Autonomie des universités : il faut passer aux travaux pratiques
Adoptée en juillet, la loi Enseignement supérieur et recherche clôt une année de houleux débats. Au-delà des critiques qu’on peut lui adresser, le texte fixe le cadre des transformations à venir des universités, entre collégialité et capacité gestionnaire.
C’est à présent dans la pratique que le changement va prendre corps, et c’est à cette aune que sera appréciée la politique initiée par la nouvelle loi. En particulier, l’approfondissement du mouvement vers l’autonomie, en le rendant plus collectif, l’organisation de l’enseignement supérieur et de la recherche au niveau du territoire et la reconstruction de l’offre de formation sont des enjeux majeurs : tout progrès en la matière dépendra de la façon dont les acteurs sauront se saisir de la loi.
C’est une particularité française que de douter de ses universités et de se méfier de ses universitaires. C’est pourquoi le gouvernement a estimé politiquement indispensable le vote d’une nouvelle loi, et c’était indispensable pour rectifier certains aspects de la loi précédente. Espérons maintenant ne pas voir se ré-aiguiser de sitôt l’appétit législatif, tant l’épisode qui vient de se terminer et qui a mobilisé les acteurs de terrain, le ministère et le Parlement pendant des mois a épuisé les énergies : le texte auquel il a abouti ne compte pas moins de 88 pages, allant jusqu’à un niveau de détail qui paraît extravagant. L’image des universités ne sort en effet pas grandie de ces débats qui ont évité les questions cruciales de moyens et de cohérence des parcours, que Terra Nova avait mises en avant. Ils se sont trop souvent contentés d’effets de manche (sur l’interdiction de parler anglais ailleurs qu’en cours d’anglais, par exemple), de bonne conscience (sur l’obligation d’accueil indifférencié des bacheliers les moins préparés avec la conséquence inévitable d’inciter les autres à fuir les licences universitaires) et de corporatisme (sur le maintien de la qualification des enseignants par le CNU[2] au prétexte d’éviter le recrutement de mauvais docteurs, comme si la qualification par le CNU avait jamais empêché de fort mauvais recrutements).
Pour autant, une loi ne fait ni le printemps, ni l’hiver : ce sont maintenant les pratiques qui vont compter pour développer en actes l’autonomie des universités. Ce sont les pratiques qui permettront d’amplifier ou d’éteindre les dynamiques engagées depuis trente ans. Bien des problèmes demeurent, et en premier lieu ceux qui résultent de la segmentation de notre système d’enseignement supérieur et de recherche entre universités et grandes écoles d’un côté, entre établissements d’enseignement et organismes de recherche de l’autre. On attend :
- du ministère des messages clairs, et des actes, y compris sur le plan financier, malgré le contexte général très défavorable ;
- des universités qu’elles sauront se saisir des opportunités ouvertes par la loi, mettre en place un système de gouvernement qui inspire la confiance de la communauté universitaire, en plaçant à leur tête des universitaires reconnus épaulés par des administrations performantes, et enfin s’attacher à recruter les meilleurs talents ;
- et enfin des universitaires, qui ont été la force motrice des récentes évolutions, mais dont on peut craindre le découragement, qu’au contraire ils s’engagent avec audace.
C’est en tout cas à l’aune de la mise en pratique que Terra Nova entend apprécier la politique menée en matière d’ESR.
Après une année de concertation marquée par des Assises ayant abouti à un studieux équilibre mêlant colères, insatisfactions et espoirs, le Parlement a adopté en juillet dernier la loi Enseignement supérieur et recherche. Décriée par ceux qui voulaient abroger les lois antérieures de 2006 et 2007, sans pour autant enthousiasmer ceux qui espéraient en voir accentuer et infléchir la dynamique, cette loi fixe désormais le cadre des transformations à venir des universités.
Terra Nova salue le choix du gouvernement de ne pas avoir cédé aux sirènes d’un retour en arrière vers un soi disant paradis perdu : comme l’a souligné le rapporteur à l’Assemblée : « Cette loi n’est pas une loi de rupture ». Elle s’inscrit en effet, tout en l’infléchissant, dans un processus de transformation de nos universités, qui a commencé avec les réformes de la période 1988–1993, en particulier le plan Universités 2000 de 1990, l’instauration du processus de Bologne et du LMD [4] à partir de 1999 (réformes initiées par la gauche dans un relatif consensus) et s’est poursuivie par les lois votées par la droite en 2006 et 2007. Surtout, elle se réapproprie une dynamique d’autonomie sans laquelle les universités ne peuvent faire valoir leurs atouts, même si on reste encore loin de l’autonomie dont disposent la plupart des universités dans le monde [5] . Le nouveau texte corrige et rééquilibre les lois de 2006 et 2007, et peut offrir un cadre permettant aux universités de poursuivre leur transformation en instaurant les conditions d’un équilibre entre collégialité et capacité gestionnaire.
1 – Approfondir le mouvement vers l’autonomie
L’autonomie des établissements n’est pas pour nous une fin en soi et nous n’en attendons pas des conséquences magiques : elle est un moyen permettant et légitimant l’action en la rapprochant des universitaires, tout en assurant leur autonomie intellectuelle. Si le basculement vers une plus grande autonomie ne se passe pas sans mal (on songe à la situation financière catastrophique de la plupart des universités), nous pensons malgré tout que c’est une condition essentielle de progrès de nos universités. Mais si « approfondir le mouvement et le rendre plus collectif » devrait être le maître-mot de la mise en œuvre de cette loi, rien n’est à cet égard garanti. Terra Nova souhaite que, dans la période qui s’ouvre, l’autonomie se traduise par une bien plus forte appropriation collective des processus de décision :
Responsabilité collective. L’autonomie des établissements ne se limite pas à donner des marges d’initiative aux présidents et aux conseils d’administration ! C’est l’engagement d’une collectivité dans l’élaboration et la réalisation d’objectifs partagés dans le cadre d’une stratégie claire. Cela suppose que quatre conditions soient remplies : 1. L’établissement doit avoir la maîtrise de son fonctionnement : le budget global, incluant la masse salariale, qui a été maintenu, en est une condition indispensable. 2. L’équipe dirigeante doit avoir la légitimité et la vision lui permettant de fixer des objectifs stratégiques (qui s’inscrivent clairement dans les cadres nationaux et régionaux pour l’enseignement supérieur et la recherche). 3. La structure interne des établissements et l’articulation entre administration centrale et composantes doivent permettre la délégation des compétences particulières nécessaires aux composantes, sans obérer l’élaboration de la stratégie générale. 4. La collectivité universitaire doit adhérer au projet stratégique, dans le cadre d’un large dialogue interne entre présidence et composantes : l’organisation de ce dialogue relève naturellement des établissements. Un tel cadre de concertation, qui encourage les intéressés à délibérer dans leurs départements et UFR sur les enjeux et à prendre part aux décisions est une condition d’implication des universitaires dans le fonctionnement et l’innovation de leur établissement. C’est la condition sine qua non pour dépasser l’opposition entre l’autonomie intellectuelle des chercheurs et de leurs recherches et l’autonomie des établissements qui les hébergent. Si les établissements ne parviennent pas à faire partager par leur communauté universitaire l’idée qu’ils sont de meilleurs garants que l’Etat de la liberté et de l’intégrité de leurs recherches, le succès de la réforme ne sera pas au rendez-vous. Une telle mutation ne peut pas être imposée par une loi ; elle doit se réaliser de par la volonté des acteurs : c’est un enjeu essentiel.
Rôle des conseils. La responsabilité stratégique du conseil d’administration est réaffirmée, et sera renforcée par la pleine responsabilité accordée aux personnalités extérieures (y compris l’élection du président) ; mais la majorité relative dont disposeront les universitaires est de nature à rassurer des communautés fragilisées. De plus, la légitimité des choix du CA sera renforcée par la création du nouveau conseil académique, ébauche d’un véritable Sénat académique, qui permettra à la communauté universitaire de donner son avis plus régulièrement qu’à la seule occasion de l’élection du CA, et qui pourra associer davantage cette dernière à l’élaboration des grands choix stratégiques de recherche et de formation. Mais cette hypothèse optimiste ne sera confirmée que si un équilibre est trouvé entre les deux conseils et la présidence ; si le conseil académique joue le rôle de force d’alerte et de propositions, il renforcera la dynamique des établissements. S’il devient le lieu d’expression des refus et des vétos, il encouragera les petits arrangements que nous ne connaissons que trop. C’est là tout son défi.
La condition même de l’autonomie est l’existence d’une évaluation légitime. En remplaçant l’AERES [6] par le Haut conseil à l’évaluation, la loi a su trouver l’équilibre : maintenir le principe de l’évaluation externe et faire évoluer les pratiques de l’AERES, écrasée par la lourdeur des tâches. Le nouveau Haut conseil doit centrer son action, ce que l’AERES avait d’ailleurs suggéré, vers un fonctionnement se rapprochant des normes internationales, qui, sans entrer dans tous les détails de la vie des établissements, de leurs unités de recherche, de leurs formations, fournit les cadres qui permettent de reconnaître leur qualité. La mission est lourde, mais nous souhaitons que le Haut conseil puisse la mettre en œuvre en s’appuyant sur le meilleur de ce qui existait à l’AERES et dans les pratiques des organismes, et en même temps établir un nouveau rapport avec les établissements et organismes.
L’acquis fondamental de l’autonomie basée sur l’évaluation se trouve donc conforté par la Loi ESR, ce qui l’installe durablement dans le paysage. L’enjeu est alors que cette évaluation soit comprise comme une incitation au progrès et à l’innovation plutôt qu’une censure, qu’elle mette fin au cycle de déni qui a paralysé les évolutions nécessaires et qu’elle incite bon nombre d’universitaires à s’engager plus activement dans leur établissement.
2 – L’organisation de l’ESR au niveau du territoire
La responsabilité commune des établissements d’un même territoire est un des éléments les plus neufs apportés par la loi, avec l’instauration des communautés d’universités. Nous nous étions interrogés, au moment de la préparation du texte, sur le caractère étrange d’une obligation légale, qui s’appliquerait uniformément, de rassembler au sein d’un vaste ensemble tous les établissements d’enseignement supérieur d’un même territoire. Le Parlement a tranché. La question se déplace donc au niveau des pratiques que cela va engendrer, tant au niveau ministériel que des établissements, et il faut bien reconnaître qu’à cet égard subsistent trois grandes inconnues.
La communauté d’universités et établissements nouvellement créée regroupe obligatoirement les établissements d’enseignement supérieur dépendant du ministère de l’Enseignement supérieur, et facultativement les autres établissements d’enseignement supérieur. Quant aux lycées comportant des classes préparatoires ou des sections de technicien supérieur, ils doivent seulement conclure une convention avec un établissement d’enseignement supérieur de leur territoire. La dissymétrie qui résulte de la loi, et les usages ancestraux, peuvent faire craindre que les écoles et les lycées ne jouent le jeu de la communauté que partiellement, lorsqu’ils y trouvent un avantage immédiat, en ne mettant dans la communauté que ce qui les arrange, mais en tirant tous les bénéfices du lien avec les laboratoires de recherche, alors que les universités n’auront pas d’autre choix que de s’y investir complètement. Savoir si les communautés vont aller significativement dans le sens de l’effacement progressif de la division entre universités et écoles reste donc une question ouverte.
La concertation obligatoire. Avec la réserve mentionnée ci-dessus, les établissements d’un même territoire devront désormais élaborer ensemble et négocier leur contrat avec l’Etat, plutôt qu’y aller chacun de leur côté. Mais aussitôt affirmé le principe, la loi accorde que chacun disposera de sa propre annexe au contrat dont il décidera seul. Que vaudront dans ce contexte les regroupements d’établissements (par fusion, association ou création de communautés universitaires) ? PRES [7] renforcé établi de façon volontaire ou regroupement formel décrété ? Outils de mutualisation souple, couche supplémentaire ingérable, ou super-université territoriale, avec jusqu’à 100 000 étudiants, bien plus grande que les plus grandes universités publiques internationales dont on voudrait s’inspirer ? La palette des possibles est large et les pratiques du ministère en matière d’incitation et de contractualisation orienteront les choix, et, in fine, trancheront entre un mikado d’institutions encore plus complexe qu’avant, et une étape dans une évolution enfin entamée vers une véritable simplification du paysage universitaire.
La place des organismes de recherche dans les stratégies régionales. Les organismes de recherche, et tout spécialement le CNRS, ont eu, ces dernières années, une implication inédite dans la construction de nouvelles configurations universitaires de site. C’est un grand acquis qu’il importe de préserver : il convient donc notamment que les futures communautés d’universités et d’établissements maintiennent ce lien étroit qui organise la dynamique scientifique et permettent aux universités les plus fortes en recherche de se rapprocher des modèles internationaux les plus efficaces. Cela pose néanmoins une question de fond, celle de la différenciation entre ces universités dites « de recherche » et les autres. Rappelons qu’actuellement, la plupart des moyens de recherche sont concentrés sur une vingtaine d’établissements, essentiellement des universités, environ un quart du total, dont près de la moitié sont en Ile-de-France. Dans certaines académies, les nouvelles communautés pourront se structurer autour d’une ou deux universités de recherche, mais quel sera alors le rapport entre ces universités et les autres établissements au sein des communautés ? Et qu’en sera-t-il ailleurs ? Plus généralement, comment assurer la nécessaire différenciation entre universités, mais sans dessiner une frontière infranchissable ? Comment rendre compatibles la volonté d’avoir des universités visibles internationalement et celle d’assurer une bonne répartition territoriale ?
Pour autant, il est satisfaisant que le territoire, dimension longtemps ignorée des universités, convaincues que leur seul espace était l’universel, soit aujourd’hui mieux reconnu comme périmètre pertinent d’action stratégique. D’ailleurs, il n’est pas rare que les universités étrangères portent le nom de leur territoire. C’est à la fois un signe d’identité, un périmètre de responsabilité vis-à-vis d’une population qu’elle contribue à former et un espace de coopérations privilégiées avec les mondes économiques et sociaux. Loin d’être une marque de repli et de localisme, le territoire est la base d’appui permettant de se lancer dans le monde sans perdre ses repères. Territoire, nation, mondialisation : trois niveaux de pertinence différents qu’il s’agira de décliner à la fois pour la formation et pour la recherche.
Dans l’immédiat, on peut espérer du cadre communautaire régional des coopérations lisibles entre lycées, écoles et universités sur l’orientation et l’accueil des lycéens, et des partenariats durables avec le tissu économique pour améliorer les occasions d’insertion et de progression professionnelle des salariés par des formations adaptées tout au long de leur vie.
Sur le moyen terme, la cohérence et la lisibilité d’une carte régionale des formations doit s’apprécier sur deux critères : répondre à la demande étudiante de formation supérieure, en particulier au niveau licence, répondre aux demandes du marché de l’emploi, sans subordonner l’une à l’autr e ; elle doit aussi permettre la bonne articulation entre vision de proximité et élargissement de l’horizon étudiant : rien ne serait plus réducteur qu’à travers la territorialisation se profile une nouvelle version de la revendication « vivre et travailler au pays ». Mais l’avantage d’une concertation qui se déroulerait au niveau territorial sur le lien emploi-formation est qu’elle mettrait en jeu une nouvelle conception de la façon d’élaborer l’offre de formation, en effaçant la frontière entre formation initiale et formation continue. C’est un travail de plusieurs années à mener au niveau et avec les acteurs des territoires, sans étouffer l’initiative sous des contraintes légales ou réglementaires tatillonnes et ingérables.
3 – Reconstruire l’offre de formation
Dans la diversité de l’offre de formation post-baccalauréat, celle des universités, en dehors des formations de santé et de droit, ainsi que des IUT [8] , a bien du mal à trouver sa place. En premier cycle, la concurrence avec les classes préparatoires, les IEP [9] , les IUT et les STS [10] fait trop souvent du choix de l’université un choix par défaut et en second cycle, beaucoup de masters ayant du mal à affirmer une identité forte par rapport aux écoles d’ingénieurs et de gestion. Et force est de constater que les mécanismes actuels de l’orientation sont gravement dysfonctionnels, quand toutes les formations accessibles après le baccalauréat ont la possibilité de sélectionner leurs étudiants, sauf l’université, et quand l’accès en première année de master universitaire est de plein droit pour tous les licenciés, alors que les écoles choisissent leurs étudiants.
Si l’on veut enfin changer quelque chose, on ne peut pas se contenter d’un conservatisme frileux encouragé par les corporatismes. Une reconstruction de notre offre de formation supérieure est indispensable. Elle doit se faire, naturellement, dans le cadre fixé par la Loi. Et l’efficacité de la reconstruction se mesurera aux réponses apportées aux questions suivantes :
Si l’accès des bacheliers à l’enseignement supérieur doit continuer à être garanti, il devient urgent de répondre de manière plus satisfaisante aux problèmes d’orientation. On ne peut pas penser qu’un baccalauréat général avec 90% de reçus joue le même rôle que lorsqu’il y en avait 60 % ; ni que le baccalauréat technologique évalue correctement la capacité des lycéens à poursuivre des études dans des licences générales ; encore moins que les bacheliers professionnels, dont le cursus secondaire ne les prépare que très peu au post-bac, puissent affronter avec succès n’importe quelles études ; et pourtant plus de 40 % des bacheliers professionnels entrent dans une forme ou une autre d’enseignement supérieur, avec des taux d’échec proches de 100 % dans certains cursus !
Nous devons avoir une vision claire de l’objectif de 50 % d’une classe d’âge au niveau licence : combien avec un diplôme immédiatement professionnel, de type licence professionnelle, combien avec une licence générale, combien avec un diplôme supérieur ? La revalorisation de la sortie au niveau licence, professionnelle et générale, est indispensable. Si l’augmentation du nombre des diplômés de master est un objectif auquel nous souscrivons, il faut affirmer de manière claire que la poursuite d’études immédiatement après la licence ne doit pas être la règle ; il n’y a aucun intérêt à multiplier les masters supplémentaires sans valeur.
Il faut sortir de l’opposition entre formation d’excellence et formation de masse. Rien n’interdit que les universités forment leurs étudiants dans leur diversité, comme de nombreux exemples l’illustrent dans le monde. Mais il y a à cela une condition primordiale : permettre aux établissements d’ajuster la diversité de leur offre à la diversité de leurs publics ; la distinction doit résulter de la nature des exigences proposées aux étudiants selon leurs objectifs, et éprouvée en cours de formation selon leurs talents, plus que d’une sélection a priori et de leur affectation dans des filières étanches. La négociation avec les partenaires du monde éducatif devrait permettre de s’accorder sur les connaissances et compétences à acquérir, d’ouvrir les parcours en fonction des capacités et du degré de maturité des étudiants, de donner place à la variété des publics en fonction de leurs acquis et de leurs situations : étudiants à plein temps, apprentis, étudiants salariés ou salariés étudiants, distinctions somme toute plus pertinentes que celle entre formation initiale et continue. Il faut viser à la fois la possibilité d’une spécialisation progressive et une meilleure prise en compte des acquis professionnels et personnels des étudiants.
On ne peut pas continuer à prétendre d’un côté qu’on va favoriser l’émergence d’universités au meilleur niveau international, et de l’autre les empêcher de se donner les moyens d’attirer les meilleurs étudiants, voire inscrire dans la loi qu’elles n’ont pas vocation à les attirer : on vient ainsi d’y inscrire le principe selon lequel seules les classes préparatoires et les autres filières sélectives sont aptes à le faire.
Dans la concurrence de fait organisée par le service public d’enseignement supérieur en son sein, il est indispensable de rétablir une équité de traitement entre les différentes filières : sur le plan de la répartition budgétaire, sur la mission d’accueil de l’ensemble des bacheliers, sur les mécanismes d’affectation (comme l’ont souligné certains présidents d’université récemment, le mécanisme « APB » [11] est, par sa présentation et son mode de fonctionnement, dévalorisant pour les universités).
Par rapport à ces objectifs, la loi ESR ouvre des perspectives intéressantes, mais qu’il faudra compléter avec courage.
1. En donnant une certaine priorité à l’accès des bacheliers technologiques en IUT et professionnels en STS, on a fait un pas timide vers une amélioration de la situation. La mise en œuvre de cette disposition relevant des recteurs, c’est à eux qu’il incombera d’avancer de manière significative en assurant à une part substantielle des bacheliers technologiques et professionnels l’accès à des formations pour lesquelles ils sont mieux préparés, sans se contenter de mesures cosmétiques.
2. La loi reconnait désormais que « les établissements d’enseignement supérieur peuvent mettre en place des dispositifs (…) qui tiennent compte de la diversité et des spécificités des publics étudiants accueillis ». Elle ouvre ainsi la possibilité de parcours diversifiés dès le cursus licence . Trouve ainsi droit de cité cette idée simple proposée (ente autres) par Terra Nova : pour faire réussir une diversité d’étudiants, il faut un traitement pédagogique et des parcours diversifiés. Mais n’ayons pas peur des mots : s’il y a diversification, c’est bien que certains parcours de licence seront plus exigeants, et donc, d’une manière ou d’une autre, plus sélectifs !
3. La loi ouvre de nouveaux espaces à l’innovation par la diversification des méthodes (enseignement numérique) et par celle des publics (alternance, formation tout au long de la vie).
4. De manière plus globale, la loi permet aux établissements, avec l’introduction de l’ accréditation, d’exprimer une politique de formation, de fonder la cohérence d’une offre répondant à des objectifs globaux et de faire valoir leur originalité. L’enjeu de la mise en œuvre de cette démarche nouvelle est crucial : soit, avec le génie français, elle sera comparable à ce qui se fait de mieux à l’étranger et l’on aura fait faire au système un grand progrès ; soit on enfermera l’accréditation dans un carcan procédural normé au nom du « cadrage national », et on aura gâché une belle occasion qui ne se représentera pas avant longtemps. Il serait utile que les universitaires en prennent conscience… et disent ce qu’ils préfèrent.
Au-delà de l’existant, de nouvelles initiatives devraient être prises. On se limitera ici à un exemple. Nous manquons en France d’écoles universitaires de recherche comparables aux « écoles graduées » existant à l’étranger. On pourrait en favoriser le développement en rassemblant dans une même composante universitaire des masters et doctorats adossés à des forces de recherche de grande qualité. Ces écoles seraient portées conjointement sur un site au sein des futurs regroupements par un partenariat solide entre universités, écoles et organismes de recherche, étendant ainsi la formule des écoles doctorales au niveau master. Trois objectifs seraient ainsi simultanément atteints : une meilleure comparabilité internationale, une meilleure coordination territoriale, et un lien renforcé enseignement-recherche impliquant les organismes et les écoles.
4 – La recherche
La loi a fait le choix de maintenir les organismes et l’ANR [12] . Reste maintenant à trouver le bon équilibre pour le financement de la recherche. Les Etats généraux avaient mis en évidence à quel point le système avait transformé les chercheurs en rédacteurs de projets de recherche futurs et de rapports sur les projets terminés, aux dépens de la recherche elle-même, ce qui contraint l’imagination des chercheurs dans un cadre trop restreint. On attend du gouvernement qu’il trouve le bon point d’équilibre entre dotations de base et financement par projets, et de l’ANR un plan d’action à la hauteur des enjeux.
La situation financière fait peser de lourdes menaces sur la recherche européenne. Si la France est moins affectée que les pays du Sud, il ne faut pas sous-estimer le retard qui s’accumule par rapport aux Etats-Unis, à la Chine, à l’Allemagne… Un point auquel nous devons être très attentifs est la conjonction entre les gels de postes auxquels les universités se trouvent contraintes en raison de leur fragilité (ces gels annulent assez largement, en ce qui concerne les universités, les créations de postes décidées par le gouvernement pour le système éducatif dans son ensemble), et la diminution mécanique du nombre de postes liée à la diminution du nombre de départs à la retraite dans les universités et les organismes.
Conclusion
L’université à laquelle nous aspirons est l’expression d’une collectivité interdisciplinaire, unie par une ambition commune et soucieuse de servir son territoire comme de rayonner au plan international. Pour avancer dans cette direction, la loi ESR donne incontestablement un certain nombre d’outils. Que l’on en regrette tel ou tel aspect, peu importe maintenant : la question ne se situe plus au niveau législatif, mais dans les règlements et les processus contractuels. De manière plus importante, l’issue, progrès ou stagnation, dépendra de la manière dont les universités, tant au niveau des équipes de direction qu’à celui des enseignants et chercheurs dans les laboratoires et les départements, vont se saisir de la loi et de la période qui s’ouvre. Espérons qu’à chaque fois que des obstacles corporatistes ou réglementaires à tous les niveaux chercheront à brider les initiatives, l’esprit de réforme l’emportera.
Note rédigée collectivement par Martin Andler, Daniel Bloch, Laurent Daudet, Jean-Pierre Korolitski, Yves Lichtenberger, Jean-François Méla, Catherine Paradeise-Thoenig ↑
Est-il vraiment nécessaire que la loi précise que dans le cadre de la mission d’insertion professionnelle des universités, celles-ci doivent préparer aux entretiens d’embauche ? ↑
Conseil national des universités ↑
Organisation Licence – Master – Doctorat ↑
Une étude en 2010 de l’Association des universités européennes portant sur le degré d’autonomie des universités dans 29 pays plaçait la France en dernière position ( http://www.university-autonomy.eu/ ). ↑
Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur ↑
Pôle de recherche et d’enseignement supérieur ↑
Institut universitaire de technologie ↑
Institut d’études politiques ↑
Section de technicien supérieur ↑
Admission post-Bac ↑
Agence nationale de la recherche ↑