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Note

Relations financières entre l’Etat et les collectivités locales : 4 chantiers à [r]ouvrir pour sortir de l’impasse

Mises en cause cet automne dans le débat sur l’ampleur inattendue du déficit public, les collectivités locales sont-elles responsables de ce dérapage ? Pour comprendre la part qu’elles prennent à la situation des finances publiques, il faut d’abord revenir sur les évolutions des relations entre l’Etat et ces collectivités locales. Un sujet complexe et souvent mal traité qu’il devient urgent de clarifier. La remise en chantier de la loi de finances en janvier 2025 offre une opportunité pour repenser ces relations essentielles.

Publié le 

Introduction

Le projet de loi de finances pour 2025 du gouvernement de Michel Barnier entendait, au nom de la réduction du déficit public, freiner la dépense locale et soumettre les collectivités locales à une diète très sévère. Il prévoyait ainsi qu’elles participent financièrement à l’effort à hauteur de 8 Mds€, suscitant colère et incompréhension des élus.

Si la tension dans les relations financières entre l’Etat et les collectivités locales n’est pas nouvelle, puisque la crise financière de 2008 avait déjà donné lieu à une réduction brutale des dotations versées aux collectivités, elle semble aujourd’hui avoir atteint son paroxysme. L’Etat accuse les collectivités d’être pour partie responsables de la dérive actuelle des comptes publics, tandis que les collectivités mettent en avant le décalage croissant entre les responsabilités qui leurs sont confiées dans la mise en œuvre des services publics et le manque de moyens financiers pour y parvenir

Au-delà de la volonté du gouvernement de limiter la dépense locale au nom du redressement des comptes publics, le malentendu entre l’Etat et les collectivités locales sur le plan financier semble plus profond. Quels en sont les contours et les ressorts ? Un point de non-retour a-t-il été atteint et comment rebâtir une relation de confiance entre exécutifs national et local en matière de finances ?

Finalement, que dire aujourd’hui des relations financières entre l’Etat et les collectivités, quelles sont les principaux points d’achoppement ? Quelles évolutions préconiser pour répondre aux défis auxquels les politiques publiques vont prochainement être confrontées ; vieillissement de la population, atténuation de la fracture sociale, transitions écologiques…

Cette note ne prétend pas faire le tour de la question. Elle souhaite simplement mettre au clair les termes du débat et identifier pistes de réflexion et chantiers prioritaires pour faire évoluer les relations financières entre l’Etat et les collectivités au bénéficie des politiques conduites au niveau local.

Le projet de loi de finances est tombé avec la démission du gouvernement de Michel Barnier. Mais cela ne met pas au rebut le sujet des relations financières entre l’Etat et les collectivités bien au contraire, de nouvelles pistes sont ouvertes et c’est le moment d’y travailler.

1. Les relations financières entre l’Etat et les collectivités : une vieille histoire

Les relations financières entre l’Etat et les collectivités locales sont marquées par une complexité croissante reflétant des enjeux parfois contradictoires. Principalement mis en place au moment de la décentralisation, ces transferts financiers sont de nature diverse et ont connus de nombreuses et profondes transformations ces vingt dernières années.

En 2023, selon la direction générale des collectivités locales au sein du ministère des Finances (DGCL), ils représentent une enveloppe de 158 Mds€ recouvrant différents mécanismes. La Cour des comptes[1] en comptabilise plus d’une centaine, précisant que « l’existence de plusieurs niveaux de collectivités n’est pas le principal facteur explicatif de ce nombre élevé ».

Ces transferts financiers peuvent être schématiquement regroupés en plusieurs familles distinctes :

Des dotations destinées à accompagner le fonctionnement des collectivités et à leur développement via notamment la fameuse dotation globale de fonctionnement (DGF, 27,2 Mds€) ;

Différentes dotations d’investissement participant au financement des projets d’équipement des collectivités. Citons par exemple la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL, 570 M€) et la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR, 1,046 Md€ en autorisations d’engagement) pour les plus connues ; 

Des compensations en lien avec des suppressions ou des réductions d’impôts locaux (4,3 Mds€) : suppression de la taxe professionnelle, de la taxe d’habitation, réduction des bases fiscales des entreprises à caractère industriel… le plus souvent décidées unilatéralement par l’Etat et dont le volume ne cesse de progresser ;

De la fiscalité transférée (6,8 Mds€) destinée à financer les transferts de compétences principalement intervenus au moment de la décentralisation[2] et de façon plus sporadique par la suite[3]. On retrouve dans cette catégorie les droits de mutation (DMTO) et la taxe sur les contrats d’assurance (TSA) revenant aux départements, la taxe sur les surfaces commerciales revenant aux communes (Tascom) ;

Il conviendrait d’ajouter les enveloppes financières (« filet de sécurité ») mises à disposition des collectivités pour faire face à des chocs conjoncturels (crise sanitaire, inflation…) et qui ont joué un rôle certain dans la stabilité des ressources locales pour les périodes concernées.

Sans oublier d’évoquer les fonds de péréquation qui relèvent d’une autre logique mais dont l’efficacité péréquatrice est aujourd’hui largement remise en cause.

2. De nombreux motifs d’insatisfactions

Ces transferts financiers répondent à différentes finalités qui peuvent entrer en contradiction les unes avec les autres. Il s’agit ainsi, tout à la fois, de financer le développement local, de corriger les inégalités de ressources entre collectivités, de compenser des ressources supprimées ou réduites du fait de décisions unilatérales de l’État et d’apporter des aides sectorielles (centralité, ruralité, densité, tourisme…).

Au total, en dépit du volume significatif que représentent ces transferts, un sentiment d’insatisfaction domine : architecture complexe et peu lisible, effritement des enveloppes, manque de prévisibilité pour les budgets locaux, approximation dans l’évaluation des indicateurs et clés de répartition, absence de concertation amont sur l’évolution des dispositifs et des enveloppes, faiblesse des processus d’évaluation…

Reprenons ici les éléments les plus saillants :

Des transferts financiers à l’architecture complexe

Par effet d’accumulation et de démultiplication des dispositifs et des enveloppes, les crédits de l’Etat alloués aux différents niveaux de collectivités, leur répartition et modalités d’attribution sont d’une grande opacité et complexité.

De fait, la vision globale de ces concours financiers n’est pas aisée. Le projet de loi de finances annuelle retrace une partie de ces soutiens dans le cadre notamment des « prélèvements sur recettes » (PSR)[4]. Ces derniers regroupent principalement les dotations de fonctionnement de l’État et des contreparties de dégrèvements et d’allégements fiscaux. Une autre partie des soutiens financiers figure, au sein des crédits de la mission « relations avec les collectivités territoriales » du projet de loi de finances. On y retrouve les dotations d’investissement, les subventions des différents ministères et ainsi que la fiscalité transférée. La direction générale des collectivités territoriales (DGCL) en présente une synthèse dans un tableau de plus de 80 lignes aux intitulés ésotériques uniquement accessibles aux lecteurs initiés[5].

De leur côté, les fractions de TVA attribuées aux collectivités, en remplacement de la taxe d’habitation sur les résidences principales et de la suppression de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), et qui représentent désormais une part significative de leurs ressources, ne sont pas retracées dans les documents budgétaires du PLF, mais dans des états annexes. La consolidation de l’ensemble reste difficile.

Ensemble des transferts de l’Etat aux collectivités territoriales entre 2016 et 2023 en Mds d’euros

Source : Cour des comptes, analyse de l’exécution budgétaire 2023, avril 2024, p. 36

La dotation globale de fonctionnement illustre bien le niveau de complexité atteint. Principal concours de l’État dédié au financement des dépenses de fonctionnement des collectivités, la DGF (26,9 Mds€ en 2023) a fait l’objet de nombreux ajustements. Elle est organisée en plusieurs sous-dotations (une quinzaine) à destination des communes, des intercommunalités et des départements[6]. Mais son fonctionnement en « enveloppe fermée » (c’est-à-dire que pour faire progresser une de ses composantes, il faut en diminuer une autre) met en tension des collectivités entre elles et constitue un sujet récurent de frustrations et de mécontentements pour les élus.

De fait, les critiques concernant la DGF sont nombreuses : complexité de l’architecture d’ensemble, approximation concernant certains indicateurs de charges (voirie, logement social, population…) et lourdeur de leur processus d’évaluation, difficultés croissantes du principal indicateur de richesse (le potentiel fiscal ou financier) à évaluer avec justesse et équité la réalité du niveau de ressources de chaque collectivité. Ces dysfonctionnements sont bien identifiés par les pouvoirs publics. Toutefois, s’il est acquis par tous que « la DGF est à bout de souffle », personne, ni le Comité des finances locales en charge de la répartition de cette dotation, ni le gouvernement, ni les parlementaires, ne semblent en mesure d’engager avec succès une réforme ambitieuse[7].

Le poids exorbitant de la « fiscalité gelée » au sein des transferts financiers

A la troisième place en ordre d’importance dans les transferts de l’Etat (23 % des concours de l’Etat en 2023), se trouvent des dotations visant à compenser des allégements fiscaux ou des ressources fiscales supprimées.

Dans la grande majorité des cas, le montant de ces dotations a été « gelé » à la date de leur mise en œuvre, privant les collectivités de toute dynamique de ces recettes. C’est le cas de la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) qui date des années 2000. Même chose avec le fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle (FDPTP) ou de la compensation de la part salaire datant de la même période.

Certaines de ces dotations très anciennes ont été regroupées, comme la dotation de « compensation de divers dégrèvements législatifs », (4,3 Mds€ en 2023), qui servent désormais de variables d’ajustement pour permettre à d’autres dotations de progresser.

En outre, cette fiscalité gelée (ou morte) prive définitivement les collectivités d’un levier fiscal et accroit fortement leur dépendance au regard des transferts financiers de l’Etat. 

Des dotations d’investissement « détournées » par les appels à projet

Les dotations d’investissement versées aux collectivités locales constituent une fraction importante de ces transferts. Leur volume au cours des dernières années a fortement progressé sous l’impulsion d’une augmentation substantielle des aides à l’investissement de l’Etat et de ses agences (ADEME, ANAH, ANRU, Agence de l’Eau…). D’un montant de 4,3 Mds€ en 2010, elles avoisinaient les 7 Mds€ en 2023.

Au fil des années, ces dotations d’investissement se sont multipliées à mesure de la mise en place de nouvelles politiques sectorielles, de nouveaux programmes, sans que la question de leur articulation ou de leur probable concurrence ne soit soulevée. L’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) recense ainsi 140 dispositifs de subventions à l’investissement portés à l’échelle nationale dans le cadre de différentes enveloppes : Action Cœur de Ville, Petites Villes de demain, contrats de ruralité, Territoires d’Industrie…

Ce faisant, les dotations à l’investissement des collectivités ont changé de nature. Les dotations libres d’emploi ont progressivement cédé la place à partir des années 2010 à des logiques d’appels à projets autour de deux dispositifs : la dotation de soutien à l’investissement local (DSIL) et la dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR). Ces deux dotations concentrent désormais plus de la moitié des aides à l’investissement de l’Etat. En 2023, la DSIL représentait une enveloppe de 570 millions d’euros et de 1,046 Md€ pour la DETR. Souhaitant relancer une dynamique en faveur d’une implication renforcée sur les questions de transition écologique, le Fonds vert doté de 2 Mds€ s’est récemment mis en place avec la même logique en 2023.

Ce changement de nature des dotations n’est pas sans conséquences pour les collectivités. Avec la DETR et la DSIL, l’Etat entend orienter l’action des collectivités y compris dans le champ de politiques décentralisées, comme la mobilité, les équipements culturels, sportifs, la voirie… D’une part, les collectivités doivent désormais adosser leurs projets d’investissement à des priorités nationales en étant fortement incitées à intégrer des « programmes » prédéfinis en amont. D’autre part, le préfet représentant local de l’Etat se voit attribué un rôle central de répartiteur et d’arbitre de ces dotations[8]. La recherche d’une plus grande efficacité des aides publiques, principal argument avancé pour justifier cette recentralisation, est pleine de bon sens. Pour autant, comment imaginer que cet objectif ne soit pas aussi celui des collectivités déposant des projets ? En outre, les collectivités dénoncent fréquemment la modularité des décisions d’attribution et la nature variable des critères de sélection des projets retenus.

De leur côté, les plus petites collectivités sont très critiques au regard du développement de ces appels à projets, se sentant mal outillées, en moyen humain notamment, pour y répondre.

En outre, contrairement à des dotations pérennes, ces nouvelles enveloppes ont pour le plus souvent une visée assez « court-termiste », un programme chassant un autre, ce qui rend difficile pour les collectivités la planification sur le long terme. A ce titre, le Fonds vert est un bon exemple.

Un récent rapport de l’inspection des finances[9] aborde cette thématique en pointant le caractère dispendieux des « coûts de coordination » et le fait que « l’État demeure très présent dans le champ de politiques publiques décentralisées ».

Des transferts de compétences sous-financés

Le montant des compétences transférées par l’Etat a été défini en fonction du leur coût historique, mais, rapidement, ces montants dont le niveau n’a jamais été relevé se sont révélés insuffisants. L’exemple des départements attributaires des compétences en matière d’aides sociales (RMI d’abord devenu RSA, aide sociale à l’enfance) est bien connu. Les départements dénoncent régulièrement le « reste à charge » toujours plus important alors que l’Etat reste le principal décideur des politiques sociales. Il en résulte des difficultés financières pour les départements où les aides sociales connaissent une forte progression (nombre de bénéficiaires, effet de l’inflation mais aussi évolution de périmètre), sans que leurs ressources puissent s’aligner sur le niveau des charges.

D’autres niveaux de collectivités ayant bénéficié de compétences transférées au moment de la décentralisation, ou après, connaissent une situation similaire. C’est dans cet état d’esprit que l’association des Maires de France (AMF) revendique une revalorisation financière de l’enveloppe de la dotation globale de fonctionnement (DGF).

L’obligation constitutionnelle[10] d’un ajustement financier des transferts de compétence introduite en 2003 est globalement restée lettre morte. Cette situation alimente une tension régulière dans les relations financières entre l’Etat et les collectivités locales.

Une situation de dépendance accrue

Supposée accompagner la décentralisation en donnant des moyens financiers aux collectivités, l’architecture baroque des transferts financiers a finalement produit l’effet inverse en accroissant leur dépendance vis-à-vis de l’Etat.

C’est tout le paradoxe pour les collectivités locales : ces transferts financiers représentent une ressource devenue dominante, indispensable à l’équilibre de leur budget, tandis que, corrélativement, la charge financière pèse lourdement dans le budget de l’Etat.

Depuis longtemps, l’Etat cherche à réduire sa participation financière en direction des collectivités locales. Plusieurs dispositifs ont été mis en place dans cette perspective au cours des vingt dernières années, autour du concept « d’enveloppe normée » qui vise à définir un plafond annuel de progression pour les principales dotations de l’Etat aux collectivités locales.

La déclinaison s’est opérée sous différents formes : le Contrat de croissance et de solidarité instauré en 2002, suivi du Contrat de stabilité le remplaçant en 2009, puis le Pacte de confiance et responsabilité en 2013… Mais, au-delà des dispositifs à l’intitulé rassurant, c’est bien d’encadrement voire de réduction des transferts de l’Etat aux collectivités dont il est question. Ainsi, en 2014, pour faire face à la dégradation de la situation économique du pays, la DGF sera réduite d’un tiers de son montant sur trois ans. Le gouvernement suivant choisira une autre méthode avec les contrats dits de Cahors fixant une norme d’évolution de la dépense des collectivités. La crise sanitaire mettra un terme à ces contrats sans qu’on soit capable d’en évaluer réellement les effets.

Mais passer du pilotage par la ressource à un pilotage par la dépense a surtout contribué à rendre les collectivités très méfiantes à l’égard de l’Etat.

3. Le PLF pour 2025 a marqué une forte dégradation des relations financières entre l’Etat et les collectivités

Ecrit dans la précipitation et avec le contexte politique et le résultat que l’on connait, le projet de loi de finances avait pour objectif de ramener le déficit public à 3 % du PIB en 2026. Pour y parvenir, il envisageait de très sévères mesures d’austérité en direction des collectivités locales les rendant responsables du creusement du déficit public.

Qu’en est-il réellement ? Pour mieux répondre à cette interrogation, il est important de bien cerner la notion de déficit public.

Du côté de l’Etat, la notion de déficit est assez simple : l’Etat est en déficit au premier euro non couvert par des recettes. Pour combler ce déficit, il emprunte, quelle que soit la nature de la dépense à couvrir. Dans la mesure où il investit peu lui-même, il emprunte principalement pour payer ses charges d’exploitation et charges salariales… mais aussi les intérêts de sa dette. Concernant l’Etat, on parle de « déficit budgétaire ».

La France est ainsi structurellement en déficit budgétaire depuis 1975. Ce déficit public est largement imputable aux administrations publiques centrales (budget de l’Etat et de ses satellites). Il est comblé chaque année par de la dette dont le volume croit fortement : 3 228,4 Mds€ au premier trimestre 2024, soit 113 % du PIB, elle était de 867 Mds€ en 2000. Ce niveau de dette est certes inquiétant par son volume et sa progression ces dernières années, pour autant le fait que cette dette soit, pour une large partie, détenue par des investisseurs résidents de la zone euro (épargne des ménages, compagnies d’assurance, grandes banques françaises et à présent BCE) la protège d’une exposition trop brutale à la volatilité des marchés financiers internationaux[11]. Notons également que d’autres pays de la zone euro et au-delà ont un niveau de dette plus important que le nôtre, sans cela remette en cause l’équilibre financier du pays.

De leur côté, les collectivités locales bénéficient d’un système budgétaire très protecteur, la fameuse « règle d’or », qui limite l’emprunt au financement de leurs investissements. Leurs charges d’exploitation doivent obligatoirement être équilibrées avec des recettes propres, impôts locaux et dotations de l’Etat principalement. C’est pourquoi, concernant les collectivités, on ne parle pas de « déficit » mais de « besoin de financement ».

Toutefois, par souci de comparabilité avec les autres pays de la Zone euro, la notion de déficit public additionne pour la France : le déficit budgétaire de l’Etat, le déficit des comptes sociaux et le besoin de financement des collectivités locales ou des administrations publiques locales (APUL), concept un peu plus large que les seules collectivités. Le déficit public est considéré dans son ensemble ! C’est bien ce déficit que regardent l’Europe et les agences de notation et qui doit obéir à la fameuse règle prudentielle du plafonnement à 3 % du PIB. Ce constat doit être fait, même si le déficit du budget de l’Etat ne peut laisser indifférentes les collectivités, parties intégrantes de la nation.

Il est important de noter qu’au cours des cinq dernières années les collectivités locales ont dégagé un besoin de financement positif, participant de ce fait à la réduction du déficit public du budget de l’Etat. Ce n’est que depuis 2023 que les budgets locaux connaissent une situation déficitaire.

Pour résorber le déficit public, le gouvernement de Michel Barnier envisageait plusieurs dispositifs en direction des collectivités locales. Ces derniers visaient d’une part à réduire leurs ressources : gel de la dynamique de la fraction de TVA leur revenant, prélèvement d’une partie des recettes fiscales pour les collectivités ayant un budget supérieur à 40 millions d’euros, abaissement d’une dotation accompagnant le financement des investissement (le FCTVA). Il leur imposait d’autre part des charges supplémentaires et notamment la hausse du taux de cotisation à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL). Au total, selon les chiffrages des différentes associations d’élus locaux, l’ensemble des mesures étaient évaluées entre 8 et 10 Mds€. 

Si la menace de leur mise en œuvre semble pour le moment différée après l’adoption d’une motion de censure à l’Assemblée nationale entrainant la chute du gouvernement Barnier et mettant à l’arrêt le projet de budget pour 2025, le déficit public n’en est pas moins une réalité et la question de la participation financière des collectivités reste à l’agenda. Une loi de finances prévue pour janvier 2025 devrait relancer le débat.

Bénéficiant de fonds publics, tissant avec l’Etat une communauté de destin, les collectivités peuvent-elles se sentir totalement indifférentes à la situation fortement dégradée des comptes publics ?

Ce n’est donc pas tant sur le fond que sur la forme qu’elles se sont exprimées pour demander que soit mise en place une méthode moins descendante, moins aveugle aux réalités territoriales, avec des mesures plus équitables et mieux partagées entre collectivités et dont les objectifs et la mise en œuvre seraient validés de façon concertée.

A ce titre, il faut bien reconnaitre que les mesures du PLF pour 2025 manquaient de cap et de vision, privilégiant une approche très court-termiste dont l’orientation principale était, pour le gouvernement en place, de faire la démonstration de sa capacité à refroidir la dépense des collectivités locales. En outre, la fragmentation en différents prélèvements, des mesures financières les concernant conduisait à en faire porter le poids politique par les élus locaux. A deux ans des prochaines élections municipales, alors que des projets d’investissement sont en cours, cette stratégie s’est révélée désastreuse.

Capacité (en positif) ou besoin de financement (en négatif) des administrations publiques nationales et locales / En Mds €

 

2018

2019

2020

2021

2022

2023

Adm. publiques centrales (État + ODAC)

–68,5

–88,1

–158,9

–144

–133,0

–157,2

Adm. de sécurité sociale

+11,7

+14,5

–45,8

–17,2

+8,2

+13,2

Collectivités locales

+4,2

+1,2

+0,2

+4,5

+3,0

– 5,5

Autres admi. Publiques locales

–1,5

–2,3

–3,6

–5,3

– 4,0

– 4,4

Total déficit public

–54,1

–74,7

–208,1

–162,0

–125,8

–153,9

Déficit public notifié au sens de Maastricht en % du PIB

–2,3

–3,1

–9

–6,5

–4,7

– 5,5

Source : Rapport de l’Observatoire des finances et de la gestion publique locales 2024, Annexe 1 : comptes des administrations publiques locales (p. 94)

4. Quatre chantiers pour sortir de l’impasse 

Répartition des compétences, érosion des enveloppes financières, sur-administration… au fil des années, les relations entre l’Etat et les collectivités locales se sont dégradées pour devenir toujours plus conflictuelles. L’Etat mettant en avant la nécessité d’optimiser la dépense publique locale sans remise en cause de ses propres pratiques, tandis que les collectivités font valoir l’accroissement régulier et imposé de leurs compétences et l’empiètement sur leur autonomie de gestion. L’affaiblissement de la volonté décentralisatrice que l’on observe ces dernières années semble au cœur du sujet. De fait, l’Etat considère trop souvent les collectivités locales comme de simples exécutantes et non comme des partenaires responsables.

De nombreux rapports se sont déjà penchés sur les évolutions à apporter aux relations entre l’Etat et les collectivités locales. Il s’agit ici de mettre en lumière les propositions qui semblent essentielles afin de définir des pistes de travail à approfondir. En amont de ces dernières, la nécessité de restaurer rapidement la confiance, aujourd’hui défaillante, entre l’Etat et les collectivités locales[12].

Quatre chantiers méritent d’être explorés à nouveau.

 

Chantier 1 : Refonder un lieu de dialogue et de concertation entre l’Etat et les collectivités

Comme le souligne avec justesse la Cour des comptes[13], aucune réforme profonde du système de financement local ne sera possible sans une concertation mieux structurée entre les pouvoirs publics et les collectivités. Il est en effet essentiel que les collectivités soient étroitement associées, via leurs représentants, à la définition des mécanismes financiers qui les concernent.

Dans cette perspective, il conviendrait d’instaurer une instance permanente de concertation entre l’État et les collectivités, chargée de l’examen des dispositifs concernant la fiscalité et les finances locales. Cette instance constituerait une interface entre l’Etat, les collectivités, le parlement et ses différentes commissions dédiées. Elle serait un lieu de dialogue partenarial avec les pouvoirs publics, apte à produire, en amont des travaux parlementaires, des diagnostics objectivant les situations locales et nationales sur les sujets concernant les collectivités. Elle disposerait d’une capacité d’expertise, n’hésitant pas à s’appuyer sur les travaux des experts du monde académique et universitaire par exemple, trop peu sollicités.

Elle pourrait également être force de proposition pour faire évoluer les dispositifs financiers notamment en matière de péréquation.

Ce lieu de concertation fait aujourd’hui cruellement défaut. Le Comité des finances locales (CFL) a progressivement perdu de sa capacité de concertation. Ses avis sont limités par leur caractère uniquement consultatif, les élus y sont de moins en moins présents, l’administration est surreprésentée et les propositions ou travaux d’évaluation réalisés par la direction générale des collectivités locales (DGCL) restent très dépendants des orientations fixées par l’Etat.

Un approfondissement de cette thématique serait de définir le profil de cette nouvelle instance.

 

Chantier 2 : Mettre en place une loi de programmation pluriannuelle des finances locales dédiée aux collectivités

Ces dernières années, les réformes se sont multipliées créant pour les budgets locaux un sentiment d’instabilité permanente peu propice à la mise en œuvre de politiques d’investissement.

La mise en place d’une loi de programmation pluriannuelle des finances locales spécifiques aux collectivités apporterait la visibilité et la stabilité recherchées tant sur leurs recettes fiscales que sur les charges nouvelles leur incombant, liées à des actions ou des compétences nouvelles (environnement, habitat, social…). C’est une voie à explorer.

Discutée en amont entre l’Etat et les collectivités dans le cadre de la nouvelle instance de gouvernance locale évoquée précédemment, cette loi de programmation pluriannuelle définirait des objectifs globaux en matière de services publics locaux par exemple et les moyens pour y parvenir. Elle pourrait traiter de sujets comme la répartition des impôts entre l’échelon national et les échelons locaux, l’évolution des dotations de fonctionnement et d’investissement de l’Etat et leurs contreparties… A ce titre, elle pourrait définir en concertation avec cette même instance une trajectoire des dépenses locales et, pourquoi pas, par strate ou catégorie de collectivité par exemple, un niveau minimum d’investissement en lien avec les projets nationaux.

Pour ce faire, elle pourrait s’appuyer sur des dispositifs de contractualisation par niveau de collectivités par exemple en favorisant la différenciation territoriale, préférable à la multiplication des appels à projets ponctuels et sectoriels, émis par les différents ministères, agences et opérateurs de l’État.

Elle viendrait en annexe des lois de finances et ferait l’objet d’un débat spécifique sur le même calendrier que la loi de finances concernant le budget de l’Etat.

Elle permettrait en outre également de resserrer le débat uniquement sur les collectivités ; actuellement la catégorie des administrations publiques locales (APUL) regroupe les collectivités et d’autres acteurs publics au profil pourtant bien différent (société du Grand Paris notamment, Ile de France mobilité…).

Cette loi de programmation pluriannuelle des finances locales serait également l’occasion de regrouper l’ensemble des crédits concernant les collectivités et d’en donner une vision d’ensemble. Une annexe dans ce sens au budget de l’Etat serait utile. Ces crédits sont actuellement dispersés dans les différentes parties et sous-parties des lois de finances et font l’objet de débats disjoints entre différentes commissions. La DGF est logée dans les prélèvements sur recettes (PSR) ; les enveloppes d’aides à l’investissement dans la mission Relations avec les collectivités et dans la partie « dépenses » du budget ; les crédits d’accompagnement des actions locales éparpillés dans des budgets des ministères correspondants.

Cette loi de finances spéciale collectivités interviendrait concomitamment à la loi de programmation des finances publiques (LPFP) afin que cette dernière puisse en intégrer les enjeux. La bonne articulation entre ces différents instances et textes doit faire l’objet d’une expertise approfondie.

 

Chantier 3 : Rebâtir le système de financement des collectivités locales

De l’avis général, le système de financement des collectivités locales est à bout de souffle. Régulièrement évoquée dans de nombreux rapports[14], parlementaires et gouvernementaux, mais jamais mise en œuvre, la refondation du système de financement des collectivités locales est devenue une nécessité.

La composition du panier de ressources des collectivités du bloc local (les communes et leurs intercommunalités) s’est fortement modifiée au fil du temps, réduisant leur autonomie de gestion. Cette évolution est marquée par :

  • Une plus grande dépendance à la fiscalité nationale (fractions de TVA en remplacement des suppressions d’imposition) et à la situation économique attenante ;
  • Un pouvoir fiscal érodé ;
  • Une déterritorialisation de la fiscalité locale, moins incitative à l’accueil des entreprises dans les territoires, en particulier pour le bloc local ;
  • Un développement de la fiscalité fléchée et réservée à des approches sectorielles, taxe sur les inondations (Gemapi) sur les logements vacants (THRS), sur les déchets… qui peinent à couvrir les charges des actions correspondantes ;
  • Des dotations de fonctionnement à l’évolution très faible (écrêtement) et une péréquation « en panne » (FPIC, dotation d’intercommunalité).

Il s’agirait aussi de redonner du sens à la notion d’autonomie financière des collectivités. L’inscription d’un principe « d’autonomie financière » dans la constitution ne s’est pas traduite par une plus grande garantie des ressources locales. Bien au contraire, paradoxalement, le ratio de « ressources propres » défini par la loi organique et garant de l’autonomie financière des collectivités s’est trouvé amélioré avec la baisse de la DGF en 2014 dans la mesure où, réduisant les ressources des collectivités, il améliorait le poids relatif des ressources fiscales.

De nombreuses voix se sont fait entendre pour réhabiliter une « contribution locale universelle » afin que chaque ménage puisse participer, à la hauteur de ses capacités contributives, à l’effort collectif et au financement des services publics[15].

 

Chantier 4 : Mettre en œuvre la modernisation tant attendue de l’Etat, revoir le schéma territorial

La volonté de rendre l’appareil d’Etat, dans sa grande diversité et ses multiples représentations, plus efficace, de simplifier ses relations avec les différents niveaux d’administration locale n’est pas nouvelle. Maintes fois évoquée, elle a toujours été remise à plus tard.

Le rapport de Boris Ravignon[16], parmi d’autres, identifie de nombreuses pistes pointant les doublons dans l’exercice des compétences, les effets couteux de la sur-administration, le manque de réactivité et de souplesse, la recentralisation qui ne dit pas son nom, la démultiplication des guichets de financement, l’absence de coordination dans une organisation administrative morcelée, la perte de compétences des services déconcentrés de l’Etat… Il est grand temps de redéfinir sur des bases nouvelles les attentes en matière de politiques publiques et le rôle respectif de l’Etat et des collectivités.

Certes, un grand nombre de mesures de simplification et d’amélioration, notamment dans l’accès aux services publics, ont été entreprises, des réorganisations administratives ont été conduites, mais aucune réforme ambitieuse et structurante touchant au périmètre des politiques de l’État et à leur articulation avec les politiques locales ne parvient à voir le jour.

De la même façon, l’évolution du schéma territorial de notre pays semble s’être arrêtée. Elle bute sur le trop grand nombre de décideurs locaux, sur l’enchevêtrement des compétences qui nuisent à la construction de politiques publiques plus efficaces, plus simples et plus proches des ménages, avec un souci d’aménagement équilibré du territoire.

Ces quatre chantiers doivent devenir prioritaires pour dégager des propositions concrètes dans l’évolution des relations financières entre l’Etat et les collectivités locales. Si la question du financement des collectivités locales n’est pas au centre de l’imbroglio politique qui a eu raison du gouvernement de Michel Barnier, elle reste un sujet majeur dans un contexte de resserrement des contraintes budgétaires.

Le vote d’une loi spéciale et la perspective d’une nouvelle loi de finances début 2025 ouvre des perspectives. Il est urgent de se mettre au travail.

 


[1] Cour des Comptes, Transferts financiers aux collectivités territoriales, des objectifs et des instruments à redéfinir. Contribution à la revue des dépenses publiques, Note thématique, juillet 2023

 

[2] En 1983, construction, équipement et fonctionnement des collèges pour les départements, des lycées pour les régions, des écoles primaires et maternelles pour les communes

[3] Transfert du RMI aux départements, remplacé par le RSA en 2009 ; transfert des agents techniques et ouvriers (TOS) des lycées aux régions et des collèges aux départements ; transfert des routes nationales et des agents des DDE aux départements 

[4] Ces prélèvements correspondent à une technique budgétaire dérogatoire permettant de présenter certaines opérations comme de moindres recettes de l’État, et non comme des dépenses. Il s’agit néanmoins d’un manque à gagner pour l’Etat.

[5] Concours de l’Etat aux collectivités, . Rapport de l’OFGL, p. 113

[6] Les régions ont « échangé » leur DGF contre une part de TVA en 2018

[7] Cour des comptes, La dotation globale de fonctionnement (DGF), observations définitives, octobre 2024

 

[8] Le préfet de département pour la DETR et le préfet de région pour la DSIL

[9] Boris Ravignon, Coûts des normes et de l’enchevêtrement des compétences entre l’État et les collectivités : évaluation, constats et propositions, mai 2024

[10] L’article 72–2 de la Constitution modifié en 2003 prévoit que « Tout transfert de compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales s’accompagne de l’attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ».

[11] Rapport sur la dette des administrations publiques, Assemblée nationale, octobre 2024

[12] Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si c’est le titre du rapport confié par le Président de la république à Eric Woerth en 2024 « Décentralisation : le temps de la confiance », mai 2024.

[13] Cour des Comptes, « Les scénarios de financement des collectivités territoriales », octobre 2022

 

[14] Conseil économique sociale et environnemental (CESE), « Pour une réforme globale de la fiscalité locale », avril 2018 ; Rapport du Comité pour la réforme des collectivités locales au Président de la République en date du 5 mars 2009 ; Cour des Comptes, « Les scénarios de financement des collectivités territoriales », octobre 2022 ; Eric Woerth, « Décentralisation : le temps de la confiance », mai 2024

 

[15] Terra Nova « Quel avenir pour l’impôt local ? Quel financement des services publics locaux ? », septembre 2023

[16] Boris Ravignon, « Comment réduire les coûts du « millefeuille » territorial ? », juin 2024

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