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Note

Ecole primaire : le sacrifice de l’avenir

Terra Nova poursuit son tour d’horizon de la rentrée scolaire 2011 en se penchant sur le cas de l’école primaire : l’annonce par la majorité de la « sanctuarisation » du primaire l’an prochain ne remet pas en cause les 1500 classes supprimées en 2011 et révèle à quel point le socle de notre système éducatif a été malmené par les politiques scolaires depuis 2002. Injuste socialement, contre-productive scolairement et financièrement, la réduction continue des moyens alloués à l’école primaire est un contre-sens qui pèsera lourdement sur la réussite éducative des prochaines générations. Elle traduit une conception conservatrice de l’éducation : il est plus facile de favoriser le degré d’enseignement où le triage social et scolaire est déjà effectué, plutôt que chercher à faire progresser tous les enfants. Il est urgent de redonner la priorité au premier chaînon de notre système scolaire, déterminant dans la réussite des parcours éducatifs.
Publié le 

Synthèse

Avec un cynisme certain, la majorité a annoncé le gel des fermetures de classes dans l’école primaire pour la rentrée scolaire 2012, sans remettre en cause celles effectuées depuis plusieurs années. Les mobilisations pour maintenir les écoles ou les classes menacées s’amplifient, de même que le mécontentement des acteurs éducatifs. Celui-ci est largement justifié, tant les choix budgétaires, éducatifs et in fine idéologiques de la majorité actuelle fragilisent l’école primaire hexagonale. En effet, derrière l’annonce opportune pour l’année de l’élection présidentielle, c’est le premier chaînon de notre système éducatif qui est gravement atteint par les politiques scolaires depuis 2002.

La réduction continue des moyens alloués à l’école primaire est un contre-sens sur tous les plans : elle est injuste moralement (l’école primaire accueillant tous les élèves dans une même filière démocratisée), désastreuse scolairement (les élèves en difficulté dans le primaire sont sujet à l’échec scolaire dans le secondaire), et contre-productive financièrement (la prise en charge de l’échec scolaire est moins coûteuse si elle est précoce). Loin de se limiter à un choix comptable, certes regrettable mais lié à des contraintes budgétaires, la volonté de la droite de réduire les moyens déjà insuffisants du primaire traduit une conception conservatrice de l’éducation. En effet, la majorité, depuis 2002, tend à « naturaliser » les inégalités scolaires, qui sont désormais lues comme l’opposition entre une poignée d’élèves méritants (qu’il faut extraire et exfiltrer vers des filières d’excellence) et une masse d’élèves en difficulté (dont beaucoup venant des « nouvelles classes dangereuses » des banlieues populaires). Pourtant, l’école primaire publique, ouverte à tous les élèves, plébiscitée en tant que service public de proximité, doit être favorisée financièrement pour construire la réussite éducative de l’ensemble d’une génération. En sous-finançant de manière croissante le premier cycle du service public éducatif, la majorité actuelle camoufle bien mal un projet scolaire conservateur et des considérations stratégiques sous la seule nécessité budgétaire.

Note intégrale

1 – Le constat d’une école primaire française financièrement de plus en plus désavantagée

Contrairement aux annonces ministérielles et aux attaques régulières des libéraux (dont l’IFRAP), qui pointent régulièrement du doigt un système public supposé dispendieux, dans lequel on pourrait établir des économies supplémentaires, l’école primaire française est nettement sous-financée en comparaison internationale. Le classement de l’OCDE pour l’année 2009 permet de faire le constat des choix budgétaires de l’Etat français en matière d’éducation. Le premier degré est très sensiblement sous-financé par rapport à la moyenne (cf. schéma suivant). Pour simplement mettre l’école primaire française au niveau des autres pays de l’OCDE, il faudrait un effort financier de 1000 euros par écolier et par an. On peut souligner que des pays européens comparables à la France (Italie, Espagne, Grande-Bretagne) ont fait des efforts financiers nettement supérieurs en faveur du primaire. Loin d’être une fatalité, ce sous-financement du 1er degré est un choix des gouvernants français, produit de l’accumulation de décisions (et de non-décisions) concernant le 1er degré. Ce retard pèse lourdement, tant il traduit des années d’austérité budgétaire pour ce premier chaînon – et le plus déterminant – de notre système scolaire.   La dépense par élève du 1er degré dans les pays de l’OCDE, 2009 (source : statistiques de l’OCDE)

Pays membres de l’OCDEDépense par élève (dollars, PPA)
Pologne3 770
Hongrie4 599
Corée4 935
France5 482
Espagne5 970
Irlande6 337
Moyenne OCDE6 437
Italie7 716
Royaume-Uni7 732
Danemark8 798
Norvège9 486
États-Unis9 709

    Or, la situation s’est dégradée depuis 2002, pour des raisons avant tout de choix idéologiques et comptables en matière éducative. Entre 1990 et 2001, les dépenses par élève en 1er degré ont été multipliées par 2,1, soit à peu près au même rythme que les dépenses par élève du secondaire[1]. Il s’agissait d’un choix de démocratisation éducative, qui assurait de meilleures conditions matérielles à l’école maternelle et l’école élémentaire, là où se décide largement le destin scolaire des élèves. La rupture est sensible depuis 2002, le second degré (et singulièrement les lycées) a vu ses moyens progresser plus vite, avec un décrochage relatif de l’école primaire. Le premier degré (et plus encore l’école élémentaire) n’est donc plus une priorité budgétaire au sein de l’Education nationale depuis les années 2000. Or, les autres pays développés, Irlande, Etats-Unis, Royaume-Uni, ont fait le choix inverse : faire porter les efforts et les moyens disponibles sur les premières années de scolarisation. Les comparaisons internationales ne semblent intéresser l’actuelle majorité, il est vrai, que lorsqu’elles servent à pointer du doigt les faiblesses de l’Education nationale, moins quand elles révèlent crûment les politiques et les orientations gouvernementales dont ce secteur pâtit.    

2 – Un choix qui mêle délestage financier sur les collectivités locales, politique comptable et choix éducatifs conservateurs.

  Cette réduction de l’effort en faveur de l’école primaire est encore plus flagrante quand on prend en compte la réalité de la stratégie de l’Etat français en matière de dépense éducative, telle que la Cour des comptes l’a dévoilée dans son rapport sur l’Education nationale de 2010. Comme dans de nombreux autres secteurs, le gouvernement s’est déchargé de certaines dépenses sur les collectivités locales. La part de l’Etat dans le financement de l’éducation (ou Dépense intérieure d’éducation, DIE) est passée de 67 % en 1985 à 60 % en 2008. Cette évolution a été compensée par l’augmentation de la part des collectivités territoriales : l’Etat se déleste sur les pouvoirs locaux des dépenses d’éducation. Or, il s’agit d’une responsabilité pourtant à la base du contrat républicain depuis le 19e siècle: assurer sur tout le territoire un service public d’éducation efficace, ouvert à tous et performant. Certaines odes à Jules Ferry ont une saveur amère de ce point de vue. Surtout, ce transfert de l’Etat au local touche encore plus nettement l’école primaire, dont près de 40 % du financement est assuré par les collectivités locales (les communes en l’occurrence), contre seulement 29 % pour le secondaire. La faiblesse de l’effort financier de l’Etat français pour l’école primaire est donc largement masquée par les efforts croissants consentis par les communes, qui malgré une situation budgétaire dégradée, ont maintenu des ressources pour leurs écoles. Ce déséquilibre traduit l’ampleur de l’abandon financier de la part de l’actuelle majorité pour le 1er degré, abandon qui mêle politique comptable et choix de politiques éducatives hostiles à la démocratisation de l’école.   En effet, l’école primaire pâtit de l’abandon de la priorité à l’Education nationale par la majorité depuis 2002. Si la France était le 2e pays en matière de dépenses totales d’enseignement scolaire en 1995, elle n’est plus que 11e en 2006, et la chute ne semble pas prête de s’arrêter. Mais ce recul continu des dépenses d’éducation pèse de manière disproportionnée sur le primaire. Comme le relève justement la Cour des comptes : « sur 27 pays, la France occupe, en cumulant les dépenses publiques et privées, le 14e rang pour le total du primaire et du collège, mais le 6e rang pour le lycée »[2]. Le premier degré, et le collège – c’est-à-dire le « socle commun » tel que défini par la loi d’orientation de 2005 – sont donc défavorisés par rapport au lycée.   Pourquoi un tel choix, qui fait peser la rigueur au seul segment éducatif français (primaire, et plus relativement, collège) où se retrouvent toute une classe d’âge ? Pourquoi ne pas consacrer les ressources à ce chaînon où se construisent parcours et réussite des élèves ? La droite française préserve grosso mododepuis 2002 l’effort financier en faveur du lycée. Cette préférence n’a rien de neutre, car elle n’est nullement liée à une seule logique comptable et révèle un positionnement idéologique conservateur vis-à-vis du système éducatif. Si l’école primaire (publique) accueille en effet l’ensemble des enfants, le lycée est un degré d’enseignement où le triage social et scolaire est déjà largement effectué. En consacrant relativement plus de ressources au niveau du lycée, la majorité actuelle poursuit plusieurs objectifs, qui n’ont rien de contradictoires :   -         L’achat d’une certaine paix sociale avec les professeurs de collège et de lycée, via une hausse relative du pouvoir d’achat (heures supplémentaires, mesures et primes ponctuelles)[3]. L’écart de revenus entre les enseignants du primaire et ceux du secondaire a d’ailleurs eu tendance à s’accroître de ce fait : la chute dramatique des candidats au professorat des écoles s’explique aussi par cette raison. -         Le maintien du modèle français du lycée, qui reste l’un des seconds cycles du secondaire les plus coûteux par élève de l’OCDE, tout en étant socialement inégalitaire.    

3 – Des mesures désastreuses et des annonces inquiétantes qui menacent la qualité de l’enseignement primaire

  L’annonce de suppressions de postes pour la cette rentrée scolaire ne peut que fragiliser encore plus l’école primaire. Déjà sous-encadrée et sous-financée, celle-ci souffrira d’autant plus des 16 000 suppressions de postes envisagées. Or, comme le relève Elie Hazan, dirigeant de l’association de parents d’élèves FCPE, la réalité démographique pour la prochaine rentrée est celle d’une augmentation du nombre d’enfants scolarisés dans le primaire. La hache budgétaire confine à l’absurde dans cette situation. Comment organiser l’afflux actuel d’élèves dans l’école primaire (notamment en école maternelle, avec 19 400 élèves en plus prévus pour la rentrée 2011, selon le ministère lui-même[4]) avec des moyens en régression ? La réponse du ministre de l’Education nationale, qui évoque l’augmentation de moyens des années 1990 (réalisée par ses prédécesseurs…) pour justifier les coupes budgétaires actuelles est pour le moins dilatoire, surtout en vue des comparaisons internationales. De même, le seul maintien des classes promis pour la rentrée 2012 ne règle pas la question de l’afflux démographique, ni la taille des classes.   Cette stratégie est d’autant plus dommageable que pour économiser des moyens de manière dogmatique, le gouvernement s’attaque à l’ensemble des dispositifs d’aide aux élèves en difficulté. Les RASED, ces réseaux d’équipes pluridisciplinaires d’aide aux élèves en difficulté dans le primaire, ont vu leurs moyens amputés depuis Xavier Darcos, et la rentrée 2010 a encore été l’occasion d’une baisse du nombre des personnels, qualifiés et volontaires, alloués à ceux-ci. Désormais, c’est la politique prioritaire elle-même qui est mise en cause. Elle compte parmi les derniers réservoirs d’économie pour le ministère, qui presse les rectorats de remettre en cause les labels « ZEP » de certains établissements, sous prétexte que l’éducation prioritaire a été fortement étendue depuis sa création en 1981. De plus, la transformation des politiques de ZEP dans le cadre du projet ECLAIR (dispositif issu des Etats généraux de la violence scolaire en avril 2010) souligne le paradigme sécuritaire de la majorité actuelle. Les difficultés scolaires sont désormais à traiter sous l’angle de la violence, de la répression et de la moralisation des « classes dangereuses » (dont les « éléments méritants » seront préalablement extraits pour rejoindre quelques filières d’excellence). Bref, il s’agit d’un discours de la droite décomplexée, dont les députés Eric Ciotti (contre l’absentéisme scolaire) ou Jacques-Alain Bénisti (hostile à l’apprentissage des langues maternelles étrangères par les enfants d’immigrés) ont appliqué les linéaments à l’école : répression des comportements « déviants », surveillance des difficultés scolaires vues comme naturelles.   Ne se limitant pas à une baisse des moyens, les annonces et les propositions financières qui sourdent de la majorité actuelle révèlent des propositions inquiétantes pour le premier degré. On relèvera ainsi la loi Carle, votée en 2009, qui souhaitait organiser le financement par les communes des élèves scolarisés dans des écoles privées situées hors de leur territoire. C’est officialiser la marche vers un « marché scolaire », au détriment des collectivités locales et des couches populaires dans un premier temps, puis de l’ensemble du système éducatif dans un deuxième temps.   Ce sont donc des choix financiers négatifs pour l’école primaire qui s’accumulent depuis plusieurs années. Sans une priorité renouvelée pour elle, le système éducatif français continuera sur la route d’un lent déclin : le premier chaînon de notre système scolaire détermine en effet la réussite (ou l’échec…) des parcours éducatifs. Réduire ses moyens est donc techniquement irrationnel et socialement injuste.  


[1] Bruno SUCHAUT (dir.), Eléments d’évaluation de l’école primaire française, rapport pour le Haut Conseil à l’Education, février 2007   [2] Rapport de la Cour des comptes, « L’éducation nationale face à l’objectif de la réussite de tous les élèves », juin 2010   [3] Le recours aux heures supplémentaires dans l’enseignement secondaire a sensiblement crû à partir de 2007 (cf. Repères et références statistiques – Ministère de l’Education nationale, édition 2009, p. 300). Pour une analyse de la politique salariale dans l’Education, cf. Pierre Frison, « Education : une communication bien huilée, des « réformes » précipitées », Note Terra Nova, 2009 :http://www.tnova.fr/note/education-une-communication-bien-huil-e-des-r-formes-pr-cipit-es [4] DEPP, « Prévisions nationales d’effectifs d’élèves des premier et second degrés pour les rentrées 2010 et 2011 », Note d’information, septembre 2010

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