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Note

Les outre-mers, plus pluriels que jamais

Présentés en Conseil des ministres le 26 janvier prochain, les projets de loi « portant création de la collectivité unique de Guyane et de la collectivité unique de Martinique » marquent une étape historique pour les institutions de la République, ainsi qu’une forme d’aboutissement du débat institutionnel dans les départements français d’Amérique : la Guyane et la Martinique, actuellement à la fois département et région, ne seront plus chacune qu’une seule collectivité, avec des institutions uniques en leur genre. Selon Jean-Philippe Thiellay et Marc Vizy, cette nouvelle situation impose d’importantes obligations à l’Etat : celui-ci doit notamment avoir soin de respecter les garanties démocratiques fixées par la Constitution, et renforcer le ministère de l’outre-mer.
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Le conseil des ministres du 26 janvier doit adopter deux projets de loi – un projet de loi simple et un projet de loi organique – qui marquent une nouvelle étape, historique, dans l’évolution des outre-mers français. La Martinique et la Guyane, conformément aux décisions des électeurs, vont se voir dotées d’une assemblée et d’une collectivité uniques, tandis que les règles applicables aux DOM pour faciliter l’adaptation des règles législatives ou réglementaires seront assouplies.

Ces textes, préparés dans une assez large concertation, méritent d’être soutenus, notamment car ils sont l’aboutissement d’un processus engagé il y a dix ans, validé par les élus et la population. La réflexion sur le rôle de l’Etat et sur la démocratie outre-mer n’a toutefois pas été poussée assez loin, alors que cette diversification à l’extrême des statuts des collectivités d’outre-mer impose à l’Etat de moderniser ses propres modes d’action.

1 – Les deux projets de lois en cours d’adoption, aboutissement d’un long processus démocratique

1. 1 – La mise en place, en Martinique et en Guyane, d’institutions sans précédents, conformement aux souhaits de la population

Le débat institutionnel dans les départements français d’Amérique (Guadeloupe, Martinique, Guyane) est une constante de la vie locale depuis 30 ans, et le projet de loi « portant création de la collectivité unique de Guyane et de la collectivité unique de Martinique » marque une forme d’aboutissement.

Deux consultations des électeurs, à caractère décisionnel, ont été organisées les 10 et 24 janvier 2010, d’abord sur l’hypothèse du passage de ces collectivités de l’article 73 de la Constitution (celui des DOM et de l’identité législative, c’est-à-dire de l’application en principe du droit commun national) vers l’article 74 (celui des COM -collectivités d’outre-mer- et du principe de spécialité, qui permet davantage de dérogations). Les électeurs ont massivement rejeté cette hypothèse et ont en revanche, deux semaines plus tard, approuvé (à 57,48% en Guyane et à 68,3 % en Martinique) la création d’une collectivité unique exerçant les compétences dévolues au département et à la région. Ces collectivités seront dotées d’assemblée délibérante baptisées « Assemblée de Guyane » et « Assemblée de Martinique » qui se substitueront chacune intégralement au conseil général créé en 1946 et au conseil régional.

Le projet de loi qui doit être adopté par le conseil des ministres met en musique cette évolution, avec des modalités différentes dans les deux territoires.

En Guyane, l’organisation sera assez classique et ressemblera, par exemple, à l’organisation prévue pour Mayotte : l’assemblée, qui devrait comporter 51 membres (contre 19 élus actuels au conseil général et 31 conseillers régionaux), effectif susceptible de varier dans le temps en fonction de l’augmentation de la population, sera présidée par l’exécutif de la collectivité, assisté d’une commission permanente à qui des compétences propres nombreuses et importantes, trop peut-être, seront dévolues. Il est quelque peu curieux de déshabiller ainsi une assemblée élue au profit de ce qui n’en est qu’une émanation, au suffrage indirect. A minima, le projet devrait être amendé pour permettre à l’assemblée unique de reprendre les délégations consenties à la commission permanente.

En Martinique, le même effectif de 51 membres a été retenu (le conseil général compte aujourd’hui 45 élus et le conseil régional 41) auquel s’ajoute les 9 membres du conseil exécutif, soit au total 60 élus. Les organes de la collectivité sont originaux et font penser aux institutions polynésiennes, calédoniennes ou, surtout, corses : la collectivité est régie par l’assemblée et son président, mais aussi par un conseil exécutif responsable, avec son président, devant l’assemblée. C’est une forme de « gouvernement martiniquais » qui ne dit pas son nom, les conseillers exécutifs ne pouvant dans le même temps être membres de l’assemblée. Cette institution originale laisse toutefois songeur : ce gouvernement qui ne dit pas son nom ne dispose pas de plus de compétences que les exécutifs actuels d’un département et d’une région d’outre-mer, si bien que son utilité même fait question.

Outre l’institution d’un conseil économique, social et environnemental en Guyane et en Martinique, le projet prévoit certaines dispositions communes aux deux collectivités et notamment le mode de scrutin. Il repose sur une seule circonscription divisée en plusieurs sections (8 en Guyane, 4 en Martinique) et sur un scrutin proportionnel de liste à deux tours, avec un seuil de maintien au second tour de 5% des suffrages exprimés et une prime majoritaire de 20%. Les candidats de chaque liste, qui devra respecter le principe de parité, devront être identifiés par section pour permettre une bonne représentation des territoires.

La mise en place de cette nouvelle institution a donné lieu à de nombreuses hésitations. Les présidents des collectivités de Guyane et la majorité des élus martiniquais souhaitent une mise en place en 2014, ce qui permettrait, d’une part, de ne pas risquer de manquer une transition délicate à de nombreux égards (fusions des services, gestion des agents, opérations immobilières, nouvelles compétences…) et, d’autre part, de ne pas abréger le mandat des élus (le mandat des conseillers régionaux court jusqu’en 2014, comme celui d’une moitié des conseillers généraux). Une partie des élus martiniquais a, quant à elle, indiqué préférer une solution rapide, que le Gouvernement a finalement retenue, avec une mise en place prévue dès le 1er juillet 2012, les considérations électorales nationales n’étant sans doute pas complètement étrangères à ce choix. La perspective d’abréger des mandats, si elle n’est pas constitutionnellement délicate, n’est toutefois pas incontestable compte tenu de l’ampleur de la réforme institutionnelle à accomplir. La presse a indiqué que, suivant l’avis du Conseil d’Etat – avis non public à ce stade -, le gouvernement avait repoussé l’entrée en vigueur de la loi au plus tard au 31 décembre 2012.

1. 2 – L’assouplissement des conditions d’adaptation des normes métropolitaines

Les départements d’outre-mer relèvent, depuis 1946, du principe d’identité législative. En principe, le droit commun s’y applique, l’Etat gardant la possibilité de prévoir des adaptations « tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités » (art. 73 de la Constitution). Depuis la révision constitutionnelle de 2003, la faculté a été donnée aux départements français d’Amérique et aux régions (La Réunion n’en a pas voulu) de demander à être habilités par le législateur à fixer eux mêmes les règles applicables.

Seule la région de Guadeloupe a exploré cette voie, en étant habilitée par la loi du 27 mai 2009 dans deux domaines : en matière de formation professionnelle et dans le domaine de l’énergie. Le conseil régional a déjà adopté plusieurs délibérations tendant au développement de l’énergie photovoltaïque et éolienne. Pour la première fois dans l’histoire de la République, l’assemblée d’une collectivité relevant de l’identité législative a fixé elle-même les règles de nature législative et règlementaire applicables sur son territoire.

La procédure d’habilitation est toutefois trop lourde : le législateur doit se prononcer même lorsque les mesures en question sont de nature réglementaire, la demande peut devenir caduque et la durée de l’habilitation, de deux ans maximum, est difficilement praticable pour des sujets complexes.

Sur ces deux points, le projet de loi organique propose des solutions convaincantes, qui viennent compléter certaines adaptations introduites ces dernières années (révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et loi organique du 7 décembre 2010) : l’habilitation pourra être donnée par décret en Conseil d’Etat lorsque les mesures envisagées sont de nature réglementaire et le temps laissé à l’assemblée pour adapter les règles sera calqué, au maximum, sur celui qui reste à courir jusqu’à l’expiration du mandat des élus. Tout se passe comme si l’Etat avait eu peur de concéder immédiatement des pouvoirs réels, comme s’il était désormais rassuré par l’usage raisonnable fait de ses habilitations par la région Guadeloupe et, face au caractère peu opérationnel de ces dispositions, consentait désormais des assouplissements… La limitation dans le temps qui reste dans le texte pourrait cependant être utilement allongée, au-delà de la durée des mandats : il appartiendrait ainsi à la nouvelle assemblée locale élue de se prononcer sur les mesures envisagées sous la précédente mandature.

1. 3 – L’aboutissement d’un long processus

A bien des égards, la loi organique en cours d’élaboration marque l’aboutissement d’un processus que la loi d’orientation pour l’outre-mer (LOOM) du 13 décembre 2000 avait ouvert. Pour la première fois depuis 1946, la possibilité avait en effet été affirmée pour les départements français d’Amérique (Guadeloupe, Guyane et Martinique) de faire évoluer leurs institutions, La Réunion souhaitant conserver un statut le plus proche possible du droit commun métropolitain.

Depuis 1982 et la censure par le Conseil constitutionnel de la loi créant une collectivité unique, coexistent, dans chaque DOM, une région et un département partageant le même territoire : on parle de régions monodépartementales.

Pour les DFA, la LOOM a créé une institution nouvelle, le congrès des élus départementaux et régionaux, habilité à proposer au Gouvernement des évolutions institutionnelles et qui s’est réuni très régulièrement.

Dans les DFA, des évolutions institutionnelles consistant à créer une collectivité unique regroupant région et département, ont commencé à être négociées avec l’Etat dès 2001 mais n’ont pas abouti immédiatement.

En Guyane, malgré des discussions assez avancées entre les élus et le gouvernement, le processus a rapidement capoté en 2002, le député et ministre Léon Bertrand favorable à la bidépartementalisation de sa région s’y étant opposé.

En Guadeloupe et en Martinique, dans le prolongement de la déclaration de Basse-Terre signée le 1er décembre 1999 par les trois présidents de conseil régional de Guyane (Antoine Karam), Guadeloupe (Lucette Michaux-Chevry) et Martinique (Alfred Marie-Jeanne) qui demandaient la création de collectivités autonomes, des consultations ont été organisées le 7 décembre 2003. Les électeurs martiniquais ont repoussé à une très courte majorité (50,5%) un projet de collectivité unique restant dans le cadre d’un régime d’identité législative avec l’hexagone et, en Guadeloupe, le même projet a été rejeté à une très forte majorité (75%) sous l’impulsion du député Victorin LUREL, qui contestait principalement le mode de scrutin et qui, trois mois plus tard, devenait président du conseil régional.

Simultanément, les électeurs des communes de Saint-Barthélemy (à 95,5 %) et de Saint-Martin (à 76,2 %) votaient en faveur du détachement de ces communes de la Guadeloupe et de la création de collectivités relevant d’un régime de spécialité législative. La loi organique du 21 février 2007 a créé ces collectivités.

Ce n’est qu’en 2007 que les discussions ont repris en Guyane et en Martinique et, en 2009, en Guadeloupe, La Réunion se tenant toujours à l’écart de ces évolutions.

Malgré l’échec des discussions en Guyane et le refus des électeurs exprimé fin 2003 en Martinique, les élus de ces deux territoires ont persisté à réclamer un changement à la fois statutaire (passage du régime d’identité législative de l’article 73 de la Constitution au régime de spécialité législative ou d’autonomie de l’article 74) et institutionnel (fusion du département et de la région). En 2009, les congrès des élus de Guyane et de Martinique ont approuvé ces changements à une forte majorité, ouvrant la voie à la réforme actuelle.

Les élus de Guadeloupe quant à eux n’ont pas souhaité la même évolution. La gauche, très majoritaire au congrès, semblait davantage s’orienter vers une proposition d’assemblée commune au département et à la région, collectivités qui auraient été maintenues, à la différence de la Guyane et de la Martinique où elles seront supprimées au profit de la collectivité unique. Toutefois, le Gouvernement et le Parlement ayant inclus, sans aucune concertation avec les élus, la Guadeloupe et La Réunion dans le champ d’application de la loi de réforme des collectivités territoriales du 16 décembre 2010, le congrès des élus de Guadeloupe, le 28 décembre 2010, a pris acte de l’application de la loi à la Guadeloupe qui y crée de fait une assemblée unique (le conseil général et le conseil régional devenant en 2014 composés des mêmes élus). Le congrès des élus de Guadeloupe a néanmoins demandé à une très forte majorité des adaptations tenant au mode de scrutin et au nombre de sièges et sur lesquelles le Président de la République devrait se prononcer le 14 février prochain.

Quant à La Réunion où le congrès n’existe pas et qui ne s’est donc pas prononcé, il semble que certains de ses principaux élus seraient intéressés par les mesures d’adaptation demandées par la Guadeloupe.
 

2 – Une complexite inévitable qui impose des obligations fortes à l’État

2. 1 – À chaque collectivite d’outre-mer son statut particulier

La vieille distinction DOM d’un côté et TOM de l’autre avait déjà vécu quand la révision constitutionnelle de 2003 a distingué les collectivités de l’article 73 (régions, départements et collectivités uniques s’y substituant) régies par le principe de l’identité législative et les COM de l’article 74 régies, à des degrés divers, par le principe de la spécialité législative, la Nouvelle Calédonie se trouvant déjà à part.

Aujourd’hui, chaque collectivité située outre-mer est singulière au regard de la combinaison de son statut, de son régime législatif et de ses institutions. Un panorama global mérite d’être dressé.

  • La Guadeloupe sera régie par le droit commun créé par la récente loi de réforme des collectivités territoriales (avec peut-être quelques adaptations), sauf si la gauche décidait, en 2012, de revenir sur cette loi dont les premiers effets sont prévus pour 2014.
  • La Guyane et la Martinique devraient être dotées chacune d’une collectivité unique se substituant au département et à la région.
  • La Réunion pourrait s’orienter vers les mêmes institutions que celles demandées par la Guadeloupe à la différence que La Réunion ne dispose pas, contrairement à la Guadeloupe, la Guyane ou la Martinique, de la possibilité constitutionnelle d’être habilitée par le Parlement ou par le Gouvernement à fixer sur son territoire, dans un nombre limité de domaines, des règles relevant du domaine de la loi ou de celui du règlement.
  • Mayotte dont le dernier statut date de la loi du 11 juillet 2001 (modifié par la loi organique du 21 février 2007), devrait passer, en 2011, du régime de COM de l’article 74 à celui de collectivité unique de l’article 73 dotée des compétences du département et de la région, ainsi que ses électeurs en ont décidé à 95,2 % lors de la consultation du 29 mars 2009. Ses institutions seront plus proches de celles de la Guyane, le président de l’assemblée étant également exécutif de la collectivité, ainsi que l’a établi la loi du 7 décembre 2010.
  • Saint-Barthélemy et Saint-Martin sont devenus, avec la loi organique du 21 février 2007, des collectivités régies par l’article 74, après leur séparation de la Guadeloupe approuvée par les électeurs en décembre 2003
  • Saint-Pierre-et-Miquelon dispose aujourd’hui d’un statut de COM spécifique (loi organique du 21 février 2007).
  • La Polynésie française est classée constitutionnellement dans les COM de l’article 74, même si la loi organique du 27 février 2004 fixant son statut la qualifie de Pays d’Outre-Mer (POM). Elle dispose d’un régime de forte autonomie.
  • Les îles Wallis-et-Futuna relèvent de la catégorie des COM et leur statut, qui date de la loi du 29 juillet 1961 et réserve un rôle important aux autorités traditionnelles, n’a jamais fait l’objet d’une tentative aboutie de modernisation.
  • La Nouvelle-Calédonie dispose, depuis la révision constitutionnelle du 20 juillet 1998, d’un régime de forte autonomie consacré par le titre XIII de la Constitution qui prévoit explicitement un accès éventuel à la pleine souveraineté.
  • Les Terres Australes et Antarctiques Françaises (TAAF) qui incluent, depuis la loi du 21 février 2007, les îles éparses de l’océan indien (Bassas da India, Europa, les Glorieuses, Juan de Nova et Tromelin) ont un statut à part adapté à leurs particularités (absence de tout habitant permanent). Quant à l’îlot de Clipperton, il est administré directement par le Gouvernement.

2. 2 – Une complexite qui impose de fortes obligations à l’État

2. 2. 1 – Un pouvoir de substitution a utiliser à bon escient

Face à cette situation inédite dans l’histoire de la République, le projet de loi élargit à toutes les collectivités relevant de l’article 73 de la Constitution, c’est-à-dire dans les deux DOM qui resteront (Guadeloupe et Réunion) et dans les trois collectivités à assemblée unique (Guyane, Martinique et Mayotte), un pouvoir de substitution spécial dont le préfet dispose déjà dans certaines collectivités. Il est prévu que ce pouvoir pourra s’exercer lorsque l’abstention des autorités locales risquera de compromettre le fonctionnement des services publics et l’application des lois.

Le droit français connaît plusieurs mécanismes de substitution de l’Etat aux collectivités territoriales passives, en matière de police municipale ou, plus largement, dans certaines collectivités d’outre-mer (Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon). Il reste que ce pouvoir doit être défini de manière suffisamment précise pour ne pas porter atteinte à la libre administration des collectivités territoriales et s’appliquer de manière homogène sur l’ensemble de la République.

2. 2. 2 – Le necessaire respect par l’État des garanties démocratiques fixées par la constitution

La révision constitutionnelle de 2003 a fixé des garanties démocratiques en faveur des populations d’outre-mer en subordonnant au consentement de leurs électeurs certains changements statutaires ou institutionnels majeurs :

  • L’article 72–4 de la Constitution prévoit que le passage d’un régime législatif à l’autre (articles 73 et 74) ne peut intervenir sans le consentement des électeurs ;
  • Quant à l’article 73, il prévoit dans son dernier alinéa que la création par la loi d’une collectivité se substituant à un département et à une région d’outre-mer ou l’institution d’une assemblée délibérante unique pour ces deux collectivités ne peut intervenir sans le consentement des électeurs.

Pour Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Mayotte, la Guyane et la Martinique, le Gouvernement a respecté cette obligation. Pour la Guadeloupe et La Réunion, l’application de la loi de réforme des collectivités territoriales qui, de fait, crée sur ces territoires une assemblée unique (identité de représentants élus pour administrer d’une part la région, d’autre part le département), n’a pas donné lieu à la consultation des électeurs, alors que l’article 73 (6e alinéa) prévoit une telle consultation pour « l’institution d’une assemblée délibérante unique » pour la région et le département. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 9 décembre 2010, a validé sur des bases difficilement compréhensibles juridiquement cette absence de consultation au motif qu’une assemblée commune n’est pas une assemblée unique. Il s’agit d’un recul inquiétant par rapport aux garanties incluses dans la Constitution.

Le Gouvernement devrait aller plus loin. L’institution d’assemblées uniques, en Guyane et en Martinique en particulier, et la disparition de fait d’une répartition du pouvoir entre différentes collectivités, fait courir le risque d’une concentration excessive des responsabilités entre les mêmes mains. Une réflexion devrait s’engager avec les élus pour trouver des réponses originales et modernes à cette difficulté. En matière de contrôle de légalité, de passation des marchés, de diffusion de l’information par les médias audio-visuels, l’Etat doit, avec les élus, rechercher les outils permettant de garantir une administration efficace et juste.

2. 2. 3 – Les risques d’une instrumentation par l’État des questions statutaires et institutionnelles de l’outre-mer

L’histoire des outre-mers montre que les questions statutaires et institutionnelles y sont particulièrement sensibles. Sans remonter aux épisodes tragiques de la fin des années 1980 en Nouvelle-Calédonie, on peut noter par exemple les résultats calamiteux des alliances contre nature du Gouvernement avec des mouvements extrémistes, lors des événements de Guadeloupe de début 2009.

Le risque existe toujours : en voulant précipiter la mise en place, dès 2012, des collectivités uniques de Guyane et de Martinique pour améliorer son bilan avant les présidentielles ou pour déstabiliser certains adversaires politiques, la droite risque, une fois de plus, de se prendre les pieds dans le tapis institutionnel de l’outre-mer.

De même si le Président de la République, par suite de calculs politiciens et après avoir manqué à sa parole en engageant une réforme en Guadeloupe avant fin janvier 2011, ne prenait pas en compte les adaptations, modestes, demandées par les élus guadeloupéens à la loi de réforme territoriale (adaptation nécessaire du mode de scrutin au cas particulier d’une région monodépartementale par exemple), il affaiblirait le camp des républicains au profit des extrémistes.

2. 2. 4 – Pour un ministère de l’outre-mer fort et impartial et la diffusion d’une culture de l’outre-mer dans les principaux ministères

La diversité des statuts et des institutions a progressivement rendu beaucoup plus complexe la gestion juridique des outre-mers. Cette gestion requiert aujourd’hui une véritable expertise. Le risque existe – et se réalise très souvent – de rendre applicable des textes dans certaines collectivités sans aucune adaptation ou au contraire, faute de mentions d’extension, de laisser de côté certaines parties du territoire national. Des droits à plusieurs vitesses ont ainsi été créés, rendant l’accès à la règle quasi-impossible pour le citoyen, pour l’investisseur, pour le praticien, voire pour les professionnels du droit.

Pour que les outre-mers et leurs spécificités soient véritablement pris en compte de manière satisfaisante, il convient de doter le ministère de l’outre-mer de capacités humaines d’expertise suffisantes et de le confier à une personnalité au poids politique incontestable. Le démantèlement (réduction d’un tiers des effectifs) du ministère dans le cadre de la RGPP conduit à s’interroger, au moins, sur le respect de la première condition.

Cette complexité exige enfin que les principaux ministères soient dotés d’une cellule « outre-mer » chargée de veiller à ce que les problématiques ultramarines soient bien prises en compte par les services et par le cabinet de leur ministre. Ces « bureaux miroirs » assureraient un travail en commun efficace, dans l’intérêt général.
 

Conclusion

Huit ans après la révision constitutionnelle de 2003 qui a marqué une étape importante dans l’histoire des outre-mers français, les lois en préparation achèveront un long processus qui a doté chaque collectivité d’un statut sur-mesure, très loin du “prêt-à-porter institutionnel” qui existait jusqu’à la fin des années 2000. Ce mouvement est conforme aux souhaits des populations qui ont été consultées, à la seule et regrettable exception des Guadeloupéens et des Réunionnais en 2010, et il y a lieu de le saluer.

Le risque existe toutefois que l’Etat ne soit pas à la hauteur de cette évolution historique. Concéder aux élus ultra-marins les institutions qu’ils souhaitent est une chose ; les accompagner dans la vie démocratique et dans la construction de projets pour leurs collectivités en est une autre. Les questions institutionnelles passionnent élus et juristes ; elles n’en constituent pas moins un enjeu secondaire pour les populations. La faiblesse du ministère de l’outre-mer est à cet égard préoccupante. La satisfaction donnée aux aspirations démocratiques des outre-mers ne doit pas être la manifestation confortable d’un abandon. 

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