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Note

Formation des enseignants : reconstruire sur un champs de ruines

Initialement destinée à augmenter le niveau de formation des enseignants, la masterisation n’a eu pour résultats que d’accentuer les difficultés du travail professoral : en abandonnant les nouveaux enseignants aux réalités du terrain sans réelle formation pédagogique, elle a provoqué la chute des vocations, alors que se profile une crise majeure du recrutement. Surtout, la réforme n’a pas su régler la question de la formation initiale des enseignants, moment crucial où se définit le sens de leur mission. Or le métier de professeur s’apprend, sur des bases académiques, et au sein de véritables écoles professionnelles. La formation des enseignants est un investissement, sans lequel il n’est pas de réussite de l’élève et de système éducatif de qualité.
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Comme pour de nombreux services publics, 2012 s’annonce, pour l’éducation nationale et la formation des enseignants en particulier, un rendez-vous fondamental. Contre la poursuite des orientations mises en œuvre depuis 10 ans et présentées sous le terme trompeur de « réformes », il faudra avancer des propositions pour reconstruire ce qui aura été détruit, tout en tenant compte de l’évolution de ces métiers. En conciliant ambition et crédibilité pour la formation des enseignants, c’est à une véritable reconstruction sur ce qui est actuellement un champ de ruines qu’il faudra s’atteler.

1 – Une crise profonde de la formation et du recrutement des professeurs

1. 1 – La mastérisation, menée en dépit du bon sens, est aujourd’hui dans l’impasse

Quelques mois après la mise en œuvre de la « mastérisation », tous les observateurs constatent les lourds dégâts occasionnés par cette politique. Les problèmes concrets des étudiants et des jeunes professeurs n’ont pas été pris en compte.

Le calendrier des épreuves du concours dénoncé par tous les acteurs, est remis en cause aujourd’hui par le ministère lui-même. La place du concours en début de deuxième année de master oblige les étudiants à faire le choix absurde entre réussir le master et réussir le concours pour être recrutés. Cet écartèlement entre différents objectifs est incompréhensible pour nombre d’étudiants, et ne permet pas de les mobiliser sur l’un ou l’autre des objectifs. Il entraîne de facto l’impossibilité d’installer sereinement les dispositifs progressifs d’entrée dans le métier : stage et apprentissages de la pédagogie.

Les conditions d’entrée dans le métier d’enseignant se sont fortement dégradées. Les reçus aux concours de recrutement enseignants 2010 se retrouvent sur le terrain, c’est-à-dire dans les classes, sans aucune formation. En janvier 2011, un rapport officiel du ministère de l’Education nationale a reconnu la situation d’improvisation scandaleuse et l’absence de cadrage par le ministère des moyens dévolus à l’installation sereine des professeurs débutants : les académies sont contraintes d’arbitrer entre une formation minimale des enseignants débutants, et l’abandon des élèves pendant cette formation faute de moyens de remplacement.

On rappellera simplement que le fait d’assurer entre 15 à 18 heures de cours, sur plusieurs niveaux de classe, en début de carrière, nécessite deux à quatre heures de préparation pour une heure de cours. Les nouveaux professeurs n’étant ni des « wonderwomen » ni des surhommes, la charge de travail occasionne soit une très grande fatigue, soit une mauvaise préparation, et plus certainement les deux situations cumulées. Qui paie l’addition ? Les élèves hélas. Le bilan est sévère : dans la plupart des académies, il n’y aura pas de formation réelle pour les nouveaux enseignants, signe de leur abandon par l’institution aux dures réalités du terrain. Pourtant, toutes les études internationales montrent que la fonction de professeur est un métier à la technicité toujours plus pointue, et qui donc nécessite un apprentissage toujours plus abouti.

1. 2 – Cette politique mal pensée approfondit la crise du recrutement des futurs professeurs dont le pays a besoin

Les effets négatifs d’une masterisation boiteuse ont été immédiats

On constate une chute (20% en moyenne) des inscrits aux concours de recrutement 2011. Mais il y a eu surtout, à l’automne 2010, lors du déroulement des épreuves écrites du concours 2011, un effondrement du nombre de présents aux épreuves (entre 50% à 70% suivant les niveaux et les disciplines). Les témoignages récurrents sur les conditions d’entrée dans le métier ont pesé sur la motivation des candidats-professeurs.

Les inscriptions en septembre en première année de master pour préparer le concours 2012 marquent un recul tous degrés confondus de plus de 55%. Ce phénomène est en même temps amplifié par la baisse du nombre de postes ouverts aux concours, qui entraîne dès la première année des études supérieures une désaffection des étudiants, notamment pour les filières SHS et littéraire : le nombre de vocations enseignantes est en train de s’effondrer.

La masterisation accentuera les difficultés du métier professoral

Alors qu’arrivent à l’âge de la retraite près de 40% [2] des enseignants actuellement en poste, une crise de recrutement majeure s’annonce. Entre les démissions des reçus aux concours enseignants de 2010 (en novembre 2010, 33% de plus que l’année précédente), le faible nombre de candidats aux concours 2011, et l’absence d’étudiants pour préparer les concours 2012, il y a tous les ingrédients d’une crise majeure d’accès aux métiers enseignants. Même le Président de la République a dû le reconnaître lors de ses vœux le 19 janvier 2011, en appelant « à la réouverture du chantier de la formation des enseignants ». Les perspectives sont donc dramatiques.

Cette réforme ne répond pas au vrai problème : repenser la formation des enseignants

La France est déjà en retard dans ce domaine. La suppression de fait des IUFM et une masterisation au rabais ne va certainement pas le rattraper. La masterisation ne permet pas d’enrichir réellement la formation des professeurs ni de redéfinir l’équilibre au sein des compétences professionnelles entre les savoirs disciplinaires, les connaissances pédagogiques et celles des politiques éducatives. En résumé, si la masterisation était en soi une bonne idée, originellement née à gauche et appuyée par les syndicats, la mauvaise orientation de la réforme réussit le tour de force de faire apparaître comme un recul l’augmentation du niveau de formation des enseignants. Elle entretient l’idée trop souvent répandue, déjà du temps des IUFM, que cette formation étant mauvaise, autant ne pas en avoir. On en revient à une conception purement magistrale et disciplinaire du métier d’enseignant, ce qui constitue un retour en arrière de plusieurs décennies.

Ce sont les présupposés mêmes de cette politique qui sont en cause

La suppression de l’année de stage pour les enseignants est d’abord une économie budgétaire : elle revient à 16 000 suppressions d’emplois. Même dans le cadre d’une politique de réduction de postes, une telle démarche laisse songeur : ces postes ne sont conçus que comme un réservoir de supports budgétaires faciles à supprimer, sans se préoccuper de gestion des ressources humaines. Une telle action n’est qu’un fusil à un coup, valable pour une unique année budgétaire. C’est simplement maintenant que le ministère réfléchit à revoir la carte des formations à l’échelle nationale, contraint par le fait qu’il ne contrôle pas réellement le déploiement du réseau d’établissements, qui est de la compétence des collectivités locales.

Exemple d’une contradiction : comment enseigner les langues étrangères à l’école… sans enseignants formés à celles-ci?

Dans cette débâcle organisée de la formation des professeurs, un exemple est particulièrement révélateur des contradictions du gouvernement : l’enseignement des langues vivantes à l’école élémentaire, au moment même où le ministre de l’Education nationale multiplie les interventions pour dire sont importance et même le démarrer au début de l’école maternelle…

Pour faire des économies, l’épreuve orale de langue vivante qui existait auparavant dans le concours de recrutement a été supprimée, sans que celle-ci ne soit pour l’heure remplacée. Résultat : les nouveaux professeurs des écoles peuvent ne pas avoir eu la moindre vérification de leur niveau en langue vivante étrangère, qu’ils sont pourtant censés enseigner ! L’obsession purement comptable conduit à des situations ubuesques.

2 – Pour une réforme ambitieuse de la formation des professeurs

2. 1 – La formation initiale est un enjeu primordial de la réforme de l’Education nationale

La réforme de la formation initiale est un levier essentiel de progrès pour l’éducation et la réussite des élèves. Elle est le moment qui cristallise une grande partie des moyens, scientifiques, intellectuels, méthodologiques, que convoqueront ou que ne convoqueront pas les futurs professeurs tout au long de leur carrière professionnelle. La nature de la formation initiale a donc un effet démultiplié sur la capacité des professeurs à se projeter dans leur métier. Ainsi, si les standards académiques de haut niveau ne sont pas atteints par les nouveaux professeurs lors de cette formation initiale, il est peu vraisemblable, en l’état actuel de la formation continue, qu’ils le soient plus tard dans leur carrière. Or ces connaissances disciplinaires sont le socle premier de la compétence de l’enseignant. Sans elles, il n’y a pas de pédagogie qui vaille.

De la même manière, la présence ou l’absence des sciences de l’éducation et d’une maîtrise des enjeux des politiques publiques éducatives est également un point essentiel qui façonne le profil professionnel de nos enseignants. Or, de ce point de vue, on constatera la faiblesse de la formation des enseignants français dans ces deux domaines. Pourtant, l’épreuve orale sur « Agir en fonctionnaire de l’Etat de façon éthique et responsable » ne comble pas ces lacunes. Il est même consternant de constater que le seul moment où les professeurs sont éventuellement amenés à se pencher sur les politiques auxquels ils participent soit à l’occasion des concours administratifs, lors d’une reconversion les éloignant de leur fonction de professeur.

Or les professeurs sont des cadres A de la fonction publique, et souvent parmi les plus sélectionnés, mais contrairement à ceux-ci, rien ne les invite à produire une analyse argumentée des politiques éducatives auxquelles ils aspirent à participer. Cette approche des politiques publiques devrait être sanctionnée par une épreuve aux écrits des concours, incluant notamment une part de réflexion sur l’articulation propre de la discipline du futur enseignant avec des enjeux plus généraux de politiques éducatives. Elle serait dispensée selon des canons universitaires, et donc nécessairement critiques, par des enseignants-chercheurs avec l’appui de praticiens (Inspection, professeurs, haut-fonctionnaires, personnalités qualifiées)

C’est aussi là un moyen de dépasser ce vieux débat français qui refuse de conjuguer ensemble savoirs et conditions de la transmission des savoirs. Il faut sortir de ce faux débat.

Comme le dit Alain Beitone [3] dans un texte circulant sur le net : « Conteste-t-on les injonctions à la transversalité, aux compétences et à la pédagogie inductive de certains responsables de l’éducation et l’on est aussitôt étiqueté comme réactionnaire, élitiste et nostalgique du cours magistral. Critique-t-on l’illusion passéiste et l’élitisme de certains « républicains » et l’on est aussitôt qualifié de pédagogiste, de démagogue laxiste et de partisan de l’ignorance. Dans tout cela on passe à côté de l’essentiel : comment assurer la démocratisation de l’accès au savoir ? »

2. 2 – Repenser le cursus des futurs professeurs : trois options possibles

Repenser de manière positive la masterisation doit permettre d’utiliser au mieux la « profondeur stratégique » permettant de former le futur enseignant. Cette période qui s’étend sur quatre ou cinq ans débute avec une licence disciplinaire, puis se poursuit avec la première année de Master (le M1), la deuxième année de Master (le M2), l’année de stage qui permet une entrée progressive dans la carrière et débouche sur la première année complète d’exercice. Il est en effet indispensable qu’existe un espace de « sas » entre le métier imaginé et son exercice réel. L’année de stage joue un rôle important dans cette perspective.

Or, les concours de recrutement pour tous les degrés d’enseignement continuent, pour leurs épreuves écrites, à être exclusivement tournés vers l’amont, la formation universitaire reçue, les connaissances disciplinaires. C’est négliger les épreuves tournées vers le métier que les candidats souhaitent exercer. Il faut le réaffirmer : certes indispensables, un diplôme et un niveau disciplinaire ne suffisent pas à faire un enseignant. Pour susciter et préparer les vocations, dès la dernière année de licence, il pourrait être proposé aux étudiants une première approche de l’enseignement et de ses métiers (stage, rencontres de professionnels).

Option A : le concours pour les enseignants (admission et admissibilité) à la fin du Master 1 ère année (M1)

L’année de M1 serait une année essentielle de préparation au concours qui, en plus des savoirs disciplinaires, apporterait une approche des enjeux des politiques éducatives et pédagogiques. Le fait d’avoir les épreuves à la fin de l’année du Master donne une visibilité à tous les étudiants et, en cas d’échec au concours, leur permet de se réorienter vers un autre M2.

L’année de M2 devient alors une année soutenue par trois piliers : une partie stage pratique, une partie mémoire sur des aspects pédagogiques ou de recherches liés à une matière et formant l’étudiant par la recherche [4] , une partie découverte de métiers et missions connexes à l’enseignement. Le stage peut débuter à ce moment-là, l’effort de formation pouvant se poursuivre lors d’une deuxième année de stage à 80% ou 90% du temps d’enseignement. L’avantage de ce dispositif est d’être assez ramassé et de ne pas « embarquer » dans le M2 des personnes ayant réussi leur M1, mais n’ayant pas été reçues au concours. Ceci leur autorise une orientation, à condition de bien travailler la question des calendriers. L’inconvénient du dispositif est qu’il disjoint M1 recherche et M1 enseignement : un certain nombre d’étudiants feront le M1 recherche pour passer ensuite le M1 enseignement et préparer le concours. Cela aura un coût.

Option B : le concours (admission et admissibilité) se fait à la fin du Master 2 ème année (M2)

Dans ce cadre, l’année de M1 peut s’établir selon un modèle fondé sur trois piliers : une orientation recherche, avec la rédaction d’un mémoire disciplinaire, une approche du métier de l’enseignement avec des périodes de stages obligatoires de découverte du métier, mais également d’approche de métiers et missions connexes (travail en association notamment) ; une approche formalisée des politiques éducatives et de la connaissance du monde scolaire.

L’année de M2 est alors consacrée à la préparation du concours, elle autorise toujours quelques stages pratiques (ZEP, dans un niveau d’enseignement du secondaire pour les professeurs des écoles, primaire pour les professeurs du secondaire…) mais elle reste d’abord une année académique. L’obtention du Master conditionne la réussite au concours.

L’année de stage aurait lieu à l’issue du M2, dans un service à mi-temps avec une formation soutenue en école professionnelle. On pourrait utilement étendre la formation à l’année post-stage avec des professeurs à 90%, les 10% restants étant dédiés à l’approfondissement de la formation.

Ce dispositif étire dans le temps des études non payées, il implique donc, encore plus que l’option A, une politique volontariste d’accompagnement des étudiants les plus modestes. L’avantage est d’être certain d’inclure une initiation à la recherche au moment de la 1ère année de Master pour les futurs professeurs.

Option C : l’option mixte

Il est aussi possible d’envisager un parcours de formation différent pour les professeurs des écoles et les professeurs du secondaire, tout en maintenant pour les deux corps un niveau Master 2. Il s’agit d’appliquer l’option A aux étudiants aspirant à devenir professeurs des écoles, et l’option B aux étudiants passant le CAPES et l’Agrégation.

2. 3 – Etablir de véritables écoles professionnelles

Il faut tirer avec honnêteté les leçons des avantages et des carences de l’expérience IUFM. Il ne s’agit pas de se lamenter sur le système antérieur, mais de constater que les IUFM ne méritent ni l’excès d’honneur que leur attribuent certains, ni l’indignité dont on les affuble souvent.

Les IUFM avaient l’avantage de fonctionner comme une école avec des promotions d’élèves, permettant à ceux-ci de se rencontrer et de partager leurs expériences, tant sur le plan de la tenue de classe que des questions disciplinaires. Ce forum utile était unique, alors que le métier de professeur est souvent un métier qui s’exerce dans la solitude. Il doit être rétabli.

Mais les IUFM, qui constituaient une bonne idée, insuffisamment exploitée, manquaient souvent de légitimité intellectuelle, d’autant plus qu’ils pouvaient se doubler d’une bureaucratie parfois tatillonne, à l’opposé des libertés universitaires.

La mise en place de véritables écoles professionnelles permettra la reconnaissance réelle du fait qu’ « enseigner, c’est un métier ».

Il faut des écoles professionnelles à l’image de ce qui existe par exemple pour les magistrats, la police, les conservateurs du patrimoine. Celles-ci, en partenariat avec les universités, piloteraient la formation initiale et continue sur la base de cahiers des charges nationaux.

Cela implique de clarifier le lien avec les universités, car celles-ci ont déserté les questions de sciences de l’éducation. On rappellera ici que dans les années 1920, Emile Durkheim tenait la chaire de pédagogie à la Sorbonne.

Conclusion

De la même manière que Ferdinand Buisson avec son Dictionnaire de Pédagogie et d’instruction primaire avait donné des armes aux instituteurs pour élever le niveau des élèves de notre République, il est temps de nous ressaisir des savoirs et de la pédagogie, de les articuler à nouveau entre eux pour réarmer nos professeurs et redonner du sens à l’école.

Dans cet esprit, une formation initiale de qualité est une première pierre pour remettre les professeurs debout et transformer les ressources humaines du ministère de l’Education nationale. Mais elle doit s’articuler avec une véritable reconstruction de la carrière des professeurs, appuyée sur une formation continue substantielle. Cette nouvelle carrière s’appuierait notamment sur des certifications permettant à l’enseignant de choisir les établissements où il veut servir en fonction de son projet personnel. La mise en place de formations d’actualisation à intervalles réguliers, prise en compte dans l’avancement de la carrière, doit permettre au professeur de faire le point sur les avancées des savoirs disciplinaires, des recherches en éducation et des mutations intervenues dans le système éducatif.

C’est un vaste chantier, mais sans une véritable politique de formation des enseignants, aucune transformation progressiste de l’école n’est envisageable.

  1. Julien Laurence est le pseudonyme d’un haut-fonctionnaire.

  2. En posant comme hypothèse raisonnable le départ de 30 000 personnes par an, retraites et autres fins de carrières professorales prises en compte. Pour mémoire, en 2011, on attend déjà 35 000 départs à la retraite.

  3. Alain Beitone, « Céderons-nous aux vents mauvais », janvier 2011 : http://www.sauvonsluniversite.com/IMG/pdf/Cederons-nous_aux_vents_mauvais_DEF.pdf

  4. A un moment où, dans les cursus professionnels, la formation par la recherche devient une ressource pour la préparation des étudiants à différents métiers, il paraîtrait incongru de faire en sorte que les professeurs n’aient pas accès à cette démarche.

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