequel l’ancienne appartenance communautaire aura disparu ?

C’est peu probable. Les Kanak se vivent comme un peuple accueillant des personnes d’autres communautés et non comme une communauté parmi les autres. Leur survie en tant que peuple dépend de ce sentiment d’appartenance, renforcée par la reconnaissance des autres. Leur fusion collective dans un peuple calédonien serait perçue comme une assimilation-dissolution.

La communauté wallisienne et futunienne de Nouvelle-Calédonie, plus nombreuse que dans ses îles natales, a aussi une forte identité culturelle et religieuse. Sa présence n’est pas transitoire puisque son effectif ne lui permettrait pas de revenir à Wallis et à Futuna sans conflits fonciers majeurs. Il n’y a donc pas de solution stable en Nouvelle-Calédonie sans institutionnaliser sa présence. C’est pourquoi l’Accord de Nouméa avait déjà prévu un accord particulier entre la Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna, qui a été conclu. L’émergence d’un parti politique spécifiquement wallisien et futunien, l’Eveil océanien, souligne l’importance d’une telle reconnaissance.

Il y a des Calédoniens d’origine européenne mais ils ne forment pas une communauté au même titre que les deux précédentes. Ils ne sont pas organisés selon les mêmes principes et l’ancienneté de leur présence constitue un critère de leur identité reconnue, pas seulement au titre de la citoyenneté de l’Accord de Nouméa.

Les communautés originaires de Polynésie française, d’Asie (Indonésie, Vietnam), ou de départements d’outre-mer (La Réunion, Antilles) ont une existence sociale mais ne relèvent pas de la même problématique.

 

La société kanak : coutume et politique

Les règles orales de fonctionnement de la société kanak – la coutume – régissent les citoyens de statut « particulier », par opposition au statut de droit commun, issu du droit civil, pour les personnes et pour les biens.

Reconnu par la Constitution, ce statut particulier n’emporte pas par lui-même de reconnaissance d’institutions coutumières. La coutume désignait des responsables de différentes fonctions sociales mais la reconnaissance d’institutions coutumières hiérarchisées est une création du droit public qui n’a pas de référence dans la coutume. La Nouvelle-Calédonie précoloniale n’était pas un Etat. L’Accord de Nouméa a cependant fait du Conseil consultatif coutumier un Sénat coutumier « obligatoirement saisi des projets de loi du pays et de délibération lorsqu’ils concerneront l’identité kanak  ». « Lorsque le texte qui lui sera soumis aura le caractère de loi du pays et concernera l’identité kanak, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie devra à nouveau délibérer si le vote du Sénat coutumier n’est pas conforme. Le vote du Congrès s’imposera alors. »

En Nouvelle-Calédonie, les relations entre les autorités coutumières et les élus notamment municipaux sont parfois difficiles. On a vu ainsi une grande chefferie prendre sur la vaccination contre le covid-19 une position opposée à celle du gouvernement territorial. Ces oppositions entre deux pouvoirs dont la source de légitimité est différente se retrouvent dans d’autres pays du Pacifique.

Une désaffection des jeunes – et des femmes – à l’égard des contraintes coutumières est souvent évoquée. Le droit de la Nouvelle-Calédonie a aussi dû régler les questions posées par la coexistence du droit coutumier et du droit civil pour des Kanak qui vivent en ville.

La coutume est cependant un élément de l’identité kanak. Il appartient à cette communauté de faire évoluer l’application de la coutume et de régler la question des rôles respectifs des institutions coutumières et politiques. 

 

La réduction des inégalités (la fiscalité) et la diversification économique

Le rapport sur le bilan des accords a souligné la réduction des inégalités réalisée depuis 30 ans. La déclaration au terme de la session d’échanges et de travail du 26 mai au 01 juin 2021 retient comme objectif de poursuivre dans cette voie car elles restent importantes et visibles. La diversification économique doit notamment répondre à la question de l’après-nickel.

La politique économique n’est pas de la compétence de l’Etat, notamment pas la fiscalité, compétence de la Nouvelle-Calédonie depuis les années 1950.

L’autonomie de la Nouvelle-Calédonie fait dépendre la réalisation de ces objectifs pour l’essentiel du pouvoir des autorités locales. L’Etat peut cependant retrouver une marge d’action par ses interventions dans les contrats de développement.

 

Les relations avec la France

Les Kanak indépendantistes

La revendication d’indépendance est dominante dans le débat politique alors que – beaucoup d’observateurs l’ont noté – d’autres clivages existent, sur les questions sociétales ou sur la place de la puissance publique dans l’économie, tant chez les indépendantistes que chez les non-indépendantistes.

Tant que la revendication subsistera, elle dominera les autres, par son caractère essentiel, déterminants pour les personnes comme pour la collectivité.

La revendication d’indépendance va-t-elle disparaître ?

Elle serait anachronique ou mal posée. Présente dans la plupart des départements d’outre-mer dans les décennies 1970–1980, elle semble avoir complètement disparu à La Réunion et avoir sensiblement régressé dans les Antilles et en Guyane.

Elle semble toutefois encore profondément enracinée en Nouvelle-Calédonie pour plusieurs raisons que l’on voit mal disparaître prochainement : à la différence des Antilles et de La Réunion, un peuple d’origine subsiste en Nouvelle-Calédonie et représente une part de la population qui n’est pas marginale, comme c’est le cas en Guyane. Les combats pour l’indépendance, avec leurs victimes et leurs héros sont encore dans toutes les mémoires. Les Kanak sont le seul peuple en Mélanésie à ne pas être indépendant.

A ces raisons s’ajoute un défaut de confiance sur le lien avec la France. Les Kanak craignent que la France ne renie sa parole, comme ce fut le cas avec les lois dite Jacquinot (1963) et Billotte (1969), qui ont remis en cause l’autonomie du « statut Defferre », pour redonner à l’Etat un pouvoir déterminant en matière d’exploitation minière, alors que cette autonomie avait été choisie par l’assemblée territoriale en 1958, rejetant l’indépendance et le statut de DOM (pour échapper à l’impôt métropolitain). 

Il ne faut pas non plus négliger la crainte des indépendantistes qu’un gouvernement français ne remette en cause les acquis des accords. La poussée de l’extrême droite et les discours nationalistes et sécuritaires des précampagnes en cours ne peuvent que les inquiéter.

Qu’une partie significative des jeunes et des cadres Kanak soient sceptiques sur la viabilité économique et budgétaire de l’indépendance, et sur la capacité des dirigeants indépendantistes actuels à la conduire, ne fait guère de doute mais la revendication d’indépendance ne peut aujourd’hui que subsister au nom de la dignité et de l’identité.

Les non-indépendantistes

Certains visiteurs s’étonnent que les Européens ne soient pas indépendantistes : si la France accordait l’indépendance à toute la population, ils la domineraient, démographiquement et économiquement.

Les non-indépendantistes craignent une indépendance parce qu’elle romprait ou distendrait les liens avec la France et parce qu’elle serait dominée par les Kanak.

Sur le premier point, outre le sentiment patriotique, les craintes dominantes sont celles d’une perte de ressources budgétaires, entraînant une régression économique et sociale, d’une rupture de l’ordre juridique avec un risque fort pour les libertés publiques et d’une gouvernance désordonnée.

Sur le second, la défiance des Kanak indépendantistes à l’égard des engagements de la France trouve son symétrique dans la défiance des non-indépendantistes à l’égard des engagements indépendantistes, même – surtout – dans l’indépendance partenariale. Les rapatriés d’Algérie citent la non-application des Accords d’Evian. Ils pointent la désunion des indépendantistes, une insuffisante préparation à la gestion gouvernementale et les dangers de l’environnement régional.

Les Wallisiens et Futuniens

La consigne du parti l’Eveil océanien, qui regroupe une partie de cette communauté, est pour le prochain scrutin de voter dans les urnes « non », mais politiquement la position est « non, pas maintenant ».

Ce parti ne peut prétendre représenter toute la communauté des Wallisiens et Futuniens dont certains suivent les consignes des partis non indépendantises et d’autres le parti indépendantiste RDO (rassemblement démocratique océanien).

Cette position, qui n’engage pas l’avenir, traduit cependant assez bien le dilemme de cette communauté : elle ne peut prendre le risque d’une indépendance kanak qui se tournerait contre elle, car son retour à Wallis-et-Futuna est impossible mais elle ne peut davantage se couper des Kanak pour l’avenir et apparaître comme l’obstacle marginal à l’indépendance en termes de voix. Son évolution est donc importante pour l’avenir.

Que veut la France ?

Les gouvernements successifs depuis 1998 (et même 1988) ont veillé à tenir la balance égale entre indépendantistes et non-indépendantistes, notamment dans les réunions des comités des signataires.

Alors que les échéances calédoniennes se rapprochaient, et aussi les échéances nationales de 2022, le président de la République et le Gouvernement ont été critiqués pour ne pas manifester de préférence sur l’issue des consultations, alors que l’intégrité du territoire national était en jeu. Cette préférence a finalement été marquée par plusieurs déclarations, tout en soulignant que le Gouvernement préparait les opérations électorales dans le strict respect de l’accord et de la loi.

Cette préférence s’explique aisément. La Nouvelle-Calédonie a de très importantes réserves de minerai de nickel, même s’il est aussi disponible sur le marché mondial et si le soutien aux usines métallurgiques est coûteux. La zone économique exclusive est vaste, même si les armements métropolitains n’y vont pas compte tenu de la distance et si les armements calédoniens sont peu présents. Des ressources minérales (nodules polymétalliques) pour le moment économiquement inexploitables y seraient présentes en grandes quantités.

Du sort de la Nouvelle-Calédonie dépend pour une part celui de deux collectivités d’outre-mer, Wallis-et-Futuna et la Polynésie française.

La présence française dans le Pacifique Sud s’appuie sur ces trois territoires. Or il s’agit d’une zone stratégiquement clé face aux ambitions chinoises, dans le cadre de la stratégie indopacifique de la France, mise en avant par le Chef de l’Etat comme une priorité pour la politique étrangère de la France aujourd’hui.

Les militaires sont également attachés à cette présence outre-mer qui diversifie les missions et agrémente les carrières.

Tant que la présence de la France en Nouvelle-Calédonie est acceptée par tous dans le territoire, ces raisonnements paraissent solides.

En sens inverse, en cas de troubles sévères dus à une contestation indépendantiste de la présence française, le coût politique d’une présence imposée sous cette forme pourrait être lourd car les pays voisins seraient contraints de critiquer une présence coloniale anachronique, en particulier les deux pays « blancs » de la région, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. La légitimité de leur présence peut d’autant moins se dispenser d’une solidarité affichée avec les pays mélanésiens que leurs relations avec leur population autochtone ont été dans le passé critiquable.

La France a montré en 1988 qu’elle avait la capacité militaire de maîtriser une insurrection indépendantiste surtout si elle n’hésitait pas à utiliser contre des Français des commandos militaires spécialisés dans les opérations extérieures. Une nouvelle intervention pourrait toutefois, si elle tournait aussi mal, compromettre politiquement la présence française dans la région. Même si cette présence est souhaitée pour des raisons d’équilibre général, l’affaire des sous-marins a montré qu’il ne fallait pas compter sur un préjugé favorable à l’égard de notre pays dans cette zone toujours liée au Royaume-Uni par le Commonwealth.

Le maintien d’une forte présence française, y compris militaire, n’apparaît pas comme une hypothèse à écarter en cas d’indépendance non conflictuelle, compte tenu des intérêts réciproques de la France et du nouvel Etat, même si une position de souveraineté donne naturellement davantage de certitudes à long terme.

 

10. Quelles solutions ?

Compte tenu de la consigne de non-participation des indépendantistes, le succès du « oui » le 12 décembre est exclu. On s’attachera donc d’abord aux solutions dans la République.

 

Une solution propre à la Nouvelle-Calédonie ou une solution d’application plus large ?

La France n’aime pas les cas particuliers. Elle aime le jardin à la française, la symétrie, le contraire du jardin à l’anglaise, irrégulier ou de l’asymétrie japonaise de haute valeur esthétique dans ce pays.

Dans la Constitution, la Nouvelle-Calédonie est néanmoins un cas particulier, ni département ni collectivité, mais isolée, à titre transitoire, dans le titre XIII.

Pour une solution durable, la Nouvelle-Calédonie doit-elle entrer dans une catégorie, avec d’autres ? On pense à la Polynésie française, qui fut avec la Nouvelle-Calédonie un territoire d’outre-mer et est maintenant une collectivité territoriale de l’article 74 de la Constitution, dans la sous-catégorie de celles qui sont « dotées de l’autonomie », autonomie aussi développée que celle la Nouvelle-Calédonie, à l’exception notable des lois du pays qui conservent en Polynésie française un caractère réglementaire.

La question de savoir si la Nouvelle-Calédonie doit, dans le futur, conserver un statut sui generis ou appartenir à une catégorie plus large est posée notamment pour les solutions de type fédéral (cf. infra).

 

Une solution temporaire ou « définitive » ?

La solution des Accords de Matignon définie pour 10 ans, celle de l’Accord de Nouméa pour 20 ans, qui seront 25 à la fin de la période de transition : ces solutions provisoires créent une incertitude, génératrice de tensions sociales et de difficultés économiques. Elles risquent de susciter une campagne électorale quasi permanente.

Une solution institutionnelle ne peut toutefois jamais être qualifiée de « définitive ». Des mécanismes doivent permettre son évolution. La Vème République existe depuis 63 ans mais sa Constitution a été révisée 24 fois.

Pour la Nouvelle-Calédonie, une forme d’instabilité résulte nécessairement de l’exercice du droit à l’autodétermination. En vertu des règles arrêtées pour son déclenchement, la stabilité institutionnelle pourra être interrompue selon la fréquence des demandes de scrutin d’autodétermination.

Idéalement, un statut de la Nouvelle-Calédonie devrait être désormais défini sans limite de temps, avec des possibilités d’évolution et celle de déclencher des scrutins d’autodétermination à des échéances non déterminées et avec une fréquence limitée.

Si les conditions de déclenchement sont trop difficiles, le droit à l’autodétermination devient fictif. Ainsi la condition d’une demande de la majorité des électeurs inscrits évoquée par un mouvement « loyaliste » serait paradoxale puisqu’il serait plus difficile de demander un scrutin d’autodétermination (majorité des inscrits) que d’obtenir l’indépendance (majorité des suffrages exprimés).

Deux référendums d’autodétermination ont eu lieu au Québec, à 15 ans d’intervalle, le 20 mai 1980 sur une projet de « souveraineté-association », le second le 30 octobre 1995 sur la question : « Voulez-vous que le Québec devienne souverain, après avoir offert au Canada un nouveau partenariat économique et politique ». Le premier projet a été rejeté avec 60 % des suffrages exprimés, le second avec seulement 50,58 % des suffrages.

Un référendum sur l’indépendance de l’Ecosse s’est tenu le 18 septembre 2014. Le maintien de la nation écossaise[13] dans a été approuvé par 53,4 % des suffrages exprimés. Le « Brexit » survenu le soir du 31 janvier 2020 a conduit le gouvernement écossais à demander un nouveau référendum en raison de ce changement des circonstances, la majorité des Ecossais ayant voté contre le « Brexit » au référendum du 23 juin 2016.

Le principe du maintien du droit à l’autodétermination ayant été rappelé dans la déclaration au terme de la session d’échanges et de travail du 26 mai au 1er juin 2021, les conditions de son déclenchement seront certainement un des points délicats des discussions de la période de transition.

 

Une partie du système institutionnel de l’Accord de Nouméa pourra-t-il être conservé ?

A l’issue de la période de transition et en tout cas avant le prochain renouvellement du Congrès, en 2024, le système institutionnel de l’Accord de Nouméa peut être remplacé.

Comme il a été dit plus haut, si certaines dispositions doivent nécessairement évoluer pour des raisons juridiques, la plupart de ses dispositions peuvent juridiquement être maintenues ou adaptées.

Le Préambule peut contribuer, avec la charte des valeurs communes, à nourrir la démarche de défrichage d’« un chemin coutumier pour œuvrer à la réconciliation des mémoires ».

La répartition des compétences entre l’Etat et la Nouvelle-Calédonie pourrait être conservée, en évitant un retour de compétences vers l’Etat mais avec la possibilité d’un transfert de certaines compétences vers les provinces. La question des compétences de l’article 27 de la loi organique (audio-visuel, enseignement supérieur et recherche, contrôle administratif et financier des communes et des provinces), qui pouvaient être transférées de l’Etat à la Nouvelle-Calédonie sur un vote du Congrès qui n’a pas eu lieu pourrait rester ouverte.

La catégorie des lois du pays, avec avis préalable du Conseil d’Etat et contestation possible devant le Conseil constitutionnel, qui offre une sécurité juridique et un haut degré d’autonomie, pourrait être conservée.

L’organisation en trois provinces, qui n’a pas fait l’objet de critiques, ne devrait pas être remise en cause, non plus que leur découpage. Un élu de l’intérieur a évoqué une suppression de cette collectivité dans un souci de plus grande unité de la Nouvelle-Calédonie mais cette position paraît minoritaire. Les communes ne sont pas davantage contestées. La question reste posée de savoir si elles doivent rester des communes d’Etat ou devenir des collectivités subordonnées à la collectivité territoriale ou aux provinces.

La citoyenneté est une des novations de l’Accord de Nouméa. Elle n’a pas seulement pour objectif de constituer un ensemble de personnes susceptibles de devenir des nationaux du nouvel Etat en cas de « oui ». Elle marque aussi l’identité calédonienne. Elle traduit juridiquement l’existence d’un peuple calédonien dans la citoyenneté française, ce que non-indépendantistes comme indépendantistes peuvent accepter. Dès lors que la CEDH en a admis le principe pour la communauté linguistique des germanophones dans le Trentin-Haut-Adige, rien ne fait obstacle juridiquement à ce qu’une citoyenneté calédonienne fondée notamment sur une durée minimum de séjour soit maintenue. Son périmètre pourrait toutefois être élargi aux conjoints.

 

Une provincialisation maximum ?

Le sénateur Pierre Frogier, signataire des deux accords, après avoir constaté l’impasse, selon lui, de l’Accord de Nouméa et de ses consultations successives, a proposé une solution dans laquelle les provinces reprendraient la quasi-totalité des compétences, à la seule exception des compétences régaliennes restant à l’Etat et de celles des communes.

Sous le titre « Sachons négocier un désaccord », il développe l’argumentation suivante :

« Négocier un désaccord, c’est s’entendre sur nos divergences afin d’en limiter les effets.

C’est en s’appuyant sur notre expérience commune, reconnaître ce que nous partageons, accepter ce qui nous sépare, et sur cette base organiser notre avenir.

Il s’agit de faire mouvement avec pragmatisme plutôt que de recourir à des constructions théoriques hasardeuses et tout simplement revenir, avec audace aux sources et à l’esprit des accords de Matignon qui ont permis de rétablir la paix civile, en réaffirmant la prééminence des provinces.

Car la solution pérenne est celle d’avoir cette terre en partage. Avoir cette terre en partage, c’est respecter nos différences, c’est unifier en harmonisant les contraires, ce n’est pas uniformiser en écrasant les différences. C’est permettre aux provinces, porteuse chacune d’une singularité dans le grand ensemble calédonien d’afficher avec fierté, son identité

C’est permettre à chacune d’entre elle de développer ses atouts dans une relation saine et stable.

De l’addition de ces particularismes naîtra une Calédonie viable, et plus forte.

La différenciation provinciale porte en elle la solution d’une Calédonie multiple mais indivisible.

Les trois Provinces, collectivités de référence, constitueront une entité dénommée Nouvelle Calédonie ; cette collectivité sera inscrite, comme aujourd’hui, sous son propre titre dans la Constitution de la République française.

Les Provinces exerceront toutes les compétences sauf celles relevant de l’Etat et des communes.

Les communes y seront, territorialement rattachées.

Un conseil coutumier regroupera les chefferies des aires coutumières de chaque province.

Le régime électoral des assemblées de Province s’inscrira dans le principe de différenciation.

L’Etat continuera à assurer les compétences régaliennes : défense, justice, ordre public, monnaie, affaires étrangères.

Les provinces qui le souhaitent, peuvent assumer ou partager certaines compétences de l’Etat, en accord avec lui. Un Collège, composé de représentants des assemblées de province, coordonnera les politiques publiques provinciales lorsqu’il s’agira d’atteindre un objectif commun.

Le représentant de l’Etat y sera associé. Ce Collège aura à sa tête une présidence tournante (…).

On retrouve dans d’autres projets les concepts d’hyperprovincialisation ou de différenciation provinciale des concepts voisins.

La notion de différenciation provinciale mériterait d’être précisée. Les provinces peuvent déjà se différencier grâce aux compétences qu’elles détiennent et qu’elles peuvent exercer de manière différente. C’est d’ailleurs le principe même de la décentralisation ou de l’autonomie : les compétences détenues exercées différemment conduisent à des politiques différenciées.

La « différenciation provinciale » invoquée irait au-delà. Les provinces pourraient avoir des compétences différentes. Comme le projet ait qu’elles les aient toutes sauf celles de l’Etat et des communes, il semble que cette différenciation puisse avoir essentiellement pour conséquence de permettre à certaines provinces d’exercer des compétences dévolues à l’Etat, en totalité ou en partage. Les provinces indépendantistes pourraient ainsi partager avec l’Etat des compétences régaliennes, que la province Sud non indépendantiste ne souhaiterait pas détenir, voire les exercer à sa place. Une variante de cette proposition comprend même la possibilité pour les provinces d’accéder à l’indépendance, individuellement – ce qui constituerait pourtant une partition alors que l’Accord de Nouméa l’a interdite et que les participants à la session d’échanges et de travail du 26 mai au 1er juin 2021 ont confirmé dans leur déclaration finale qu’ils l’excluaient d’un commun accord.

Le projet gagnerait à être précisé sur la solidarité entre les provinces. La coordination est une notion vague. Y aurait-il une seule fiscalité territoriale et une clé de répartition des recettes fiscales ou bien chaque province devrait-elle trouver ses ressources par une fiscalité propre ?

Pour les compétences transférées par l’Accord de Nouméa à la Nouvelle-Calédonie dans son ensemble, y aurait-il provincialisation ou retour des compétences à l’Etat ? Le droit civil, le droit commercial ou la protection civile peuvent-ils être provincialisés ? Qu’en serait-il en cas de nouvelle épidémie de la définition des règles sanitaires ? La province Sud régirait-elle seule l’aéroport et le port de Nouméa ?

Il semble qu’il n’y aurait plus de congrès réunissant des membres des assemblées de province, ce qui constitue d’ailleurs une réponse implicite sur la fiscalité. Comme ce n’est pas un comité de coordination qui peut voter l’impôt, on en déduit qu’il n’y aurait que des impôts provinciaux, ce qui dispenserait les contribuables du Sud de participer au financement de toute dépense de rééquilibrage.

C’est aussi chaque province qui définirait son régime électoral, y compris pour les communes, devenues collectivités de la province et non de l’Etat.

Le risque du projet est qu’il n’exaspère les divisions.

Les indépendantistes pourraient difficilement considérer comme un progrès un « chacun pour soi » qui les renverrait dans leurs provinces. Ce projet et ceux qui sont de la même inspiration, risquent d’être perçus comme un recul par rapport à la situation actuelle, les Kanak du Nord et des Îles – ainsi que les Calédoniens d’autres communautés qui y habitent et dont l’état d’esprit est souvent bien éloigné de celui du Sud – rejetant cette apparente marginalisation dans leurs provinces, la plus riche faisant en quelque sorte « cavalier seul ».

De plus, la référence aux Accords de Matignon, dont ces solutions permettraient, selon la présentation qu’en font leurs auteurs, de retrouver la pureté de ces accords, est pour le moins surprenante. Ces accords ne se résument pas à la provincialisation. Outre un scrutin d’autodétermination final, ils comportaient d’importantes mesures de rééquilibrage. Dans quelle mesure celles-ci subsisteraient-elles ?

 

Le fédéralisme

Les principes et les exemples

La référence au fédéralisme comme solution d’avenir pour la Nouvelle-Calédonie est fréquente. Elle est vue comme différente de l’autonomie actuelle sans présenter les risques de l’indépendance.

On sait que le fédéralisme est un mode d’organisation politique fréquent dans le monde aujourd’hui. On le trouve dans des Etats aussi différents que les Etats-Unis, l’Allemagne, la Suisse, le Brésil, l’Argentine, le Mexique, les Comores ou la Fédération de Micronésie. 

Il se caractérise par un partage des compétences législatives, juridictionnelles et administratives entre des Etats fédérés et un Etat fédéral. Ce partage des compétences est fondé sur le principe de subsidiarité, les compétences étant dévolues, en principe, à l’échelon le plus proche des citoyens. Les Etats fédérés ont souvent leur propre constitution.

Le partage des compétences est défini par la Constitution fédérale. Dans le fédéralisme américain, les compétences fédérales sont des compétences d’attribution, soit explicitement dans la Constitution fédérale elle-même, soit implicitement, par les lois qui attribuent ces compétences, sous le contrôle de la Cour suprême, soit par reconnaissance de pouvoirs inhérents par nature au niveau fédéral. Il peut y avoir des compétences partagées, exercées concurremment.

Les compétences des Etats fédérés vont au-delà de celles qui sont exercées par les collectivités décentralisées. Ainsi aux Etats-Unis, le pouvoir judiciaire est partagé entre le niveau fédéral et les Etats fédérés, tant pour les règles de droit, y compris pénales – on sait que la peine de mort est supprimée dans certains Etats et subsiste dans d’autres mais les différences juridiques ne se limitent pas à celle-ci – que pour l’organisation judiciaire – avec des juges et des tribunaux fédéraux et des juges et des tribunaux relevant des Etats fédérés. Certes, la Cour suprême assure une forme de cohérence juridique d’ensemble mais c’est d’abord pour reconnaître le droit particulier des Etats. De la même manière, s’il existe des polices fédérales, les polices les plus nombreuses dépendent des Etats ou des Villes.

Les conflits de compétence sont réglés dans les régimes fédéraux par les cours suprêmes. 

Aux côtés de la chambre élue au suffrage universel pour représenter la population, existe une seconde chambre dans laquelle les Etats sont représentés à égalité quelle que soit leur population (Sénat américain) ou en ne tenant que partiellement compte des différences de population des Etats (Bundesrat allemand). 

Le fédéralisme n’est pas seulement territorial. La Constitution du royaume de Belgique proclame que « La Belgique est un Etat fédéral qui se compose des communautés et des régions ». Il y a ainsi trois régions, wallonne, flamande et bruxelloise, trois communautés, française, flamande, germanophone et quatre régions linguistiques, correspondant à la langue française, la langue néerlandaise, la langue allemande ainsi qu’à la région bilingue française et néerlandaise de Bruxelles-capitale. La Cour constitutionnelle arbitre les conflits de compétences.

S’il est souvent de bon ton en France de critiquer le système belge pour sa complexité, comme de manifester plus généralement une forme de condescendance à l’égard de ce voisin, force est de constater que ce régime répond aux contradictions de cet Etat récent et contribue à assurer, au moins pour le moment, sa survie, avec la Couronne.

Application à la Nouvelle-Calédonie

Comme M. Jourdain pratiquant la prose, la Nouvelle-Calédonie pratique le fédéralisme sans le savoir.

Ce fédéralisme est en fait double : interne, entre la Nouvelle-Calédonie, collectivité de l’archipel et les provinces et externe, entre l’Etat central et la Nouvelle-Calédonie. La compétence de droit commun revient aux provinces et celles de la Nouvelle-Calédonie et de l’Etat sont d’attribution. Deux des trois cours suprêmes nationales jouent un rôle dans le contrôle de ce partage des compétences : le Conseil d’Etat donne un avis sur les questions qui lui sont posées sur ce partage et sur les lois du pays qui le mettent en œuvre et le Conseil constitutionnel tranche d’éventuels conflits portant sur ce point pour des lois du pays votées et déférées.

La présence de cette couleur fédérale dans les institutions actuelles n’implique pas que l’idée fédérale ne puisse inspirer davantage le prochain statut.

Faut-il afficher le fédéralisme comme principe d’organisation ?

La négociation qui aboutira à l’Accord de Nouméa avait échoué en 1996 notamment parce que le terme d’autonomie avait été publiquement utilisé. Toute dénomination suscite en elle-même des oppositions de principe.

Il faudrait en tout cas s’assurer que l’esprit de système ne conduira pas à une forme de « vente liée », l’inspiration fédérale qui pourrait prévaloir dans la recherche du statut devenant un cadre contraignant bien inutile. Il n’est pas rassurant de lire que comme le fédéralisme comporte nécessairement une organisation particulière de l’Etat central, notamment pour représenter les Etats fédérés, il faudrait d’abord, si l’on voulait que le statut de la Nouvelle-Calédonie fût fédéral, réformer de fond en comble la Constitution française pour lui faire une place.

La Nouvelle-Calédonie peut être davantage « fédérale » qu’elle ne l’est aujourd’hui en le prévoyant dans un titre particulier de la Constitution sans rendre la France, Etat unitaire et désormais dotée d’une « organisation décentralisée », en vertu de l’article 1er de la Constitution[12], « fédérale ».

Elle pourrait en particulier partager certaines compétences régaliennes comme cela existe dans plusieurs Etats fédéraux et, à partir de l’exemple belge, mieux inscrire la présence institutionnelle des communautés dont l’organisation est coutumière dans les institutions provinciales et centrales.

D’autres collectivités d’outre-mer pourraient la rejoindre mais ce ne serait en aucun cas une condition pour qu’elle s’inscrive dans ce schéma.

 

L’indépendance

 Le scrutin du 12 décembre ne peut plus déboucher sur un vote en faveur de l’indépendance du fait de la consigne de non-participation des Kanak indépendantistes qui sera au moins en partie suivie.

Il peut donc paraître inutile d’ouvrir un tel chapitre à ce moment des réflexions sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie.

Cependant, le maintien du droit à l’autodétermination, qui subsiste juridiquement et a encore été politiquement reconnu dans la déclaration au terme de la session d’échanges et de travail du 26 mai au 1er juin 2021, laissera la question ouverte.

Si la solution d’une indépendance partenariale reste préconisée par les mouvements indépendantistes, il conviendra d’y travailler sans attendre le prochain scrutin d’autodétermination. Il appartient d’abord aux indépendantistes de préciser les limitations temporaires à la pleine souveraineté qu’ils ont prêts à accepter.

La question centrale restera celle de déterminer qui pourra être Calédonien et dans quelle mesure cette nationalité sera compatible avec la nationalité française.

 

Conclusion : 5 recommandations finales pour l’après 13 décembre

La consultation du 12 décembre 2021 sera importante mais ne sera pas décisive.

Au vu de la situation prévisible au soir de ce scrutin, qui sera contesté, faisons 5 recommandations pour l’après 13 décembre.

  1. A côté de la consultation du Comité des signataires élargi, réunir une task force d’experts dont des universitaires et notamment des étrangers pour inventorier les solutions et répondre aux interrogations du comité
  2. Réunir les missions d’information créées à l’Assemblée nationale (avant et après son renouvellement) et au Sénat pour faire, autant que possible, échapper la question des suites des consultations aux oppositions dues aux campagnes électorales nationales 
  3. Associer la société civile calédonienne par ses organisations, associations, syndicats, voire par des groupes de citoyens tirés au sort
  4. Approfondir le système institutionnel issu des accords dans la voie d’un double « fédéralisme » accentué (ajustement des compétences des provinces et de la Nouvelle-Calédonie et transfert à la Nouvelle-Calédonie de nouvelles compétences).
  5.  Engager rapidement les discussions sur les conditions futures de l’autodétermination, corps électoral et conditions de déclenchement.

La question calédonienne n’est pas une aporie mais une solution stable reste difficile à trouver.

Indépendance asymptotique ou autonomie progressant à chaque fois de la moitié du chemin restant à accomplir, on peut multiplier les images d’apparents paradoxes mathématiques pour traduire l’inaboutissement de démarches généreuses et imaginatives mais qui se heurtent aux contradictions issues d’une histoire toujours prégnante.

Dans ses Carnets, Albert Camus a écrit : « Ce qui fait une tragédie, c’est que chacune des forces qui s’y opposent est également légitime ». C’est la situation calédonienne. Il a aussi écrit (ibid.) : « La tragédie n’est pas une solution ».

Continuons de rechercher une autre solution.


[1] Depuis les années 1970, kanak s’écrit ainsi et non plus « canaque ». L’Accord de Nouméa a retenu cette orthographe et son invariabilité en genre et en nombre.

[2] Augmentation importante des quantités de minerai extraites, due à une hausse du cours international du métal, et provoquant un afflux de main d’œuvre supplémentaire importée en Nouvelle-Calédonie pour travailler sur les sites miniers

[3] Les Mélanésiens sont les populations autochtones de la Mélanésie, l’une des zones ethnoculturelles du Pacifique avec la Polynésie et la Micronésie. Elle comprend les populations de Nouvelle-Guinée, des Fidji, des Îles Salomon, du Vanuatu et de la Nouvelle-Calédonie. On ne désigne plus la population autochtone de Nouvelle-Calédonie comme celle des « Mélanésiens » mais celle des « Kanak »

[4] « Les seuils fixés pour les consultations de 1998 et à compter de 2014 ne sont pas excessifs dans la mesure où ils s’inscrivent dans le cadre de la nature et de l’objet de ces scrutins, à savoir un processus d’autodétermination impliquant la participation de personnes justifiant d’attaches suffisantes au territoire dont l’avenir est en jeu. Il ressort, en effet, que ces seuils n’apparaissent pas disproportionnés vis-à-vis d’un processus de décolonisation impliquant la participation des résidents qui, au-delà de leur appartenance ethnique ou politique, ont contribué et contribuent à l’édification de la Nouvelle-Calédonie à travers leurs attaches suffisantes à ce territoire. » (Comité des Droits de l’Homme des Nations Unies, 15 juillet 2002, § 14.7).

[5] Le documentaire Les Médiateurs du Pacifique de Charles Belmont (1997) décrit le travail de la mission 

[6] Elle comprend aussi, pour le FLNKS Yeiwené Yeiwené, Caroline Machoro Edmond Nekiriai et Nidosh Naisseline et pour le RPCR Maurice Nenou, Dick Ukeiwe, Robert Naxue Paouta, Jean Lèques, Pierre Frogier et Pierre Bretegnier.

[7]  Jean-Marie Tjibaou, Maurice Nenou, Edmond Nekiriai, Jean  Lèques, Pierre Frogier et Pierre Bretegnier, auxquels s’ajoutent Albert Etuve, Rolland Braweao, Kotra Uregei, Paul Néaoutyine, Pierre Maresca, Louis Mapou, Henri Wetta, Charles Pidjot, Simon Loueckhote, Raphaël Pidjot, Charles Lavoix et Jean-Claude Briault.

[8] Ces dispositions ont donné au Conseil d’État l’occasion d’affirmer solennellement la suprématie, dans l’ordre juridique interne, de la Constitution sur les engagements internationaux, des électeurs calédoniens ayant contesté la restriction du corps électoral en invoquant notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et le pacte des Nations unies sur les droits civils et politiques (CE, assemblée, 30 octobre 1998,, Sarran et Levacher et autres).

[9] Cette nouvelle disposition constitutionnelle avait déjà été prévue par un projet de loi constitutionnelle relatif à la Polynésie française, dont elle renforçait l’autonomie, et à la Nouvelle-Calédonie (pour cette seule modification) qui devait être soumis au Congrès national le 24 janvier 2000 en même temps qu’un projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la magistrature, les deux projets ayant été votés en 1999 en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat. Le Président de la République, Jacques Chirac, qui avait donné son accord pour l’inscription du projet sur la Polynésie et la Nouvelle-Calédonie le refusa pour le projet relatif au Conseil supérieur de la magistrature, ce qui entraîna l’annulation de la convocation du Congrès pour les deux projets de lois constitutionnelles.

[10] Sur cet aspect régional de la question calédonienne, voir la note de Mme Sarah Mohamed-Gaillard, qui vient d’être publiée à Terra Nova

[11] Article 412–4 Est puni de quinze ans de détention criminelle et de 225 000 euros d’amende le fait de participer à un mouvement insurrectionnel : 1° En édifiant des barricades, des retranchements ou en faisant tous travaux ayant pour objet d’empêcher ou d’entraver l’action de la force publique ; 2° En occupant à force ouverte ou par ruse ou en détruisant tout édifice ou installation ; 3° En assurant le transport, la subsistance ou les communications des insurgés ; 4° En provoquant à des rassemblements d’insurgés, par quelque moyen que ce soit ; 5° En étant, soi-même, porteur d’une arme ; 6° En se substituant à une autorité légale.

[12] Le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord est composé de quatre nations, l’Angleterre, l’Ecosse, le Pays de Galles et l’Irlande du Nord.

[13] Depuis la révision issue de la loi constitutionnelle n°2008–724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Vème République

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