Pour une réforme non-administrative de l’école

Pour une réforme non-administrative de l’école
Publié le 31 janvier 2022
La crise sanitaire, la fermeture des établissements scolaire, le confinement des élèves chez eux, l’enseignement à distance généralisé ont constitué une mise à l’épreuve inédite de notre système scolaire. Jamais le débat sur l’école n’a semblé plus difficile, ni plus nécessaire, qu’au sortir d’une crise sanitaire qui a mis à l’épreuve notre système d’enseignement.

Cette note est la version synthétique d’un rapport plus développé consacré à « L’école de l’attention », disponible ici : https://tnova.fr/societe/education/lecole-de-lattention/

« Ecole ouverte » ! Le mot d’ordre est convenu depuis plusieurs mois. Comment ne pas être d’accord ? Mais que se passe-t-il donc dans cette école, dont on ne pourrait pas se passer ? Est-ce au nom de notre attachement aux Lumières que nous tenons à ce que nos enfants poursuivent leurs apprentissages dans la crise ? Au nom de l’impératif d’égalité des chances ? Au nom de notre attachement aux savoirs qu’ils y cultivent, au nom de l’ouverture d’esprit qu’ils y gagnent, ou de la persévérance qu’ils y apprennent ? Parce que nous leur reconnaissons leur besoin d’être entre eux, ou pour qu’ils apprennent à y vivre ensemble par-delà leurs différences ? Pour qu’ils soient soutenus dans leur curiosité naturelle, accompagnés dans leur goût de l’effort, guidés vers les savoirs qui les édifient, ou vers les compétences qui leur seront utiles ? Le consensus fait rapidement long feu lorsqu’il s’agit de discerner ce qui fait de l’école ce « sanctuaire » dont aucune crise ne justifie qu’il soit compromis.

Jamais le débat sur l’école n’a semblé plus difficile, ni plus nécessaire, qu’à l’épreuve de la crise Covid, qui a motivé le 13 janvier 2022 une grève dans l’Education nationale dont chacun a reconnu l’amplitude. Les attentes vis-à-vis de l’école sont plus fortes encore qu’avant l’épreuve du Covid. Trois électeurs sur quatre déclaraient à l’IFOP en décembre que l’éducation pèserait d’un poids déterminant dans leur choix de vote. La campagne présidentielle permettra-t-elle de mieux discerner ce que nous attendons de l’école ?

L’antienne d’un besoin de réformes structurelles est bien connue. Baisse du niveau des élèves, mal-être des personnels, inégalités des chances – les axes du débat public sont pluriels mais bien définis. En parallèle, l’idée qu’on a « tout essayé » de réformes en réformes en vient à faire son chemin. Mais arrive-t-on à identifier et traiter les bons sujets ?

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La thèse défendue ici est qu’à côté des réformes portant sur le système scolaire, son organisation, ses personnels, ses programmes ou sa régulation, il est aujourd’hui possible de concevoir des leviers empiriques davantage centrés sur les pratiques du quotidien au service d’un objectif : accompagner les efforts, la persévérance et l’attention des élèves, car c’est là que notre école est le plus en difficulté, comme le révèlent les comparaisons internationales et comme la crise Covid est venue nous le rappeler. Le décrochage ou le désinvestissement scolaire de nombreux jeunes démotivés a rappelé que la transmission des connaissances est inséparable d’un travail d’accompagnement et de soutien personnel. L’isolement forcé des élèves a rappelé que c’est en eux-mêmes qu’ils doivent, au bout du compte, trouver la motivation d’apprendre et que l’école doit, à côté de son rôle de transmission des savoirs fondamentaux indispensables, renforcer leur confiance dans leur capacité de progresser par eux-mêmes dans leurs apprentissages. Or tous ces sujets, dont l’importance centrale s’est rappelée d’elle-même dans les circonstances exceptionnelles de la crise du Covid-19, sont restés jusqu’à présent marginaux dans les débats sur l’école.

Sur un rythme important ces dernières années, les efforts consacrés à l’école ont en effet avant tout porté sur l’organisation administrative de l’Education nationale. Les réformes emblématiques des derniers ministres portent sur des points spécifiques de l’organisation de l’institution : une attention accrue aux établissements défavorisés, en particulier avec le dédoublement des classes de CP et CE1 dans les zones prioritaires (REP et REP+), la réforme du baccalauréat, la réforme des rythmes scolaires, Parcoursup… Réputée hostile au changement, l’école française ne cesse de passer d’une réforme à l’autre. Mais qu’en est-il de l’apprentissage lui-même ? Qu’en est-il de l’effort des élèves dans le processus d’apprentissage, et du soutien qu’ils reçoivent pour cela ?

Quelles données, pour quel diagnostic ?

Parmi les grands débats de fond qui fracturent l’imaginaire de l’école et ses perspectives de réforme, on identifie bien celui, ancien, qui oppose, pour le dire très schématiquement, les tenants d’une école de la « transmission des savoirs » à ceux qui défendent une école « active » et ouverte sur le monde. A cette frontière déjà complexe et mouvante s’ajoute désormais un nouveau front : celui qui sépare les tenants d’une liberté pédagogique ancrée dans le talent et l’expérience des praticiens de la classe, à ceux qui défendent des pratiques « fondées sur les preuves », adossées à des études comparatives et d’efficacité démontrée. Qu’il s’agisse d’invoquer l’intérêt des enquêtes internationales, en particulier PISA, ou l’apport des sciences cognitives en matière de pédagogie, la critique immédiate en retour rappelle l’inventivité propre des enseignants aux prises avec des contextes d’enseignement particuliers.

Pour ses opposants, la notion de données probantes en éducation se heurte à deux objections : l’uniformisation des pratiques et l’imposition de critères d’efficacité aveugles aux contextes individuels, expression d’une conception « néo-libérale » de l’éducation dans laquelle l’École est réduite à n’être qu’un service rendu à des consommateurs – parents, monde du travail. La création du Conseil scientifique de l’éducation par Jean-Michel Blanquer en 2018, avec pour président Stanislas Dehaene, est venue cristalliser ces oppositions vivaces. L’objectif de ce conseil : fonder les politiques publiques de l’éducation et les pratiques pédagogiques sur des données probantes issues de la recherche, de l’expérimentation et de la comparaison internationale.

L’intérêt des enquêtes internationales, notamment du Programme international de l’OCDE pour le suivi des acquis des élèves (PISA) est qu’elles permettent d’ouvrir le capot de la classe pour déterminer quels réglages favorisent des résultats définis comme désirables : des élèves qui réussissent sans que leurs conditions sociales de leur départ les déterminent et qui se disent heureux d’aller à l’école. Parmi les réglages à évaluer, certains sont bien identifiés dans le débat public : le niveau de rémunération des enseignants, les effectifs de classe, le niveau de ressources allouées à l’éducation, l’organisation des cursus, etc. Mais d’autres leviers bénéficient dans les enquêtes d’un cadrage tout aussi précis, et révèlent des spécificités françaises : ils concernent les pratiques enseignantes, le climat de la classe, l’engagement des parents, ou les représentations des élèves quant à leurs propres efforts et à leurs espérances. Sur ces variables, des outils bien identifiés, dûment évalués, ont fait leurs preuves et mériteraient davantage d’attention.

Le poids du déterminisme social est une caractéristique du système éducatif français

Bien loin de nos convictions sur l’excellence de notre système, les performances des élèves français en lecture ou en calcul n’ont rien de remarquable. Elles ont en outre connu un net recul entre 2003 et 2006, particulièrement en mathématiques. L’écart de la performance moyenne des élèves français en compréhension de l’écrit ou en mathématique se joue à quelques points près de la moyenne des pays de l’OCDE. Au moment où les nouveaux chiffres des enquêtes PISA paraissent, on se contente le plus souvent de commenter ce niveau global de performance. Mais cette performance moyenne cache en réalité deux sujets majeurs : d’une part, l’écart de performances entre ceux qui réussissent le mieux et ceux qui réussissent le moins bien ; d’autre part, le poids des variables socio-économiques sur les performances. Sur ces deux sujets, la France se distingue par des scores problématiques.

Notre pays se caractérise d’abord par une difficulté à réduire l’important écart entre les élèves qui réussissent et ceux que l’école n’arrive pas à faire progresser. La France présente un profil singulier puisque l’écart à la moyenne a tendance à croître ces dernières années. « Entre 2000 et 2009, le niveau de performance des meilleurs élèves a eu tendance à augmenter, alors que celui des élèves les plus faibles a au contraire baissé. »

Mais c’est sur l’égalité des chances que la France se distingue clairement, avec l’un des profils les plus inégalitaires de l’OCDE dans l’enquête PISA 2018 :

  • les élèves issus de milieux socio-économiques favorisés (situés dans le quartile supérieur de l’indice PISA de statut économique, social et culturel), ont obtenu des résultats supérieurs de 107 points à ceux des élèves défavorisés (situés dans le quartile inférieur de l’indice PISA de statut économique, social et culturel) en compréhension de l’écrit. Il s’agit de l’un des plus importants écarts liés au milieu socio-économiques parmi les pays de l’OCDE (écart moyen: 89 points), déjà constaté dans les vagues antérieures ;
  • Environ 20 % des élèves favorisés, mais seulement 2 % des élèves défavorisés, sont parmi les élèves très performants en compréhension de l’écrit en France, pour des proportions respectives de 17 % et 3 % en moyenne dans les pays de l’OCDE ;
  • Les performances en mathématiques et en sciences sont également fortement corrélées avec le statut socio-économique en France : en mathématiques, cette variable prédit 21% de la variation des performances des élèves, contre 14 % en moyenne ; en sciences, elle prédit 20 % de la variation, contre à 13 % en moyenne.

L’enjeu est de réussir à faire progresser les élèves le plus en difficulté tout en soutenant le niveau du cœur de la distribution. Pour cela, de nombreux dispositifs de soutien ont été imaginés. C’est bien dans cette logique que le dédoublement des classes en REP et REP+ a été promu et développé, qui reste à évaluer dans le temps. Mais il existe d’autres manières de neutraliser l’impact de l’origine sociale sur la performance scolaire et de favoriser la progression des élèves en difficulté : ils consistent à lutter à la racine contre le fatalisme scolaire. Fatalisme qui présente trois dimensions : déterminisme social sur les résultats scolaires (intériorisé par les élèves), manque de projection dans un avenir professionnel, manque de confiance dans la capacité à améliorer ses performances. Une étude a montré plus précisément ce mécanisme. A niveau scolaire équivalent, les élèves d’origine modeste sous-estiment leur compétence scolaire. Tandis que leurs camarades de milieux plus favorisés, au contraire, se voient mieux réussir à l’école, indépendamment de leur performance scolaire. La conséquence en est qu’ils ne se projettent pas de la même manière dans la suite de leurs études. Les élèves qui ont de bons résultats mais viennent de milieux modestes se censurent dans leurs projets, visent des formations plus courtes, moins valorisées et, par une forme de prophétie auto-réalisatrice, vont effectivement moins loin que les élèves de même niveau mais de condition sociale plus favorisée, qui se voient plus facilement poursuivre leurs études, dans des cursus plus prestigieux

A l’inverse, un dispositif visant à redonner confiance aux élèves et à diminuer leur fatalisme social et scolaire a montré son efficacité. En luttant en particulier contre les stéréotypes et en travaillant sur la persévérance et l’autodiscipline, le programme Energie-Jeune expérimenté dans 97 collèges défavorisés des académies d’Amiens, Créteil, Lille, Lyon, Marseille, Paris et Versailles a permis de réduire l’absentéisme scolaire, d’améliorer l’attitude en classe et même de faire progresser les notes de filles dans des mesures comparables à celles obtenues par le dédoublement des classes.

La mise en évidence du mécanisme d’autocensure scolaire fait ressortir l’importance des notions d’estime de soi scolaire, de persévérance dans l’effort et d’auto-motivation : « Le manque d’estime de soi scolaire et l’excessif fatalisme social sont les principaux facteurs expliquant le déficit d’ambition scolaire constaté chez les élèves d’origine modeste par rapport aux élèves ayant les mêmes performances scolaires mais de milieu social favorisé ».

Effort, persévérance, et compétences socio-émotionnelles ; un continent en friche

De fait, outre son mauvais score en matière d’inégalités des chances, les variables sur lesquelles la situation de la France est très atypique au sein des enquêtes internationales concernent des variables comme la confiance en soi, la persévérance, les représentations de l’effort.

 « Les élèves français figurent parmi ceux qui ont le moins confiance dans leurs propres capacités, sont les plus anxieux vis-à-vis des mathématiques, présentent une forte défiance envers le système scolaire en général et une faible capacité à coopérer entre eux par rapport aux autres pays de l’OCDE » .

De quoi parle-t-on là ? La France reste à l’écart d’un large débat sur une source significative d’amélioration des résultats scolaires qui ressort des études internationales : l’investissement dans les compétences sociales et comportementales, dites également socio-émotionnelles (soft skills). On entend par là un vaste ensemble d’aptitudes concernant le rapport à l’apprentissage, l’investissement dans les études, les représentations que forment les élèves sur leurs chances de réussir à l’école, sur le sens de leur effort scolaire ou encore sur leur capacité à coopérer avec d’autres élèves ou à tirer les leçons de leurs difficultés, voire de leurs échecs. Des données existent pourtant, à l’échelle internationale, permettant de prendre conscience de l’importance de ces facteurs dans la performance globale des systèmes scolaires.

Ces dispositions à apprendre ne relèvent pas d’une « motivation personnelle » aussi secrète qu’indiscernable. On dispose au contraire de nombreuses études repérant des indicateurs précieux de l’attitude des élèves vis-à-vis de l’école et suggérant des méthodes pour accroitre l’investissement scolaire des élèves. Or, sur la plupart de ces indicateurs, les marges de progression de l’école française sont considérables. C’est le cas du travail coopératif par exemple : si l’on relève dans l’enquête PISA 2018 que les méthodes d’apprentissage coopératives entre élèves sont toujours corrélées à de meilleures performances scolaires, le classement de la France en matière de pratiques pédagogiques coopératives est à l’avant-dernier rang sur 77 pays étudiés.

C’est également le cas du sentiment d’efficacité personnelle, de la capacité à se fixer des objectifs de travail et du sentiment d’utilité de l’école. Là encore, les élèves français se caractérisent par un sentiment de fatalité plus marqué : 54% seulement des élèves français interrogés expriment leur désaccord avec l’idée selon laquelle « je ne peux pas faire grand-chose pour changer mon intelligence ». La moyenne de l’OCDE est à 63%, le score de l’Allemagne ou de l’Irlande est de 74%.

Quand l’intelligence est vue comme une qualité innée et immuable, sur laquelle les élèves n’ont pas un contrôle significatif, cela décourage l’effort. Là encore, les comparaisons permises par le dispositif PISA de l’OCDE mettent à jour une spécificité française : « Les élèves en France expriment un plus faible sentiment d’auto-efficacité et une plus grande peur de l’échec que la moyenne observée dans les pays de l’OCDE. 62 % des élèves déclarent dans PISA que lorsqu’ils échouent, ils craignent de ne pas avoir suffisamment de talents (moyenne OCDE : 55 %), et que cela les fait douter de leurs projets pour l’avenir (moyenne OCDE : 54 %) ».

Or il ne s’agit pas là seulement de représentations que les élèves se font de leurs propres capacités. Celles-ci sont d’abord construites au cours des premières années d’apprentissage et dépendent aussi de l’évaluation institutionnelle de leur travail. L’accompagnement des enseignants est donc primordial et, dans cette perspective, leur évaluation du travail des élèves. Là où le feedback des enseignants favorise l’état d’esprit dynamique, les élèves sont incités à voir positivement leurs erreurs, à persévérer dans leurs efforts et à garder confiance en eux malgré leurs échecs. Mais cela suppose un retour individualisé et précis sur leur travail et les difficultés rencontrées. Or, les enquêtes indiquent une forte attente de leur part : « Les élèves déclarent en moyenne moins souvent en France que dans la plupart des pays participant à PISA des retours individualisés sur leur travail de la part des professeurs. Ainsi, moins d’un élève sur quatre (un sur trois, en moyenne dans les pays de l’OCDE) considère que son professeur lui indique ses points forts. Dans la même veine, moins de deux élèves sur cinq en France, alors que
près d’un élève sur deux en moyenne dans les pays de l’OCDE, déclarent qu’ils pensent que leur professeur leur indique souvent ou toujours comment améliorer leurs résultats. »

Climat scolaire : des outils trop peu mobilisés

La France se démarque aussi des moyennes de PISA sur un autre continent de variables : celles qui concernent le climat de l’école, le sentiment qu’ont les élèves d’y être à leur place et d’y travailler avec sérénité, leur « sentiment d’appartenance » à l’école, selon la terminologie consacrée. On dépasse ici la perception individuelle de bien-être dans l’établissement. En France, c’est la notion de « climat scolaire » qui est utilisée depuis quelques années pour structurer la réponse à ces enjeux. Objet de recherche internationale depuis une trentaine d’années, le climat scolaire n’est pas affaire de subjectivité : il peut être évalué sur la base d’indicateurs partagés, et son amélioration dépend de leviers clairement identifiés dans des méta-analyses à partir de centaines d’expérimentations.

Là encore, dans l’ensemble, l’école française se distingue par un climat de défiance. Le sentiment d’appartenance des élèves français est inférieur à la moyenne de l’OCDE. Les élèves français considèrent notamment que leurs relations ne sont pas bonnes avec leurs enseignants. En particulier, plus d’un tiers d’entre eux se sent en situation d’injustice dans le système scolaire : un niveau record au sein de l’OCDE. La France se distingue aussi par le plus mauvais score de l’OCDE en ce qui concerne le climat de discipline au sein des établissements. Selon les résultats de PISA 2018, un élève sur deux déclare qu’il y a du bruit et du désordre dans la plupart ou dans tous les cours (versus un sur trois, en moyenne dans les pays de l’OCDE). 18% déclarent que le professeur doit attendre à chaque leçon en France contre 8% dans l’OCDE, soit le taux le plus élevé de l’OCDE. 

En parallèle, les élèves français sont plus nombreux à se sentir comme un étranger à l’école, 31 % contre 20 % en moyenne dans l’OCDE.

Depuis une dizaine d’années, l’amélioration du climat scolaire est devenue un enjeu majeur de politique publique en matière d’éducation en France. Un site internet lui est dédié sur la plateforme du réseau Canopé (ancien Centre National de Documentation Pédagogique).

Le climat scolaire concerne l’ensemble des acteurs, la qualité des relations au sein de l’établissement, l’implication dans les apprentissages et dans le projet d’établissement, le respect des locaux et des personnes, la participation des parents, etc. Il dépend donc d’une série de facteurs comme la stabilité de l’équipe enseignante, le style d’animation du chef d’établissement, l’organisation coopérative du travail parmi les enseignants, le maintien de la diversité au sein des classes (refus des classes de niveau) etc. Les leviers de changement sont donc identifiés mais ils impliquent, par leur nature, une conduite du changement qui incite à la participation et ne soit pas perçue comme une injonction verticale. Pour cela, le pari qui est fait à ce stade est celui de l’évaluation : évaluations nationales conduites chaque année auprès d’élèves et/ou d’enseignants par les statisticiens du ministère de l’Education nationale depuis 2011 dans le secondaire, avec cette année une enquête au primaire ; et surtout outils d’auto-évaluation développés par le réseau Canopé à destination des établissements du primaire et du secondaire, pour développer la réflexivité des pratiques. La priorité donnée au plus haut niveau, condition sine qua non d’un changement culturel sur le terrain, tend cependant à s’émousser, le sujet ayant récemment disparu des circulaires de rentrée. Le levier d’amélioration est là, les enquêtes d’auto-évaluation permettent l’évolution des mentalités, mais la volonté politique semble s’être arrêtée au milieu du gué.

La relation aux familles : un chantier abandonné ?

Le même découragement semble avoir affecté la volonté de mieux associer les familles à la scolarité des élèves.

Parmi les variables décisives du climat scolaire, la participation des parents d’élèves à la vie de l’école, qui concerne à la fois leur engagement dans la scolarité des enfants, leur implication dans la vie de l’établissement et leur dialogue avec les enseignants, est identifiée comme un levier clé d’amélioration. Plus largement, la « coéducation », qui vise l’organisation de la relation entre parents et école pour que l’éducation puisse être un projet partagé entre enseignants et parents, s’était imposée ces dernières années comme un objet majeur de l’action publique à l’école.

La période d’école à la maison imposée par le Covid a naturellement donné à cet enjeu une acuité particulière. L’engagement des parents dans le travail scolaire de leurs enfants comportait à l’évidence une première dimension, fondamentale, de suivi des devoirs : relayer les consignes, superviser le temps de travail, contrôler l’assiduité, assurer le rendu des devoirs, etc. : la capacité des parents à relayer de façon efficace les indications des enseignants est apparue décisive. Mais, comme l’ont montré certains chercheurs proches de l’OCDE, d’autres dimensions plus riches de l’interaction entre enseignants et parents demanderaient à être interrogées à la faveur de cette épreuve. C’est cet enrichissement de l’interaction entre l’école et les familles que l’on désigne sous le nom de « co-éducation », d’engagement ou de participation des parents, notion devenue un repère central des politiques d’éducation dans la dernière décennie. A l’OCDE et dans les publications de recherche internationale, la mise en avant de cette thématique s’appuie sur un argument d’utilité en termes de performance scolaire – l’engagement des parents améliore le niveau académique des élèves ; mais aussi sur des arguments de qualité de vie à l’école – les comportements des élèves et le climat scolaire s’en trouvent améliorés ; et enfin sur un argument d’équité : les élèves les moins favorisés voient leur situation améliorée par l’implication de leurs parents.

En France, la thématique s’est imposée sur l’agenda au cours de la dernière décennie, et sa reconnaissance a été consacrée par la loi de refondation de l’Ecole en 2013 qui entend renforcer le dialogue parents/enseignants en créant, dans chaque établissement d’enseignement, un espace dédié aux parents et à leurs représentants pour adoucir la frontière entre école et hors école. L’autre grand dispositif de l’action publique qui est censé incarner la rénovation de la relation entre école et familles s’intitule « Mallette des parents ». C’est de fait aujourd’hui le principal levier mobilisé pour renforcer cette coopération ; mais son ambition est modeste et sa mise en œuvre reste incertaine.

De quoi s’agit-il ? Concrètement, l’objectif est de favoriser le dialogue entre enseignants et parents en systématisant les réunions trimestrielles, qui passent ainsi au nombre de trois au lieu des deux préconisées par le Code de l’éducation. Ces réunions sont tout l’objet de la « Mallette des parents », expérimenté depuis 2008, dont l’actuel ministre a été le promoteur en tant que recteur à Créteil, et dont la généralisation figurait au rang des promesses de campagne du candidat Emmanuel Macron en 2017. Expérimentée d’abord à certains niveaux de classes (en 6e, en 3e, puis en CP), conçue comme un ensemble d’outils guidant les équipes pédagogiques dans l’organisation et l’animation de trois réunions annuelles pour les parents, cette « mallette » prend aujourd’hui la forme d’un site internet où parents et enseignants trouveront des conseils généraux pour un dialogue de qualité – et en pratique essentiellement des supports d’animation des réunions trimestrielles.

L’expérimentation conduite au tournant des années 2010 présentait pourtant la particularité d’avoir fait l’objet d’une évaluation contrôlée de grande ampleur, confiée à l’Ecole d’économie de Paris . Cette évaluation a conclu que l’intervention était très efficace, de nature à réduire les inégalités, et ce à un coût beaucoup plus faible que beaucoup de politiques envisagées dans la littérature. En dépit de cette évaluation positive, l’outil reste aujourd’hui quasiment en jachère : les expérimentations n’ont pas débouché sur une action publique globale permettant de généraliser le modèle et d’infléchir les pratiques à grande échelle, mais seulement sur un site internet d’ambition très modeste quant aux outils proposés. Percutant et intuitif, d’efficacité démontrée dans une expérimentation contrôlée, simple d’usage et peu coûteux, facteur de réduction des inégalités sociales, en quoi ce dispositif fait-il donc problème pour n’avoir pas pu faire l’objet de la généralisation annoncée et demeurer largement méconnu ? Il semble qu’il vienne heurter des représentations très puissantes quant au rôle émancipateur de l’école, le stéréotype étant que l’école de Jules Ferry a été conçue pour « arracher » les enfants au déterminisme et à l’irrationnel familiaux. Beaucoup a été écrit sur le sujet sous l’angle du « divorce » (G.Fotinos), du « malentendu » (F.Dubet), ou encore du « dialogue impossible ». Car d’une part « l’école s’est construite contre les familles  », comme l’affirme par exemple sans ambages le site de La Mallette des parents. Mais d’autre part et réciproquement, les parents seraient défiants vis-à-vis de l’école, 1 parent sur 5 selon une enquête de 2015 ne respectant pas l’autorité des enseignants et directeurs sur leurs enfants.

A bien des égards, c’est la représentation de parents spontanément démissionnaires et passifs-agressifs qui continue de prévaloir. Ainsi, lorsque Jean-Michel Blanquer, dans son livre Ecole ouverte tirant les leçons de la période de confinement, détaille ce que l’Ecole apporte selon lui aux enfants, il détaille : « L’Ecole ouverte, c’est une Ecole où les enfants trouvent ce qu’ils n’ont pas toujours chez eux : un petit-déjeuner, une écoute attentive, de la bienveillance, un savoir exigeant, le plaisir de se dépasser, des amis, la pratique des arts, du sport, de la joie d’être ensemble, du soutien, de la considération, des règles aussi, un cadre explicite et clair…  ». Autant de richesses que les familles seraient impuissantes à leur offrir ! Avec un tel paradigme en tête, il paraît certes logique de laisser au milieu du gué la mallette des parents et l’effort d’action publique en faveur de la coéducation. Les leçons de la période de confinement, qui a enrichi l’implication des familles dans la scolarité, appelleraient pourtant au contraire à valoriser plus que jamais l’idée d’un continuum école/famille qui dépasse la question des devoirs et engage la construction d’un projet commun en soutien aux efforts d’apprentissage des enfants. 

Une réforme non administrative de l’école

Des leviers de changement bien identifiés restent à mobiliser pour faire évoluer l’école française. La dégradation de notre position relative dans les comparaisons internationales depuis le début des années 2000 appelle une prise de conscience. Pourtant, les annonces de réformes de l’école n’ont jamais manqué. Pourquoi alors avons-nous l’impression de querelles scolaires répétitives et d’intentions louables sans lendemain ?

Plutôt qu’un schéma de réorganisation administrative, il faut encourager les changements des pratiques : encourager les élèves qui ressentent un besoin de soutien pour progresser, renforcer leur capacité d’attention et leur persévérance, favoriser leur implication à l’école, développer leur ambition scolaire, encourager le travail collectif entre élèves et au sein des équipes pédagogiques à l’échelle de l’établissement, encourager la participation des parents à la vie de l’établissement. 

Cela implique de reconnaître que l’on ne parle pas là de représentations subjectives inaccessibles à l’action publique. Cela implique d’ouvrir le capot du travail dans la classe, des efforts qui y sont fournis, du soutien qui est proposé, de l’estime de soi qui s’y forge, comme étant des objets que l’on peut connaître, décrire à partir de variables empiriques, et modifier avec des outils pragmatiques et des pratiques évaluées.

Des outils existent, et sont déjà mobilisés dans de nombreux établissements (mallette des parents, enquêtes sur le climat scolaire…) pour développer ces ambitions. Mais, dans le prochain quinquennat, il faut dépasser les initiatives éparses et mener un projet systématique, pour viser un changement collectif des mentalités et des pratiques.

Ces priorités ont un point commun : elles renvoient pour tous les acteurs au sens qu’ils donnent à l’école et pas seulement au fonctionnement de l’institution. Elles ne partent pas des structures administratives mais cherchent à renforcer d’abord et avant tout l’engagement individuel dans les situations d’apprentissage. La volonté d’apprendre et le plaisir de la découverte ne sont pas des dispositions individuelles : elles sont produites collectivement par un contexte, un accompagnement, des attitudes positives de l’ensemble des acteurs éducatifs. Elles sont accessibles à l’action publique, par des outils qui ne relèvent pas de la réforme administrative, et dont la recherche a démontré l’efficacité. Les comparaisons internationales montrent que ces changements sont déjà à l’œuvre dans d’autres systèmes scolaires, dans des contextes culturels variés. L’exceptionnalisme hexagonal doit accepter les leçons de l’expérience.

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Mélanie Heard

Responsable du pôle Santé de Terra Nova

Marc-Olivier Padis