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Série « Européennes 2024 »

Financer la recherche pour consolider l’UE

La politique de recherche européenne s’appuie sur des programmes-cadres qui viennent compléter les financements nationaux. Le programme cadre qui s’est achevé en 2020, baptisé Horizon 2020, avec ses presque 76 milliards d’euros de dotation, a marqué un tournant positif et rencontré l’adhésion des chercheurs. La Commission vient d’en publier une évaluation très positive. Le prochain parlement aura à poursuivre l’ambition européenne dans ce secteur où les attentes sont majeures.

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Doté de 75,6 milliards d’euros, le programme Horizon 2020 a été le huitième programme-cadre de l’Union Européenne (UE) pour la Recherche et l’Innovation (R&I) sur la période 2014–2020. Fin janvier 2024, la Commission européenne en a publié un rapport d’évaluation très favorable. La communauté européenne de la recherche, elle aussi, semble tirer un bilan positif. A mi-parcours de l’actuel programme-cadre 2021–2027, une proposition de la Commission est attendue pour 2025 concernant l’enveloppe qui sera allouée au dixième programme-cadre en 2028. Le Parlement qui sera élu en juin s’emparera d’une négociation pour laquelle les parlementaires actuels ont déjà fixé de grandes ambitions avec un doublement de l’enveloppe financière qui serait ainsi portée à 200 milliards d’euros.

Complémentaire des financements nationaux, la politique européenne de la recherche a pour objectifs essentiels de promouvoir une recherche d’excellence grâce à des appels à projets portant sur des thèmes larges et de favoriser des collaborations transnationales et internationales : deux orientations robustes des programmes-cadres dont Horizon 2020 a confirmé la pertinence. Son succès tient à la fois à l’excellence de la recherche fondamentale qu’il a financée, avec un rôle croissant pour le Conseil européen de la recherche, et au soutien qu’il a apporté aux coopérations industrie-sciences et à l’innovation. Néanmoins, l’évaluation d’Horizon 2020 illustre aussi que la mise en œuvre de la politique européenne de la recherche continue de pâtir d’un sous-financement assorti de procédures lourdes.

Horizon 2020 : un tournant

Depuis les années 1990, la communauté scientifique est très critique vis-à-vis des programmes de financements européens de la recherche. Horizon 2020 aura changé la donne : l’indignation est devenue l’exception et la traditionnelle relation d’amour-haine entre les chercheurs et l’Europe est désormais pacifiée, comme l’a souligné la journaliste scientifique Anne Abbott dans un article de Nature en 2020. Qu’est-ce qui a changé ?

Le succès des programmes-cadres européens s’analyse à la lumière de leur capacité à compléter de façon pertinente les financements nationaux, beaucoup plus abondants. A cette aune, Horizon 2020 confirme la capacité de l’Union à financer une recherche d’excellence reposant sur des appels à projets aux thèmes larges et à favoriser des collaborations européennes et internationales.

Sur 7 ans, le programme a ainsi attiré plus d’un million de candidatures provenant de 177 pays. Parmi ces projets, 285 000 propositions étaient éligibles à un financement d’Horizon 2020, soit un nombre deux fois plus élevé que pour le précédent programme-cadre de recherche et développement (le septième, appelé FP7) qui s’étendait sur la période 2007–2013.

Comment l’expliquer ? Tout d’abord, les efforts accomplis pour réduire la complexité des dossiers de demande dès le FP7 ont porté leurs fruits avec Horizon 2020, grâce à des procédures de candidature et de reporting simplifiées. Cela a permis de réduire le délai moyen entre la demande et la signature du contrat de 18 à 6 mois.

Mais la clé du succès, tournant dans l’histoire des politiques de recherche européennes, aura surtout été le développement du Conseil européen de la recherche (ERC) au sein d’Horizon 2020. L’ERC a été fondé en 2007 dans le cadre du FP7 afin de financer l’excellence scientifique sans frontière au sein de l’UE. Doté d’un budget de 7,51 milliards au sein du FP7, il est passé à 13,1 milliards d’euros avec Horizon 2020 en sachant que ces sommes font partie du budget total d’Horizon 2020. L’ERC se concentre sur la recherche exploratoire et de pointe. Son objectif principal est de soutenir des projets de recherche ambitieux et novateurs, dirigés par des chercheurs individuels ou des équipes, avec pour seul critère de sélection l’excellence scientifique. L’ERC est le principal composant du flux de recherche fondamentale et une évaluation indépendante a conclu qu’environ 80 % des projets qu’il finance réalisent des percées scientifiques ou des avancées majeures.

L’ERC est la composante stratégique du pilier de l’excellence scientifique de Horizon 2020, les deux autres piliers finançant la recherche collaborative pour l’innovation et la compétitivité industrielles et les défis sociétaux. 

Quels types de projets ont été financés ?

Le programme Horizon 2020 était organisé autour de trois grands piliers : excellence scientifique ; défis de société ; primauté dans le domaine des technologies génériques et industrielles.

Concernant la nature des projets financés, Horizon 2020 a partiellement confirmé la pertinence des changements introduits par rapport au FP7: un succès confirmé pour l’excellence de la recherche fondamentale avec un rôle croissant pour l’ERC ; et, quoiqu’avec un succès moindre, une orientation des coopérations industrie-sciences dans le sens d’un soutien à l’innovation qui est le maillon faible de la compétitivité européenne. La répartition des financements en fonction de ces trois piliers (Figure 1) montre aussi l’importance des projets en lien avec des défis de société.

Figure 1 : Répartition de la contribution nette d’Horizon 2020 en fonction des piliers (en millions d’euros)

 

Le montant moyen des financements accordés pour un projet Horizon 2020 est de 2,3 millions d’euros alors qu’il n’était que de 1,8 millions d’euros pour FP7. Si la croissance de l’ERC s’est traduite par une augmentation de la part des projets individuels (Figure 3), la majorité des financements (Figure 2) reste allouée aux projets collaboratifs du programme. L’augmentation de la taille des projets collaboratifs reflète en partie la nouvelle approche d’Horizon 2020 qui a privilégié une concentration des partenariats avec l’industrie, moins nombreux mais disposant de plus de moyens.

 

Figure 2 : Répartition des financements en fonction du type de bénéficiaire

 

Figure 3 : Répartition du nombre de subvention accordée en fonction du type de bénéficiaire

 

L’objectif affiché d’Horizon 2020 était d’améliorer la compétitivité de l’économie européenne en corrigeant le déficit en innovation. Ceci a eu des implications sur les bénéficiaires du programme. Si les financements continuent à être majoritairement destinés aux acteurs de la recherche, on note que le secteur privé perçoit une part croissante des subventions (Figure 4). En effet, 19% des fonds Horizon 2020 sont allés à des nouveaux participants (entités n’ayant pas participé au FP7) et cette proportion atteint même 50% lorsqu’on ne prend en compte que les entreprises privées. Ainsi, les programmes s’ouvrent de plus en plus vers des projets venus du secteur privé, et plus particulièrement les PME innovantes.

Figure 4 : Répartition des financements en fonction du type de bénéficiaire

Bénéficiaire des programmes, le privé a également contribué. L’argent public a attiré des financements privés et pour chaque euro dépensé par l’UE, le secteur privé a investi 57 centimes. Dans certaines parties du programme, comme les partenariats public-privé, les entreprises ont investi jusqu’à trois euros pour chaque euro dépensé par l’UE.

Un programme à impact ?

Le rapport de la Commission évalue les impacts positifs du programme à l’aide d’une étude quantitative et qualitative dont la méthodologie est détaillée dans un document de travail. Cependant, 41% des projets Horizon 2020 sont toujours en cours au moment de l’évaluation finale donc une partie des impacts n’ont pas pu être mesurés. Les auteurs du rapport notent ainsi la nécessité d’améliorer le cadre de suivi des projets pour Horizon Europe sur un temps plus long.

 

Impacts scientifiques : effets positifs sur la production et les conditions de production de la connaissance

Horizon 2020 a suscité des avancées de pointe ; on peut citer par exemple la mise au point de vaccins expérimentaux individualisés contre le cancer ou bien des avancées dans la datation de l’ADN ancien. Le programme a soutenu 33 lauréats du prix Nobel, avant ou après l’obtention de ce prix, ce qui souligne son rôle important dans la promotion d’une excellence scientifique de classe mondiale. Au moment de l’évaluation du programme, on recense ainsi plus de 276 000 publications Horizon 2020 évaluées par les pairs. Surtout, ces publications sont deux fois plus citées que la moyenne mondiale, ce qui témoigne de leur qualité et de leur pertinence au sein du champ scientifique. Et 3,9 % d’entre elles se classent parmi le top 1 % des publications les plus citées dans le monde : ce pourcentage est supérieur à celui des articles rapportant des recherches soutenues par d’autres grands financeurs internationaux, comme la National Science Foundation nord-américaine.

L’impact scientifique d’Horizon 2020 concerne aussi les modalités et les conditions de production de la connaissance pour les chercheurs. L’un des succès notables d’Horizon 2020 restera son engagement en faveur de la science ouverte : 82 % de ses publications sont librement accessibles en ligne. Un autre indicateur important du succès d’un programme de recherche est sa faculté à faire émerger de nouveaux talents : Horizon 2020 a permis de mettre l’accent sur l’aide aux chercheurs en début de carrière. Les capacités de recherche de l’Europe ont été renforcées, Horizon 2020 ayant soutenu la mobilité de près de 50 000 chercheurs et donné à plus de 24 000 chercheurs et organisations l’accès à des infrastructures de recherche à grande échelle. L’évaluation de la Commission affirme que cela a probablement favorisé la naissance de nouveaux projets de recherches scientifiques au-delà du programme.

 

Impacts sociétaux : des contributions essentielles face aux défis contemporains

Le pilier “Défis de société” est celui qui a reçu le plus de financements du programme et a touché à des secteurs divers (santé, maladies rares, pêche durable, réseaux électriques intelligents, transports urbains, technologies industrielles centrées sur l’humain, culture, sécurité).

De nombreux projets d’Horizon 2020 ont participé aux avancées concernant les enjeux liés au changement climatique. Sur le plan des connaissances, 10% de l’ensemble des publications scientifiques citées par le GIEC émanent des programmes Horizon 2020 et FP7. Sur le plan des solutions pratiques, plusieurs technologies comme les carburants alternatifs ou les piles à hydrogène dans les bus ont été développées par ces programmes. Horizon 2020 a ainsi attribué 64,4% de son budget à des initiatives pour le développement durable. Cependant, seulement 32% des thèmes sont liés au climat, ce qui est inférieur à l’objectif de 35% : la Commission met en œuvre des leviers pour sécuriser cette proportion dans l’actuel programme-cadre.

Le programme a aussi été d’une grande aide dans le contexte de la crise COVID-19. La Commission retient que Horizon 2020 et le FP7 ont été la troisième principale source de financement dans le domaine de la recherche liée à la COVID-19 au niveau mondial. Pareille estimation requiert cependant une certaine prudence comme l’explique la Commission européenne dans une publication : la contribution des programmes-cadres est difficile à estimer au regard des autres sources de financement, y compris nationales, et des temporalités de production des connaissances.

L’un des objectifs du programme, suite à l’évaluation intermédiaire de 2017, était d’intégrer plus systématiquement les sciences sociales et humaines dans les projets financés. Or, 20% du budget a été attribué à des projets visant à résoudre des défis de société complexes à travers une pratique interdisciplinaire.

 

Impacts économiques : une réussite pour les bénéficiaires du programme et des investissements accrus en faveur de l’innovation

Horizon 2020 a permis de renforcer les liens entre recherche et innovation, même si le fossé à combler reste important. Pour les bénéficiaires du programme, les financements reçus ont eu des effets positifs sur le plan financier, des recettes et de l’emploi. Les fonds Horizon 2020 ont généré un effet de levier financier en attirant des co-investissements du secteur public et du secteur privé. En effet, pour chaque euro dépensé du budget Horizon 2020, les participants aux projets ont apporté 0,23 euros en ressources propres. De plus, les financements du programme ont eu un effet positif sur les recettes et l’emploi des entreprises participantes. Ainsi, les entreprises participantes ont enregistré une croissance moyenne de l’emploi de 20 % supérieure à celle des candidats non retenus, et une augmentation moyenne de 30 % de leur chiffre d’affaires.

Concernant l’innovation, Horizon 2020 a produit un nombre significatif de brevets : ses bénéficiaires ont déclaré près de 4 000 demandes d’enregistrement. Comme les brevets issus du FP7 avaient une valeur économique supérieure à la moyenne mondiale, on attend des brevets issus d’Horizon 2020 un impact économique important. A noter que les innovations issues du pilier “Primauté des technologies génériques et supérieures” sont souvent davantage prêtes à être commercialisées.

L’un des défis concernait les domaines à haut risque financier car l’évaluation intermédiaire du programme FP7 avait mis en avant un déficit de financement important. Le Conseil Européen de l’Innovation, qui s’inspire du succès de l’ERC, a été mis en place à titre expérimental dans le cadre d’Horizon 2020. Ce dispositif complète des mécanismes de financement de l’innovation tels que le dispositif InnovFin de la Banque européenne d’investissement. Ces dispositifs ont en partie comblé les déficits de financement de l’innovation. Néanmoins, l’UE enregistre encore un fossé important entre la recherche et la commercialisation des innovations et ne parvient pas à assurer suffisamment le financement des PME innovantes à un stade précoce.

Horizon 2020 : pourquoi financer la recherche à l’échelle européenne ?

Des bénéfices économiques certains pour l’UE malgré un manque d’efficacité

L’un des objectifs au cœur du programme Horizon 2020 était de stimuler la croissance économique européenne, objectif largement atteint. En effet, le programme devrait contribuer à une croissance annuelle moyenne de 15,9 milliards d’euros du PIB de l’UE. Il favorise aussi la création d’emplois européens avec un gain net d’emplois à son plus haut niveau d’environ 220 000 salariés.

Les fonds Horizon 2020 affichent un très haut rendement. On estime que chaque euro investi par le programme générera cinq euros en retombées pour les citoyens de l’UE d’ici 2040. La valeur à long-terme de ces investissements est d’autant plus évidente lorsqu’il s’agit de jeter les bases scientifiques et technologiques nécessaires à la préparation future de l’UE et à son autonomie stratégique pour faire face aux crises. A titre d’exemple, la réaction rapide et efficace du programme face à la pandémie de COVID-19 a été permise par des investissements de longue date dans la recherche sur l’ARNm.

Si les avantages économiques d’Horizon 2020 pour l’UE ne font aucun doute, le programme mériterait à gagner en efficacité afin d’éviter des pertes économiques trop importantes. En effet, la simplification des procédures semble avoir eu pour pendant une augmentation des erreurs d’allocation. Par rapport au FP7, d’importants progrès ont été faits concernant le délai moyen d’octroi des subventions et le respect de ces délais grâce aux mesures de simplification mises en place. Cependant, beaucoup de parties prenantes ont indiqué que la participation à Horizon 2020 nécessitait davantage d’efforts que pour d’autres programmes de financement de R&I.

Si la décision d’augmenter les financements Horizon 2020 par rapport à FP7 allait dans le bon sens, l’évaluation suggère que le programme a été sous-financé. L’efficience d’un programme de recherche se mesure notamment au taux de succès que rencontrent les candidats. Pour Horizon 2020, doté de 75,6 milliards d’euros, le taux de succès parmi les projets éligibles était de 12% (Figure 5) et les taux sont encore plus bas pour les collaborations thématiques telles que la santé (10 %) et le climat (11 %). Ce taux est nettement inférieur au taux de succès du programme précédent FP7 qui était de 18,5%. Parmi les projets soumis que les évaluateurs, experts indépendants, ont jugés de grande qualité, seul 1 sur 3 a effectivement été financé. Un trop grand nombre de projets non retenus (sursouscription) n’est pas un signe de succès en termes de politique de la recherche : c’est un gaspillage de ressources pour les candidats, mais aussi une perte de recherches de haute qualité pour l’Europe. Les auteurs du rapport d’évaluation d’Horizon 2020 estiment ainsi qu’il aurait fallu 159 milliards d’euros supplémentaires afin de financer toutes les propositions de grande qualité (Figure 6).

 

 

 

Figure 5 : Part des projets financés parmi les projets éligibles au programme Horizon 2020

 

Figure 6 : Ensemble du budget nécessaire pour financer toutes les propositions de grande qualité

Quelle mesure correctrice a été mise en œuvre pour limiter l’impact de ce problème ? Si une solution possible serait de réduire l’ampleur du champ thématique du programme, cette voie n’a pas été choisie. En revanche, le programme a attribué un label d’excellence aux 20 890 des quelque 100 000 propositions de grande qualité non retenues, pour leur donner une plus grande chance de décrocher une aide nationale ou régionale.

 

Le choix de l’échelle européenne permet des financements plus importants et une recherche de plus grande qualité

L’investissement total en recherche dans l’UE représentait 2,32% du PIB en 2020. Quantitativement, Horizon 2020 n’est qu’une modeste contribution à l’objectif de l’UE d’investir 3% du PIB dans la R&D. Le programme ne représente, en effet, que 10% des dépenses publiques de R&D de l’UE, qui proviennent majoritairement des programmes nationaux et des organismes régionaux. En revanche, Horizon 2020 joue un rôle structurant unique dans la recherche européenne, au travers de divers mécanismes rappelés dans le rapport d’évaluation de la Commission.

Tout d’abord, la mise en commun des efforts et ressources (financières et humaines) européens permet la mise en place de projets qui n’auraient pas pu être réalisés au niveau national ou régional. En effet, les demandeurs non retenus n’ont souvent pas été en mesure de mettre en œuvre leurs projets. Cela témoigne de la difficile substitution d’aides européennes en aides nationales ou régionales et souligne combien les programmes nationaux et européens sont complémentaires.

Historiquement, les programmes-cadres ont été construits sur un principe strict d’excellence. L’attribution de financements à l’échelle européenne expose les chercheurs à une concurrence supra-nationale. Elle est donc inévitablement plus sélective que l’allocation des fonds nationaux et à terme, augmente l’avantage comparatif de la recherche européenne sur la scène internationale.

Enfin, la majeure partie des financements est allouée à des consortia transnationaux qui sont plus difficiles, voire impossibles, à construire dans le cadre de programmes nationaux. De plus, les consortia permettent d’intégrer des structures de recherche nationales ou régionales qui n’ont pas la taille critique pour mener des recherches de pointe à une échelle globale.  Horizon 2020 permet ainsi une collaboration multidisciplinaire et paneuropéenne en matière de R&D. En ce sens, ce programme favorise la constitution d’un Espace Européen de la Recherche par lequel la coopération entre les scientifiques européens est rendue possible.

 

Horizon 2020 : un levier d’action pour réduire les inégalités de genre et les inégalités territoriales ?

L’UE a fait le choix politique d’intégrer des objectifs annexes lors de la sélection des projets, comme par exemple la réduction des inégalités de genre ou la réduction des niveaux de développement entre les pays européens. Cependant, comme certains chercheurs et analystes l’expliquent, cette intégration ne doit pas se faire au détriment de l’objectif d’excellence qui reste la raison d’être des programmes-cadres. Intégrer des objectifs d’inclusion représente donc un dilemme au sein des décideurs politiques, au moins à court terme.

Ainsi, dans le programme Horizon 2020 étaient inscrits des objectifs quantitatifs sur la participation des femmes mais également des critères sur la capacité et les initiatives des équipes de recherche pour promouvoir l’égalité de genre et à intégrer cette dimension dans le champ de leur recherche. Si les objectifs quantitatifs ont l’avantage d’être mesurables, les autres objectifs sont plus à même de conduire à une recherche de pointe plus inclusive. L’objectif d’atteindre 40% de femmes dans les groupes d’évaluation des projets a été atteint. Cependant, l’objectif de 50% pour la part des femmes dans les groupes consultatifs scientifiques et dans les projets est loin d’être atteint, avec des proportions de femmes de respectivement 43% et 23% . L’approche de Horizon 2020 d’intégrer les questions de genre dans l’ensemble du processus de formulation, sélection et exécution de la recherche est pertinente mais les progrès restent très lents.

L’objectif d’Horizon 2020 était aussi de rendre l’UE attractive pour la recherche en suscitant des coopérations avec des pays tiers et en réduisant l’exode des cerveaux. Concernant la répartition territoriale des fonds, les demandes venaient de pays du monde entier. 90,3% des fonds ont cependant été attribués à des pays de l’UE. La carte ci-dessous (Figure 7) permet de comprendre comment ces 90,3% des fonds ont été répartis.

Figure 7 : Répartition des fonds Horizon 2020 en valeur absolue et relative parmi les pays de l’UE

Les financements en valeur absolue sont représentés par les cercles violets, dont la taille dépend du volume accordé. Les montants des quatre pays les plus bénéficiaires ont été écrits sur ces cercles : l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France et l’Espagne. La corrélation entre le niveau de revenu et la quantité de fonds reçus est très nette. Mais rapportés aux dépenses intérieures brutes en R&D des pays, on observe que pour les pays les moins riches (Chypre, la Grèce, l’Estonie ou la Lettonie), les fonds du programme Horizon 2020 représentent une part très importante de l’effort de recherche, en comparaison de pays plus riches qui sont en mesure de financer des programmes nationaux de recherche plus importants. En ce sens, le programme Horizon 2020 favorise un rattrapage économique des pays d’Europe de l’Est (valeurs relatives), qui en raison de contraintes budgétaires nationales, ne sont pas en mesure de valoriser les capacités nationales de recherche.

Ainsi, bien que ce ne soit pas sa mission primaire, le programme européen Horizon 2020 pourrait contribuer à réduire les inégalités entres pays de l’Union.

Conclusion

Le rapport de la Commission conclut sur la réussite du programme Horizon 2020 tant sur le plan scientifique, économique que sociétal. Plus largement toutefois, la question que pose le bilan d’Horizon 2020 est bien celle d’une nécessaire augmentation des fonds alloués à la recherche européenne. Mobilisée dès les évaluations intermédiaires du programme, la European University Association a souligné “l’attractivité croissante d’Horizon 2020 [qui] crée entre les candidats une concurrence plus forte que celle que le système peut supporter avec ses niveaux de financement actuels”. Le nombre important de candidatures se traduit par “des coûts de participation plus élevés” ce qui, sur le plan économique, “réduit considérablement l’efficacité de l’investissement public”. De fait, le faible taux de succès concentre l’essentiel des critiques. Sur le plan de la recherche, un faible taux de succès signifie “des pistes de recherche gaspillées et réduit considérablement la compétitivité de l’Espace européen de la recherche”.  Dans la littérature, on s’accorde souvent sur une cible de taux de succès à 15% (ou 30% pour les projets de haute qualité).

Aujourd’hui, le programme-cadre 2021–2027 est doté à hauteur de 95,5 milliards d’euro, soit une augmentation que la Commission estime de 30% par rapport au programme 2020 en tenant compte de l’inflation et du Brexit. Le Parlement, qui plaidait pour une enveloppe de 120 milliards, a voté ce montant en 2021 après trois ans de débats très vifs. La cible des 120 milliards était de fait défendue au plus haut niveau par un groupe d’experts installé par la Commission dès 2017 et présidé par Pascal Lamy. Dans un rapport intitulé Fab-Lab-App, Investir dans le futur européen que nous voulons, il affirmait : “Doubler le budget global du programme de recherche et d’innovation de l’UE post-2020 est le meilleur investissement que l’UE puisse faire. Au minimum, le budget devrait maintenir le taux de croissance annuel moyen d’Horizon 2020, en prenant comme point de départ le budget prévu pour la dernière année du programme. Cela conduirait à un budget de sept ans d’au moins 120 milliards d’euros aux prix courants. Tout montant inférieur casserait la dynamique et remettrait en question l’engagement de l’UE à respecter ses priorités politiques”.

Aujourd’hui, les négociations sur le montant du prochain programme-cadre appelé à débuter en 2028, nommé FP10 et qui sera le dixième du genre, sont d’ores et déjà ouvertes : les parlementaires européens affichent leur volonté de peser sur les États-membres pour doubler l’enveloppe jusqu’à 200 milliards d’euros.

Alors que Bruxelles avait longtemps ignoré les appels à mieux financer la recherche fondamentale, jugeant que, comme l’art, elle excédait ses compétences, Horizon 2020 a suscité un tournant. Les arguments selon lesquels la recherche fondamentale alimente l’innovation économique et constitue un rempart contre la fuite des cerveaux l’ont emporté.

Ces arguments économiques, confirmés par les résultats du programme, suffiront-ils à convaincre les Etats-membres, la Commission et le Parlement d’investir massivement dans la recherche ? L’arbitrage budgétaire impliquera d’ouvrir le débat sur des choix difficiles s’il doit se faire au détriment d’autres enveloppes, comme la PAC ou les fonds structurels.  Dans un contexte de crises et de restructuration profonde de nos sociétés, mettre l’accent sur la recherche semble indispensable pour construire une Europe résiliente, inventive et humaniste.

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