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Note

Contre l’échec scolaire: agir dès la petite enfance

La lutte contre l’échec scolaire en France est une priorité qui doit être conduite dès le plus jeune âge. Les chiffres sont éloquents : les élèves en difficulté dès le cours préparatoire le demeurent jusqu’à la sortie du collège. C’est par ailleurs un impératif de justice sociale : les jeunes qui s’installent dans l’échec scolaire sont d’abord ceux issus des milieux les plus défavorisés. Traiter au plus tôt ce problème contribue également à en réduire le coût pour la collectivité, et à améliorer le niveau général des élèves. Selon Daniel Bloch, ancien recteur d’académie, les orientations actuelles ne vont pas dans le bon sens : les progressistes doivent ouvrir de nouvelles pistes de réflexion pour relever le défi de l’échec scolaire.
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Les évaluations nationales établissent qu’en première année du cours élémentaire (CE1) 25 % des élèves sont en difficulté en français. En mathématiques aussi, 25 % des élèves n’ont pas le niveau attendu. Au cours de la deuxième année du cours moyen (CM2), trois années plus tard, ces « performances » ne se sont pas améliorées : 25 % d’élèves n’ont pas le niveau minimum requis en français et 35 % ne l’ont pas non plus en mathématiques. Les tests internationaux de lecture, organisés dans le cadre du « Process in International Reading Literacy Studies » ou PIRLS conduit par le centre d’études internationales du Collège de Boston, confirment ces ordres de grandeur. Ces tests, passés à l’issue de la 4ème année de l’enseignement obligatoire – le CM2 en France – et environ à 10 ans, concluent qu’en France, en 2006, 24 % des élèves sont en difficulté. A l’âge de 15 ans, comme l’établissent les évaluations de l’OCDE (PISA) un peu plus de 20 % des élèves sont encore en grande ou très grande difficulté en mathématiques, en sciences ou encore dans le domaine de la compréhension de l’écrit.

Depuis les premières années de l’enseignement primaire jusqu’à la fin du collège, la proportion d’élèves n’ayant pas atteint le niveau minimum requis ne varie pas. Quelques élèves, bien sûr, peuvent s’en sortir par le haut, pendant que d’autres, pour des raisons diverses, rejoignent cette cohorte de l’échec. Mais pour l’essentiel, il s’agit bien des mêmes élèves qui, en difficulté dès le cours préparatoire, le demeurent jusqu’à la sortie du collège. Ils sortiront de l’enseignement général sans avoir obtenu un baccalauréat, ou de l’enseignement professionnel sans CAP en poche. Ils rencontreront de considérables difficultés dans la recherche d’un emploi, et seront les premiers touchés par le chômage. Et il ne s’agit là que de moyennes, la proportion de jeunes en difficulté atteignant des valeurs bien supérieures dans les quartiers sensibles, avec toutes les conséquences délétères qui s’ensuivent. Ce taux national d’échec, massif, est quatre fois supérieur à ce qu’il est en Finlande, qui est le « bon élève de la classe », mais deux fois supérieur par exemple à ce qu’il est dans des pays comme le Canada, la Corée, le Japon ou les Pays-Bas.

Une fois les difficultés scolaires installées, le plus souvent dès le cours préparatoire, les mesures de « soin », même si elles demeurent indispensables, s’avèrent peu efficaces. A l’inverse, des procédures pédagogiques préventives adaptées peuvent réduire de façon très significative, dans chaque classe, la proportion d’élèves en difficulté.

Toutes les données le confirment au delà de l’évidence de la formule : réduire la proportion de jeunes en difficulté, c’est presque automatiquement accroître d’autant en même temps la proportion d’excellents et de très bons élèves. Cet effet, qui est valable pour chaque classe, l’est aussi au niveau du pays tout entier : dès lors que la proportion de mauvais élèves décroît, celle des très bons élèves progresse. Et dans notre pays, la proportion de ces très bons élèves est d’autant plus faible que celle des mauvais élèves est élevée.

1 – Des expériences pédagogiques qui fonctionnent pour lutter contre l’échec scolaire dès la petite enfance

Les expériences conduites en France comme à l’étranger établissent que des méthodes pédagogiques adaptées, de nature préventive, fortement structurées, pouvant s’appliquer dès la crèche mais dont l’utilité jusqu’au cours élémentaire est établie, permettent d’élever largement le niveau des élèves, et particulièrement dans les écoles les plus difficiles. Pour réduire l’échec scolaire de façon massive, il faut ainsi accorder une importance toute particulière à l’éducation des plus jeunes enfants, mettre à la disposition des enseignants des boîtes à outils pédagogiques adaptées et dont l’efficacité a été préalablement démontrée, transformer leurs approches, souvent individuelles, en actions collectives d’équipes soudées, coordonner leurs actions avec celles menées par les institutions et intervenants assurant les activités périscolaires et aussi maintenir le contact avec les parents, même s’il ne s’agit pas là d’un cap facile à tenir dans la durée.

C’est ainsi – mais ce n’est qu’un exemple qui établit qu’une autre pédagogie est possible – qu’a été développé à Grenoble le dispositif Parler centré sur l’acquisition du langage oral et des pratiques liées à l’écrit, programme qui a pris place dès 2005 dans des écoles de quartiers sensibles, et qui s’est étendu sur les trois années du cycle II (grande section de maternelle, cours préparatoire et première année du cours élémentaire). Cette expérimentation se développe actuellement, à l’initiative des collectivités territoriales, dans diverses écoles de métropole, mais aussi d’outre-mer, par exemple en Martinique. Elle met en relation l’école, les familles et les intervenants du périscolaire présents dans les quartiers. Elle est actuellement élargie en direction des plus jeunes enfants, ceux du cycle 1 (premières années de l’école maternelle) mais aussi en crèche: c’est le programme « Parler Bambin ».

Répartition des élèves selon le niveau de compréhension de l’écrit, dans le groupe témoin, dans le groupe expérimental Parler et en moyenne nationale . Non seulement le nombre de mauvais élèves est nettement inférieur dans le groupe Parler à ce qu’il est dans le groupe témoin, mais il est également inférieur à ce qu’il est en moyenne nationale. On note également que lorsque le nombre de mauvais élèves décroît, celui des bons élèves augmente dans la même proportion.

Il s’agit dans tous les cas d’organiser, quelques heures par semaine, le travail en petits groupes de niveau, afin notamment de transformer la relation frontale, quasi unidirectionnelle, entre le professeur ou l’éducateur et ses élèves en une relation personnalisée et interactive. Il importe également d’agir sans attendre : dès que des difficultés d’apprentissage apparaissent, il ne faut pas les laisser s’installer. Il est également essentiel – même si cela est difficile à installer dans la durée- d’associer les parents à cette démarche, en leur donnant des clefs destinées à développer les interactions langagières avec leurs enfants, et peu importe ici qu’ils se parlent ou non en français [1] .

Le travail pédagogique peut porter ses fruits, y compris sans moyens supplémentaires. Mais ses effets seront limités car il dépend largement de la capacité à travailler avec des petits groupes d’enfants, ce qui est difficile à mettre en œuvre dès lors que les effectifs sont importants. De plus, pour mettre en œuvre efficacement cette stratégie éducative, nouvelle dans notre pays, il importe de développer aussi la formation initiale et continue des intervenants, d’alimenter cette formation par les résultats de la recherche pédagogique, malheureusement aujourd’hui laissée dans l’ombre, y compris lorsqu’elle de bonne qualité, de disposer de conseillers pédagogiques plus nombreux, et aussi mieux formés, de donner du temps pour la concertation entre les enseignants, pour qu’ils interagissent..

Le ministère de l’Education nationale met souvent en avant, pour justifier les effectifs actuels des classes, le fait que les expériences dans lesquelles ces effectifs sont fortement réduits ne conduisent qu’à des améliorations difficilement perceptibles du niveau des élèves. Ces expériences ne démontrent qu’une chose, à savoir que sans modification des méthodes pédagogiques, la réduction des effectifs est peu efficace. Elles n’établissent pas que des méthodes pédagogiques adaptées puissent produire des résultats. Et que ces résultats sont d’autant plus positifs que les effectifs des classes sont plus raisonnables. C’est bien ce que démontre l’expérience décrite ci-dessus, expérience conduite avec toute la rigueur scientifique nécessaire.

2 – Une politique de formation des enseignants et de réduction des coûts qui va à l’encontre de la lutte contre l’échec scolaire

A l’inverse, réduire comme on le fait aujourd’hui, de façon systématique et irréfléchie, le taux d’encadrement dans le premier degré constitue un non-sens, tant ce taux d’encadrement est faible dans notre pays, où nous disposons d’à peine un personnel d’éducation pour 20 élèves, à comparer à environ un pour 15 élèves en Suède, en Finlande, au Danemark – et même aux États-Unis. Un meilleur taux d’encadrement favorise l’établissement de relations individualisées entre le maître et ses élèves, indispensables à leur réussite.

L’ « effet-maître » est un paramètre essentiel dans le progrès des élèves. Il existe des maîtres qui sont certes meilleurs que d’autres, mais ce paramètre dépend largement de la formation reçue. Même si la qualité de la formation des enseignants dans les instituts de formation des maîtres (IUFM) présentait une marge potentielle de progrès, la réforme de ces instituts, se traduisant par une économie de 15 000 emplois, économie de plus accompagnée d’un effondrement des crédits de formation continue attribués aux Académies, contribuera à détériorer encore le niveau de cette formation, facteur aggravant encore l’effet des suppressions d’emplois. On peut souligner que selon les informations venant de certaines académies, les crédits de formation continue ont fondu de 50%. C’est un affaiblissement sans précédent des dispositifs des Plans Académiques de Formation (PAF) destinés à former les personnels, dont on ne voit pas comment ils pourront être conduits avec un financement aussi réduit.

Cette réduction des temps de formation constitue de fait un déni du caractère professionnel du métier d’enseignant. La « mastérisation », c’est-à-dire le recrutement des enseignants à l’issue des études conduisant à un master n’est pas dans son principe critiquable. Mais telle qu’elle est conçue aujourd’hui, dans son organisation et dans ses contenus, elle ne répond pas aux nécessités de l’apprentissage du métier d’enseignant. Imaginerait-on aujourd’hui engager comme ingénieur des jeunes qui n’auraient pas effectué de véritables études d’ingénieurs à temps complet, pendant deux et plus souvent trois années ? Le temps des « ingénieurs-maison » est derrière nous, mais celui des enseignants-maison devant nous… De ce fait, le risque est particulièrement grand de voir les nouveaux enseignants en difficulté devant des classes où se poseront des problèmes qu’ils n’auront pas appris à résoudre.

3 – Des solutions et des pistes de réflexion existent

Révélateur de cette absence de réflexion pédagogique globale, il n’est qu’à observer la pression appliquée par le ministère de l’Education nationale afin d’éviter les redoublements des élèves, parce que celui-ci est extrêmement coûteux en moyens. Non pas que le redoublement soit une bonne solution. Mais c’est aujourd’hui la seule solution que savent mettre en œuvre les enseignants pour éviter que les plus mauvais élèves le soient encore davantage. Certes les pays dont les élèves ont les meilleurs résultats sont des pays où l’on ne redouble pas. Mais ce faible taux de redoublement n’est qu’un indicateur du niveau satisfaisant des élèves, une résultante. Ce n’est pas en le supprimant que ce niveau s’améliore mécaniquement. De plus, les élèves qui redoublent sont aussi des élèves provenant des milieux les moins favorisés. Mais ce n’est pas non plus en supprimant les redoublements que l’on compensera les effets des inégalités sociales. Le pilotage par la seule réduction de ceux-ci est contreproductif, car fait non pour l’intérêt de l’enfant mais pour des raisons avant tout comptables.

Certaines propositions peuvent être formulées :

- Amener le taux d’encadrement des élèves du premier degré à un niveau plus raisonnable. S’il y a des économies à effectuer, ce n’est certainement pas au niveau de l’école pré-élémentaire ou élémentaire qu’elles doivent être réalisées. En effet, c’est à ce niveau que se jouent les grandes lignes du « destin scolaire » des élèves. Les suppressions d’emploi que subit l’école primaire sont à courte vue et contreproductives. Le poids des exclus de l’école parmi les chômeurs, mais aussi parmi les délinquants, ou plus modestement parmi ceux qui ne rendent pas facile la vie dans certains grands ensemble, est considérable. Et son coût économique et social est très élevé, même s’il ne figure pas au budget de l’Education nationale.

- Refondre les dispositifs de pilotage pédagogique de l’enseignement primaire, de la direction des écoles à l’inspection générale, en les professionnalisant par l’apport d’une recherche pédagogique renforcée et requalifiée, en l’ouvrant davantage à l’expérimentation et à l’international, en fondant les questions relatives à l’évaluation sur des bases scientifiquement mieux assurées. Cette question est bien sûr sensible : la question d’une réforme de la direction d’école et de l’inspection du 1er degré mérite un débat avec les personnels, et des mesures évidemment concertées.

- Reconstruire la formation initiale et continue des personnels d‘éducation. Cette formation constitue elle aussi un investissement qui conduit, en retour, dès lors qu’il est correctement conçu, à élever le niveau moyen de formation des jeunes que l’École a en charge.

- Redéfinir les relations avec les collectivités territoriales, les associations du périscolaire et les parents, pour que chacun apporte sa pierre à la construction des compétences des enfants.

  1. Colloque « Langages et réussite éducative : des actions innovantes »

    www.cognisciences.com/IMG/actes_parler_bd.pdf , (2009)

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