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Colloque « La démocratie face au terrorisme » en présence du Président de la République François Hollande – 8 septembre 2016 – discours de Thierry Pech

Terra Nova, la Fondation Jean-Jaurès et la Fondation européenne d’Etudes progressistes ont organisé le jeudi 8 septembre 2016 à la salle Wagram (Paris 17è) un colloque autour de la démocratie face au terrorisme, en présence du Président de la République François Hollande, qui y a prononcé un discours centré sur la protection de l’Etat de droit, la laicité, et les valeurs de la République. Thierry Pech, directeur général de Terra Nova, a introduit cet événement avec Gilles Finchelstein, directeur de la Fondation Jean-Jaurès. Le verbatim de son discours est disponible ici dans son intégralité.
Publié le 
mis à jour 9 June 2022

Monsieur le Président de la République,

Monsieur le Premier ministre,

Mesdames et Messieurs les ministres, les parlementaires, les élus,

Mesdames, Messieurs,

Chers amis,

Je voudrais commencer par saluer nos partenaires et amis de la Fondation européenne d’études progressistes et de la Fondation Jean Jaurès qui ont conçu et organisé avec nous cet événement.

Lors de notre dernière rencontre au mois de mai, certains s’en souviennent, nous étions réunis pour célébrer un anniversaire : les 80 ans du Front populaire. C’était l’occasion de nous interroger sur la gauche et son expérience du pouvoir.

L’objet qui nous rassemble aujourd’hui est infiniment plus sombre, tragique même : le terrorisme. Et, avec lui, la longue, la terrible, l’usante épreuve qu’il impose à notre démocratie.

Il est impossible de dire à quel degré nous avons tous été bouleversés et même changés par les attentats de Charlie Hebdo, de l’Hyper Cacher, du Bataclan et encore de la Promenade des Anglais il y a quelques semaines. Les forces aveugles qui ont frappé nos villes ne nous ont pas seulement arrachés à la torpeur de notre vie quotidienne. C’est comme si elles avaient révélé à nos propres yeux la singularité de notre vie collective.

Comme des centaines de millions d’occidentaux, nous avons eu la chance de naître et de grandir dans un monde libre. La démocratie, nous n’avons pas eu à la conquérir : nous l’avons trouvée dans notre berceau. L’Etat de droit, nous n’avons pas eu à le bâtir : il faisait partie de notre héritage. Et contrairement à presque toutes les générations qui nous ont précédés, une majorité d’entre nous n’a connu que la paix : nous avons profité de l’une des sociétés les plus sûres, non seulement du monde, mais de l’histoire humaine.

Et notre chance ne s’est pas arrêtée là : jamais autant de gens n’ont pu accéder à l’éducation ; jamais autant de personnes n’ont pu profiter d’une protection sociale ; jamais autant de femmes n’ont pu choisir librement leur vie.

Bien sûr, la jouissance de ces bienfaits reste très inégalement répartie. Beaucoup ne profitent pas au quotidien de la sécurité que nos institutions semblent leur promettre. La course de la justice a encore, pour cette raison, de vastes horizons devant elle. Mais enfin il est incontestable que nous avons atteint un niveau moyen de bien-être et de sécurité sans exemple dans l’histoire.

Pourtant nous nous sommes habitués à ces privilèges. Ils sont pour nous aussi inodores que l’air que nous respirons, aussi incolores que l’eau que nous buvons.

Les attentats de janvier 2015 nous ont arrachés à cet étrange engourdissement. Ils nous ont rappelé à l’essentiel : c’est-à-dire la fragilité et la nature de nos démocraties.

Ces attentats n’étaient pas les premiers, bien sûr, mais par leur forme, leur message, leur étendue, ils visaient le monde démocratique en son cœur : ils étaient tournés contre lui. Car il ne faut pas se méprendre à leur sujet. Les terroristes qui ont ensanglanté les rues de Paris et de Nice, mais aussi de Bruxelles ou d’Ankara… ces terroristes ne sont pas seulement hostiles à ce que nous faisons, aux décisions que nous prenons ou aux finalités que nous poursuivons.

contre lui ce que nous faisons

Comme le soulignait Salman Rushdie au lendemain du 11 Septembre, il y a quinze ans déjà, ils sont hostiles à ce que nous sommes, à ce qui nous définit : le pluralisme, le multipartisme, le suffrage universel, le parlementarisme, la laïcité, les manifestations, les pétitions, les désaccords, les controverses, le droit à disposer de son corps, l’égalité des hommes et des femmes, le doute scientifique, les plaisirs culturels, la satire, les caricatures, la convivialité, la lutte contre l’homophobie, la lutte contre l’antisémitisme, la lutte contre le racisme… Tout cela n’est que mollesse et corruption à leurs yeux.

ce que nous sommes ce qui nous définit

Que nous disent en effet ces terroristes depuis deux ans ? Que nous sommes faibles. Que notre matérialisme nous a conduits à la décadence. Que notre monde d’abondance et de liberté a fait de nous des êtres dépravés. A l’inverse, eux, ils seraient forts. Forts d’une foi capable de vaincre jusqu’à la peur de mourir, tandis que nous attachons un tel prix à la vie que nous serions incapables de nous sacrifier pour quoi que ce soit. Bref, comme le rappelait encore Salman Rushdie, les fondamentalistes croient que nous ne croyons en rien.

Pour leur répondre, nous ne devons pas nous tromper de question. La bonne question n’est pas : « En quoi croyons-nous ? »  Parce que nous avons décidé de respecter toutes les croyances, nous avons également décidé de n’en épouser collectivement aucune. Pas même la laïcité dont Régis Debray a eu raison de rappeler qu’elle ne saurait être « la religion de ceux qui n’en ont pas ».

Nous ne répondrons pas aux fondamentalistes en nous comportant à notre tour en croyants et en édictant à notre tour tel ou tel code de conduite. Car l’un des pièges que le terrorisme tend à la démocratie, c’est précisément de réclamer d’elle une profession de foi où elle risque de se perdre. C’est d’attendre d’elle qu’elle se rapetisse à une dimension comparable à la leur.

La démocratie est moralement et spirituellement indéterminée : cette pauvreté symbolique est à la fois son fardeau, son honneur et le privilège de la liberté. C’est ce qui la rend plus grande.

« Qui sommes-nous ? » : voilà sans doute la bonne question. Qui sommes-nous ensemble, dans notre diversité d’origines, d’opinions, de croyances ?

ensemble

L’histoire nous livre des réponses. Elle nous apprend de quelles épreuves nous sommes le fruit ; de quelles fidélités nous sommes comptables ; de quelles permanences nous sommes les gardiens. Notre histoire nationale, bien sûr. Mais aussi la longue histoire des démocraties qui, confrontées à la violence, ont dû se mettre d’accord sur ce qui importe vraiment à leurs yeux.

Je voudrais vous lire à ce sujet quelques extraits d’un discours prononcé il y a près de deux mille-cinq-cents ans. Nous sommes à l’hiver 431 avant notre ère. Athènes pleure alors, comme nous aujourd’hui, les premières victimes d’une guerre. Périclès, désigné pour prononcer l’éloge des morts en présence de leurs dépouilles devant le peuple assemblé, commence par celui de la cité démocratique. Voici ce qu’il dit :

« Du fait que l’État, chez nous, est administré dans l’intérêt de la masse et non d’une minorité, notre régime a pris le nom de démocratie. En ce qui concerne les différends particuliers, l’égalité y est assurée à tous par les lois ; mais en ce qui concerne la participation à la vie publique, chacun obtient la considération en raison de son mérite, et la classe à laquelle il appartient importe moins que sa valeur personnelle (…). La liberté est notre règle dans le gouvernement de la république et dans nos relations quotidiennes la suspicion n’a aucune place ; nous ne nous irritons pas contre le voisin, s’il agit à sa tête (…). La contrainte n’intervient pas dans nos relations particulières ; une crainte salutaire nous retient de transgresser les lois de la république ; nous obéissons toujours aux magistrats et aux lois et, parmi celles-ci, surtout à celles qui assurent la défense des opprimés 1. »

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« Telle est la cité, ajoute Périclès, dont, avec raison, ces hommes n’ont pas voulu se laisser dépouiller et pour laquelle ils ont péri courageusement dans le combat ; pour sa défense nos descendants consentiront à tout souffrir 2. » Et de conclure : "Ayez chaque jour sous les yeux la puissance de la cité ; servez-la avec passion (…). Dîtes-vous que la liberté se confond avec le bonheur et le courage avec la liberté et ne regardez pas avec dédain les périls de la guerre 3."

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Comme au temps de Périclès, nous devons dire aujourd’hui le plus clairement possible qui nous sommes et quelles sont les vertus dans lesquelles nous nous reconnaissons. Sur quoi nous pouvons transiger sans nous perdre. Sur quoi nous pouvons faire des compromis sans nous égarer. Et sur quoi nous devons au contraire tenir. Tenir sans composer. Tenir sans faiblir.

Voilà quelques-unes des questions que nous avons souhaité vous soumettre, Monsieur le Président de la République. Elles regardent aussi bien la démocratie que notre cohésion nationale. Croyez bien que nous en mesurons la difficulté. C’est une raison supplémentaire de vous remercier vivement et chaleureusement devant tous de nous avoir fait l’honneur d’accepter cette invitation.

Je vous remercie de votre attention.


1. Thucydide, La Guerre du Péloponnèse, II-37.

La Guerre du Péloponnèse

2. Ibid., II-41.

3. Ibid., II-43.

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