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Note

La réforme des collectivités territoriales : un danger pour les politiques culturelles locales et le développement des territoires

Le maillage culturel du territoire français, condition de l’égalité d’accès à la culture par tous, est mis en péril par la réforme des collectivités territoriales actuellement en voie d’adoption au Parlement. En particulier, la disparition de la clause générale de compétence limitera les financements croisés des projets et infrastructures au niveau local. Le rôle bénéfique de ces politiques culturelles pour le développement local et pour la cohésion sociale est pourtant avéré. Loin de s’opposer, les actions de l’Etat et des collectivités impliquent une coordination où le rôle et la place de chacun seraient reconnus et partagés.
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Un an après la remise au Président de la République, du rapport du Comité pour la réforme des collectivités locales présidé par Edouard Balladur, dont l’objectif était de proposer une meilleure répartition des compétences entre les différentes collectivités, deux des quatre textes législatifs relatifs à cette réforme sont désormais adoptés ou en voie de l’être :

- le Conseil constitutionnel a validé le 17 février dernier, la loi du 16 février 2010 organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux en mars 2014 [3] .

- l’Assemblée nationale est saisie du projet de loi de « réforme des collectivités territoriales » créant le conseiller territorial. Ce texte a été adopté en première lecture par le Sénat le 4 février dernier.

Deux autres textes sont en cours de discussion :

- Le projet de loi organique relatif à l’élection des membres des conseils des collectivités territoriales et des établissements publics de coopération intercommunale.

- Le projet de loi relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale.

Ces textes ambitionnent de réorganiser la carte administrative autour de deux pôles (départements-régions et communes-intercommunalités), de créer des métropoles, de favoriser le regroupement des communes et de clarifier la répartition des compétences entre collectivités territoriales, par une spécialisation de chaque collectivité sur un domaine d’intervention.

Cependant, loin de clarifier la répartition des compétences entre les différents échelons de collectivités, le projet de loi renvoie à une seconde loi, votée ultérieurement.

Surtout, la disparition de la clause générale de compétence des collectivités territoriales, se traduisant par une spécialisation de chaque niveau de collectivité, constitue une remise en cause fondamentale des acquis de près de 30 ans de décentralisation et entre en contradiction avec la tradition de l’organisation administrative française [4] . La suppression de la clause générale de compétence se traduira ainsi par une limitation des financements croisés des projets et infrastructures des collectivités. Elle pose la question du devenir des politiques publiques nécessitant une collaboration des différents niveaux de collectivités et tout particulièrement les politiques culturelles.

Alors même que depuis le début des années 1980, les collectivités territoriales se sont largement impliquées dans le champ culturel, pour pallier le désengagement de l’Etat ou pour en faire un levier de développement et de cohésion du territoire, cette réforme constitue une menace pour l’avenir des politiques culturelles territoriales. Afin de ne pas affaiblir considérablement les politiques et le secteur culturels, le maintien des financements croisés s’avère indispensable et pourrait être accompagné par le développement d’une politique culturelle ambitieuse et renouvelée.

1 – Depuis 30 ans, les collectivités territoriales ont développé des politiques culturelles, aussi bien pour pallier le désengagement de l’Etat que dans une optique de développement et de cohésion des territoires

1.1 – La décentralisation a permis aux collectivités territoriales de renforcer leur implication dans le champ culturel et les conduit à pallier le désengagement de l’Etat

La décentralisation a donné l’opportunité aux collectivités territoriales de développer des politiques culturelles fortes et originales sur leur territoire

La décentralisation, engagée en 1982 et renforcée en 2003, a donné un essor très net à la culture. Des politiques culturelles, multiples par nature, extrêmement diversifiées et adaptées aux territoires concernés, ont pu ainsi émerger sur l’ensemble du territoire.

Cette implication, induite par le principe de libre administration des collectivités territoriales, est permise par la clause générale de compétence. A ce titre, les collectivités disposent d’un pouvoir d’initiative, sous réserve que leurs interventions correspondent à l’intérêt de leur territoire [5]  : dès lors qu’une action « sert » les habitants d’une commune, cette dernière a la faculté juridique d’agir et il en va de même pour les départements et les régions. Cette liberté d’action accordée aux communes, départements et régions a aussi conduit, chaque fois qu’un projet le justifiait, à la collaboration entre différents niveaux de collectivités.

C’est notamment le cas en matière culturelle, où une action menée à l’échelle d’un territoire peut rejaillir sur les territoires environnants. Ainsi, si en 2004, la ville de Lille était capitale européenne de la culture, c’est l’ensemble de la Région Nord-Pas-de-Calais, les départements du Nord et du Pas-de-Calais ainsi que la Communauté urbaine de Lille qui ont bénéficié d’une programmation culturelle renforcée et d’actions de médiation.

Au-delà de la clause générale de compétence, des transferts de compétences de l’Etat aux collectivités territoriales ont été engagés par la loi relative aux libertés et responsabilités locales du 13 août 2004. Celle-ci confie à différents niveaux de collectivités des compétences sur une même activité et notamment dans le domaine des enseignements artistiques spécialisés.

Ainsi, les communes ou leurs groupements organisent et financent les missions d’enseignement artistique initial. Les départements adoptent un schéma départemental de développement des enseignements artistiques spécialisés et participent au financement des établissements pour assurer l’égal accès des élèves à l’enseignement initial. Les régions, quant à elles, organisent et financent le cycle d’enseignement professionnel initial. Le classement, le contrôle et le suivi des établissements ainsi que la responsabilité et l’initiative de l’enseignement supérieur professionnel relèvent de l’État.

Par ailleurs, le décret du 20 juillet 2005 a autorisé la dévolution de la propriété de 176 immeubles protégés au titre des « monuments historiques » appartenant à l’Etat aux collectivités territoriales le demandant. C’est dans ce cadre que le Conseil général du Bas-Rhin est devenu propriétaire du château du Haut-Koenigsbourg et a investi 10 millions d’euros pour rénover ce monument.

L’implication des collectivités territoriales permet de pallier le désengagement de l’Etat en matière culturelle et une concentration de ses crédits sur le patrimoine

Après 20 ans d’augmentation de son budget, le ministère de la culture n’échappe pas aux fortes contraintes budgétaires de l’Etat. Ainsi, alors que le budget du ministère de la culture représentait 1% du budget de l’Etat en 2002, le budget de la mission culture ne représente en 2010 que 0,77% du budget général de l’Etat à 2,9 milliards d’euros contre 3,2 milliards en 2007. La quasi-stagnation des montants inscrits en autorisation d’engagements conduit à penser que la tendance à la baisse du budget de la culture ne devrait pas se retourner dans les prochaines années.

La seule augmentation notable concerne le secteur patrimonial (+100M€). Si elle permet de participer au plan de relance de l’économie, cette hausse vise surtout à pallier l’incapacité de l’Etat à entretenir convenablement le patrimoine historique. En effet, l’état sanitaire du patrimoine français se dégrade à vitesse accélérée puisqu’en 2007, 51% des monuments historiques classés étaient en état passable, défectueux ou de péril alors que 4 ans auparavant, seuls 41% de ces monuments étaient dans une telle situation [6] .

Cette concentration des crédits sur le patrimoine, se traduit par un moindre investissement dans les secteurs de la création et de la transmission des savoirs. Ce désengagement est d’autant plus dommageable que ces domaines sont porteurs d’enjeux relatifs au développement de l’économie de l’immatériel et du savoir, sont vecteurs de création de valeur et constituent d’importants leviers pour réduire les inégalités sociales.

Parallèlement à la baisse des crédits de l’Etat et à leur concentration sur l’entretien du patrimoine, les collectivités territoriales sont devenues des acteurs majeurs du financement public de la culture en France [7] .

Ainsi, au cours des années 1980, les budgets culturels des départements et des régions ont été multipliés par cinq et ceux des communes par plus de deux pour atteindre près de 7 milliards d’euros en 2006. Selon l’Association des Régions de France (ARF), entre 2004 et 2010 l’effort financier des régions pour la culture a progressé de 11% par an en moyenne.

L’implication des collectivités territoriales se concentre au niveau des communes qui assurent à elles seules 40 % du financement public de la culture (250 millions d’euros pour la seule ville de Paris) leur permettant d’accueillir des institutions culturelles de rang national, voire international : musée d’art moderne et contemporain à Strasbourg, musées d’art moderne à Lyon, archives du monde du travail à Roubaix…

Aujourd’hui donc, les collectivités territoriales investissent dans la culture deux fois plus que l’Etat et même dix fois plus en ce qui concerne le subventionnement des dépenses de fonctionnement des structures de spectacle vivant [8] . Elles pallient les carences de celui-ci mais se sont également saisies des opportunités offertes par la culture pour en faire un levier de développement et de cohésion des territoires. Au total, sur 10 milliards d’euros d’argent public consacrés à la culture en 2010, 3 milliards proviennent de l’Etat et 7 des collectivités territoriales.

1.2 – Les politiques culturelles locales constituent d’importants leviers de développement économique et de cohésion sociale des territoires dans une économie concurrentielle, fondée sur le savoir

La culture constitue un atout majeur pour le passage d’une économie industrielle en une société essentiellement fondée sur la production et la diffusion d’informations du savoir

Les modifications profondes de l’économie mondiale, engagées à la fin des années 1970, ont profondément transformé la structure productive de la France la faisant passer d’une économie industrielle à une économie immatérielle basée sur le savoir.

La concurrence des productions à bas coûts en provenance des pays émergents (essentiellement en Asie et en Amérique du sud) conduisent les pays occidentaux, et notamment la France, à repenser leur modèle économique. Afin de disposer d’avantages comparatifs par rapport à des pays avec lesquels il est impossible de rivaliser en matière de coûts de production, il s’avère aujourd’hui indispensable de se positionner sur l’économie de l’information et du savoir.

Au sein de cette économie immatérielle du savoir et de l’information, la culture et les industries créatives ont un rôle important à jouer. José Manuel Barroso, Président de la commission européenne, soulignait à l’occasion de l’adoption par la Commission d’une communication relative à un agenda européen de la culture à l’ère de la mondialisation que «  la culture et la créativité sont d’importants moteurs de développement personnel, de cohésion sociale et de croissance économique ».

Ainsi, la culture, entendue selon la définition de l’Unesco comme étant « l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérise une société ou un groupe social et englobe outre les arts et les lettres, les modes de vie, les façons de vivre ensemble, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances » peut conduire non seulement à une valorisation du patrimoine culturel, à la promotion de la diversité, mais aussi à définir les conditions favorisant l’apprentissage des savoirs, connaissances et pratiques.

Selon Richard Florida dans sa conceptualisation de « la classe créative », les politiques culturelles seraient de nature à stimuler la création, l’innovation, la circulation des connaissances, la captation des cerveaux et à la source de création de valeur et de richesse.

Dans un contexte de concurrence renforcée, la compétitivité et l’attractivité des hommes et des territoires s’apprécient à tous les échelons géographiques : mondial, international et local.

A l’échelle internationale, l’exemple d’Abu Dhabi illustre parfaitement comment la culture peut constituer un vecteur de reconversion économique mais aussi un outil d’attractivité dans la compétition mondiale, avec la construction d’un « Louvre-Abu Dhabi » et l’installation d’une antenne de la Sorbonne.

Au niveau national, l’aménagement culturel du territoire, mis en œuvre par une collaboration entre l’Etat et les différents niveaux de collectivités a contribué à assurer un développement plus équilibré, plus cohérent et donc plus attractif du territoire en mettant fin à l’hégémonie parisienne de concentration des institutions culturelles.

Les collectivités territoriales ont conscience du facteur d’attractivité et de cohésion que génère une politique culturelle adaptée sur leur territoire

Au niveau territorial, la culture constitue également un levier majeur de développement et d’attractivité. Nombre d’élus locaux ont saisi l’impact positif que les actions culturelles pouvaient avoir en matière économique mais également en matière de cohésion sociale [9] .

D’un point de vue économique, la culture a un impact fondamental sur l’image d’un territoire. Elle constitue un vecteur d’attractivité pour les entreprises en constituant un environnement favorable à l’innovation, à la recherche, à la création et à l’enseignement supérieur. C’est sur ce créneau que s’est positionnée la ville de Montréal. L’organisation de grands festivals culturels dédiés aux arts numériques a conduit, grâce aux synergies développées entre artistes et investisseurs, à la concentration, sur la métropole, de grandes industries dédiées à la culture et au numérique.

Par ailleurs, une telle politique est de nature à capter les touristes qui seront autant de consommateurs venant stimuler l’économie locale et créer des emplois. Les études menées sur l’impact des grands événements organisés à Nancy dans le cadre de « Nancy 2005, le Temps des Lumières » montrent qu’ils ont engendré une hausse de la fréquentation touristique de 82% sur une année et ont généré près de 40 millions d’euros de dépenses supplémentaires dans l’économie locale, pour un investissement initial de 9,45M€ [10] .

Par conséquent, la culture, placée au cœur d’un projet développement est de nature à avoir un effet d’entraînement sur l’ensemble d’un territoire. Elle peut donc constituer un levier fort de reconversion pour des zones en difficultés, comme le montre le succès de la revitalisation de Bilbao dont la construction du musée Guggenheim a rejailli sur l’ensemble de la ville.

Au-delà des impacts positifs en matière économique, la culture est également vectrice de cohésion sociale. Celle-ci peut être véhiculée par le développement et la valorisation des identités locales, au travers d’œuvres ou de projets culturels. C’est notamment ce choix qu’a fait la ville de Nancy avec la valorisation de son patrimoine et de ses savoir-faire locaux.

Cette cohésion sociale est également recherchée au travers de l’élargissement des publics ayant accès à la culture. Ainsi, si la programmation culturelle de Lille 2004, capitale européenne de la culture, a formé un vecteur d’attractivité auprès de publics géographiquement éloignés (Belgique, Grande-Bretagne, Paris), l’accès aux publics locaux a constitué une priorité par le développement de structures de proximité pérennes (Maisons-Folies) et par la mise en place d’actions de médiation rendant accessibles des œuvres d’art aux publics socialement éloignés de la culture. Là également, la culture a été au centre d’une politique de reconversion de zones défavorisées en installant des lieux culturels dans des quartiers populaires voire sur des friches industrielles désertées qui retrouvent aujourd’hui une certaine dynamique.

Ainsi donc, alors que les collectivités territoriales s’impliquent désormais massivement dans les politiques culturelles et en ont même fait un levier de reconversion ou de développement de leur territoire, la remise en cause de la clause de compétence générale, prévue par la réforme des collectivités territoriales, constitue un danger accru par le contexte de crise économique.

2 – Face à une réforme des collectivités territoriales fragilisant les politiques culturelles locales, le maintien des financements croisés ainsi que le développement d’une politique culturelle ambitieuse est nécessaire pour contribuer au développement des territoires

2.1 – La réforme des collectivités territoriales est de nature à affaiblir les politiques culturelles, particulièrement dans un contexte économique difficile

La suppression de la clause générale de compétence pourrait engendrer un désinvestissement des collectivités territoriales en matière de politique culturelle

Alors même que les politiques culturelles nécessitent des financements croisés, aussi bien pour assurer le développement d’infrastructures culturelles qu’une seule collectivité territoriale ne pourrait financer (Zénith, salle de spectacles), qu’en matière de subventions au secteur associatif culturel, la réforme des collectivités territoriales viendrait mettre fin à ce mode de fonctionnement.

En supprimant la clause générale de compétence pour les départements et les régions, comme le propose le titre IV de la loi portant réforme des collectivités territoriales, les communes pourraient se retrouver seules pour assurer la compétence culturelle. Un département ou une région ne pourrait plus mener une politique culturelle, porteuse d’un projet de développement pour l’ensemble d’un territoire.

Le projet de loi prévoit également d’instaurer la règle selon laquelle le maître d’ouvrage doit assurer une part significative du financement de ses investissements. Les cofinancements seront limités aux projets dont l’envergure ou le montant le justifie.

Cette évolution constitue un risque majeur pour les petites collectivités, particulièrement en milieu rural. Une commune rurale souhaitant mettre en place une action culturelle ou construire une infrastructure dont le montant ne sera pas jugé d’envergure suffisante ne pourra donc plus bénéficier du soutien des autres niveaux de collectivité.

La loi de réforme des collectivités territoriales risque d’accroître les inégalités entre petites et grosses communes. Seules ces dernières pourront disposer de structures culturelles alors que les villes moyennes et les zones rurales deviendront un désert culturel remettant en cause 50 ans d’efforts pour assurer un maillage culturel sur l’ensemble du territoire.

Cette perspective fait également peser de lourdes incertitudes sur le secteur associatif culturel. Ces associations, peuvent bénéficier, en raison de la nature de leurs actions, de subventions provenant de différents niveaux de collectivités. Ces cofinancements sont bien souvent nécessaires à leur équilibre financier et constituent une condition sine qua non de leur existence. La fin de ces financements croisés risquerait de se traduire par la dissolution d’un nombre important d’associations culturelles.

Là encore les conséquences sont lourdes, avec la fin de certaines actions de démocratisation culturelle, une forte réduction de l’offre de la pratique amateur ainsi qu’un moindre dynamisme créatif, alors même que les associations assurent bien souvent des missions d’intérêt général et ont un impact positif sur le tissu social et le dynamisme économique. En effet, les 205 000 associations culturelles touchent chaque année plus de 20 millions de français grâce à l’action de 4,3 millions d’adhérents générant un budget annuel cumulé de plus de 5,5 milliards d’euros, dont 60% proviennent de ressources privées, 26% des communes, 9,6% des départements, 2,4% des régions et seulement 2% de l’Etat. [11]

Dans les faits, les enchevêtrements de compétences entre différents niveaux de collectivités, et notamment entre régions et départements, sont peu nombreux et se concentrent sur des secteurs transversaux (sport, culture, environnement…) ou sur les politiques d’investissement et représentent moins de 20% des dépenses des collectivités.

Dans ces conditions, les politiques culturelles, exceptions qui impliquent une mobilisation de l’ensemble des acteurs d’un territoire, risquent d’être les grandes perdantes d’une réforme qui ambitionne avant tout de reprendre en main les pouvoirs locaux et de mettre sous contrôle les politiques territoriales. Les politiques locales menées en réponse aux besoins exprimés par les populations ne pourraient plus être assurées, alors même que la demande de culture n’a jamais été aussi forte et qu’elle apparaît comme une valeur refuge en période de crise.

La réforme de la fiscalité locale pourrait accentuer l’affaiblissement des politiques culturelles territoriales dans un contexte de crise économique

La réforme de la fiscalité locale renforce les craintes quant au financement des politiques culturelles des collectivités.

La suppression récente de la taxe professionnelle pourrait contraindre les budgets locaux et réduire l’autonomie fiscale des collectivités territoriales. Certaines collectivités assisteront, à partir de 2011, à des baisses importantes de leurs recettes fiscales. De plus, départements et régions n’auront aucune marge de manœuvre sur le taux sur la nouvelle contribution économique territoriale (CET).

Cette situation risque d’avoir des conséquences néfastes pour les politiques culturelles des collectivités. En effet, la réforme diminue considérablement les marges de manœuvre des collectivités sur leurs recettes. Par conséquent, elles ne pourront équilibrer leurs budgets que par une diminution des dépenses.

Or, la culture n’étant pas une compétence obligatoire, le risque est que les élus locaux n’ait d’autre choix que de se servir de ce poste comme d’une variable d’ajustement et de se recentrer sur les compétences obligatoires (social, éducation, transports…). Dans un contexte de réduction des ressources liée à la réforme de la fiscalité locale et à la crise économique, ce risque apparaît d’autant plus important.

Les inégalités risquent, là encore, de s’accroître, entre collectivités riches, ayant les moyens de mener des politiques culturelles ambitieuses, et les collectivités pauvres, qui devront effectuer des sacrifices sur certains postes budgétaires.

Face aux risques d’une réduction des politiques culturelles et d’un accroissement des inégalités d’accès à la culture, le maintien de la clause de compétence générale, couplée à une politique culturelle ambitieuse semble nécessaire pour faire de la culture un levier du développement des territoires.

2.2 – Pour une politique culturelle ambitieuse et partenariale ayant un effet de levier sur le développement des territoires

Maintenir les financements croisés sur une base renouvelée

Pour permettre à la culture de jouer tout son rôle dans le développement des territoires, au travers notamment des financements croisés, l’exercice d’une compétence partagée entre plusieurs collectivités territoriales, prévue à titre exceptionnel par le projet de loi, devrait s’appliquer à la culture.

Cette recommandation reprend, en partie, les propositions du rapport Balladur sur la réforme des collectivités territoriales estimant que le maintien de plusieurs niveaux de compétence pour le soutien à la création artistique était « opportun », en raison de « la diversité des missions […] qui rend particulièrement délicat l’attribution de cette compétence à un seul niveau d’administration ». Cette proposition devrait être étendue à l’ensemble du champ culturel et notamment au financement d’équipements comme le souhaitent les élus locaux mais aussi le ministre de la culture lui-même. [12]

Ainsi, si les communes jouent un rôle majeur pour la politique culturelle, l’appui et le complément des autres collectivités reste nécessaires. La loi portant réforme des collectivités territoriales ne doit donc pas donner la compétence culturelle exclusivement à un seul niveau de collectivité. Les coopérations entre chaque niveau sont nécessaires et doivent être maintenues, afin de permettre la solidarité, le développement et l’attractivité des territoires.

A titre d’exemple, l’intervention des départements en faveur du petit patrimoine rural non protégé est une nécessité pour les petites communes. Les régions, même si elles consacrent un effort financier moindre que les départements, ont su mener des politiques innovantes, en lien avec leurs compétences de développement économique, et doivent continuer à le faire afin de favoriser le développement et l’attractivité de leur territoire. Elles doivent également continuer d’encourager des actions culturelles sur les domaines où leurs compétences sont exclusives (initiatives culturelles en direction des lycéens et plus généralement de la jeunesse, comme la création des « chèques culture »).

Contrairement à ce que laisse entendre le gouvernement, cofinancement n’est pas synonyme de gaspillage des crédits publics. Le cofinancement d’infrastructures ainsi que le co-subventionnement des associations ou festivals culturels peuvent se faire sur une base renouvelée et conventionnée.

Ainsi, il peut être envisagé de se saisir de l’opportunité offerte par la loi relative aux libertés et responsabilités locales permettant de désigner une collectivité chef de file sur une politique donnée. Cette notion de « chef de file », permet, dans le respect du principe de non tutelle d’une collectivité sur une autre, d’assurer une meilleure coordination des politiques menées et une plus grande lisibilité de l’implication des différents acteurs. L’attribution de ce rôle à la Région apparaît pertinent et pourrait s’intégrer au sein de leurs compétences relatives au développement économique des territoires. Par la même occasion, la culture pourrait devenir une compétence obligatoire et non plus facultative.

Enfin, la généralisation du conventionnement avec les structures subventionnées peut permettre d’avoir une meilleure connaissance des fonds publics attribués, d’en suivre l’utilisation et de s’assurer de l’optimisation de leur usage grâce à des conventions pluriannuelles liant moyens et performance.

Les modalités de ce conventionnement pourraient être simplifiées par la constitution d’une base de données nationale, retraçant l’ensemble des subventions accordées par l’Etat et les collectivités territoriales, comme le préconise la Cour des comptes. Librement accessible sur internet, cette base permettrait de satisfaire à l’objectif de transparence de l’utilisation des fonds publics et d’avoir une meilleure connaissance des soutiens attribués.

Pour une politique culturelle ambitieuse et partenariale entre Etat et collectivités

Alors que les crédits du ministère de la culture sont fortement contraints et que les perspectives en matière de finances publiques ne laissent guère de place à l’optimisme, la politique culturelle de l’Etat implique des choix.

L’importance prise par les collectivités territoriales ainsi que les contraintes budgétaires de l’Etat ne lui permettent plus de mener des politiques omnidirectionnelles dans tous les secteurs et sur l’ensemble du territoire. La recherche d’une plus grande lisibilité de l’action de l’Etat apparaît nécessaire et pourrait se concentrer sur les projets d’envergure et les investissements d’avenir.

Ainsi, le volet culturel des contrats de projet Etat-Région (CPER) pourrait être renforcé et les modalités de fonctionnement induites par le CPER pourraient être étendues à l’ensemble des interventions culturelles de l’Etat au niveau déconcentré.

Basées sur un diagnostic partagé avec les collectivités territoriales, les implications de l’Etat seraient désormais concentrées sur les projets d’envergure ayant un impact sur un projet de développement territorial et pour lesquels les financements de l’Etat peuvent jouer un effet de levier.

Dans ce cadre, le renforcement de la coopération entre Directions régionales des affaires culturelles (DRAC), Conseils généraux et régionaux et communes, s’avère fondamental pour adapter une politique culturelle nationale aux spécificités et besoins locaux. La relance du conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel apparaît ici comme un signal positif envoyé par l’Etat qu’il convient de confirmer.

Outre le financement de l’Etat, l’ingénierie territoriale des services de l’Etat peut constituer la base d’un partenariat renouvelé entre Etat et collectivités, notamment dans les zones rurales où les petites communes ne disposent pas des ressources humaines adéquates.

L’Etat peut également favoriser le développement des politiques culturelles locales par le vote d’une loi d’orientation et de programmation inscrivant dans un texte la place fondamentale qu’occupent l’art et la culture dans notre société. Ce texte permettrait également de préciser le rôle respectif de l’Etat et des collectivités territoriales.

Par ailleurs, l’émergence de projets culturels structurants au niveau local permettant d’engager une reconversion d’un territoire passe également par la diversification des sources de financement. Le mécénat, loin de constituer un danger pour la culture, peut avoir un effet de levier décisif pour la réalisation de certaines structures. C’est notamment le cas pour l’installation d’une antenne du musée du Louvre à Lens, financée majoritairement par les collectivités territoriales, et où la part des financements provenant du mécénat s’élève à 5% contre seulement 4% pour l’Etat. Pour favoriser le mécénat culturel local, les collectivités territoriales pourraient ainsi expérimenter la possibilité d’accorder des réductions d’impôts locaux aux entreprises et particuliers s’impliquant dans un projet culturel local.

Enfin, l’offre culturelle, indépendamment de son financement, doit pouvoir s’inscrire dans un cheminement éducatif et social. La coordination des politiques de la ville, de l’éducation et de l’emploi, avec la politique culturelle doit permettre d’associer les acteurs que sont l’école, les entreprises, les collectivités locales, et les travailleurs sociaux. Tous participent de ce cheminement qui doit amener de nouveaux publics, en particulier issus des milieux défavorisés, vers la culture. La culture ne doit pas être utilisée comme un élément de discrimination sociale mais comme un lien. Il s’agit de créer l’envie de culture à travers une meilleure lisibilité de ce lien entre la culture, l’emploi et les territoires.

Le bilan positif des politiques culturelles menées par les collectivités sur le développement de leur territoire justifie le maintien d’une compétence partagée entre toutes les collectivités dans ce domaine.

Face à une loi de recentralisation et un désengagement de l’Etat dans le domaine culturel, la vigilance s’impose pour éviter que la culture ne constitue une variable d’ajustement et ne puisse plus constituer un vecteur de compétitivité, d’attractivité et de cohésion.

Loin de s’opposer, les actions de l’Etat et des collectivités impliquent une coordination où le rôle et la place de chacun seraient reconnus à leur juste valeur.

  1. Néma Linuit est un pseudonyme

  2. Assemblée Nationale, rapport d’information du 13 janvier 2010 sur la politique du spectacle vivant

  3. Loi n° 2010–145 du 16 février 2010 organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux

  4. La clause générale de compétence des collectivités territoriales découle de l’article 61 de la loi du 5 avril 1884 : « Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune », disposition reprise désormais dans le code général des collectivités territoriales pour chaque niveau de collectivité.

  5. Article 1111–2 du Code général des collectivités territoriales : « Les communes, les départements et les régions règlent par leurs délibérations les affaires de leur compétence. Ils concourent avec l’Etat à l’administration et à l’aménagement du territoire, au développement économique, social, sanitaire, culturel et scientifique, ainsi qu’à la protection de l’environnement, à la lutte contre l’effet de serre par la maîtrise et l’utilisation rationnelle de l’énergie, et à l’amélioration du cadre de vie. »

  6. Rapport du ministère de la culture et de la communication, décembre 2007 : L’état du parc monumental français : composition du parc monumental, bilan sanitaire des immeubles classés au titre des monuments historiques et besoins en travaux.

  7. Ministère de la culture et de la communication, département des études, de la prospective et des statistiques : Les dépenses culturelles des collectivités locales en 2006 : près de 7 milliards d’euros pour la culture

  8. Assemblée nationale, rapport d’information du 13 janvier 2010 sur la politique du spectacle vivant

  9. Voir par exemple Interview de Laurent Fabius, revue « L’œil », février 2010

  10. Source : étude réalisée par Ineum consulting pour le forum d’Avignon « La culture, enjeu économique ou symbolique pour le développement des territoires ?  ».

  11. Source : coordination des fédérations et associations de culture et de communication

  12. La lettre du spectacle, 18/12/2009 Politiques culturelles : confiance ébranlée entre Etat et collectivités : « Pour Pierre Hanotaux, directeur du Cabinet, […] le ministre défendra avec force le maintien des financements croisés ».

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