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Note

Education prioritaire : redonner du sens à la réussite de tous

L’éducation prioritaire a 30 ans : née en 1981, sa vocation était de rétablir l’équité en donnant plus aux établissements défavorisés. Dans les années 2000, elle a fait l’objet de nombreuses réformes, occupant une place de choix dans le discours du pouvoir à partir de 2007. Celui-ci a imposé aux ZEP un nouveau paradigme, en concentrant les efforts sur une poignée d’élèves « méritants », abandonnant la masse des élèves en difficultés, en faisant de l’éducation prioritaire un laboratoire de la transformation du service public, comme l’illustre le projet ECLAIR. Cette note montre que la transformation à l’œuvre depuis 2007 n’a résolu aucun problème, laissant de nombreuses questions en suspens : articulation des ZEP avec la politique de la ville, accueil des enseignants débutants et constitution d’équipes stables, diffusion des bonnes pratiques, stratégies d’excellence au service de la réussite de tous, implication des parents…
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Synthèse

  Les 30 ans d’une ambition novatrice devenue un élément du paysage éducatif Depuis 1981, l’Education prioritaire (connue sous le sigle Zones d’Education Prioritaire ou ZEP) a connu une extension forte, à tel point que 18 % des collégiens sont aujourd’hui dans des établissements prioritaires. Une logique purement quantitative a longtemps prévalu, avec une allocation de moyens supplémentaires et une relative routine de gouvernance. De fait, celle-ci n’était temporairement bouleversée qu’à l’occasion de crises ou d’évènements ponctuels, comme le mouvement de mobilisation en Seine-Saint-Denis sous le ministère de Claude Allègre.   Dans les années 2000, les ZEP ont été l’objet de nombreuses réformes, avec une distinction des établissements prioritaires en trois catégories (réforme de Robien en 2006). La première regroupe 254 établissements à qui doivent être alloués des moyens véritablement différenciés, car c’est en leur sein que se concentrent les problèmes et en conséquence que doivent se concentrer les moyens.   Une transformation profonde depuis 2007 qui n’a résolu aucun des problèmes Depuis 2007, l’éducation prioritaire connaît de profonds changements, liés à des choix idéologiques marqués. Les ZEP (dites désormais RAR) sont réorientées vers l’extraction d’une « élite des quartiers », au moyen de dispositifs fortement médiatisés, coûteux et structurellement limités à une petite minorité d’élèves. Si cette politique est légitime quand elle est accompagnée d’autres dispositifs (et en s’intégrant dans une politique éducative visant l’ensemble d’une classe d’âge), elle est discutable quand elle devient une fin en soi, abandonnant la masse des élèves en difficulté.   Dans le même temps, les ZEP sont devenues un territoire d’expérimentation de la réforme de l’administration, avec le projet ECLAIR qui transforme l’éducation prioritaire. Renforcement du pouvoir hiérarchique, multiplication des recrutements locaux, le projet ECLAIR tend à faire des ZEP des laboratoires de la transformation du service public, sous prétexte de « stabiliser les équipes ». De plus, il ne règle pas d’autres problèmes créés depuis 2007 : l’affaiblissement de la formation des enseignants, ainsi que de la recherche pédagogique en France. Or, sans personnels bien formés et soutenus par une réflexion sur les pratiques éducatives, aucun projet prioritaire ne peut réussir. De même, la prétention d’attirer les « meilleurs enseignants » ne peut faire oublier la nécessité d’accompagner plus efficacement les jeunes enseignants, surreprésentés en ZEP.    

Note intégrale

  Née en 1981 avec l’arrivée au pouvoir de la gauche, l’éducation prioritaire (ZEP) est devenue un élément du paysage éducatif français. Son principe originel était de donner plus aux établissements défavorisés pour rétablir l’équité. Ayant connu une forme de routine, elle s’est progressivement étendue, dans des proportions qui peuvent paraître importantes, voire discutables. Dans le même temps, l’éducation prioritaire a expérimenté une série de dispositifs et de mises en réseaux qui ont tenté de la renouveler.   Depuis 2007, l’éducation prioritaire a une place de choix dans le discours du pouvoir. Prenant prétexte d’une certaine sur-extension de l’éducation prioritaire, celui-ci a en réalité imposé un nouveau paradigme pour les ZEP. Il ne s’agit désormais plus de s’intéresser à l’ensemble des élèves des établissements prioritaires, mais bien à une poignée d’élèves « méritants », objet de toutes les attentions médiatiques et financières. Dans le même temps, les projets de réforme (ECLAIR) de l’éducation prioritaire suscitent de nombreuses interrogations, renforcées par la déstructuration de la formation des enseignants et de la recherche pédagogique.    

1 – Des ZEP à articuler avec la politique de la Ville

Relativement limitées lors de leur création en 1981–82, les ZEP ont dépassé le millier après la relance de 1998–99. Il y a aujourd’hui 18 % des collégiens en ZEP, ce qui est tout à fait déraisonnable. Cette situation résulte à la fois d’un intense lobbying des élus locaux pour obtenir « leur » ZEP et d’une confusion entre les difficultés ordinaires rencontrées par les collèges des banlieues populaires notamment, et les situations exceptionnelles du point de vue de la vie scolaire et des résultats pédagogiques qui seules devraient relever de l’éducation prioritaire. Autrement dit, il ne devrait pas y avoir plus de 5 % de collégiens en éducation prioritaire, ce qui est d’ailleurs l’effectif actuel des collégiens en RAR (Réseau ambition réussite, appellation nouvelle des ZEP).   De ce point de vue, la réforme initiée par le ministre Gilles de Robien en 2006 est allée plutôt dans le bon sens. Elle classait les collèges et les écoles en trois catégories :   – EP1, les réseaux ambition réussite (RAR), au nombre de 254 constituant le véritable cœur de l’éducation prioritaire ; – EP2, les réseaux de réussite scolaire (RRS), catégorie intermédiaire, environ 800 ; – EP3, établissements ayant vocation à sortir de l’éducation prioritaire.   Cette classification n’a pas encore été formellement supprimée malgré l’intégration de la quasi-totalité des RAR dans le nouveau programme ECLAIR (qui réforme à la rentrée 2011 les ZEP). Un problème récurrent tient au fait qu’il n’y a jamais eu adéquation entre la carte des établissements prioritaires et celle de la politique de la Ville, notamment celle des ZUS. C’est une des raisons qui peut expliquer les réticences et les difficultés rencontrées pour faire participer l’Education nationale à des projets éducatifs territoriaux.  

2 – Des établissements prioritaires qui manquent aujourd’hui leur cible

  Historiquement, l’éducation prioritaire est passée par trois phases :   – Dans une première période, de 1981 à 2006, elle est centrée sur des territoires considérés au moins initialement comme en déshérence. C’est significativement sous l’appellation de politique des ZEP qu’elle s’incarne alors. Cela entrainait notamment la création de coordonnateurs de ZEP, importante fonction d’animation et de mise en cohérence, souvent remplie par des professeurs des écoles, la création de conseils de ZEP et la recherche de partenariats avec les collectivités locales et les autres institutions de proximité.   – De 2006 à 2010, l’accent est mis sur les établissements au sens large (écoles et collèges) organisés en réseaux. Il s’agit notamment d’assurer une meilleure continuité pédagogique entre l’école et le collège. Il s’agit également et pour la première fois de renforcer sensiblement la lutte contre l’échec scolaire grâce à la création dans les RAR d’un millier de postes de professeurs supplémentaires (ou référents) et de 3000 postes d’assistants pédagogiques.   – Depuis 2010, une nouvelle approche est en vigueur, beaucoup plus idéologique et directement inspirée par le Président de la République. Il s’agit cette fois de s’intéresser avant tout aux élèves méritants d’origine modeste qu’il s’agit d’exfiltrer de leurs quartiers et de leurs établissements laissés à l’abandon au moyen de nouveaux dispositifs : carte scolaire assouplie, internats d’excellence ruineux et inéquitables, cordées de la réussite dédouanant à bon compte les grandes écoles.   En fait, une véritable politique d’éducation prioritaire, visant à la réussite de tous et non pas seulement à l’écrémage de quelques-uns, doit agir sur les trois niveaux à la fois, territoire, établissement et élève, une part d’individualisation dans l’enseignement étant tout à fait compatible avec la réussite de tous.  

3 – Directions et enseignants : encourager les profils expérimentés, mieux accueillir les débutants

En éducation prioritaire, les directions doivent être expérimentées, rompues aux techniques du management éducatif, mais surtout incarner des valeurs et faire preuve de caractère. C’est loin d’être le cas général, les points acquis au barème primant encore sur toute autre considération pour les affectations.   On ne peut que trouver louable, dans le cadre du programme ECLAIR, d’instituer des postes à profil pour les directions d’établissement et les gestionnaires (directeurs de SEGPA, CPE). La constitution d’une équipe de direction stable et motivée est en effet une des clés de la réussite. Pour les enseignants en revanche, la question se pose dans d’autres termes. S’il est légitime de leur demander d’adhérer au projet de l’établissement, les postes à profil, mieux adaptés aux emplois de responsabilité, ne devraient pas être la règle générale.   Il convient enfin d’être réaliste sur la volonté de faire venir à tout prix des enseignants expérimentés en éducation prioritaire. Des années d’expériences ont montré que mise à part une poignée de militants, les incitations indemnitaires ou les avantages de mobilité, telles qu’ils existent aujourd’hui, n’ont pas attiré de nombreux candidats volontaires. Il ne s’agit pas d’abandonner bien sûr ces dispositifs : ils sont nécessaires pour stabiliser les équipes, valoriser le travail effectué, et motiver les volontaires. Dans la pratique, l’Education nationale est obligée d’affecter chaque année des enseignants débutants sur des postes en éducation prioritaire, situation aggravée évidemment par la désastreuse réforme de la formation initiale depuis 2007[1]. Dans ces conditions, la solution la plus urgente et la plus rationnelle est de mieux accueillir (y compris financièrement), soutenir et accompagner ces nouveaux enseignants : Cela pourrait passer par une diminution des heures de cours assurées par ceux-ci devant les classes, au profit d’autres activités (notamment le suivi personnalisé des élèves, le soutien scolaire, le travail en équipe), par la mise à disposition de bureaux pour les enseignants, par un tutorat exercé par les enseignants supplémentaires ou des collègues expérimentés, et par une attention plus marquée des corps d’inspection.       

4 – Moyens supplémentaires pour l’éducation prioritaire : les demandes des acteurs de terrain

  Dans les collèges en RAR, il y a en moyenne environ 22 élèves par classe contre 24 dans les collèges ordinaires. Ce différentiel est faible, mais le porter à 3 ou 4 ne changerait probablement pas grand-chose. Passer à des classes de 15 élèves ou moins serait selon certains économistes et statisticiens, comme Thomas Piketty, le remède miracle pour l’éducation prioritaire. Ces études statistiques n’ont pas été confirmées par des recherches pédagogiques de terrain unanimes. Que demandent les acteurs de terrain et notamment les enseignants en RAR ? Pas l’abaissement massif des effectifs par classe mais plutôt :   – la consolidation des postes de professeurs supplémentaires et d’assistants pédagogiques, qui permettent la mise en œuvre de pratiques innovantes, notamment la co-intervention devant les élèves.   – une diminution limitée, 2 heures par semaine par exemple, du temps d’enseignement devant les élèves, afin de permettre du travail de concertation au sein des équipes pédagogiques et de disponibilité en dehors des cours dans l’établissement. Remarquons au passage que c’est justement cette pratique que Luc CHATEL a trouvé admirable en Finlande ! – des crédits pédagogiques importants pour assurer le soutien scolaire, mettre en place des expérimentations, enrichir les actions socioculturelles par des sorties, des voyages et des clubs.   

5 – Les stratégies d’excellence ne sont opérantes que si elles sont menées au service de la réussite de tous

  Pour retenir et attirer de bons élèves, pour changer l’image de l’école, du collège ou du lycée, les responsables des établissements en éducation prioritaire ont souvent essayé de mettre en place des filières d’excellence : sections sport études, sections européennes, langues rares. Ces choix n’ont cependant été vraiment pertinents que lorsqu’ils ont été accompagnés d’une amélioration manifeste du climat scolaire, des résultats d’ensemble et des relations avec les parents, y compris en amont (parents d’élèves du primaire pour préparer l’entrée au collège, etc.). Autrement dit, les stratégies d’excellence sont tout à fait légitimes et utiles, à condition qu’elles soient au service de la réussite de tous et non de la préservation d’une élite.  

6 – Mieux impliquer les parents, mieux intégrer l’environnement de l’établissement

  Les parents d’élèves ne sont pas seulement des partenaires, ce sont des membres à part entière de la communauté éducative[2]. Dans les établissements en éducation prioritaire, plus encore qu’ailleurs, rien ne peut réussir sans leur compréhension, leur soutien et même leur implication active dans les projets éducatifs et pédagogiques. Il est donc indispensable d’améliorer l’accueil et l’information des parents, ce qui commence par une transformation de l’insipide dossier d’inscription en 6e en un outil de communication et par une réception en juin des futurs parents d’élèves de 6e par un membre de la direction ou un professeur principal.   Les parents doivent être régulièrement informés, non seulement de la scolarité de leurs enfants et de leurs résultats, ce qui commence à se faire avec la mise en place de logiciels comme PRONOTE, mais aussi de tout le fonctionnement et des projets de l’établissement. Au-delà de l’amélioration indispensable de la communication, certains collèges en RAR ont su impliquer davantage les parents d’élèves : participation à des sorties pédagogiques et à des voyages, animation de clubs, participation aux actions d’éducation à l’orientation, suivi actif de certains dispositifs de soutien.   Enfin, bien que l’accent soit moins mis actuellement sur les partenariats avec les collectivités locales et les associations, sauf pour la recherche de mécènes dans le cadre de dispositifs élitistes, il est évident que les établissements en éducation prioritaire doivent utiliser toutes les ressources de leur environnement.  

7 – Pour un engagement actif et durable des corps d’inspection territoriaux auprès des équipes pédagogiques

  Bien que chaque établissement en RAR soit en principe suivi par un Inspecteur d’Académie-Inspecteur Pédagogique Régional (IA-IPR) référent, on constate sur le terrain que l’implication des corps d’inspection territoriaux, IEN pour le premier degré et IA-IPR pour le second, est très inégale. Certains IEN sont explicitement opposés à l’éducation prioritaire et ne cessent de rogner ses moyens et d’entraver le travail des coordonnateurs de ZEP. Dans les collèges en RAR, certains IA-IPR se contentent de quelques bonnes paroles à la rentrée et ne reviennent que pour « relever les compteurs » en fin d’année. D’une manière générale il est rare que les IA-IPR « mettent les mains dans le cambouis » et montrent l’exemple, en matière de tenue de classe ou de gestion de l’hétérogénéité par exemple.   Or, en éducation prioritaire, on se heurte essentiellement à un déficit de réflexion, de savoir faire et d’échange en matière pédagogique comme l’a montré le rapport de l’Inspectrice générale Anne Armand, « La contribution de l’éducation prioritaire à l’égalité des chances des élèves » publié en octobre 2006On attend donc des corps d’inspection territoriaux qu’ils s’engagent activement et durablement auprès des équipes pédagogiques. Ils devraient notamment être beaucoup plus sollicités pour l’aide au diagnostic, pour la recherche de solutions collectives, pour des formations continues sur site, pour la mise en place d’indicateurs d’auto-évaluation des dispositifs.  

8 – Mieux diffuser les bonnes pratiques

A l’Education nationale, il a toujours été difficile d’organiser la circulation et la mémoire des dispositifs pédagogiques, et on « réinvente » ainsi chaque année ce qui existe déjà ailleurs. La revue XYZep du Centre Alain Savary (CAS), qui est de bonne qualité, essaye de combler en partie cette lacune, mais l’avenir du CAS au sein du nouvel Institut français d’éducation (qui remplace l’INRP, principal institut pédagogique en France) est incertain. Les rapports avec les équipes de recherche sont également très insuffisants. On note cependant que ces dernières ont été fortement sollicitées lors de la mise en place des internats d’excellence.    

Conclusion

  En définitive, l’éducation prioritaire depuis 30 ans n’a que très partiellement compensé les difficultés sociales et scolaires accumulées sur certains territoires, comme le confirme le bilan des RAR établi par la DGESCO en 2010. Depuis quelques années, la priorité a été donnée à des dispositifs visant une « élite méritante » au détriment de la réussite du plus grand nombre. Les écarts de réussite avec les collèges ordinaires se réduisent un peu, mais on est encore loin d’un véritable rattrapage. Cet échec relatif semble imputable à deux séries de causes :   – d’une part, l’éducation prioritaire, en dépit des discours flatteurs, n’a jamais bénéficié d’une véritable priorité en termes financiers, managériaux ou de pilotage.   – d’autre part, malgré la bonne volonté des acteurs locaux, on constate un manque manifeste de savoir-faire pédagogique et une insuffisante diffusion des pratiques efficaces.   C’est dire que pour en finir avec l’étranglement lent de ces dernières années, pour donner une véritable formation de base à tous les élèves et pas seulement des espérances à une petite minorité, l’éducation prioritaire a besoin non d’une simple relance mais d’une authentique refondation.  


[1] Voir sur la question de la formation des enseignants la note de Terra Nova : « Formation des enseignants : reconstruire sur un champ de ruines », http://www.tnova.fr/note/formation-des-enseignants-reconstruire-sur-un-champ-de-ruines-0 [2] Voir la note de Jean-Louis Auduc : « Parents et école : rétablir la confiance », http://www.tnova.fr/note/parents-et-cole-r-tablir-la-confiance

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