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Note

Quel avenir pour l’impôt local ? Quel financement des services publics locaux ?

Que devient la « libre administration » des collectivités locales si celles-ci ne disposent plus de ressources autonomes ? Autant pour des raisons de solidarité locale que pour mener des projets de développement territoriaux, les élus locaux n’ont-ils pas besoin de retrouver un pouvoir fiscal ?

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Introduction

La fiscalité locale représente plus de la moitié des ressources de fonctionnement des collectivités du bloc communal, communes et intercommunalités. Elle joue à ce titre un rôle déterminant dans le financement des services et des équipements publics locaux ainsi qu’en matière d’investissement local. Pour autant elle semble aujourd’hui menacée.

Notre système fiscal local est vieillissant, à bout de souffle disent certain. Il ne reste finalement plus grand-chose des fameuses « 4 vieilles »[1] fondatrices du système fiscal local et supposé être le fruit du développement des territoires.

De fait, cette fiscalité a connu au cours des vingt dernières années de nombreux bouleversements et transformations : suppression de certains impôts et taxes (la taxe professionnelle en 2010 et plus récemment la taxe d’habitation et la cotisation sur la valeur ajouté pour les entreprises), évolution radicale des assiettes fiscales, modifications dans l’affectation des recettes entre collectivités bénéficiaires, multiplication des mesures d’exonération érodant régulièrement le contenu du panier de ressources…

Progressivement le modèle de la fiscalité locale s’efface au profit d’une fiscalité nationale affectée plus distanciée des réalités urbaines et économiques. Faut-il s’en satisfaire ?

Le nouveau panier fiscal des collectivités, quasi nationalisé, est-il en mesure de financer plus surement les attentes croissantes en direction des collectivités dans de nombreux domaines allant des objectifs prioritaires en matière de transition écologique et énergique, en passant par les réponses à apporter à la crise du logement et les enjeux de réindustrialisation des territoires ?

Est-il plus efficace et plus juste pour faire fonctionner les services publics locaux et assurer leur transformation en lien avec l’évolution des modes de vie des habitants mais aussi de tous les usagers d’un territoire : contribuables vivant dans une agglomération et travaillant dans un autre ? Cela envoie-t-il un message clair aux ménages consommateurs des services publics ? Ce nouveau panier fiscal est-il en mesure de prendre en compte et de s’adapter à la diversité du tissu local ? Permet-il aux élus d’être en situation de responsabilité ? Peut-il enfin inciter les collectivités à poursuivre leur développement, construire des logements et accueillir de nouveaux habitants et de nouvelles entreprises ?

A l’heure ou la fiscalité locale semble remise en cause, cette note à vocation à interroger son rôle et sa réelle capacité à accompagner les collectivités dans le financement des services publics locaux et ses évolutions. Si tous les niveaux de collectivités sont concernés, les collectivités du bloc local, communes et intercommunalité, organisatrices des services de proximité et acteurs clés des investissements nécessaires pour la transition et l’adaptation des territoires, sont ici en première ligne. A ce titre, elles sont placées au centre de notre réflexion.

Ce travail entend en pointer les forces et les faiblesses du système actuel et mettre en débat des pistes de réflexion en vue d’une remise à plat ambitieuse. Elle souhaite aussi dans cette perspective proposer une alternative opérationnelle pour renouer un lien entre la fiscalité locale et les acteurs de proximité -les ménages et les entreprises- premiers bénéficiaires des politiques conduites par les collectivités.

1. Une fiscalité locale à bout de souffle

Les services publics locaux comprennent un vaste ensemble de prestations et d’actions organisées et pilotées principalement par les collectivités du secteur communal, les communes et leur intercommunalité.

En 2022, ces acteurs ont dépensé 150 milliards d’euros[2] pour financer les services dont elles ont la charge, assurer leur fonctionnement, payer l’entretien des équipements de proximité mis à la disposition des ménages, pourvoir au développement de leur territoire et financer la charge de leur dette…

De façon très schématique, trois enveloppes de ressources sont mobilisées par les communes et les intercommunalités pour financer ces actions : les recettes tarifaires payées par les usagers, les dotations de l’État et la fiscalité locale. Au fil des années, l’architecture de cet ensemble de ressources et leur poids respectif s’est progressivement modifié. Les concours de l’État après la coupe franche opérée entre 2014 et 2017 ne représentent plus que 20 % de cet ensemble contre 27 % il y a dix ans. Corrélativement, le poids de la fiscalité locale, prise dans son ensemble, a progressé passant de 58 % en 2013 à 63 % en 2022.

C’est dire l’importance de cette dernière, encore plus que pour les autres niveaux de collectivités, dans le financement des actions locales. 

Sans entrer dans des détails, ces recettes fiscales regroupent un ensemble hétéroclite composé de taxes aux assiettes fiscales actives, c’est-à-dire de fiscalités dont les assiettes sont encore calculées et actualisées comme la taxe sur le foncier bâti par exemple, mais également de fiscalités compensatoires en lien avec des taxes anciennes et transformées en dotations ou compensations fiscales[3].

Les griefs concernant cette fiscalité locale sont nombreux : la lente érosion des assiettes fiscales et leur obsolescence réduisant fortement le pouvoir de taux et, ce faisant, l’autonomie fiscale des collectivités ; la sédimentation des différents dispositifs de compensation pour donner suite à la suppression de diverses taxes opérant une translation de la fiscalité locale vers une fiscalité nationale partagée, la complexité toujours croissante du système fiscal de moins en moins compris et donc accepté par les contribuables…

Le constat d’une fiscalité locale à bout de souffle est unanime. L’expression est d’ailleurs devenue monnaie courante lorsqu’il s’agit d’évoquer la situation de notre système fiscal local. On assiste en effet depuis quelques années à un véritable démembrement, pièce par pièce, de cette fiscalité qui a pourtant accompagné le développement des collectivités du bloc communal par le passé.

a. Une fiscalité locale… de moins en moins locale

Au cours des quarante dernières années, la fiscalité locale a progressivement changé de visage.

La taxe professionnelle sera la première à être sacrifiée en 2010[4], déjà au nom de la compétitivité des entreprises. Il est vrai qu’elle pesait de façon importante sur les entreprises du secteur industriel, en raison de son assiette portant (depuis la suppression de la part sur les salaires en 2003) principalement sur les immobilisations (les machines, les outils…). Mais au lieu d’imaginer de mieux répartir la charge de l’impôt sur les différents secteurs d’activité, le législateur a préféré transformer la taxe professionnelle en un assemblage de différents impôts, fragilisant la participation des entreprises au développement local.

Pour autant, c’est bien la taxe professionnelle et son assiette fiscale dynamique qui a permis l’essor de l’intercommunalité. Le principe était simple et efficace : spécialisation et mise en commun de la fiscalité économique à l’échelle de l’intercommunalité chargée de supprimer la concurrence fiscale entre communes et de prendre en charge le développement économique local.  En échange les communes retrouvaient sous forme d’une compensation figée[5] le produit de TP transféré, tandis que sa croissance, plutôt dynamique dans les années 2000, allait financer les structures intercommunales et leurs nouvelles compétences.

La suppression de la taxe professionnelle donnera lieu à différents dispositifs de compensation, dont certains perdurent aujourd’hui. Ils avaient pour vocation de maintenir pour chaque intercommunalité le même niveau de ressources avant et après la réforme. Mais qui en a gardé la mémoire ?

Cette première amputation du panier fiscal local, sera suivie d’autres (dégrèvements sur la taxe d’habitation, plafonnement à la valeur ajoutée dont bénéficient certaines entreprises, réduction de moitié de la valeur locative des locaux industriels réduisant de 20 % la fiscalité économique, multiplication de mesures d’abattements et d’exonérations érodant régulièrement l’ensemble…), avec quelques faits très marquants : la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales à partir de 2018 qui s’étale jusqu’en 2023, et plus récemment celle de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises[6] (CVAE), ces deux impositions sont désormais remplacées par une fraction du produit de la TVA nationale sans possibilité pour les exécutifs locaux d’en moduler le taux. 

De réformes en ajustements répétés, le panier fiscal des collectivités s’est profondément transformé, perdant au passage son caractère local, et basculant de plus en plus vers une fiscalité nationalisée.

b. La lente érosion de l’autonomie fiscale des collectivités

Un mouvement lent et continue d’érosion des assiettes fiscales a accompagné ces suppressions de pans entiers de la fiscalité locale.

Soucieux, de mettre en œuvre sa politique de l’emploi, du développement économique et sa politique sociale, l’État a fréquemment utilisé la fiscalité des collectivités locales pour alléger les prélèvements portant sur certaines catégories de contribuables, ménages modestes, entreprises soumises à la concurrence internationale….Les dispositifs de compensation se sont ainsi multipliés au cours des dernières années et ont contribué, à l’exception notable de la nouvelle fraction de TVA, à « fossiliser » les recettes des collectivités, réduisant fortement leur évolution et le pouvoir de taux local.

La non-révision des valeurs locatives, qui servent de base de calcul des assiettes fiscales, contribue également à réduire la vocation territoriale des impôts locaux et l’autonomie fiscale des exécutifs locaux. Dans leur conception initiale, les valeurs locatives sont supposées être représentatives des marchés locatifs dans lequel se situent les biens taxés. On connait l’histoire. Les valeurs de référence établies en 1970 n’ont jamais été révisées, mais simplement actualisées à l’aide de coefficients forfaitaires. Entre temps la valeur des marchés immobiliers et leur hiérarchie s’est transformée, creusant des écarts. Il est ainsi fréquent que des logements situés dans des centres ville attractifs aient une valeur locative au m2 plus faible que des logements plus récents situés à la périphérie. On assiste ainsi à une forme d’inversion des valeurs fiscales, qui a poussé certaines collectivités, notamment celles à faible potentiel fiscal, à voter des taux plus élevés pour compenser.

Bien que le consensus soit désormais acquis pour engager la révision, la dernière loi de finances (2023) l’a reporté à 2026, alors qu’elle avait pourtant validée deux années auparavant…par les parlementaires. Il faut reconnaitre que la forte distorsion entre les valeurs pratiquées sur les feuilles d’impôts et la réalité des marchés locatifs peut faire douter les meilleurs soutiens. Cette révision nécessitera dans tous les cas la mise en place de mesures d’étalement dans le temps pour rendre l’impôt foncier supportable.

Une révision des valeurs locatives des locaux commerciaux a, elle, bien été mise en œuvre en 2017. Toutefois l’actualisation prévue des grilles de loyers de référence est aujourd’hui remise en cause et bloquée par la dernière loi de finances.

Ces phénomènes génèrent une altération de l’autonomie fiscale des collectivités. En outre, elle n’a en rien été protégée par la révision constitutionnelle de 2003[7], qui ne concerne que l’autonomie financière et ce dans une définition trop large en matière de ressources propres n’apportant pas de protection suffisante sur la dynamique d’érosion des impôts locaux.  

c. Un impôt local en perte de légitimité

Moins connecté avec le territoire, ayant subi de multiples transformations, l’impôt local s’est considérablement complexifié. Ce manque de clarté et de transparence nuit également à une bonne acceptation par le citoyen contribuable.

Citons, à titre d’exemple, le mécanisme complexe d’écrêtement présidant au transfert du produit du foncier départemental en remplacement de la taxe d’habitation[8]. Difficile d’expliquer à certains contribuables que la cotisation qu’ils ont payé dans leur commune de résidence, va désormais servir aussi à d’autres collectivités.

Autre « bizarrerie » en lien avec la réforme de la taxe d’habitation : si elle disparait pour les résidences principales, elle demeure pour les résidences secondaires, cette part n’étant pas supprimée. Il ne s’agit pas ici de mettre en doute le bienfondé de la double imposition des contribuables bénéficiant de deux résidences, mais de pointer les incohérences d’un système fiscal résiduel à la suite de la suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales. Il en résulte par ailleurs une certaine inégalité fiscale au profit des communes touristiques accueillant un parc conséquent de résidences secondaires.

Notons au passage que la transformation d’une résidence principale dont l’ancien produit de TH aura été compensé par de la TVA nationale, en résidence secondaire est devenue bénéfique pour la commune d’accueil en générant une contribution supplémentaire au titre de la taxe d’habitation[9]. A l’inverse, une résidence secondaire, en devenant principale, fait perdre à la collectivité une ressource fiscale qui elle ne sera pas compensée puisque la TH n’existe plus. S’il parait tout à fait légitime que les résidences secondaires participent au financement des services, ce maintien d’une exception à la suppression de la taxe d’habitation est en elle-même un aveu de faiblesse du système fiscal. Elle ne règle pas non plus la difficile question du développement parfois anarchique des résidences secondaires, le poids de cet impôt pesant peu pour des propriétaires au revenu souvent confortable.

d. Finalement quel rôle pour la fiscalité locale dans le financement des services publics locaux ?

On ne peut aujourd’hui que constater la grande fragilité d’une fiscalité locale constamment remaniée, concurrencée par des impôts nationaux ou des fiscalités émergentes (fiscalité verte par exemple) plus attachées à orienter les comportements qu’à financer la solidarité au sein des territoires.

Notre système fiscal local est donc bien à bout de souffle. De plus en plus administré, il ne semble plus en mesure de répondre efficacement aux enjeux auxquels sont confrontés les territoires, notamment en matière de transition écologique et énergétique.

Une réforme d’ampleur s’impose pour le repenser et renouer le lien avec les territoires.

Un panorama simplifié des ressources des collectivités du bloc communal

Les communes disposent par la loi d’une clause générale de compétences leur permettant d’intervenir dans de nombreux domaines afin de répondre à l’intérêt général et aux besoins des ménages qu’elles accueillent sur leur territoire.

Dans la pratique, les services mis en œuvre couvrent un large éventail. Certains relèvent de compétences obligatoires, comme la gestion des écoles et du temps scolaire, le logement, l’aide sociale au travers des centres d’action sociale, les services de distribution de l’eau potable, la gestion de l’assainissement, des déchets, l’entretien de la voirie, la création et la gestion d’équipements de proximité en faveur de la culture, du sport… Elles assurent également l‘organisation et le bon déroulement de la vie locale et sociale. Au sein du bloc communal, ces compétences et domaines d’intervention sont partagés entre communes et intercommunalités en fonction des accords passés entre exécutifs locaux, avec une très grande variété de situations.

Compte tenu de l’importance de ces services, les dépenses des collectivités du bloc local sont principalement composées de charges de fonctionnement (105 Mds d’euros en 2022). Elles occupent cependant une place importante en matière d‘investissement puisqu’elles concentrent à leur niveau plus de la moitié (59%)[10] de l’investissement pris en charge par l’ensemble des collectivités publiques locales.

Pour financer l’ensemble de ces services, les collectivités du bloc communal disposent d’un panier de ressources de différentes natures.

Schématiquement, trois types de ressources viennent alimenter les budgets locaux au niveau de leur fonctionnement : les recettes tarifaires, les dotations et compensations versées par l’État aux collectivités et les impôts et taxes au sein desquels se trouve la fiscalité locale. Notons, par ailleurs que les excédents dégagés sur les charges de fonctionnement serviront à financer une partie de l’investissement, c’est la fameuse notion d’autofinancement indissociable de toute politique d’équipement.

Les recettes tarifaires, redevances et produits du domaine, en lien avec l’offre de services aux usagers et l’exploitation par la collectivité de son patrimoine (services scolaires et périscolaire, recettes tarifaires liées au transport, à la culture et aux sports et loisirs…, redevances versées par les fermiers et concessionnaires, revenus des immeubles, droits de stationnement…) représentent en moyenne 8 % des recettes de fonctionnement (13% en intégrant les budgets annexes). Relativement stables, elles ont connu un réel affaissement au cours de la crise sanitaire[11]. Ces recettes en provenance des ménages, qui jouent un rôle essentiel pour les faire participer au financement de l’action publique, ne couvrent cependant que très partiellement[12] le coût des services offerts qui est complété par d’autres ressources locales. A ce titre, la prise en charge par la collectivité d’une large partie du coût des services publics dits « de base » mis à la disposition des ménages relève de sa mission de service public. Il va sans dire que le périmètre de ces services évolue considérablement d’un territoire à l’autre selon ses besoins, son contexte social et économique, et ses choix politiques.

Les dotations versées par l’État aux collectivités du bloc local constituent le second ensemble. Elles représentent en moyenne 15 % de leurs recettes de fonctionnement, ce poids étant très variable d’une collectivité à l’autre. Elles sont composées de plusieurs enveloppes dont certaines ont une vocation péréquatrice dont la performance est aujourd’hui critiquée. Elles ont subi une forte érosion entre 2013 et 2017 (réduction de plus de 20% de leur volume) lorsque les collectivités ont été appelées à participer au financement de la réduction du déficit public par une ponction sur les dotations perçues.

Le troisième ensemble est composé d’une part des impôts locaux proprement dit, ce qu’il reste de nos fameuses « quatre vieilles » (55,1 Mds d’euros) et, d’autre part, de différentes taxes, dont certaines sont affectées à des services publics en particulier la gestion de déchets (TEOM), la prévention des inondations (Gemapi), la participation aux opérations de d’aménagement (TA). Plus récemment sont venus s’y ajouter la fraction de TVA nationale (9,0 Mds d’euros) que l’État partage désormais avec les collectivités en remplacement de la taxe d’habitation, et plus récemment de la CVAE.

Il convient de compléter cet ensemble hétéroclite de dotations de compensation fiscales versées par l’État, qui pour nombre d’entre elles, correspondent à d’anciennes taxes locales transformées et que l’État reverse aux collectivités sous forme de montants figés, voire amoindris.

Graphique : Recette de fonctionnement communes et intercommunalité en Mds (2011)

2. Refonder une fiscalité locale

Il peut paraitre paradoxal de vouloir refonder un impôt local alors que l’encre des dernières réformes supprimant successivement la taxe d’habitation et la CVAE est à peine sèche.

Nous estimons cependant qu’il faut résolument sortir des ajustements et « bricolages » de court terme et repenser plus globalement le système fiscal des collectivités du bloc local, communes et intercommunalités.

A ce jour, les réformes fiscales n’ont jamais eu pour finalité d’être au service des collectivités locales. Elles ont été largement conçues et surtout utilisées comme un outil de politique nationale, visant des intérêts catégoriels le plus souvent au travers d’allégements fiscaux, avec une concertation minimaliste.

Et une difficulté réelle pour l’État pour appréhender les effets pour les collectivités. En outre, les outils d’évaluation de ces politiques publiques sont rarement au rendez-vous, leur portée est faible et leurs résultats sont très peu mis en débat. Dans les concertations avec les représentants des collectivités lors d’une transformation de taxes locales, l’approche se limite bien souvent à mesurer le nombre de « gagnants et de perdants », sans se préoccuper des enjeux locaux.

Il s’agit donc ici de renverser la logique et de se placer du côté des territoires, de partir de la dimension locale trop souvent intégrée dans les réformes comme une contrainte et non comme un point de départ. En ignorant les collectivités, on tourne le dos à la question pourtant essentielle du financement des services publics locaux. Il s’agit aussi de mieux connecter la fiscalité avec les usages et leurs évolutions.

Plusieurs arguments plaident en faveur de la refondation d’une fiscalité locale.

a. Retrouver une cohérence entre projet de territoire et produit fiscal 

La territorialisation de l’impôt local est un point central de sa constitution[13]. Elle prend sa source dans notre histoire nationale, au moment de la Révolution française et de la volonté des Constituants de mettre en place des assiettes localisables, homogènes et visant avant tout les biens immobiliers[14]. C’est l’origine de la valeur locative qui sert encore aujourd’hui de base de calcul à de nombreuses assiettes fiscales[15]. C’est la création de l’impôt qui motivera largement la constitution organisée du cadastre, colonne vertébrale de notre code l’urbanisme.

A ce titre, la fiscalité locale est supposée refléter les réalisés économiques et urbaines des territoires.

Le principe d’un « retour fiscal » a accompagné les maires bâtisseurs et des élus développeurs de leur territoire. Ainsi les dynamiques de développement local sont le plus souvent favorables à la croissance des bases : les nouveaux logements sont supposés produire une ressource fiscale nouvelle qui financera les équipements répondant aux besoins des nouveaux habitants. En matière économique, c’est encore la perspective d’un retour fiscal qui conduit les collectivités à accueillir des entreprises sur leur territoire.

En perdant son caractère local, c’est aussi le rôle « d’aménageur du territoire » de la fiscalité qui disparait. Certes l’apport d’une ressource fiscale supplémentaire ne constitue pas l’objectif unique des collectivités ; le développement de l’emploi, le besoin de diversifier le tissu économique, d’assurer la fluidité des parcours résidentiels… sont des motivations bien réelles. Toutefois la question se pose pour les entreprises dont l’accueil peut donner lieu à des effets négatifs : pollutions diverses, circulation routière importante, consommation foncière élevée…Les communes et leur intercommunalité devront trouver d’autres arguments que le rendement fiscal pour convaincre les habitants d’un quartier à les accueillir.

Renouer le lien entre territoire et fiscalité doit aussi être l’occasion, pour les exécutifs locaux, de mieux définir leur projet de développement et sa mise en œuvre partagée au sein du bloc local. Deux questions mériteraient ici d’être approfondies, celle de l’échelle de perception de cette fiscalité et celle   de la péréquation notamment en raison de l’inégale répartition géographique des assiettes.

b. Donner du sens à la démocratie locale

Le caractère local de la fiscalité accompagne le principe d’autonomie fiscale et de responsabilité fiscale des exécutifs locaux.

Ce principe implique que l’assiette de l’impôt soit localisable sur un territoire déterminé, que les bases imposables soient réparties de manière relativement homogène et que les collectivités disposent d’une capacité de modulation de l’impôt via un levier fiscal. 

Il concrétise aussi l’idée d’un lien fort et intime entre démocratie locale et fiscalité, lien qui s’établit entre une collectivité qui fournit équipements et services et des habitants, personnes physiques ou personnes morales, qui en bénéficient.

En vertu de ce principe, la fiscalité locale est porteuse de la volonté initiée par les grandes lois de décentralisation d’établir une connexion entre le développement économique et urbain des territoires et les ressources mobilisées pour le financer. Plusieurs leviers sont ainsi à la disposition des exécutifs locaux pour maintenir ou accroitre le rendement de l’impôt en vue de financer les charges locales : conduire des politiques attractives motivant l’installation de nouveaux habitants ou l’arrivée de nouvelles entreprises, donc de nouveaux contribuables.

S’il est tout à fait légitime que les grandes orientations de l’action publique, en matière de cohésion sociale, de développement urbain, d’environnement, de logement, d’enseignement, de santé… soient définies au niveau national, leur déclinaison est nécessairement locale. Un impôt local a ainsi vocation à responsabiliser les exécutifs locaux dans la façon dont ils mettent en œuvre leurs politiques et dont ils intègrent avec plus ou moins d’intensité, les attentes des ménages.

Ainsi, si les objectifs de lutte contre le réchauffement climatique reposent sur un cadre national, dans la pratique, leur mise en œuvre sera principalement assurée par les collectivités locales. La suppression de la taxe d’habitation a créé un éloignement peu favorable à l’implication des ménages. Le paiement d’un impôt implique à minima pour les contribuables de se sentir concerné. Les révolutionnaires de 1789 ne s’y étaient pas trompés en préférant le terme de contribution à celui de fiscalité.

Enfin, il ne faut pas oublier le caractère « universel » de l’impôt local. Par définition, et sauf situation particulière, il est supposé s’adresser à tous les contribuables d’un territoire, sans contrepartie. La fiscalité locale n’est pas une ressource affectée, elle finance l’ensemble des charges de fonctionnement de la collectivité quelle que soit pour le contribuable l’intensité du recours aux services proposés. A ce titre, la fiscalité locale est un vecteur fort de solidarité. D’autant que plusieurs dispositifs d’atténuation ou de dégrèvement prennent en compte la capacité contributive du contribuable.

c. Être à la hauteur des nouveaux enjeux en matière de transition écologique et énergétique

Les impôts locaux s’inscrivent, plus que les autres catégories de recettes (les recettes tarifaires sont limitées et les dotations de l’État contingentées), dans une logique de rendement. Récemment plusieurs notes d’expertise ont été publiées pour donner un premier chiffrage concernant la transition écologique et énergétique[16]. Elles évoquent la nécessité de doubler le niveau actuel des dépenses d’investissement des collectivités du bloc communal qui en seront les acteurs essentiels.

Les ressources des collectivités sont de ce fait appelées à jouer un rôle déterminant dans le financement de ces évolutions. Elles devront être en mesure non seulement de prendre en charge le poids des dépenses structurelles existantes mais également d’accompagner leur évolution (engagement de personnels spécialisés dans les nouveaux métiers, charges d’ingénierie…), mais également la masse d’investissements nouveaux qu’il faut bien intégrer, rénovation thermique des bâtiments et des logements, mise en œuvre de nouvelles mobilités, compacité des tissus urbains, équipements en faveur de l’environnement…

Les collectivités vont donc avoir besoin de disposer de ressources stables et prévisibles reposant sur un stock solide et bien corrélé à l’évolution économique.

La question de la visibilité à court et moyen terme est une condition essentielle pour libérer l’investissement local. Le délitement entre le rendement de la fiscalité et son lien avec le territoire (opérations d’aménagement, installation de nouveaux ménages et d’entreprises…), le changement permanent des règles du jeu ne va pas dans ce sens. Au contraire, il crée un risque d’immobilisme en raison d’un sentiment de dépendance vis-à-vis d’une assiette qui n’est plus maitrisable par les collectivités.

La nouvelle fraction de TVA connait, actuellement du fait de la bonne situation de l’économie nationale et de la hausse de l’inflation, des taux de croissance très favorables. Elle est appelée à jouer un rôle important dans le financement des investissements à venir. Toutefois, exposée à des risques de retournement de la conjoncture, elle ne doit pas être l’unique ressource fiscale des collectivités.

d. Sortir de la situation de dépendance financière vis-à-vis de l’État.

L’érosion continue des assiettes fiscales a rendu les collectivités très dépendantes des compensations versées par l’État en remplacement de fiscalités supprimées ou transformées. La multiplication de ces dispositifs a donné lieu à un véritable « maquis fiscal », ou il est bien difficile même pour les experts les plus chevronnés, d’identifier le fait générateur historique de certaines compensations.

Selon les travaux de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locale[17], les exonérations législatives représentaient en 2016 un « équivalent produit fiscal » de 4,2 Mds d’euros, compensé à hauteur de 1,6 Mds d’euros par l’État, soit une différence à la charge des collectivités de 2,5 Mds d’euros, soit un « taux de compensation » pour l’ensemble des exonérations de 39 % en moyenne.

En outre, ces compensations et allégements sont couteuses pour l’État alors que son budget est en déficit. Le poids des compensations constitue un réel facteur de fragilité pour les ressources des collectivité locales. Cette situation de dépendance accrue au regard de la fiscalité transformée de l’État n’est pas sans conséquences pour le développement local. La recentralisation des ressources locales vers des impôts nationaux évoquée précédemment ne conduit-elle pas, comme ce fut le cas au moment de la baisse de la dotation globale de fonctionnement décidée unilatéralement par l’État, à un pilotage par le haut de l’action locale ?

e. Préserver un principe de contribution universelle et de solidarité

La suppression de la taxe d’habitation sur les résidences principales a entrainé un changement de cap majeur. Avec la disparition de cet impôt, une partie parfois non négligeable des ménages se trouve désormais totalement dispensée de contribuer aux charges locales. C’est le cas des ménages non-propriétaires de leur résidence principale[18], devenus d’une certaine façon des « passagers clandestins » au financement de la cité. De fait ils ne seront plus sollicités, alors que leur « usage » des services communaux ou intercommunaux (transport, équipements divers, aménagements urbains…) n’en aura pas diminué pour autant.

Le risque de les voir se déresponsabiliser du coût de fourniture des services publics est réel. Avec la suppression de la taxe d’habitation, disparait aussi la vocation de solidarité entre contribuables assurée par l’impôt local, recette non affectée dans un budget.

Pour autant, les politiques publiques peuvent-elles être uniquement financées par des politiques tarifaires ? Dans une majorité de collectivités, ce type de ressources ne permet pas, loin de là, d’équilibrer le financement des services offerts, et un complément du budget général est très souvent indispensable. Sans compter le fait que certains services publics (l’éclairage, la voirie, la sécurité…) ne sont pas facilement transformables en services « tarifables ».

Avec l’évolution du panier fiscal, la question du bon positionnement du curseur entre le contribuable et l’usager devient de plus en plus pressante dans le débat local. L’idée étant que chacun participe selon sa capacité contributive au financement du bien commun.

Enfin, l’impôt de remplacement, la TVA, est un impôt sur la consommation des ménages et des entreprises, bien éloigné des services publics locaux.

f. Rééquilibrer la charge fiscale entre catégories de contribuables

La fiscalité économique locale a connu de profondes et lourdes transformations marquées par la suppression en 2010 de la taxe professionnelle (TP) instaurée en 1975. Cette dernière représentait une part importante de la fiscalité locale directe et était la principale ressource fiscale des intercommunalités. Critiquée pour « un effet pénalisant sur l’investissement notamment dans les secteurs intensifs en capital  » et vue comme « un frein au développement de projets innovants » [19] la TP avait préalablement fait l’objet de multiples transformations. Pour les collectivités, cette suppression s’est traduite par un panier fiscal de remplacement composite[20] et pour les entreprises par allégement de leur charge fiscale[21]. En 2021, sur les 166 milliards d’euros de fiscalité perçus par les collectivités locales, 56 milliards d’euros (soit 34%) ont été payés par les entreprises, Cette contribution est nettement inférieure à celle des ménages (90 milliards d’euros, soit 55% du total), les 19 milliards d’euros (11%) restants étant versés par les administrations publiques.[22]

Plus récemment (loi de finances pour 2023), la CVAE n’a pas résisté au mouvement de contestation de la fiscalité locale par les entreprises, elle a été supprimée à son tour, soit un allégement de l’ordre de 10 milliards d’euros. Et remplacée par l’affectation d’une fraction du produit de la TVA nationale aux collectivités.

Depuis 2007, au niveau national, les parts de l’impôt sur les sociétés, du produit de la TVA et des recettes non fiscales dans les recettes totales de l’État ont diminué, et tout particulièrement celle de l’impôt sur les sociétés, passée de 17 % en 2007, à 11, 3 % en 2019, soit un recul de près de six points. Au cours de la même période, la part de l’impôt sur le revenu dans les recettes totales de l’État a augmenté, passant de 16,6% en 2007 à 24 % en 2019, soit une hausse de plus sept points. On peut légitiment en déduire que les recettes de l’État reposent désormais davantage sur les ménages, entrepreneurs individuels compris, que sur les entreprises. Outre ce transfert de charge fiscale des entreprises vers les ménages, on notera que les pertes de recettes fiscales liées aux baisses d’impôts sur les entreprises ont aussi été compensées par une augmentation de la dette publique.

De nombreuses recherches[23] ont montré que la qualité de l’offre de services pour les salariés (logement, transport, mais aussi loisirs …) était pour les dirigeants d’entreprises un facteur déterminant dans leur choix de localisation (bien plus que la fiscalité), mais aussi de productivité et de compétitivité.

De ce point de vue, il est du ressort des entreprises, en tant qu’acteurs agissant sur le territoire, y prélevant des ressources et générateurs d’externalités, positives mais aussi négatives, de contribuer à son bon fonctionnement et à son attractivité. La fiscalité économique locale est un bon moyen d’y parvenir.

g. La fiscalité locale doit-elle vraiment être… locale ?

On ne peut pas ignorer que la territorialisation de la fiscalité présente bien des avantages, mais elle a aussi ses contradicteurs, au premier rang desquels se trouvent les territoires qui connaissent des situations économiques ou démographiques peu favorables.

De fait, le retour à une territorialisation de l’impôt local ne peut faire l’impasse sur la réalité de l’inégale répartition des contribuables sur le territoire national et, ce faisant, des possibilités différenciées de mobilisation de la ressource par les collectivités. Cela se vérifie, notamment en matière de fiscalité économique, les entreprises pourvoyeuses de fiscalité, les zones commerciales ou de bureaux ne se développent pas uniformément sur le territoire national, les territoires urbains et les secteurs industriels sont généralement mieux pourvus en activités productives et de services.

Ces inégalités de la géographie fiscale se vérifient moins en matière de taxe sur le foncier bâti dont la répartition plus homogène, offre une forme de garantie. De fait, elle constitue une ressource stable et régulière pour la grande majorité des collectivités du bloc local, notamment pour les communes.

Dans tous les cas, un retour à la territorialisation des impôts locaux devra impérativement s’accompagner de dispositifs puissants de péréquation (verticaux et horizontaux[24]), en particulier en faveur des territoires ou le développement économique et urbain est moins dynamique.

L’argument de la simplification est également souvent avancé. L’opacité grandissante du système fiscal local actuel, pourrait conduire certains élus à préférer une ressource, du type dotation, certes moins connectée avec le territoire, mais plus lisible, plus simple, voire mieux acceptée. Plus encore, le thème d’une fiscalité solidaire et mutualisée ne fait toujours l’unanimité. Pour certains contribuables qui ne veulent pas payer pour les autres, la fiscalité locale peut aussi être un facteur de rejet des élus locaux.

Enfin, des voix se font entendre sur une (prétendue) nécessité de sortir de l’exception française et de se couler dans le modèle fiscal, en voie de généralisation en Europe de fiscalités nationales partagées.

Quel panier fiscal local en 2022, comment a-t-il évolué ?

En 2022, les recettes fiscales des collectivités du bloc communal s’élèvent à 86,7 Mds d’euros. Elles sont composées de diverses taxes, que l’on peut regrouper en deux sous-ensembles : la fiscalité directe (avec ou sans pouvoir de taux) où l’on retrouve ce qu’il subsiste des impôts locaux encore actifs, et la fiscalité indirecte ou spécialisée sur un objet précis. À ces ressources de nature fiscale s’ajoutent des dotations dites compensatoires correspondant à des recettes fiscales anciennes au gré des réformes fiscales, principalement DCRTP et Compensation part salaire (dotation de compensation des groupements).

Le schéma initial, mis en place au moment de la décentralisation, correspondait à une fiscalité composée de 4 taxes (taxe sur le foncier bâti, taxe sur le foncier non bâti, taxe d’habitation et taxe professionnelle) s’adressant aux ménages et aux entreprises installées sur un territoire donné et réparties de façon additionnelle sur chaque échelon de collectivité.

Ce schéma a fortement évolué au fil du temps. La fiscalité s’est, dans un premier temps, spécialisée au sein du bloc communal, les impôts économiques (CVAE, CFE, IFER) allant plutôt aux structures intercommunales. Par la suite, les régions ont échangé leur fiscalité (puis leurs dotations) pour une fraction de TVA nationale.

En 2022, la taxe sur le foncier bâti est devenue le principal impôt local des communes, tandis que, pour les intercommunalités, la suppression de la taxe d’habitation et de la CVAE à partir de 2023 placeront les fractions de TVA nationale au centre de leur financement.

3. Rétablir une contribution résidentielle

Il est urgent de rebâtir notre système fiscal local vers un dispositif plus moderne, plus équitable et plus en phase avec les réalités économiques et sociétales.

Réformer est certes un choix difficile, (on a finalement préféré supprimer la taxe d’habitation plutôt que d’en corriger les principaux défauts), mais tout retard pris pour engager une réforme rendra son issue encore plus incertaine, les assiettes se fossiliseront de plus en plus, les écarts de ressources entre communes se creuseront, les transferts entre contribuables s’accentueront… contribuant à enterrer définitivement la fiscalité locale.

Le rétablissement d’une contribution résidentielle ou présentielle payée par tous les acteurs, ménages et entreprises domiciliés dans une commune ou au sein d’une intercommunalité, et destinée à financer des services publics locaux partagés, nous semble indispensable. Au travers de cette fiscalité locale refondée, tous les contribuables, en fonction de leurs capacités contributives, seraient appelés à participer à la charge commune, réinscrivant la fiscalité dans sa logique de solidarité initiale.

Une première réflexion est présentée ici pour ce qui concerne la fiscalité sur les ménages, elle devra nécessairement être complété par une remise à plat de la contribution des acteurs économiques au développement local.

Cette Contribution Résidentielle refondée reposerait sur quelques principes majeurs exposés ci-après

a. Une fiscalité locale universelle et territorialisée

Dans le contexte actuel, il semble difficile de créer de nouveaux impôts. Un article récent de Michel Bouvier alertait avec justesse sur la fragilité grandissante du consentement à l’impôt[25] C’est pourquoi nous proposons de restaurer cette fiscalité résidentielle à partir d’assiettes fiscales existantes.

Qui plus est, il nous semble que ces assiettes doivent respecter au moins quatre conditions : reposer sur un public aussi large que possible, prendre en compte de façon progressive les capacités contributives des ménages, intégrer un effet de territorialisation et donner à la collectivité bénéficiaire de cette fiscalité un pouvoir responsabilisant de taux.

Pour être solidaire cette fiscalité refondée ne peut ressembler à une redevance, elle doit concerner le plus grand nombre, son produit ne peut être affecté à un objet particulier mais doit servir au financement des services publics dans leur diversité territoriale, rétablissant la fonction de solidarité joué par l’Impôt local.

b. Une assiette mixte

Après examen de différents scénarios, nous proposons de refonder la Cotisation Résidentielle sur une assiette mixte reposant sur les valeurs locatives pour leur ancrage territorial et sur l’impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP) pour intégrer la capacité contributive.

c. Un produit cible de 2 milliards d’euros

L’hypothèse retenue est celle d’un prélèvement initial de 2 milliards d’euros. Ce volume est important sans être confiscatoire[26]. L’enjeu ici est davantage de reconstituer le principe d’une contribution locale universelle basée sur le lieu de résidence que de porter un objectif de rendement très élevé.

Sur chaque assiette serait appliqué un taux calculé au niveau national permettant d’obtenir un produit de 2 milliards d’euros. Chaque ménage paierait une cotisation égale d’une part au taux national appliqués à la valeur locative du logement qu’il occupe et d’autre part à son revenu déclaré.

Pour obtenir un produit de 2 mds, sur la base des assiettes actuelles en matière de valeur locative logement et d’impôt sur le revenu, il ressort des taux respectivement de 0,46 % et de 0,11 % répondant à l’objectif d’un impôt à assiette large et taux faible.

Les taux moyen seraient applicables la première année (ou sur une période de démarrage à déterminer) à l’ensemble des communes ou intercommunalités puis modulables dans un tunnel pour chaque taxe à définir. Les bornes du tunnel pouvant ensuite évoluer, en loi de finances par exemple, pour s’ajuster à raison des besoins de financement des collectivités et pour répondre aux différentes transitions à financer à l’avenir. Ces calculs mériteraient bien entendu une expertise approfondie (et d’introduire pourquoi pas une pondération des assiettes afin d’aboutir à un taux unique sur les deux assiettes, voté par les assemblées).

d. Un prélèvement constant pour le contribuable

Pour rester crédible, cette nouvelle Cotisation Résidentielle devra au minima pour la, ou les premières années, être un dispositif à prélèvement constant pour les contribuables. En conséquence elle sera déduite pour les contribuables concernés de leur cotisation d’impôt sur le revenu

Schématiquement, un ménage sera imposé au titre de sa présence dans une résidence principale. La cotisation reviendra à la collectivité correspondante pour participer au financement des services publics et elle sera déduite de sa cotisation d’impôt sur le revenu.

Dans un second temps, après une période de stabilité à déterminer, pourrait s’appliquer localement un pouvoir de taux.

e. Une neutralité du dispositif

Elle est obtenue en compensant l’État de la part d’IRPP non perçu par une réduction d’une des dotations que l’État verse aux collectivités en compensation de la suppression d’un impôt.

Est plus particulièrement visée, la compensation sur la part salaire, (CPS) datant de 2003 et versée aux collectivités au moment de la suppression de la part sur les salaires de l’ancienne taxe professionnelle. Elle s’élève actuellement à 4,6 milliards d’euros au bénéfice des intercommunalités. La cible de 2 milliards d’euros représente donc une petite moitié (43 %) de cette compensation qui concerne quasiment toutes les intercommunalités.

Ce scénario présente l’avantage pour les collectivités d’échanger une ressource dynamique à la place d’une dotation non évolutive et régulièrement rabotée. En outre, il ne provoque pas une complexification exagérée de la « tuyauterie fiscale ».

Deux questions resteront à trancher politiquement :

– celle de la maille territoriale : la distribution de l’impôt sur le revenu étant inéquitablement répartie sur le territoire et la fiscalité locale étant susceptible de créer des distorsions dans les choix de résidentialisation (vote avec les pieds), l’échelon intercommunal qui couvre désormais la totalité du territoire et qui répond à des logiques de bassin de vie et d’emploi semble le plus approprié. Au sein des ensembles intercommunaux, un pacte de partage fiscal pourra être conclu entre les communes de leur intercommunalité, à la discrétion des exécutifs locaux, pour décider du partage de cette fiscalité nouvelle.

– celle de l’éventuelle exonération des ménages non imposables à l’IRPP ou de l’attribution d’un crédit d’impôt pour assurer la neutralité pour le contribuable[27]. Dans ce cas, leur contribution serait, par définition, uniquement calculée sur la partie reposant sur les valeurs locatives ;

Ce dispositif permet d’assurer la neutralité pour l’ensemble des acteurs impliqués, a minima la première année.

f. La révision des valeurs locatives d’habitation, un passage obligé

Afin de garantir une réalité économique à la nouvelle contribution résidentielle territoriale, mais aussi préserver les taxes foncières encore existantes, répondant à la fois aux enjeux de démocratie locale et de financement marginal des politiques publiques, il est impératif de réformer son assiette immobilière.

Dans son dernier rapport sur les finances publiques de janvier 2023, la Cour des comptes pointe une nouvelle fois, comme l’ont fait de très nombreux experts et observateurs, l’obsolescence des valeurs locatives.

Si on accepte la théorie de la capitalisation fiscale, selon laquelle le propriétaire bénéficiant d’aménités urbaines telles que le service public ou l’environnement qui impactent la valeur de son logement, il est assez naturel de baser la contribution locale sur la valeur de son bien. Pourtant, l’administration fiscale a toujours butté sur l’évaluation annuelle du prix de marché des biens immobilier. Parmi les arguments est évoqué la lenteur de rotation du parc, la particularité du logement social…De fait, dans beaucoup de situations, il n’existe aucune référence fiable permettant de déterminer rigoureusement la valeur vénale d’un logement. La mise en place récente d’une plateforme nationale collectant les déclarations des actifs immobiliers des particuliers va dans le bon sens[28]

En France, la tradition est de prendre en référence les valeurs du marché locatif, modélisé à partir d’enquêtes statistiques sur les loyers et prochainement la déclaration obligatoire de chaque propriétaire. La méthode existe, elle a été appliquée pour la révision des locaux commerciaux.

Quel que soit la valeur d’assiette retenue, valeur locative ou valeur vénale, elle devra être actualisée.

Demeure la difficulté (très politique) du basculement entre valeurs actuelles non révisées et valeurs après révision, et de la crainte induite par toute redistribution entre des différentes catégories de contribuables.

Enfin, une fiscalité juste c’est aussi une fiscalité partagée entre contribuables ménage et contribuable économique. Notre contribution ne rendre pas dans le détail d’une fiscalité d’activité locale à refonder, mais le considère néanmoins comme un impératif. 

Conclusion

Notre système fiscal local est en train de disparaitre, au profit d’impôts nationaux partagés en apparence plus modernes. Avec eux, le risque d’un pilotage « par le haut » des politiques locales et de leur financement est bien réel, tandis que la fiscalité comme outil d’accompagnement à l’aménagement du territoire, de responsabilisation du citoyen dans la cité, de régulation de l’offre de services publics, semble préférable.

La dénomination les impôts locaux est ancienne, elle est principalement en lien avec l’assiette imposable : cotisation foncière des entreprises (CFE), taxe sur les propriétés bâties (TFPB) ou non bâties (TFPNB) sans oublier l’ancienne la taxe sur les « portes et les fenêtres » des révolutionnaires qui désignait clairement l’objet de taxation. Cela est finalement valable pour l’ensemble de la fiscalité locale française.

Mais ne serait-il pas préférable de renommer un impôt local à partir de son objectif plutôt qu’à partir de son assiette ? La contribution résidentielle refondée, deviendrait la taxe de financement des services publics communaux ou intercommunaux selon la répartition des compétences. Cela aurait le mérite de parler plus clairement au contribuable et de faciliter l’acceptation de l’impôt.

Cela nous conduit à retenir une idée simple, telle qu’elle figure dans la déclaration des droits de l’homme et du citoyen (articles 13 et 14) : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». « Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement d’en suivre l’emploi, et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ».

C’est bien cette idée que nous avons cherché à remettre à l’agenda des collectivités. La Contribution Résidentielle que nous proposons en constitue un premier aperçu. Mais d’autres chantiers restent à ouvrir pour redonner un avenir à l’impôt mis au service du développement des territoires.

 

Annexes

Personnes auditionnées en ordre chronologique des auditions

(le contenu de cette note n’engage pas les personnes auditionnées)

Mathilde Lignot Leloup, conseillère maître Cour des comptes / Rapport public « Le financement des collectivités territoriales : des scénarios d’évolution » conseil des prélèvements obligatoires

Christophe Michelet, Directeur Partenaires Finances locales, expert en finances locales

Thomas Cazenave, député de la Gironde, président de la délégation aux collectivités territoriales à l’Assemblée nationale 

Claude Raynal, sénateur de la Haute Garonne, président de la commission des finances du Sénat

Michel Bouvier, Président de FONDAFIP, directeur de la revue française des finances publiques.

Franck Muratet, Responsable d’entreprises Medef Grand Est

Membres de la convention Citoyenne, Métropole de Grenoble 

Christophe Richard, directeur général de Sadev94

Sofiane Chikh, Directeur Aménagement Eiffage Aménagement

François Thomazeau I4CE (fiscalité affectée, outils de financement)

Membres du groupe fiscalité de Terra Nova

Claire Delpech, experte en finances locales, Professeure associée au CNAM, Financement public du développement territorial. Co-fondatrice du Réseau finances locales

Franck Claeys, expert en finances locales, Professeur associé Paris 1, Master territoire Panthéon Sorbonne

Thomas Eisinger, Professeur associé des universités, Institut de Management Public et de Gouvernance Territoriale, Aix-Marseille Université

Nadine Levratto, Directrice de Recherche au CNRS / Directrice d’EconomiX, CNRS, Université Paris Nanterre

François Loscheider, Urbaniste, délégué général du Conseil de développement du Val-de-Marne, adjoint au maire d’Arcueil

Barbara Martin, Directrice Département des Finances et du Contrôle de Gestion, Grenoble Alpes métropole

Delphine Martin Sohm, Directrice Générale Adjointe Ressources et prospective, Communauté du Bassin de Pompey

Thomas Nicolas, Directeur des Finances et de l’Évaluation, Pôle Ressources & Prospectives, Communauté du Bassin de Pompey

Thomas Rougier, Secrétaire Général Observatoire des Finances et de la Gestion publique Locales (OFGL)

Luc Alain Vervisch, Directeur des Études Direction du Pilotage stratégique / La Banque postale

Olivier Wolf, Administrateur territorial, directeur général des services d’une commune

 


[1] Expression désignant les impôts locaux depuis le XIXe siècle : la taxe professionnelle, la taxe foncière sur les propriétés bâties, la taxe foncière sur les propriétés non bâties, la taxe d’habitation.

[2] Budgets principaux uniquement. Source : Rapport 2023 de l’Observatoire des finances publiques et de la gestion publique locales, OFGL, DGCL.

[3] Voir l’encadré p.10–12

[4] Le propos est ici centré sur la fiscalité locale mais, préalablement à la suppression de la TP, on avait supprimé la part régionale de la TH et les fractions départementales et régionales de la taxe sur le foncier non bâti pour les parcelles agricoles.

[5] Cette compensation appelée « attribution de compensation » existe toujours et représente un volume de 11 mds d’euros versée par les intercommunalités à leurs communes membres.

[6] La CVAE faisait partie du groupe d’impôt ayant remplacé la TP en 2010.

[7] En 2003, dans le cadre de l’acte II de la décentralisation, une révision de la constitution introduit un principe de libre administration (article 72 de la Constitution) en consacrant l’autonomie financière des collectivités territoriales (article 72–2) sur la base d’un ratio de ressources dites propres.

[8] Appelé coefficient correcteur, ou encore « coco ».

[9] Selon l’INSEE, les résidences secondaires concentrent 9,8 % du parc de l’ensemble des logements.

[10] Rapport 2023 de l’Observatoire des finances publiques et de la gestion publique locales (OFGL), DGCL.

[11] Cette situation a été bien documentée dans le cadre des travaux réalisés par l’OFGL et notamment « Les impacts de la crise Covid sur les finances locales en 2020 et 2021 », n° 17, juin 2022.

[12] Même si l’on observe sur une tendance longue une augmentation régulière des recettes tarifaires et supérieure à celle des recettes fiscales, une tendance interrompue par la crise sanitaire.

[13] Nicolas Delalande, Les batailles de l’impôt, Paris, Seuil, 2014.

[14] En comparaison à un bien meuble, est un bien qui ne peut pas être déplacé. C’est finalement le Directoire qui créera les fameuses quatre vieilles, ancêtres de nos impôts locaux.

[15] Taxe sur le foncier bâti, la taxe d’enlèvement des déchets ménagers (TEOM), la cotisation foncière des entreprises (CFE).

[16]  Institute for Climate Economics (I4CE), « Climat : comment les collectivités territoriales financent leurs investissements », Novembre 2022. Selma Mahfouz, Jean Pisany-Ferry, « Les incidences économiques de l’action pour le climat », Rapport à la Première ministre, mai 2023.

[17] Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL), « Les allégements de fiscalité directe locale et leurs compensations », n°2, 2018.

[18] Pour mémoire, en 2020, on comptait en moyenne au niveau national 40 % de locataires, et en moyenne plus de 50 % dans les grandes métropoles.

[19] Rapport d’information n° 579 de la Commission des finances du Sénat du 21 juillet 2009 sur la réforme des finances locales et de la taxe professionnelle, p. 9.

[20] La cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), la contribution foncière des entreprises (CFE) et l’imposition forfaitaire des entreprises de réseaux (IFER).

[21] Rapport d’information n° 579 de la Commission des finances du Sénat du 21 juillet 2009, op. cit.

[22] Observatoire des finances et de la gestion publique locales (OFGL), « Cap sur la contribution fiscale des entreprises aux services publics locaux », n°19, mars 2023.

[23]  Matthieu Chtioui, « Trois essais sur l’incidence des finances locales sur les entreprises » Thèse de doctorat sous la direction de Virginie Silhouette-Dercourt et de Nadine Levratto, Paris, 2019.

[24] C’est-à-dire à partir de dotations de l’État pour l’aspect vertical et des dispositifs de réduction de écarts de richesse pour l’aspect horizontal.

[25] « Le citoyen ne comprend plus une fiscalité qui ne correspond pas à la société dans laquelle il vit », Le Monde, 28 mai 2023.

[26] Soit près de 10 % des dépenses réalisées au titre des achats et charges externes en 2020 par les collectivités du bloc local.

[27] Les questions de contempororainité sont de second ordre à ce stade du raisonnement.

[28] « Gérer mes biens immobiliers » est offert aux usagers propriétaires, particuliers et professionnel (personne morale), depuis le 2 août 2021 et devenue une obligation déclarative depuis le début de l’année (https://www.impots.gouv.fr/actualite/gerer-mes-biens-immobiliers-un-nouveau-service-en-ligne-pour-les-usagers-proprietaires).

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