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Note

Remarques sur « La fin de la paix territoriale ? »

Suite à la publication du texte de l’intervention de Thierry Pech à l’Institut des hautes études de développement et d’aménagement des territoires en Europe (IHEDATE) en janvier 2019, nous avons reçu cette réflexion d’un de nos adhérents. Plus qu’un texte de réaction, il s’agit d’une contribution qui invite à prolonger la discussion sur les dynamiques actuelles de développement territorial et qui trace des pistes en faveur d’autres modèles d’aménagement de l’espace.
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IntroductionLe texte de Thierry Pech [1] invite à interroger notre définition du territoire en rappelant qu’un territoire ne se réduit pas à l’espace qui le contient : « le territoire ne produit pas ipso facto l’identité sociale de ses habitants » (p 6). Plusieurs territoires définis à la fois comme un tissu social et économique et comme des espaces vécus faisant l’objet de représentations diverses par ceux qui y vivent, se superposent, s’entremêlent ou, au contraire, se juxtaposent à l’intérieur du périmètre de l’aire urbaine. Le texte montre bien que les habitants qui vivent dans les zones périurbaines les plus éloignées investissent des espaces de la ville-centre, qu’ils y tissent une sociabilité particulière à travers leur travail ou leurs loisirs. C’est ainsi qu’émergent à travers ces multiples pratiques de l’espace, des territoires qui ne peuvent se réduire à la simple opposition entre un centre et des périphéries.Le texte met bien en évidence la dynamique qui s’opère au profit de la ville-centre qui attire les capitaux et la main d’œuvre qualifiée. C’est pourquoi elle concentre aussi bien l’emploi que les centres de commandement. Cette dynamique qui fait de la ville une métropole provoque la relégation des couronnes périurbaines à de simples « espaces dortoirs ». De nombreuses communes qui constituent ces couronnes périphériques ont très tôt compris le danger en développant, non sans difficultés, de nouvelles centralités.J’abonde aussi dans le sens du texte lorsqu’il affirme que ces populations habitant le périurbain ont vécu ces transformations « en essayant de cumuler les bénéfices de l’emploi urbain et ceux de l’habitat en dehors des centres » (p. 11). Peut-être est-ce notre rapport à l’espace qu’il faut interroger plus profondément lorsqu’on voit encore à l’œuvre cette dissociation qui intervient dans l’espace, les distances se rallongeant de plus en plus, entre le lieu de l’habitat et les lieux du travail. Le texte montre assez clairement que plus l’on s’éloigne, plus l’accès à la propriété devient facile pour des catégories sociales dont le revenu est pourtant fragile et le niveau de diplôme plus faible que dans la ville-centre. Il montre aussi que le renchérissement des coûts directs liés à cette mobilité toujours plus grande, la moindre valeur des biens immobiliers ainsi que toutes les autres dépenses indirectes, a fragilisé ces populations qui vivent, certes éloignées, mais toujours à l’intérieur de nos aires urbaines. 1. Une forte empreinte environnementaleMême si le texte porte avant tout sur la précarisation des ménages en territoire périurbain, il incite à poursuivre la discussion sur plusieurs points. Il attire en particulier l’attention sur les problèmes environnementaux créés par la périurbanisation. « Le modèle de « l’ubiquité territoriale » présente des coûts individuels et collectifs très significatifs. Il n’est pas sûr d’ailleurs qu’il soit longtemps soutenable » (p. 18). Ce modèle n’a jamais été soutenable, les déplacements pendulaires provoquant très rapidement un engorgement de la circulation sur les axes, avec tous les problèmes que l’on sait : dégagement accrus de gaz à effet de serre (GES) et formation d’îlots de chaleur au-dessus des villes, dépassement des normes sanitaires pour certains gaz nocifs (ozone) et pour les particules fines. On y a répondu par un élargissement des axes qui, par effet d’entraînement, amplifie ce problème sur le long terme. Bien sûr, de nombreuses collectivités en milieu urbain ont répondu à l’augmentation de la pollution atmosphérique par le développement de réseaux de transport en commun et par la promotion du vélo. Cependant, ces investissements ne suivent pas le rythme exponentiel de croissance des migrations pendulaires et ils répondent à des schémas de déplacement « intra-urbains » qui ne dépassent guère le périmètre du pôle urbain (ville-centre et première couronne périurbaine).2. Les limites de l’étalement urbainLa construction de ces zones pavillonnaires loin des centres a transformé durablement un espace rural marqué par l’activité agricole. Le mitage progressif des zones vouées à la production agricole ou aux espaces naturels a été rendue possible par les choix effectués par les communes rurales de privilégier les projets immobiliers pour des raisons financières évidentes. Certes, l’étalement périurbain fait l’objet d’un contrôle spatial assez fin à travers la mise en place des Plans locaux d’urbanisme (PLU et PLUI). Néanmoins, force est de constater que cela a eu pour conséquence de réduire l’activité agricole, et entraîné une artificialisation des sols avec les aménagements de voirie rendus nécessaires par ces projets de construction. L’ouverture de nouveaux accès de communication a morcelé des habitats naturels qui connaissaient jusqu’alors une certaine continuité. La biodiversité s’en est trouvée fragilisée, notamment pour les espèces animales qui ont besoin de territoires étendus de déplacement.En France, les seules structures qui possèdent véritablement les outils permettant de planifier dans un espace suffisamment vaste le développement de l’urbanisation sont les parcs nationaux et les parcs naturels régionaux. Les chartes adoptées par les acteurs locaux y définissent strictement les usages afin de préserver l’agriculture aussi bien que les espaces naturels. 3. Les territoires oubliésLe problème posé par la précarisation du niveau de vie des populations habitant le périurbain possède une dimension spatiale assez fondamentale à mes yeux, comme le rappelle brièvement le texte : « le problème n’est donc pas seulement la périurbanisation en tant que telle, mais la forme spatiale particulièrement désorganisée et fragmentée qu’elle a prise en France » (p. 14). Cette réalité résulte d’abord d’un développement des couronnes périurbaines laissé aux lois du marché immobilier. Nous n’avons peut être pas suffisamment réfléchi à la manière avec laquelle, à l’intérieur des aires urbaines, l’urbanisation allait se déployer en concurrence avec les autres usages de l’espace. Sans doute parce que la transformation des villes en aires urbaines, c’est-à-dire en vastes ensembles marqués par la mobilité périurbaine, s’est déroulée progressivement au cours de la seconde moitié du XXe siècle [2] . Elle vient encore du fait que nous avons trop envisagé la géographie de nos territoires à l’aune du développement et de la domination économique des métropoles. Il fallait renforcer ces dernières en outils de commandement, y promouvoir le développement de pôles de compétitivité dans un contexte de forte compétition entre métropoles à l’échelle européenne. Paris mis à part, il fallait renforcer le rayonnement européen des métropoles françaises à travers de multiples aménagements urbains (je pense particulièrement à Lyon et à Marseille par exemple). Il s’agissait aussi d’accroître la mobilité entre ces métropoles de telle sorte qu’un « maillage » tendu dans l’espace à l’aide d’un réseau autoroutier et de lignes à grande vitesse couvre le territoire national et se connecte finalement à l’ensemble européen. La politique nationale des transports va d’ailleurs dans le sens du renforcement de ces axes car il s’agit, pour le transport ferroviaire, des lignes les plus rentables.Ce faisant, on a peut être laissé de côté les zones rurales et périurbaines qui se situent « entre les mailles » du réseau des métropoles européennes, comme autant d’angles morts…J’ai été frappé par certaines affirmations au début du mouvement des gilets jaunes, parmi lesquelles : « on ne nous voit pas », « on ne nous considère pas »… Peut-être ce sentiment « d’invisibilité » trouve-t-il aussi là son origine, aux côtés de réalités plus sociales. 4. Les territoires invisiblesJe reprendrai enfin les trois caractéristiques du modèle de vie qui a conduit au développement des aires urbaines en France et qui sont présentées à la page 16 :« a) la propriété de la maison individuelle en périurbain / b) l’emploi salarié en cœur d’agglomération / c) l’accès à la consommation de masse en périphérie [qui] implique un usage des territoires intense et coûteux ». Je me permettrai de les mettre en relation en les modifiant entre eux pour aller plus loin ensuite. Cela donne le schéma ci-dessous :

Mais il faut compléter cette première approche de la manière suivante :

5. D’autres modèles d’aménagementPour terminer, je souhaite rebondir sur les pistes de réflexion exprimées en page 19 et me permettrai, là aussi, d’aller plus loin. Si les propositions du texte ont le mérite d’être à la fois sensées et réalistes, elles ne remettent pas en cause notre modèle d’aménagement. J’irai donc un peu plus loin en apportant quelques idées tout à fait irréalistes. Mais un peu d’utopie ne fait point de mal en cette époque si peu enchantée !Mes remarques ne porteront pas sur le nécessaire développement du covoiturage ou l’intérêt ( que je crois limité ) du télétravail. Je m’appuierai essentiellement sur d’autres points, à savoir : le rapprochement de l’offre de services par rapport aux lieux de résidence ; la « réduction de l’éparpillement communal » ; la libération du foncier à proximité des centres.5.1 Les collectivités territoriales (communautés d’agglomération, métropoles) ne devraient pas limiter leur champ d’intervention ni leur réflexion aux problématiques de leurs pôles urbains, mais englober cet espace plus lointain aux franges de la ville et de la campagne, les zones périurbaines éloignées. Cet objet géographique qu’est « l’aire urbaine » me semble tout à fait adapté.Cela impliquerait l’élargissement de leur périmètre spatial de compétence à la dimension de ces aires urbaines. Certaines collectivités ont déjà anticipé les transformations en cours, pensons au « Grand Paris » et au « Grand Lyon » et il me semble qu’une politique massive d’investissement dans les réseaux de mobilité se révèle utile.Ces réseaux doivent impérativement privilégier les modes de transports écologiques les plus viables, c’est-à-dire le ferroviaire (trains de banlieue et/ou tramway) ou, à défaut, une mobilité avec autobus sur voie en site propre .Mais il apparaît évident que toute politique d’investissement se trouve confrontée à la nécessité de réduire la dépense publique et que d’inévitables arbitrages se poseront, quitte à ce que la gestion matérielle de ces lignes ou du parc d’autobus soit confiée à des acteurs privés.

le développement de réseaux périurbains, dans le prolongement de l’aménagement des métropoles5.2 L’absence de schéma contraignant à l’échelle de l’aire urbaine comme l’éparpillement des projets de construction pavillonnaire au gré des plans locaux d’urbanisme ont provoqué un étalement « en nappe » de l’urbanisation. Cet étalement a conduit lui-même, et le texte l’affirme très bien, à un éclatement entre les lieux de vie, ceux du lieu du travail et les lieux de service aux personnes (ou lieux de loisir).Nous devrions revoir ce modèle spatial et, à l’aide de politiques incitatives adéquates, nous rapprocher d’une organisation de l’habitat plus dense et reliée à ces grands réseaux périurbains de transport collectif décrits précédemment.Je propose l’idée d’une sorte de « corridors de peuplement et de production » dans ces vastes espaces périurbains.

Cette idée reste totalement irréaliste et utopique au vu de nos espaces périurbains déjà bien saturés en constructions et en aménagements de toutes sortes. Mais nous pourrions néanmoins nous en rapprocher aux conditions suivantes :Le transfert de compétences liées à la maîtrise du foncier des communes vers les métropoles.L’extension du périmètre d’action de ces dernières à l’ensemble de l’aire urbaine.Une politique incitative suffisamment forte afin que les prix du foncier soient attractifs le long du réseau central et, à l’inverse, de plus en plus onéreux au fur et à mesure que l’on s’en éloigne.Dans les projets d’aménagement : une articulation entre l’habitat, les services de proximité, les services non marchands (administrations, écoles) dans une logique de proximité.Un habitat collectif aux normes de haute qualité environnementale (HQE) privilégiant le vertical plutôt que l’étalement.Un effort du point de vue des dépenses publiques locales, avec une interrogation sur les sources de financement.Une réelle volonté politique pour orienter les aménagements et pour inciter à une production agricole de proximité .Au delà de ce « corridor », l’espace rural, mais plus encore, l’espace naturel, récréatif ou entièrement conservé.5.3. Il reste à explorer les vertus d’un habitat plus dense et qui s’envisage dans la verticalité. Cet habitat collectif serait conçu de manière à privilégier les relations de voisinage, et par là même, une certaine convivialité propre à renouer le lien social. Cet habitat plus ramassé aurait l’avantage de réduire considérablement l’emprise en sol, donc son artificialisation.Il aurait aussi pour avantage de réduire les dépenses énergétiques en adoptant les principes de construction à énergie positive. Sa proximité avec les réseaux de transport collectif limiterait le recours à l’utilisation de la voiture individuelle. On pourrait en outre y mener des expériences d’agriculture urbaine et de permaculture.Bref, c’est un modèle à contre-courant de notre schéma actuel de vie, fondé sur l’habitat pavillonnaire et la réussite individuelle, un consumérisme centré sur lui-même, facteur de repli et d’isolement.Je reste convaincu au final que nous devons nous diriger vers un modèle territorial qui mette en relation plus étroitement nos espaces de vie avec nos zones de production et notre mobilité. Au delà, la nature doit pouvoir reprendre ses droits.En attendant que ne se réalise cette belle utopie, vive le covoiturage !

  1. Thierry Pech, « La fin de la paix territoriale ? », 31 janvier 2019, http://tnova.fr/notes/la-fin-de-la-paix-territoriale

  2. Le texte rappelle à juste titre la définition stricte d’une aire urbaine, à savoir un espace dans lequel on inclut bien sûr le pôle urbain initial, auquel on rajoute une couronne périurbaine habitée par une population qui effectue à hauteur de 40 % minimum des déplacements pendulaires vers ce pôle urbain.

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