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Étude

Quelles politiques pour la France périurbaine (I) ?

Entre le périurbain caricaturé sous l’image de « villes-dortoirs », favorisant les pollutions associées à ce mode de vie et un vote de rejet des populations vivant dans ces territoires, et le périurbain décrit comme la preuve du mépris des élites à l’égard des classes populaires y résidant, la nuance a semblé manquer dans certaines tournures prises par le débat public. L’étude de Terra Nova, par Pierre Musseau, entend contribuer aux discussions en cours.

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Périurbain : de quoi parle-t-on ?

Périurbain, rurbain, aires urbaines élargies, couronnes des pôles urbains… : plusieurs dénominations et définitions se superposent pour décrire des espaces éloignés des villes, mais qui connaissent une croissance démographique importante, en lien avec un pôle urbain plus ou moins éloigné. Selon la définition de l’INSEE adoptée en 2010 (« ensemble des communes dont au moins 40 % de la population active résidente [possède] un emploi dans de grands pôles urbains »), l’espace périurbain couvre 38 % du territoire national avec 24 % des habitants et seulement 14,5 % des emplois. La population y a augmenté de 40 % entre 1999 et 2008 (contre 6,2 % en moyenne pour la France) pour une surface qui s’est également accrue de 44 % [3] . Près de la moitié des communes françaises sont situées dans ces espaces, avec en moyenne 900 habitants par commune.

Cependant, la perception du périurbain peut être très éloignée de la cartographie de l’Insee. En effet, 80 % de la superficie des couronnes périurbaines restent couverts de champs, de forêts et d’espaces naturels. C’est pourquoi dans son rapport sur « les nouvelles ruralités », l’Assemblées des départements de France préfère parler ici de para-urbanisation [4] , défini comme un « processus conduisant au peuplement d’espaces de morphologie rurale situés à la périphérie des unités urbaines, et dont une proportion significative de la population active occupée vient exercer quotidiennement ses activités professionnelles dans l’unité urbaine. »

En fait, le périurbain tel qu’il se représente dans l’imaginaire collectif, associé à des lotissements pavillonnaires où la voiture est reine faute d’alternatives, se retrouve pour une grande part au sein même des pôles urbains tels que définis par l’Insee. Si ces communes sont ainsi classées, c’est d’abord parce qu’il y a « continuité du bâti » [5] avec la ville centre. Mais cette seule caractéristique ne suffit pas à en faire des territoires physiquement intégrés aux centres urbains.

Carte : Le zonage des aires urbaines en 2010. Le périurbain selon l’INSEE rassemble l’ensemble des couronnes (en orange) et les communes multipolarisées (en jaune) des grandes aires urbaines. La « perception du périurbain » couvre aussi une partie des communes à l’intérieur même des pôles urbains (en rouge). Source : Insee, zonages en aire urbaines 2010

Le périurbain malgré l’urbanisme

Le périurbain est le principal oublié des politiques d’urbanisme : il s’est, sauf exception, toujours construit en dehors des stratégies d’aménagement des villes-centre. Le phénomène existait déjà autour de Paris à la fin du XIXe siècle alors qu’Haussmann redéfinissait l’aménagement de la capitale. Déjà des ménages choisissaient de fuir la ville, souvent associée à la saleté, à la pollution et à l’insécurité. Le mouvement s’est accéléré avec l’essor de l’automobile permettant à toutes les classes sociales de s’éloigner de leur lieu de travail. Aujourd’hui comme à la fin du XIXe, les ménages modestes, employés et ouvriers, forment une grande part des nouveaux arrivants dans le périurbain [6] mais les ménages plus aisés ont aussi contribué au mouvement s’installant dans des résidences spacieuses et recherchant la qualité de vie de la « ville à la campagne » [7] .

Le renforcement des outils de l’urbanisme n’a pas empêché l’extension périurbaine autour de toutes les agglomérations françaises au cours de la deuxième moitié du XXe siècle. Ainsi, les agences d’urbanisme créées au début des années 1960 pour maîtriser et organiser la croissance urbaine ont échoué à « contrer » l’étalement urbain. Elles n’ont pas réussi à contenir la place qu’a prise la voiture au détriment des espaces de rencontre en ville et dans les villages.

La poursuite du phénomène d’étalement urbain, et plus précisément de la para-urbanisation peut s’expliquer à travers plusieurs facteurs : d’un côté des déterminants liés aux politiques locales, de l’autre des mécanismes attribuables à des logiques économiques.

Les politiques locales peuvent diverger sensiblement d’une commune périurbaine à l’autre. Certains maires souhaitent faciliter l’installation de nouveaux ménages et de nouvelles activités, souvent en concurrence avec d’autres territoires, pour apporter un dynamisme à leur commune, et souvent aussi pour dégager des marges budgétaires grâce à des recettes additionnelles (dotation globale de fonctionnement et recettes fiscales). D’autres, au contraire, souhaitent préserver une identité de « ville à la campagne » et vont mobiliser leurs pouvoirs d’urbanisme pour stopper toute extension, suivant une logique qu’on peut qualifier, avec Eric Charmes, de « malthusianisme foncier » [8] . Ce phénomène est amplifié par les comportements spéculatifs des propriétaires fonciers qui vont avoir tendance à bloquer la vente pour faire monter les prix [9] . Les communes concernées sont le plus souvent relativement proches des cœurs de ville. Elles compliquent ainsi l’installation des ménages qui ne souhaitent ou ne peuvent acquérir un logement dans le centre. Pour trouver un foncier accessible, ces familles doivent alors se tourner vers des communes plus ouvertes, qui sont aussi souvent celles qui sont les plus éloignées des pôles d’emploi. Le « malthusianisme foncier » peut au fil du temps s’étendre à des communes rurales devenues depuis peu des communes périurbaines, repoussant encore l’extension de la para-urbanisation.

L’économie du foncier permet par ailleurs d’expliquer pourquoi l’urbanisation périurbaine est pour l’essentiel constituée de constructions individuelles ou de lotissements de très faible densité. On constate en effet une rupture entre un habitat urbain dense, essentiellement en collectif, et l’habitat individuel très étalé. Il existe pourtant, entre les deux, des formes urbanistiques la possibilité de construire un habitat individuel groupé relativement dense, notamment par de « l’habitat en bande », c’est-à-dire des maisons collées les unes aux autres le long des rues. Les maisons en bande ne représentent aujourd’hui que 10 % du marché de la construction neuve. Si l’essentiel de la construction de maison individuelle se fait encore en logements isolés, cela peut s’expliquer par le coût du foncier ouvert à la construction, donc souvent en lointaine périphérie, trop faible pour rentabiliser les coûts plus élevés de constructions plus denses [10] . Ainsi dans une commune où le prix du foncier est faible, même la bonne volonté d’un élu qui souhaiterait favoriser des constructions économes en espace, ne suffira pas à inverser la logique économique qui poussera les aménageurs à ne proposer que du lotissement étalé. On peut par contre montrer que l’ouverture à la construction de terrains dans du périurbain plus proches des centres-villes sera plus favorable à des opérations de maisons en bande et pourra alors offrir des logements de plain-pied avec jardin qui répondent à la majorité de la demande d’accession.

Les ménages modestes primo-accédants sont les premières victimes de la para-urbanisation : ne pouvant ou ne désirant pas s’installer dans un centre-ville dense, ils ne peuvent non plus se loger dans le proche périurbain, trop cher du fait de la rétention foncière, et doivent se replier dans des lotissements en périurbain plus lointain. La faible densité de cet habitat rend beaucoup plus coûteux les infrastructures et services à la charge de la collectivité, que ce soit pour les transports, l’eau, l’assainissement, les réseaux énergétiques, les connexions numériques, ou encore les services sociaux et éducatifs. Pour les habitants, l’absence de service à proximité accroît les besoins de déplacement quotidiens qui s’additionnent à ceux liés à des trajets domicile-travail déjà importants. Ainsi les élus en acceptant l’aménagement d’un lotissement comme les ménages en choisissant de s’y installer sous-estiment trop souvent les coûts engendrés et pâtissent par la suite des conséquences sur leurs budgets respectifs.

Deux visions opposées sur le périurbain

Malgré le flou qui entoure l’imaginaire du périurbain, le discours à son sujet s’est récemment animé avec des positions de plus en plus tranchées.

Pour les uns, le périurbain qualifié de « ville-dortoir » représente une menace pour le vivre-ensemble. Selon le géographe Jacques Lévy, « le choix du périurbain correspond à une recherche de l’entre soi qui est cohérente avec des projets politiques non coopératifs, corporatistes ou sécessionnistes. » [11] L’analyse du vote lors des dernières élections a apporté des arguments à cette crainte. Jérôme Fourquet [12] a ainsi montré par une analyse géographique du vote aux présidentielles 2012 une forte augmentation des suffrages en faveur de Marine Le Pen dans les communes éloignées des pôles urbains. Ce vote reste cependant très hétérogène entre quartiers. Différentes enquêtes de terrain permettent de préciser cette analyse au regard de la composition sociologique du territoire. Le vote FN se retrouve notamment parmi les salariés ayant atteint une situation stable (caractérisées notamment par le CDI et l’acquisition immobilière) et qui entendent se différencier des populations précarisées et stigmatisées [13] . Il s’explique aussi par la peur du déclassement [14] de la part des ménages qui n’ont pas souffert directement des conséquences de la crise économique mais qui craignent d’être affectés à l’avenir ou qui s’inquiètent pour leurs enfants. La progression du vote Front national dans les quartiers pavillonnaires est aussi expliquée par des formes d’entre-soi qui ont favorisé l’adhésion au vote de protestation. Les discours racistes et xénophobes dans les rapports de voisinage (vis-à-vis d’un quartier HLM proche ou de nouveaux arrivants dans le quartier pavillonnaire) ont ainsi pu être relayés par des militants ou des élus locaux et y ont facilité la banalisation des thèses portées par l’extrême droite [15] .

Par opposition au discours associant périurbain et vote contestataire, d’autres observateurs dénoncent « l’ostracisme » que subit le périurbain notamment de la part de certains urbanistes [16] . Pour eux, le périurbain n’est pas synonyme de « déficit d’urbanité » et ne constitue pas forcément plus un « espace de repli » que certains quartiers au sein des pôles urbains. De nombreuses communes périurbaines offrent ainsi un tissu social et culturel très riche, et peuvent assurer un développement économique local qui limite l’effet « ville-dortoir ». Des enquêtes sociologiques montrent aussi que des quartiers pavillonnaires entretiennent un réseau social dynamique, à travers une forte implication des habitants dans les associations locales d’où peuvent émerger des figures politiques de droite comme de gauche. On peut alors y constater une participation élevée et durable aux élections locales comme nationales [17] . Si le vote contestataire s’accroît dans ces quartiers, l’explication serait plutôt à chercher dans l’absence d’offre politique répondant aux besoins des habitants et à leurs soucis quotidiens. Les politiques urbaines sont ainsi accusées de ne pas prendre en compte les territoires périurbains et de se focaliser sur les quartiers de logements sociaux, ignorant les difficultés que pourraient également connaître les classes populaires qui ont accédé à la propriété. Certains poussent encore plus loin la critique et voient dans le périurbain la signature géographique du mépris des élites de gouvernement vis-à-vis des classes populaires. C’est notamment la position de Christophe Guilluy dans la « France périphérique » [18] . Pour lui, les classes dirigeantes auraient « sacrifié » les classes populaires au nom d’une mondialisation libérale qui ne concentrerait ses bienfaits qu’au cœur des grandes métropoles.

L’opposition des discours « pour » ou « contre » le périurbain se fait aussi manifeste sur les enjeux énergétiques et écologiques. Les « pour » dénoncent des politiques environnementales stigmatisantes au regard du choix de vie des habitants dans ces territoires. Sont ainsi accablées les mesures « anti-voitures » ou « anti-pavillonnaires » menées au nom de la lutte contre l’étalement urbain. Ils déplorent dans le même temps l’incapacité du politique à apporter des solutions à la hausse des prix des énergies qui grève lourdement le pouvoir d’achat des ménages périurbains. Du côté « contre », le périurbain est souvent opposé aux vertus de la « ville durable ». Dans cette perspective, les solutions passent principalement par l’optimisation des réseaux de transport et d’énergie qui seront d’autant plus efficaces que le tissu urbain sera densifié. De telles approches peuvent conduire leurs promoteurs à condamner l’habitat individuel et plus largement les choix d’installation à proximité de la campagne.

Une approche plus nuancée que ces deux positions antagonistes est possible. Une prochaine note de Terra Nova approfondira spécifiquement la question des politiques énergétiques et environnementales dans le périurbain pour identifier des solutions concrètes et mettre en avant les opportunités de la transition écologique pour ces territoires. Cette note explorera également les enjeux d’un développement économique endogène qui peut être stimulé par différentes activités liées à la protection de l’environnement et par les investissements associés.

De manière générale, les divergences sur la question du périurbain appellent un effort de réflexion et d’analyse. Il n’y a certes aucune raison de stigmatiser le périurbain, et encore moins les personnes qui y résident. Mais il n’y en a pas davantage à vouloir résister au mouvement de « métropolisation » de l’économie. Comme l’a montré une récente étude de Terra Nova [19] , le processus de concentration métropolitaine de la production s’accélère sous l’effet d’une profonde mutation de notre modèle productif. Néanmoins, aucun territoire ne peut bénéficier d’un développement économique pérenne s’il y a fracture entre le pôle productif et les territoires résidentiels qui en bénéficient. La note recommande de rechercher une véritable synergie au sein de « systèmes productivo-résidentiels ». Cela signifie donc de ne pas opposer le pôle urbain et sa couronne périurbaine. Il faut chercher à corriger les externalités négatives du développement des aires urbaines notamment par des politiques de transport et des politiques énergétiques qui seront explorées dans une prochaine note. Une voie progressiste consiste aussi à supprimer les obstacles qui réservent l’accès des pôles urbains ou leur proximité aux catégories les mieux dotées.

Les enjeux d’une politique du logement à même d’inverser le phénomène de para-urbanisation

Une réponse politique doit être donnée en priorité pour stopper la para-urbanisation en tant que mécanisme massif d’exclusion des ménages modestes à la très grande périphérie des villes. Comme cela a été souligné, ce phénomène est principalement imputable aux politiques malthusiennes des communes plus centrales qui souhaitent préserver des zones résidentielles homogènes. L’objectif de mixité sociale doit être rendu effectif en priorité dans les pôles urbains, compris dans leur intégralité, c’est-à-dire sans oublier les quartiers résidentiels des proches périphéries.

Là où du foncier pourra être mobilisé à l’intérieur des pôles urbains, la construction de logements doit être relancée en priorité. L’habitat en bandes, de plain-pied et avec jardin, pourra constituer la forme urbaine à privilégier pour répondre à la demande très forte pour ce type de logements tout en assurant une meilleure densité. La redensification de l’habitat individuel est aussi à promouvoir en prenant l’exemple des projets menés dans le cadre de l’initiative BIMBY [20] («  Build in my backyard  »). Cette initiative a permis de mettre en évidence les bénéfices d’une approche participative de l’urbanisme pour permettre d’identifier avec les habitants des projets qui mobilisent le foncier disponible à l’intérieur du tissu urbain tout en améliorant le cadre de vie [21] . L’ordonnance du 3 octobre 2013 relative au développement de la construction de logement et son décret d’application facilite la densification dans un millier de communes concernées grâce à plusieurs dérogations relatives au gabarit, à la densité, à la hauteur des constructions ainsi qu’aux exigences en termes de places de stationnement. L’ensemble de ces mesures simplifie l’obtention de permis de construire pour des projets d’« intensification de l’habitat » d’autant plus s’ils s’inscrivent dans un projet architectural cohérent.

Les dispositifs d’accession sociale à la propriété doivent également être mobilisés pour assurer la mixité sociale dans les communes périurbaines proches, en privilégiant par exemple le dispositif de prêts sociaux de location-accession (PSLA) où le ménage a une option d’acheter après dix ans de location et où les loyers acquittés seraient décomptés du reste à payer à terme. Dans ce dispositif, le bailleur a la responsabilité de porter le risque de déperdition de valeur, ce qui réduit le risque supporté pour un ménage acquéreur en comparaison avec le prêt à taux zéro. Le PSLA est aujourd’hui peu utilisé en raison des réticences des opérateurs de logements sociaux et aussi à cause d’un déficit d’information sur ce dispositif. Les intercommunalités pourraient jouer un rôle majeur pour le relancer et en faire la promotion sur leurs territoires.

Réussir la réforme de l’organisation territoriale pour répondre aux enjeux du périurbain

Plus globalement, les intercommunalités ont un rôle prépondérant à jouer dans une stratégie d’endiguement de la para-urbanisation. Les métropoles et les agglomérations doivent être chargées d’un développement intégré des pôles urbains visant notamment un accroissement de la densité de logements et d’activités économiques tout en protégeant les espaces naturels et agricoles. Les intercommunalités périphériques peuvent quant à elles mener une stratégie visant à préserver le caractère rural de leur territoire. Néanmoins, dans de nombreuses aires urbaines, et malgré la réforme de fusion des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) effective depuis le 1er janvier 2014 – insuffisante, trop souvent par manque de courage du représentant de l’Etat au niveau local –, le découpage des intercommunalités est tel qu’il contribue à l’accroissement de la para-urbanisation : suivant une logique « défensive », les communes les plus proches de la ville-centre ont pu en effet se constituer en intercommunalités différenciées de l’agglomération de manière à bloquer l’urbanisation de leur territoire alors même qu’elles devraient être densifiées et intégrées à l’agglomération [22] . La demande de logement se reporte alors sur des intercommunalités plus excentrées.

Il devient indispensable d’élargir le périmètre des métropoles et des agglomérations pour couvrir a minima les communes disposant des réserves foncières (incluant le potentiel de densification) nécessaire pour répondre aux besoins du pôle urbain. Par ailleurs, les intercommunalités périphériques pourront être élargies pour couvrir toute l’extension des couronnes périurbaines de manière à développer des stratégies cohérentes de lutte contre l’artificialisation qui ne reporte pas plus loin la pression foncière. La future loi d’organisation territoriale de la République pourrait être l’occasion d’affirmer ces principes de découpage du territoire.

La nouvelle loi doit aussi donner les moyens aux établissements publics de coopération intercommunale de se structurer en obtenant le transfert de personnels de la part des communes pour être vraiment opérationnelles. A défaut, elles ne pourront développer les outils de mutualisation souhaités.

La logique de compromis qui caractérise aujourd’hui la gouvernance des intercommunalités peut constituer un obstacle fort à la densification et à la mixité sociale. En effet, l’équilibre politique incite le conseil communautaire (y compris dans des agglomérations) à conforter les élus des communes qui ne souhaitent pas plus de développement urbain sur leur territoire. Une évolution de la gouvernance des intercommunalités reste nécessaire pour renforcer la prise en compte de l’intérêt général de l’intercommunalité contre les intérêts particuliers de chaque commune.

L’instauration obligatoire d’un plan intercommunal d’urbanisme et de logement, ainsi que le transfert des permis de construire au niveau intercommunal apparaissent comme les mesures les plus urgentes , déjà soulignées dans de précédentes notes de Terra Nova [23] . La prochaine loi de décentralisation doit aussi être l’occasion de renforcer les compétences logements des EPCI en transférant celles qui restent du domaine de l’Etat ou des Conseils Généraux. A terme, l’élection au suffrage direct du président de l’intercommunalité serait souhaitable pour assurer une légitimité complète aux décisions prises et ne pas donner aux administrés le sentiment qu’un pouvoir technocratique s’est imposé à leur insu. Dans l’attente d’une telle réforme, les intercommunalités devront assurer une concertation avec la population la plus effective possible sur les orientations à donner au territoire et en particulier sur les différents documents de planification.

Dans la mesure où l’élargissement du périmètre des intercommunalités a conduit déjà au 1er janvier 2014 et devra conduire encore plus à une augmentation du nombre de communes en leur sein, il apparaît aussi indispensable de favoriser les fusions de communes . En effet, trop d’exécutifs communautaires valident des politiques qui sont malheureusement la somme de projets communaux sans beaucoup de stratégie. Cela devient en effet nécessaire pour faciliter les prises de décision au sein des conseils communautaires.

Mobiliser l’ensemble des outils fonciers pour lutter contre la para-urbanisation

Au-delà du Plan Local d’Urbanisme et du permis de construire, les principaux outils de maîtrise du foncier sont l’intervention foncière des collectivités, directement ou via des opérateurs, ainsi que la fiscalité locale (taxe sur les logements vacants, sur les terrains non bâtis, etc.). On ne répètera jamais assez le rôle fondamental de l’action foncière pour permettre aux décideurs locaux de concrétiser les projets pour lesquels ils ont été élus. La préemption des terrains, bâtis ou non bâtis, ainsi que la fiscalité locale font partie de ces outils majeurs mis à disposition des communes par la volonté du législateur.

Le droit de préemption est  exercé par les communes, essentiellement [24] , mais aussi par les établissements publics fonciers lorsque les maires leurs confient l’appui à la définition et la mise en œuvre de leur stratégie foncière en leur délégant le droit de préemption. Etablissements publics fonciers d’Etat (EPF), établissement publics fonciers locaux (EPFL), société publique locale d’aménagement (SPLA) quand la collectivité lui donne des moyens. En particulier, les EPF peuvent ainsi se charger du recyclage foncier (et notamment l’éventuelle dépollution des terrains) et de la requalification de friches industrielles et commerciales pour les remettre sur le marché du foncier. Ils peuvent avec les SAFER, protéger les espaces agricoles et faciliter l’installation de nouveaux agriculteurs. Ils peuvent aussi définir des cahiers des charges exigeants pour l’aménagement des parcelles à construire. Le projet de loi sur la réforme de l’organisation territoriale de l’Etat pourra généraliser les EPF dans chaque région, qui deviendront ainsi l’outil majeur de la maîtrise foncière et surtout de la dynamique foncière pour accompagner les stratégies foncières locales selon une philosophie nationale : zéro consommation d’espace agricole, recyclage, dépollution, densification, développement de l’offre de logement abordable, requalification des centre-bourgs, etc. Leurs missions doivent se centrer sur l’analyse foncière, les perspectives de mutation au service des projets, l’analyse financière et économique des projets, puis  l’achat, le portage, la gestion et la remise en état de terrains (incluant leur possible dépollution) ainsi que la gestion de l’ensemble des études utiles à cette maîtrise foncière.

Le levier fiscal peut jouer enfin un rôle majeur pour densifier un quartier et limiter l’étalement urbain en dehors. Ainsi des outils fiscaux récemment rénovés offrent des opportunités de modulations en cohérence avec le projet d’urbanisme : fixation du taux de la taxe d’aménagement (taxe qui remplace la taxe locale d’équipement depuis 2012) et aussi de la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) ou mise en place d’une taxe sur les eaux pluviales pour financer les réseaux [25] , instauration d’une taxe d’habitation sur les logements vacants (THLV) pour les EPCI et communes qui ne relèvent pas de plein droit de la taxe sur les logements vacants (TLV).

Pour avoir un impact encore plus important au niveau national, une réforme de la taxe foncière sera nécessaire. La note Terra Nova « Des logements trop chers en France, une stratégie pour la baisse des prix » propose de faire payer au propriétaire d’un terrain à construire selon le PLU une taxe sur le foncier bâti calculée avec la constructibilité maximale théorique du PLU. Cette mesure pourrait s’appliquer pour des terrains qui sont déjà bâtis mais à un niveau insuffisant. Il est proposé d’appliquer cette mesure en privilégiant les secteurs prioritaires, notamment autour des gares et le long des axes de transports en commun. Le Conseil d’analyse économique (CAE) propose d’autres réformes de la taxe foncière : fixer progressivement l’impôt foncier sur la valeur vénale d’un bien, nette des dettes, et de taxer la plus-value foncière latente lors d’un changement de plan d’urbanisme. Une combinaison des deux propositions est envisageable : en supposant comme le CAE qu’il est possible d’estimer chaque année la valeur réelle d’un bien à partir des données collectées par les notaires, l’impôt foncier serait calculé à partir de cette estimation en utilisant la constructibilité maximale. Une telle réforme qui doit être étalée dans le temps, pourra aussi être menée de manière à rendre la fiscalité plus équitable en faveur des primo-accédants. Plutôt que de taxer l’actif immobilier brut, il pourra être soustrait la valeur des dettes immobilières contractées pour financer l’acquisition. La réforme pourra par ailleurs accélérer la densification des quartiers où celle-ci est souhaitée en imposant une fiscalité plus élevée là où la pression foncière est la plus forte. Enfin, elle réduira l’accaparement de rente lors du changement sur la constructibilité d’un terrain. La Cour des comptes [26] constatait ainsi que « les plus-values dégagées par les propriétaires de terres agricoles devenues constructibles pouvaient être considérables en particulier dans les zones littorales ou déjà fortement urbanisées. » Pour contribuer activement à la lutte contre l’artificialisation des sols, elle recommandait une mise à plat des dispositifs actuels (taxe  « 1529 CGI » et taxe « 1605 nonies CGI »). Les recettes d’une taxe foncière rénovée incluant les plus-values latentes liées à l’ouverture à la construction réduira l’incitation à ouvrir à la construction sur un fondement spéculatif, et dans le cas où un terrain sera tout de même ouvert, elle incitera à accélérer la vente et permettra de dégager immédiatement des recettes substantielles pour la collectivité afin de financer les équipements collectifs nécessaires à l’accueil des nouveaux habitants.

Conclusion

Il n’est pas justifié de stigmatiser le périurbain en l’accusant de nuire au vivre ensemble ou d’être la cause de dégradations environnementales. On peut par contre déplorer la para-urbanisation qui agit comme un mécanisme massif d’exclusion des ménages modestes à la très grande périphérie des villes.

Pour endiguer ce phénomène, les intercommunalités doivent gagner en compétences, notamment pour mieux maîtriser du foncier, mais elles doivent voir leur périmètre élargi au regard des enjeux de développement des pôles urbains. La lutte contre la para-urbanisation peut aussi s’inscrire dans une stratégie de développement des territoires intégrant pleinement les enjeux de la transition énergétique et écologique. Une prochaine note de Terra Nova explorera comment ces objectifs peuvent être poursuivis simultanément.

  1. Christophe Guilluy, La France périphérique. Comment on a sacrifié les classes populaires , Paris, Flammarion, 2014

  2. Laurent Davezies et Thierry Pech, «  La nouvelle question territoriale  », 2 septembre 2014

    http://www.tnova.fr/note/la-nouvelle-question-territoriale

  3. Source : Insee (2011), « Le nouveau zonage en aires urbaines de 2010 » , http://www.insee.fr/fr/ffc/ipweb/ip1375/ip1375.pdf

  4. ADF (2012), «  Mission nouvelles ruralités. Rapport d’analyses et de propositions pour l’avenir des territoires  ». La distinction entre le périurbain et le phénomène de para-urbanisation avait déjà été demandée par le Conseil économie et social en 1996.

  5. La notion d’unité urbaine selon l’INSEE est issue de recommandations internationales. Elle repose sur la continuité du bâti et le nombre d’habitants. On appelle unité urbaine une commune ou un ensemble de communes présentant une zone de bâti continu (pas de coupure de plus de 200 mètres entre deux constructions) qui compte au moins 2 000 habitants.

  6. Aurélien Dasre a ainsi mis en évidence dans sa thèse «  Les mesures du regroupement spatial des populations. Aspects méthodologiques et applications aux grandes aires urbaines françaises.  » soutenue en 2012 plusieurs grands modèles de regroupement spatial. Le modèle général est celui où les ouvriers résident en périphérie des aires urbaines. Les modèles lillois et méditerranéens présentent des peuplements différents.

    http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/77/02/59/PDF/thA_seDasrA_.pdf

  7. Voir par exemple Poulot M, Aragau C (2013), «  Habiter en périurbain ou réinventer la qualité de la ville  ». Selon les auteurs, l’habiter en périurbain ou le modèle de la ville diffuse témoigne de nouvelles manières de vivre la ville, voire de concevoir la ville. http://halshs.archives-ouvertes.fr/docs/00/84/68/16/PDF/Aragau_Poulot_H_G.pdf

  8. Voir notamment Éric Charmes et Max Rousseau, «  Le pavillon et l’immeuble : géopolitique de la densification dans la région métropolitaine de Lyon  », Géographie, Économie, Société 16 (2014) 155–181, http://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=GES_162_0155

  9. Plusieurs travaux d’économie foncière démontrant ce phénomène sont recensées dans la revue de littérature de Sara Reux (2013) « Facteurs de l’urbanisation discontinue : une revue de la littérature  ».

  10. Voir Jean-Claude Castel (2011), «  L’impact de la densité sur les bilans de construction  »

    http://www.anil.org/fileadmin/ANIL/Boite_mail/impact_densite_bilans_construction_ADEF.pdf

  11. Tribune de Jacques Lévy dans Libération du 25 avril 2007 «  Dis-moi ou tu habites  »

  12. Jérôme Fourquet (2012) «  Les sens des cartes : analyse sur la géographie des votes à la présidentielle  », IFOP

    http://www.jean-jaures.org/Publications/Essais/Le-sens-des-cartes

  13. Violaine Girard et Jean Rivière sont revenus sur ces différentes analyses dans «  Grandeur et décadence du périurbain  », metropolitiques.eu (2013) mettant en avant la nécessité d’une approche dynamique à même de refléter les trajectoires résidentielles et socioprofessionnelles. Le vote FN se retrouve alors parmi les salariés ayant atteint une situation stable (caractérisées notamment par le CDI et l’acquisition immobilière) et qui entendent se différentier des populations précarisées et stigmatisées. http://www.metropolitiques.eu/Grandeur-et-decadence-du.html

  14. Comme l’a montré Eric Maurin dans «  La peur du déclassement  », La République des idées/Seuil (2009), la peur du déclassement (entrée dans le chômage, renoncement à un emploi de qualité) touche bien plus de monde qu’en réalité. Cette peur s’accroît notamment parmi les ouvriers et les employés ayant acquis une situation stable. Ce constat est confirmé par les enquêtes menées dans plusieurs quartiers pavillonnaires dans le livre de Marie Cartier, Isabelle Coutant, Olivier Masclet et Yasmine Siblot, «  La France des petits-moyens. Enquêtes sur la banlieue pavillonnaire  » Ed. La Découverte (2009). Dans ces quartiers, la « menace de la chute sociale » apparaît plus vivement ressentie aujourd’hui qu’hier. Selon les auteurs, « cette menace doit être lue comme l’effet de la déstabilisation sociale et économique des catégories d’origine populaire en petite ascension sociale qui sont à présent bien moins assurées de leur avenir et de celui de leurs enfants que les générations antérieures ».

  15. Cf Cartier et al. «  La France des petits-moyens  » (2009)

  16. Éric Charmes , Lydie Launay et Stéphanie Vermeersch ont approfondi cette analyse («  Le périurbain, France du repli  », laviedesidees.fr (2012) http://www.laviedesidees.fr/Le-periurbain-France-du-repli.html

  17. Cf Cartier et al. «  La France des petits-moyens  » (2009)

  18. Christophe Guilluy, «  La France périphérique. Comment on a sacrifié les classes populaires » , Paris, Flammarion, 2014

  19. Laurent Davezies et Thierry Pech, «  La nouvelle question territoriale  », 2 septembre 2014

    http://www.tnova.fr/note/la-nouvelle-question-territoriale

  20. Le projet BIMBY («  Build in My Back Yard  ») vise à donner une nouvelle dynamique à la construction en « intensifiant l’habitat » dans les tissus pavillonnaires existants. Le projet a été sélectionné en 2009 par l’Agence Nationale de la Recherche dans le cadre de son appel à projets « Villes Durables » et a rassemblé pendant 3 années 10 partenaires publics. Le projet se prolonge aujourd’hui à travers un réseau social Bimby+ pour favoriser l’échange de pratiques sur cette nouvelle filière du renouvellement urbain.

  21. Voir par exemple la contribution du CAUE 27 à la recherche BIMBY, «  Quelle évolution pour les quartiers pavillonnaires  », 2013. Y sont notamment décrites différentes démarches d’urbanisme participatif menées dans plusieurs communes de l’Eure.

    http://bimby.fr/sites/bimby.fr/files/Evolution%20quartiers%20pavillonnaires%20CAUE27.pdf

  22. Voir l’exemple de l’aire urbaine lyonnaise dans Éric Charmes et Max Rousseau, « Le pavillon et l’immeuble : géopolitique de la densification dans la région métropolitaine de Lyon », Géographie, Économie, Société 16 (2014) 155–181

  23. Notamment dans la récente note de Terra Nova «  Des logements trop chers en France, une stratégie pour la baisse des prix  » (Avril 2014). http://www.tnova.fr/note/des-logements-trop-chers-en-france-une-strat-gie-pour-la-baisse-des-prix

  24. L’Etat peut exercer un droit de préemption sur des communes SRU en carence majeure de logement social

  25. La taxe pour la gestion des eaux pluviales urbaines créée en 2010 a également pour objectif d’inciter à la maîtrise de l’imperméabilisation grâce à un système d’abattement lorsqu’il est mis en place un dispositif de gestion des eaux pluviales sur la parcelle concernée.

  26. Référé de la Cour des Comptes du 1er août 2013 «  les terres agricoles et les conflits d’usage  »

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