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Rapport

Démocratiser l’école : vers une nouvelle organisation des classes et des établissements

Les rapports se multiplient ; le constat demeure. L’école française reste fortement inégalitaire. Un récent rapport de la Fondation allemande Bertelsmann vient encore illustrer cette situation : la France se classe dans les toutes dernières positions concernant l’influence de l’origine sociale sur la réussite scolaire. Comment gérer l’hétérogénéité des élèves, que ce soit entre les établissements et au sein même des établissements ? A travers cette note, Terra Nova poursuit ses réflexions sur un système éducatif enfin apte à lutter contre l’échec scolaire.

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1 – De la massification à la démocratisation : quand les différents modes de gestion de l’hétérogénéité font système

Une lecture attentive des résultats des différentes enquêtes PISA [1] fait apparaître l’existence de régularités entre les systèmes scolaires de pays de performances similaires. Autrement dit, la question de l’hétérogénéité sociale et scolaire entre établissements (ce qu’on appelle en France la « carte scolaire ») et de sa gestion en leur sein (groupes et classes de niveau, classes à projet, groupes de « remédiation », redoublement, etc.) font système.

Dans les analyses ci-dessous, nous nous sommes appuyés sur la typologie élaborée par Nathalie Mons en 2004 à partir des résultats des études PISA 2000 et PISA 2003 car elle nous semble une grille de lecture intéressante. Entre 2003 et 2012, plusieurs pays ont entrepris des réformes de leurs systèmes éducatifs, avec des effets parfois positifs comme en Allemagne ou en Pologne, parfois négatifs comme en Suède [2] .

1.1 – La gestion de l’hétérogénéité à l’intérieur des établissements

Dans ce domaine, quatre grands modèles émergent des études comparatives.

Le modèle de la séparation (Allemagne [3] , Belgique, Autriche, Suisse, Hongrie). La sélection se fait à 11 ans, à la fin de l’école primaire, avec des filières relativement étanches dès l’entrée au collège. Les classes de niveau sont la règle, l’enseignement individualisé et la personnalisation des apprentissages y sont peu développés et le recours au redoublement est important. Ce modèle accentue fortement les inégalités scolaires et sociales, ses résultats d’ensemble sont moyens ou médiocres, avec beaucoup d’échec scolaire et une élite réduite. Par l’enfermement précoce des élèves dans des filières ségrégatives qu’il produit, il est sans doute le moins démocratique.

Le modèle de l’intégration uniforme (France, Grèce, Chili, Pérou). La sélection se fait à 15–16 ans en fin de collège. On y pratique le redoublement, mais dans une moindre mesure que dans le modèle précédent. Les classes sont en général hétérogènes dans le Primaire et de niveau au collège [4]  ; avec, dans le cas de la France, des « filières cachées » induites par les classes à projet (européennes, musique, danse, « bilangues », etc.) et les choix d’options (langues vivantes, langues rares, options culturelles et sportives). La « personnalisation » des apprentissages se fait en général au travers de dispositifs de « remédiation » : les élèves peu performants sont regroupés en petits groupes de niveau « faible » et bénéficient, en dehors du groupe classe, d’une heure ou deux par semaine, en général en mathématiques ou en français, pendant lesquelles le professeur revient sur les apprentissages non acquis. Ce modèle s’avère moyennement performant. Ses résultats d’ensemble sont très moyens, beaucoup d’élèves y restent en grande difficulté. Ce modèle n’est ni vraiment élitiste ni réellement démocratique : il produit à la fois de grandes inégalités scolaires et sociales, et une élite scolaire peu nombreuse.

Le modèle de l’intégration à la carte (Royaume-Uni, Etats-Unis, Nouvelle-Zélande, Australie). La sélection se fait également en fin de collège. Un large recours à la « personnalisation  des apprentissages » prend des formes diverses, comme le travail en ateliers, le monitorat entre élèves ou le tutorat par des professeurs ; et, ponctuellement, par la mise en place de groupes de niveau interclasses : dans certaines disciplines importantes, des élèves d’un même niveau de différentes classes sont regroupés dans des groupes de niveaux homogènes ( setting-traking en anglais). Le redoublement y est exceptionnel. Ce modèle est moyennement performant, mais c’est celui qui produit l’élite la plus fournie, et les inégalités scolaires d’origine sociale y sont également très fortes. C’est le modèle le plus élitiste.

Le modèle de l’intégration personnalisée (pays du nord de l’Europe et du Sud-est asiatique). C’est la forme la plus achevée de gestion de l’hétérogénéité. La sélection s’y fait aussi en fin de collège et le redoublement n’y est pas autorisé. Les classes sont hétérogènes avec un large appel à l’enseignement individualisé ou personnalisé, mais toujours au sein de la classe : pédagogies coopératives, travail en ateliers, travail en petits groupes d’élèves d’une même classe en fonction des compétences et des besoins sur des temps plus ou moins courts, tutorat par des professeurs, etc. Dans ce modèle, aussi bien les élèves performants que ceux qui rencontrent des difficultés peuvent bénéficier des dispositifs de personnalisation des apprentissages. Un pilotage pédagogique serré y est pratiqué : des bilans très réguliers sont faits au sein des équipes pédagogiques (au moins une fois toutes les six semaines) avec des adaptations continuelles aux progrès et difficultés des élèves. Ce modèle s’avère très performant, avec de très bons résultats d’ensemble et la formation d’une élite large, bien qu’un peu moins nombreuse que dans le modèle précédent et, surtout, très peu d’élèves en grande difficulté. C’est le modèle le moins inégalitaire [5] .

1.2 – La gestion de l’hétérogénéité entre les établissements

Quatre grands modèles émergent également des études comparatives internationales [6] .

La carte scolaire stricte [7] (pays du sud-est asiatique) : le domicile de l’élève le contraint à suivre sa scolarité dans l’établissement de proximité, sans possibilité de dérogations. Globalement, à l’échelle d’un pays, ce modèle s’avère à la fois équitable (il favorise les élèves faibles) et efficace (il donne de bons résultats d’ensemble), mais il nécessite de la part de la population l’acceptation d’un certain niveau de contrainte et l’absence de concurrence réelle avec un système d’enseignement privé.

La carte scolaire stricte avec dérogations (France, Portugal, Allemagne, Autriche, 3/4 des districts américains) : le domicile donne accès prioritaire à l’établissement du secteur scolaire, avec la possibilité de demander une dérogation pour un autre établissement disposant de possibilités d’accueil sur la base de critères pédagogiques ou de convenances familiales. En France, les critères de dérogation restent en partie opaques et panachent, selon les niveaux d’étude, les périodes et les départements, critères objectifs (sociaux, de santé, de fratrie, résultats scolaires) et convenances familiales. Ce modèle est le plus inégalitaire de tous car il favorise les familles les plus averties, celles qui disposent des informations, des réseaux et de la possibilité de recourir aux dérogations de par leur position sociale.

Le libre choix régulé (Danemark, anciennement Suède, ¼ des districts américains) : la localisation du domicile donne accès à plusieurs établissements de proximité, dans la limite de quotas de niveaux scolaires permettant de répartir l’hétérogénéité des élèves sur un secteur élargi comprenant plusieurs établissements avec, dans le cas des collèges, mutualisation des options et des dispositifs sur le territoire regroupant les établissements concernés (régulation par l’aval). Aux Etats-Unis, des quotas sociaux ou ethno-raciaux ont été imposés au recrutement de certains établissements. Les effets pervers de ce système (baisse de la qualité de l’enseignement, sentiment d’injustice des « blancs pauvres ») ont amené les responsables éducatifs américains a le remplacer progressivement par celui des « percentage plans », qui impose à un établissement convoité de recruter le même pourcentage d’élèves dans toutes les écoles d’un large bassin de recrutement, socialement et donc scolairement hétérogène (régulation par l’amont). Ce modèle, qui favorise ou impose l’hétérogénéité, se révèle scolairement le plus équitable car il permet de réduire les inégalités tout en tenant compte du contexte local. En France, la possibilité donnée par la loi Peillon de signer des contrats tripartites entre l’Etat, la collectivité de rattachement et les établissements scolaires ouvre la voie à des expérimentations de régulation par l’aval de la mixité sociale, en particulier dans les collèges [8] . Un projet de décret prévoit que ces contrats tripartites pourraient être passés avec plusieurs collèges, dans le cadre d’un secteur élargi de manière à gérer en commun les demandes des familles et la mixité sociale des établissements.

Le libre choix total (Royaume-Uni, Belgique, Suède depuis peu, certains pays d’Europe centrale, Australie, Nouvelle-Zélande, enseignement privé en France) : la liberté des familles de choisir un établissement est apparemment totale. De fait, c’est le chef d’établissement qui choisit les élèves (système de file d’attente ou sélection par niveau scolaire ou par critères plus opaques). Ce modèle est, dans certains pays, le fruit de compromis historiques entre communautés religieuses, et dans d’autres (Océanie, Europe centrale) l’effet de politiques néolibérales. Dans ce dernier cas, les effets de ces politiques ont été décevants pour ceux qui en attendaient une amélioration des résultats des élèves du fait de la mise en concurrence des établissements. Ce modèle est très inéquitable et globalement peu efficace, sauf pour les très bons élèves rassemblés dans quelques établissement d’excellence.

La concurrence entre établissements scolaires, par le biais de la possibilité de déroger à la carte scolaire dès l’entrée en maternelle, des classes à projet et des options au collège, favorise l’évitement social et la ségrégation, puissants facteurs d’iniquité et d’inefficacité scolaires pour notre pays. L’alternative politique est aujourd’hui d’entretenir ce système ou bien de prendre à bras-le-corps la question de la gestion de la diversité sociale et de l’hétérogénéité scolaire des établissements et des classes. Seul le modèle du libre choix régulé pour l’affectation des élèves semble compatible avec ce second choix.

En conclusion

La France n’a ni modernisé son système éducatif dans les années 1980, contrairement aux pays du Nord de l’Europe et aux pays anglo-saxons ; ni tiré les leçons de PISA 2000 et 2003, contrairement à l’Allemagne, l’Italie, les Etats-Unis et d’autres nations. La tendance actuelle, aussi bien à gauche qu’à droite, serait de vouloir privilégier le modèle anglo-saxon des années 1980, celui de l’intégration à la carte pour la gestion de l’hétérogénéité scolaire au sein des établissements et du libre choix au niveau de la carte scolaire.

Ainsi, et comme la droite l’avait promis lors de la campagne présidentielle, la liberté de choix au niveau de la carte scolaire a été élargie pour les familles dès la rentrée de 2007 [9] , notamment celles des élèves « méritants » des quartiers populaires ; elle met en place des « internats d’excellence » [10] , un grand nombre d’élèves de bon niveau scolaire sont ainsi partis des établissements des quartiers populaires, accentuant ainsi leur ghettoïsation. Par ailleurs, rien n’a été fait pour endiguer l’ouverture de classes de niveau ou classes à « profil », les établissements des quartiers populaires étant même encouragés à y recourir via les classes à « projet ». Le DIMA [11] , dispositif dérogatoire, a permis à des élèves de 14 ans d’aller en apprentissage, Dominique de Villepin proposant même que cela soit généralisé (2005). Les effets de cette politique ségrégative se sont rapidement fait sentir puisque les résultats de la France se sont dégradés entre 2003 et 2012 (PISA) avec une légère élévation du nombre d’élèves très performants et un accroissement assez conséquent du nombre d’élèves en grande difficulté, «  … ce qui sous-tend que le système s’est principalement dégradé par le bas  » [12] .

Suite à son élection victorieuse de 2012, la gauche en finit avec les « internats d’excellence », recule l’âge d’accès au DIMA à 15 ans. Toutefois, elle ne revient pas sur les dispositifs permettant d’élargir le choix des familles au niveau des établissements, n’abroge pas la 3ème Prépa-pro (classe qui regroupe des élèves en difficulté scolaire afin de les préparer à l’accès à la seconde professionnelle), ni les classes de 4ème et 3ème technologiques. Les « parcours » évoqués dans la loi Peillon du 8 juillet 2013 peuvent laisser penser que la gauche a pour projet de mettre en place de façon ponctuelle des groupes de niveau à l’intérieur des classes comme c’est le cas dans le modèle de l’intégration à la carte .

Si la France souhaite améliorer significativement ses performances globales, remédier à l’échec scolaire et réduire les inégalités d’accès à la réussite scolaire, nous pensons qu’elle aurait intérêt à s’investir de façon conséquente dans l’enjeu de la gestion de l’hétérogénéité : entre les établissements par la mise en place d’une carte scolaire dite du « libre choix régulé » qui permet de réguler localement la mixité sociale ; au sein même des établissements par la suppression du redoublement et la diversification des offres de personnalisation et d’individualisation des apprentissages à l’intérieur de la classe. Seule une politique globale et volontariste pourrait durablement changer le paysage scolaire français.

2 – Pour une pédagogie de la diversité dans la classe

2.1 – Un constat : des réponses peu lisibles

Face à la diversité des élèves, le système éducatif français a tenté de proposer ces quinze dernières années des réponses de quatre ordres, souvent combinées entre elles :

sous forme de sortie pure et simple des élèves en difficulté de la classe ou du collège et d’accueil par un dispositif extérieur (dispositifs relais, mesures de responsabilisation en association ou collectivités…) ;

sous forme de filières regroupant, aux deux extrêmes, les élèves en difficulté (Dima [13] , Prépa pro [14] , Segpa [15] , UPe2a [16] , Ulis [17] ) ou l’élite socio-scolaire (sections européennes, bilangues, internationales…) ;

sous forme d’horaires spécifiques dédiés à la « remédiation », en plus du temps scolaire et récemment sur temps scolaire (tuteurs étudiants des grandes écoles, assistants pédagogiques, accompagnement personnalisé …) ;

sous forme d’activité de compensation périscolaire, comme l’Ecole ouverte [18] .

L’empilement de ces dispositifs (11 en moyenne en éducation prioritaire !) est dénoncé par nombre d’acteurs, notamment en ZEP où les chefs d’établissement ont parfois le sentiment d’accumuler des moyens distribués sans vision d’ensemble, les dispositifs de la politique de la ville (Zus [19] , Cucs [20] ) s’ajoutant à ceux de l’Education nationale et des collectivités, quand ce n’est pas au dispositif d’un autre ministère (programmes de réussite éducative…)

2.2 – Prendre en considération la nouvelle diversité des publics scolarisés

L’allongement de la scolarité obligatoire, la scolarisation quasi-totale des enfants et des adolescents ainsi que l’accentuation des phénomènes migratoires sont les trois facteurs qui ont conduit le Conseil de l’Europe à proposer aux pays membres une stratégie pour prendre en compte les « nouveaux publics de l’école ». Ce projet a donné lieu dans de nombreux pays à une réflexion approfondie sur ces publics et sur les réponses les plus appropriées. La France n’a pas souhaité être membre actif de ce projet.

Trois « nouveaux publics de l’école » ont été identifiés en 2014 : élèves de la très grande pauvreté, élèves migrants et enfants scolarisés dans leur famille ou dans des structures alternatives atypiques, par phobie scolaire des élèves ou de leur familles. Les réponses construites par de nombreux pays membres (Autriche, Norvège, Allemagne) se sont concentrées sur les caractéristiques de ces élèves : éloignement maximal de la langue de l’école ou de la culture scolaire, ou encore du code comportemental scolaire. Dans ces pays, ces caractéristiques ont constitué l’axe de la construction des nouveaux curricula (définition des contenus et modalités intégrés de l’enseignement sur un parcours scolaire), en partant non pas des élèves bien intégrés dans l’école mais des élèves les plus éloignés de la culture scolaire afin de proposer des contenus et des modalités communs à tous.

2.3 – Formuler clairement la diversité des publics dès la formation initiale

Toutes les manières de parler de l’hétérogénéité ne se valent pas. Depuis les années 1990, les Européens et les Canadiens préfèrent parler d’identification des besoins des élèves. Dans de nombreux pays, la formation des enseignants annonce clairement les choses. Par exemple, il est indiqué que « votre public sera divers, environ 75 % de vos élèves réagiront positivement au cadre scolaire proposé, 15 à 16 % seront difficiles et nécessiteront des interventions conjointes avec d’autres collègues (infirmière, CPE, pédopsychiatre…), enfin 5 % seront rétifs à la forme scolaire et nécessiteront des interventions plus lourdes et coordonnées ». En France pour le moment, rien de tout cela n’est intégré à nos masters éducation et à nos nouvelles Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE, successeurs des IUFM). Les enseignements universitaires des futurs enseignants restent figés sur des positions académiques et élitistes : ils traduisent la préférence pour un enseignement purement disciplinaire délivré à destination d’élèves abstraits et idéalisés.

2.4 – Favoriser des pratiques pédagogiques inclusives dans la classe

Au-delà de la multiplicité des intervenants au collège s’ajoute la multiplication des organisations « en barrettes ». Cette partie de l’emploi du temps commun à plusieurs classes, de manière à favoriser divers regroupements d’élèves, vise à constituer des groupes d’élèves venant de différentes classes selon de prétendues caractéristiques communes. Avec la multiplicité des dispositifs d’externalisation de la difficulté, cette situation ne permet pas de construire une école inclusive.

Une école inclusive passe en effet d’abord par une classe inclusive. En effet, il s’avère que pour bien apprendre, les enfants, les pré-adolescents et les adolescents ont besoin de repères et le premier d’entre eux est la classe, le groupe classe. Externaliser la gestion de la difficulté scolaire, c’es-à-dire gérer la difficulté scolaire en dehors du groupe classe via des heures de « remédiation » ou par la mise en place de « groupes de compétences » regroupant des élèves d’un même niveau de différentes classes, ne permet pas aux enfants les plus fragiles de réussir. D’une part, ils perdent leurs repère (la classe) ; d’autres part ils intègrent par un mécanisme dit d’« effet pygmalion inversé » l’idée qu’ils ne sont pas performants et deviennent de ce fait très peu réceptifs à l’aide qu’on peut leur apporter. Ces enfants ont avant toute chose besoin d’être « réassurés » pour reprendre confiance en leurs capacités cognitives et retrouver le chemin de la réussite.

2.4.1 La classe : pédagogies de coopération

Les enseignants devraient être invités et formés à adopter des pédagogies de coopération dans la classe. Ces pédagogies permettent d’améliorer le climat scolaire, d’apaiser les tensions et de créer des solidarités entre les élèves. Elles reposent sur des protocoles d’entraide dans les apprentissages et des dispositifs coopératifs d’évaluation, l’objectif premier étant la solidarité et la cohésion du groupe afin de permettre à tous les enfants du groupe de meilleurs apprentissages. Les élèves sont invités à travailler par sous-groupes et sous forme d’ateliers. Ils peuvent être médiateurs en cas de conflit, ou encore médiateurs des savoirs en reformulant, en explicitant pour eux-mêmes et pour d’autres. Par ailleurs, le monde de l’entreprise regrette régulièrement que nos enfants soient si peu formés au travail en équipe et à la collaboration entre personnes de niveaux d’études différents. Les pédagogies de la coopération présentent le triple intérêt de permettre aux enfants d’êtres plus performants au niveau des apprentissages, de les former à travailler en équipe et de créer des solidarités entre eux.

2.4.2 Le climat de classe

Travailler sur le climat de classe permet de réduire les tensions et donc de réduire les inégalités de résultats comme le montrent les programmes finlandais et canadien [21] . Créer la cohésion de classe passe par l’attention portée à l’accueil dès la Sixième, par exemple par des entretiens individuels favorisant une connaissance globale de chaque élève, par la création d’un pont explicite entre la langue de l’école et la ou les langues des élèves, entre la ou les cultures des élèves et la culture de l’école, et par l’explicitation des codes scolaires.

2.4.3 Le groupe de compétences

Il regroupe des élèves de niveaux différents pour former autour d’une compétence à acquérir ou à consolider (par exemple rechercher une documentation en ligne). Ce type de regroupement d’élèves, contrairement au groupe de niveau ou de besoin, est conforme à l’esprit du socle commun et de l’école commune. Il identifie une compétence cible à travailler par les élèves sans créer d’ostracisme : des élèves de niveaux différents sont invités à travailler collectivement à construire sur un temps court des compétences comprises comme des savoirs mis en action.

2.4.4 L’espace de la classe et l’autonomie de l’élève

L’élève de CM2 connaît le plus souvent la possibilité de se déplacer dans la classe pour jeter un mouchoir à la poubelle ou pour aller travailler à une autre table avec un groupe d’élèves. Lors de son passage au collège, il découvre qu’il n’a plus le droit de le faire sous peine de sanction immédiate. Le rapport au corps de l’élève, et donc à l’espace qu’il a le droit d’occuper, change radicalement entre l’école et le collège.

Certains collèges ont réussi à réduire cette « contrainte par corps » en intégrant dans l’emploi du temps des élèves des passages par les ateliers de la Segpa [22] , sur projets, afin de mettre en action les savoirs acquis. Cela permet également de « dédramatiser », d’ouvrir l’espace de la classe, de diversifier les espaces de cours pour favoriser la coopération entre élèves pour des travaux d’équipe. Ne pas confondre cependant, mouvements naturels et excitations inutiles. Une chose est de courir dans les couloirs après un camarade, une autre est de se déplacer en cours pour venir en aide à un camarade.

2.4.5 Le temps scolaire

Ce qu’il est possible de faire dans le cadre actuel

100 minutes. Le travail haché des 55 minutes ne permet pas toujours d’accomplir des tâches liées normalement à une pédagogie qui vise l’acquisition de compétences. Mettre des savoirs en action requiert parfois du temps. Ainsi les expérimentations sur des cours de 100 minutes [23] semblent prometteuses : moins de mouvements entre les cours entraînent moins d’excitations inutiles et de violences dans les couloirs, plus de temps pour s’installer dans une activité, et un esprit plus serein pour aborder les cours.

Tempo des groupes de compétences

Les groupes ciblant une compétence particulière ne sont pas destinés à rester figés sur l’année. Un rythme assez soutenu d’évolution des groupes (trois à quatre semaines) invite d’une part les enseignants à fixer des objectifs atteignables et à cibler une compétence, et permet d’autre part de soutenir la motivation des élèves.

Modifier le calendrier des conseils de classe et les modes d’évaluation

Un premier conseil de classe à la mi-octobre, soit six semaines après la rentrée au lieu des dix semaines en usage actuellement ; un deuxième fin janvier et le troisième début mai : ce changement de calendrier est guidé par une volonté de personnaliser davantage les parcours et de faire évoluer parallèlement le rythme annuel de l’accompagnement personnalisé. Ainsi, après le premier conseil de classe, les difficultés plus tôt repérées sont prises en charge dès le début de novembre en accompagnement personnalisé.

Ce qu’il faudrait faire de nouveau

Les marges de manœuvre actuelles des collèges sont, à présent, presque nulles : la dotation offre peu de choix structurels aux établissements, et le développement de discussions internes pour effectuer des choix devient très limité. A l’image de ce qui s’est passé lors de la dernière réforme des lycées, lors de laquelle ce ne sont pas moins de 20 % de la Dotation horaire globale qui relevaient de choix locaux, pourquoi ne pas proposer aux collèges 20 % à la décision locale [24]  ? La vertu des 20 % du temps laissés à l’appréciation locale pour une utilisation circonstanciée est réelle. A ceci près que des contreparties structurelles devraient s’imposer, notamment concernant les structures pédagogiques avec une mixité obligatoire des classes : mixité sociale, mixité scolaire, fondée sur des stratégies de coopération entre élèves, des équipes d’élèves, des ateliers et des ilots en classe. Les classes ne devraient pas être construites autour des options des élèves. Les logiciels de confection des emplois du temps permettent dorénavant tous les types de paramétrage.

3 – Le pilotage d’une bonne gestion de l’hétérogénéité

De nombreuses expériences existent sur le terrain, mais de manière isolée et guère soutenues. On parle ici de la mise en place d’une politique réellement nationale qui ne se contenterait pas d’appeler à des innovations par voie de circulaire de rentrée, puis de ne pas trop les contrarier par une normalisation bureaucratique excessive. Une telle politique nécessite d’être précisément déclinée aux trois niveaux – central, académique et établissement – et doit comporter plusieurs volets : d’abord une expérimentation en vraie grandeur (par exemple dans un ou deux départements) puis des objectifs clairs, la mise à disposition de ressources, des outils de suivi et d’évaluation et, enfin, la sanction de ces évaluations.

3.1 – Au niveau central

Il revient à l’administration centrale du ministère d’élaborer des objectifs clairs de mise en œuvre d’une politique de développement de la mixité sociale des établissements et d’une pédagogie inclusive dans les classes. Trois priorités semblent devoir être dégagées : revoir les dispositions de la carte scolaire ; favoriser et gérer la mixité sociale des établissements et des classes ; favoriser les dispositifs pédagogiques d’inclusion scolaire.

Revoir les dispositions de la carte scolaire

Il s’agirait, comme il a été souligné précédemment, de passer du modèle de carte scolaire avec dérogations à celui du libre choix régulé. Cette nouvelle politique (sectorisation élargie sur deux à cinq collèges selon les territoires), visant une affectation permettant d’équilibrer la mixité sociale des élèves entre ces établissements, doit être définie et impulsée par l’administration centrale, en lien avec les collectivités territoriales responsables de la carte scolaire des collèges. Cette politique devrait aussi se concrétiser au niveau académique.

Favoriser et gérer la mixité sociale des établissements et des classes

La politique d’affectation des élèves est cependant insuffisante pour assurer la mixité sociale des classes. Un indicateur de mixité sociale des classes a été récemment mis au point par l’Ecole d’économie de Paris dans une recherche sur les lycées d’Ile-de-France, non encore publiée. Il permet de connaître, pour chaque établissement, le degré de mixité de ses classes, en faisant la part de ce qui est dû à l’environnement social et ce dont sont responsables les politiques de recrutement des élèves et de constitution des classes de l’établissement [25] . Cet indicateur pourrait être généralisé aux collèges de toutes les académies et mis à leur disposition. Au terme de quelques années d’expérimentation, il devrait constituer une base solide d’évaluation des établissements (et de leurs responsables) et permettre de moduler leurs moyens, par exemple dans le cadre des conventions tripartites.

Favoriser les dispositifs pédagogiques d’inclusion scolaire

La mixité sociale des classes est un préalable et pas une fin en soi. Les dispositifs inclusifs décrits ci-dessus, et d’autres outils de la pédagogie des classes hétérogènes [26] , doivent permettre de parvenir à une meilleure socialisation des élèves et à une plus grande équité de leurs résultats. Cela passe de toute évidence par le développement de nouvelles compétences professionnelles chez les enseignants, et donc par une réorientation et un accroissement de l’offre de formation continue.

3.2 – Au niveau académique

C’est le niveau le plus pertinent pour organiser le suivi de la politique de bonne gestion de l’hétérogénéité des établissements et des classes et de formation de nouvelles compétences professionnelles : mobilisation, formation et évaluation des chefs d’établissement et des autres personnels d’encadrement, formation et accompagnement des enseignants à la gestion des classes hétérogènes par la diffusion des techniques et des pédagogies pertinentes ; repérage et diffusion des innovations, encouragement aux expérimentations. C’est également le niveau de coopération concrète avec les collectivités pour la définition des secteurs élargis et pour l’affectation équitable des élèves en collège. C’est enfin le niveau où peut se traduire l’évaluation de la mise en œuvre locale de la politique nationale, par la définition de conséquences sur les établissements évalués, notamment en termes de moyens.

3.3 – Au niveau des établissements

C’est bien entendu le niveau le plus important pour la réalisation concrète de la politique nationale. Rien ne peut se faire sans la conviction et la mobilisation des enseignants. Un diagnostic doit être opéré par chaque établissement avant toute initiative. La formation de nouvelles compétences doit accompagner tout nouveau projet d’une meilleure gestion de l’hétérogénéité et s’appuyer sur les propositions des équipes, qui doivent être largement informées des facteurs favorables et défavorables à la diversité et à la réussite, sous forme de synthèses accessibles [27] . Ces équipes doivent être en mesure de répondre à un petit nombre de questions clés : si nous posons telle action ou telle décision, quelle sera la conséquence sur le climat de classe et la réussite des élèves ? La coopération entre établissements du même secteur élargi de recrutement doit progressivement s’instituer. Le rôle des personnels de direction semble crucial dans la définition, l’impulsion et le suivi de ces politiques d’établissement.

Conclusion

Il est donc possible de faire réussir ensemble, au sein d’un même établissement, au sein d’une même classe, des élèves de niveaux scolaires différents. Il est d’ailleurs urgent pour la gauche de faire des propositions concrètes à ce niveau afin de répondre à l’influence grandissante du « déterminisme ». L’UMP ne fait qu’exprimer ce que beaucoup souhaitent, à savoir le retour à une orientation précoce à l’issu de la 5ème et le recours au « libre choix » de l’établissement. Cette orientation aurait, comme cette note l’explique, des conséquences catastrophiques pour notre système éducatif.

L’idée alternative de « casser » de façon ponctuelle, notamment au collège, les groupes classes, et de conserver une carte scolaire dite « stricte avec dérogations », ferait certes émerger une élite plus conséquente mais laisserait de côté un nombre encore plus important d’élèves qu’actuellement. C’est pourquoi nous préconisons le modèle de « l’intégration individualisée » dans la classe et le recours au « libre choix régulé » entre établissements pour gérer au plus près la question clé de la mixité sociale. Ce sont les conditions de la réduction des sorties sans qualification et de l’amélioration des performances globales de notre système éducatif. Elles nécessitent évidemment de se donner les moyens d’accompagner les personnels.

Cette note a été mise à jour le 22 septembre 2014

PROPOSITIONS

Mettre en place des indicateurs de pilotage des établissements qui valorisent la mixité scolaire et sociale

Réformer les modalités de recrutement et d’affectation des élèves dans les établissements et se diriger vers le modèle du « libre choix régulé »

Réduire le recours aux options au collège afin de permettre une réelle mixité de niveaux scolaires dans les classes et utiliser les moyens ainsi dégagés pour financer les dispositifs de personnalisation des apprentissages

Augmenter le volant d’heures à usage « libre » attribué aux établissements scolaires du second degré (collège et lycées) afin de leur donner de la souplesse pour permettre la mise en place des dispositifs de personnalisation des apprentissages au sein même des classes (tutorat, aide individualisé, groupes de besoin, etc).

Repenser tous les dispositifs de gestion de la difficulté scolaire afin de faire en sorte que celle-ci se fasse au sein même des classes et éviter de l’externaliser

Former les enseignants du 1er degré au co-enseignement, notamment dans le cadre du dispositif « Plus de maîtres que de classes » qui doit être généralisé à toutes les écoles.

Mettre en place un plan national de formation des enseignants à la gestion de l’hétérogénéité ainsi qu’un plan national de formation des personnels d’encadrement au pilotage de cette gestion

Revoir l’organisation physique des établissements à l’aune de ces nouvelles réformes (salles à tailles réduite, bureaux pour les enseignants, salles de réunion, etc.)

Repenser le pilotage des établissements scolaires et des écoles afin qu’il soit davantage centré sur la pédagogie.

  1. N. Mons, De l’école unifiée aux écoles plurielles : évaluation internationale des politiques de différenciation et de diversification de l’offre éducative , Thèse de doctorat, Université de Bourgogne, 2004 : http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/04/21/81/PDF/04125.pdf

  2. Principaux résultats de l’enquête PISA 2012 (OCDE)

  3. L’Allemagne, prenant conscience dès 2006 de ses très mauvais résultats à l’évaluation Pisa, a pris deux décisions majeures : 1) la mise en place d’examens standardisés pour les dominantes du bac, ce qui ne veut pas dire centralisés ; 2) la création de flux et de passerelles entre les différentes filières. Ces décisions ont entraîné un début de démocratisation du lycée et de meilleurs résultats Pisa en 2012

  4. F. Dubet et M. Duru-Bellat, L’hypocrisie scolaire , Le Seuil

  5. http://tel.archives-ouvertes.fr/docs/00/04/21/81/PDF/04125.pdf , page 364

  6. A. van Zanten et J-P. Obin, La carte scolaire , PUF, 2009, pp. 101 à 115

  7. Ce modèle n’a jamais été pratiqué en France .

  8. On rappelle qu’à ce niveau, le tracé des secteurs de recrutement des collèges (la sectorisation) a été dévolue aux conseils généraux en 2007, alors que l’affectation des élèves est restée de la responsabilité de l’Etat ; la gestion de la mixité sociale et scolaire est donc devenue une compétence partagée, ce qui n’est pas le cas des écoles (compétence générale du maire) ni des lycées (compétence générale de l’Etat)

  9. Note du ministre à l’attention des principaux et proviseurs, 4 juin 2007 (B.O. N°15 – 10 AVRIL 2008)

  10. BO du 10 avril 2008

  11. Dispositif d’Initiation aux Métiers de l’alternance

  12. France – Note par pays – Résultats du PISA 2012

  13. Dima : Dispositif destiné aux collègiens ayant au moins 15 ans. Il leur permet de faire de l’alternance.

  14. La 3ème prépa professionnelle est une classe de 3ème accueillie dans un lycée professionnel. Les élèves y suivent un enseignement général « allégé » et bénéficient de 6h par semaine de découverte professionnelle.

  15. Section d’enseignement générale te professionnel adapté. Elle accueille des la 6ème des élèves qui présentent des difficultés d’apprentissages graves et durables.

  16. Unités qui accueillent les élèves allophones arrivants

  17. Les élèves scolarisés au titre des ULIS présentent des troubles des fonctions cognitives ou mentales, des troubles envahissants du développement, des troubles de la fonction auditive, des troubles de la fonction visuelle ou des troubles multiples associés.

  18. Dispositif qui consiste à ouvrir l’école aux enfants pendant les vacances scolaires.

  19. Zones Urbaines Sensibles

  20. Contrat Urbain de Cohésion Sociale

  21. Le programme KIVA en Finlande en a fait la démonstration mais aussi l’ensemble des recherches qui ont conduit à des politiques publiques comme pour R. Benbenishty en Israël ou encore R. Astor et J. Cohen pour des états américains dont celui de New York par exemple.

  22. Section d’Enseignement Général et Professionnel Adapté

  23. Les expérimentations de ce type ont démarré au collège Clisthène de Bordeaux avec l’appui des chercheurs comme F. Testu ou H. Montagner, et ont été reprises à Montpellier et au collège Bellefontaine de l’académie de Toulouse.

  24. Actuellement, l’usage des dotations horaires allouées aux établissements est très contrainte par les horaires minimum fixés par les textes par discipline. Cela laisse très peu d’heures pour les décisions locales.

  25. E.Maurin, S-T. Ly et A. Riegert, La mixité sociale et scolaire des lycées d’Île-de-France : le rôle des établissements (à paraître) ; cette étude montre en particulier que 85 % des lycées des académies de Paris, Créteil et Versailles répartissent leurs élèves de manière arbitraire, et donc déjà ségrégative, entre les classes, et que les 15 % restant développent des politiques de répartition encore plus ségrégatives ; elle permet également de discerner les moyens empruntés par ces politiques de ségrégation

  26. M-C. Grandguillot, Enseigner en classe hétérogène, Hachette Education

  27. http://www.cndp.fr/climatscolaire/diagnostiquer/identifier-les-facteurs-favorables/reperer-les-facteurs-a-risques-les-facteurs-protecteurs.html

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