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Note

La sélection à l’université : un engagement de réussite

La sélection à l’université est un débat ancien, souvent crispé. Pourtant, elle semble déjà être en place : l’université non sélective attire à peine plus de la moitié des bacheliers généraux (51 % en 2012). A la différence de certaines idées reçues, cette note démontre que la sélection à l’entrée en licence et en première année de Master peut avoir pour objectif d’augmenter le nombre de jeunes obtenant un diplôme d’enseignement supérieur, de lutter contre les déterminismes sociaux de l’orientation et de diminuer le taux d’échec à l’université.

Publié le 

Le diagnostic est largement partagé : l’organisation des études en France ne permet ni d’orienter efficacement un grand nombre d’étudiants vers les études qu’ils espèrent et qui leur conviennent, ni de former les compétences dont notre société a besoin. Le présent texte formule des propositions pour améliorer une situation porteuse d’échec, humainement et économiquement coûteuse, qui détourne l’université de ses missions pour la sacrifier au profit de ce monde étroit des écoles que se réservent nos élites.

Le problème de l’orientation se pose à deux moments-clés des études supérieures : après le baccalauréat, puis après deux ou trois années d’études, au moment de l’accès aux masters universitaires, aux écoles d’ingénieurs ou aux écoles de commerce.

N’ayons pas peur des mots : nous pensons que la généralisation de la sélection à l’entrée dans l’enseignement supérieur – dans une perspective d’orientation et non d’élimination – permettrait une orientation à la fois plus efficace et plus juste . Il ne s’agit pas d’une remise en cause du droit aux études supérieures : à l’issue de la phase de sélection, tout bachelier devra se voir proposer une affectation dans le supérieur. De même, nous pensons que la sélection à l’entrée en master, serait seule à même d’apporter une véritable cohérence à ces cursus, leur permettant de sortir par le haut de la concurrence stérile et déséquilibrée entre universités et écoles.

Ces idées ne sont pas nouvelles : la plupart d’entre elles ont déjà été portées dans le débat public, par Terra Nova ou par d’autres cercles de réflexion ; d’autres tirent les leçons de la simple observation d’exemples étrangers. Il est néanmoins essentiel, au moment où le débat public semble s’emparer de cette question longtemps restée taboue [2] , de dépasser les positions de principe pour décliner les mécanismes de cette réforme.

Avant d’exposer nos propositions, il convient de rappeler les principes politiques qui guident notre réflexion, et les faits qui la fondent.

Principes généraux

1° Pour un niveau général de qualification plus élevé : Un discours aux relents réactionnaires prétend qu’il y aurait trop d’étudiants, que beaucoup seraient trop faibles pour suivre des études universitaires, et que tout irait donc mieux s’il y en avait moins. Nous sommes en profond désaccord avec cette vision. Nos sociétés évoluent : en permettant un accès plus large à la culture et au savoir, elles répondent à l’aspiration démocratique à un plus grand partage de la connaissance. Une aspiration d’autant plus forte qu’elle repose aussi sur une division du travail toujours plus sophistiquée et qui exige une main d’œuvre plus qualifiée. De fait, l’augmentation du niveau général des qualifications accompagne la transformation de la structure des emplois, et les salariés d’aujourd’hui, à niveau hiérarchique égal, sont plus diplômés qu’hier.

Le but des études est donc double : d’un côté, permettre aux étudiants d’acquérir de nouvelles connaissances, de se confronter à plusieurs écoles de pensée, de se construire comme citoyens de façon autonome et critique ; de l’autre, favoriser l’entrée des diplômés sur le marché du travail. Ces objectifs n’ont rien de contradictoire. Nous partageons l’ambition d’arriver, dans un premier temps, à 50 % de diplômés de l’enseignement supérieur dans les nouvelles classes d’âge, augmentation très significative puisque nous plafonnons actuellement à 43 %, après une forte augmentation jusqu’aux années 2000 : on est passé de 1 180 000 étudiants en 1980 à 2 160 000 en 2000, mais une très faible augmentation depuis. Ce n’est bien sûr pas en diminuant le nombre d’étudiants qu’on pourra y parvenir, et il ne saurait être question de revenir sur le droit de chaque bachelier à poursuivre des études supérieures.

2° Contre le déterminisme social : Malgré la « massification », on constate que la sélectivité sociale de l’enseignement supérieur s’est accrue, laissant à sa porte une grande partie des jeunes d’origine modeste. Ceci est en contradiction profonde avec l’aspiration à une société plus juste. Mais comme le poids des inégalités sur les destins sociaux se fait sentir bien avant les études supérieures, le développement de l’accès à l’enseignement supérieur des jeunes de catégorie modeste ne pourra pas progresser sur la seule base des résultats scolaires : « l’élitisme républicain » a montré ses limites. Mais nous récusons également l’idée darwiniste – curieusement partagée des deux côtés du spectre politique – selon laquelle il suffirait de donner à chacun sa chance en lui permettant de s’inscrire dans la filière de son choix, quel que soit le risque d’échec! Donner à chacun sa chance, c’est en l’acceptant dans une filière pour laquelle il est raisonnablement bien préparé, lui donner les moyens de sa réussite [3] .

3° Pour le droit à l’erreur et à l’épanouissement à tous les stades de la vie : Les difficultés scolaires rencontrées à un stade des études ne doivent pas définitivement exclure des filières les plus exigeantes. Toute personne doit avoir une deuxième chance et garder la possibilité de progresser tout au long de sa vie. C’est l’intérêt conjoint de la personne et de la société. En outre, l’excellence ne se réduit pas à celle du « bon élève ». Il existe de multiples excellences, dans des compétences à développer au service des métiers divers dont nos sociétés ont besoin. Les rythmes de développement personnel et professionnel varient : il y a des vocations précoces et d’autres qui émergent plus tardivement. Certains ne sont pas en situation, ou n’ont pas le souhait, de poursuivre des études à 18 ans, mais peuvent s’y révéler à 25 ans voire bien plus tard. Le système d’enseignement supérieur doit passer d’un modèle centré sur la formation initiale à un modèle également conçu pour la formation tout au long de la vie.

4° Pour l’ouverture de la formation des élites : Si le système éducatif doit assurer l’égalité des chances et l’émergence d’une société solidaire, il doit aussi favoriser l’éclosion et la maturation de talents divers : nous avons besoin de grands scientifiques, d’écrivains et d’artistes, d’ingénieurs innovants, de dirigeants inspirés, etc. Le système éducatif français a développé un ensemble de mécanismes, parmi les plus sélectifs au monde, pour la formation de ses élites. Si les grandes écoles ont une indéniable efficacité, elles souffrent de deux graves défauts : elles fonctionnent comme des machines à reproduire les élites, et elles forment leurs élèves dans un même moule. Les grandes écoles ne sont en général accessibles qu’à des élèves très jeunes et sans aucune expérience professionnelle. Par ailleurs, le système secondaire est polarisé sur la fabrication des futurs candidats aux écoles, aux dépens de la très grande majorité des élèves. Il est urgent que cette situation évolue profondément, que les universités, avec leur recrutement plus ouvert et leurs modèles pédagogiques appuyés sur la recherche, prennent comme partout au monde leur place dans la formation des compétences et des talents dont notre société dans son ensemble a besoin.

Etat des lieux

1° Niveau général de qualification [4] . Avec 43 % de la population des 25–34 ans ayant terminé des études supérieures, la France se situe à égalité avec la Suède et au-dessus de la moyenne de l’OCDE (39 %), mais loin derrière le Canada (57 %), le Japon (59 %) et la Corée (64 %). Plus que dans la plupart des pays de l’OCDE, ce pourcentage est, en France, caractérisé par le poids important des diplômes de type 5 (de type BTS-DUT) dans la classification ISCED 2011 de l’UNESCO : 16 % (moyenne OCDE 10 %), contre 27 % de type 6–7–8 (de type universités – grandes écoles) (moyenne OCDE 30 %).

Le déterminisme social a toujours une incidence forte sur les niveaux de qualification, en particulier sur les diplômes de niveau le plus élevé : « Ainsi, parmi les élèves entrés en 6ème en 1995, 41 % des enfants de cadres et 38 % des enfants d’enseignants ont terminé leurs études en étant diplômés d’un master, d’un doctorat ou d’une grande école. Ces proportions ne sont que de 9 % pour les enfants d’employés, 7 % pour les enfants dont le père est ouvrier qualifié et 4 % pour ceux dont le père est ouvrier non qualifié. » [5]

2° Entrée dans l’enseignement supérieur. Les principales filières « légalement » sélectives à l’entrée sont les Classes Préparatoires aux Grandes Ecoles (CPGE), les Sections de Techniciens Supérieurs (STS, préparant au BTS), les Instituts Universitaires de Technologie (IUT), les écoles d’ingénieurs ou de commerce post-bac publiques et privées, les « grands établissements » (IEP, Dauphine, universités technologiques, CNAM, etc.). En revanche, les licences universitaires sont en principe ouvertes à tous les bacheliers. Les cas de la médecine et des études de santé sont à part, puisqu’il n’y a pas de sélection à l’entrée, mais un concours en fin de première année. Notons que certaines filières très demandées, dites « à capacité d’accueil limitée », comme en STAPS, sciences politiques, ou cinéma [6] , ne peuvent légalement faire appel qu’au procédé du tirage au sort si elles veulent sélectionner les candidats, ce qui constitue à l’évidence la preuve de l’absurdité du système et son point le plus aberrant !

Une obligation largement contournée

La loi de « non-sélection » en licence universitaire est l’objet de contournements divers. Ils prennent soit la forme d’évitement de l’université après le bac, quitte à y revenir ultérieurement, soit de formules dissimulées au sein des universités.

Au sein du secteur public, on voit notamment :

le développement du cycle licence dans des établissements au statut dérogatoire, comme les « grands établissements », qui ont le droit de pratiquer la sélection (l’université Paris-Dauphine, les instituts d’études politiques (IEP), les universités de technologie, le regroupement PSL, etc) ; ainsi, le concours d’entrée dans les IEP attire dix fois plus de candidats qu’il n’y a de places à pourvoir !

la croissance des effectifs dans les filières sélectives organisées dans les lycées (CPGE, STS), avec l’avantage que constitue le fait que c’est justement des lycées que viennent les candidats ;

la multiplication récente de filières sélectives de licence au sein même des universités ; cela prend la forme de « cursus renforcés », comme le collège de droit de Paris II, de « parcours spéciaux » comme à l’université Paul-Sabatier à Toulouse, de « licences bi-disciplinaires » proposées dans de nombreuses universités [7] , etc. Cela prend également la forme de cycles de licences préparatoires aux

écoles d’ingénieurs, alimentant en particulier les écoles internes aux universités.

En outre, le développement d’école privées (18 % des effectifs, en progression de 57 % entre 2000 et 2012, alors que cette progression n’est que de 4 % dans le secteur public sur la même période) [8] , payantes, de qualité très inégale, comme le choix, en forte croissance, de partir étudier à l’étranger après le baccalauréat, constituent encore d’autres formes de contournement.

L’université non sélective attire à peine plus de la moitié des bacheliers généraux (51 % en 2012) [9] , en forte régression depuis une trentaine d’années (68 % en 1980) [10] . Entre 1980 et aujourd’hui, tandis que le nombre d’étudiants était multiplié par 2 (passant de 1 180 000 à 2 380 000), le nombre d’étudiants dans des écoles d’ingénieurs ou de commerce non-universitaires, et donc sélectives, était multiplié par 6 (de 45 000 à 265 000) et celui des étudiants en STS par 4 (de 68 000 à 254 000), l’évolution des IUT et CPGE étant par ailleurs proportionnelle à l’évolution générale. On notera aussi que la part de l’enseignement privé est passée en à peine plus de 10 ans de 12,8 % à 18,3 % des effectifs étudiants.

Si on exclut du calcul les étudiants en première année des études de santé, la balance penche nettement du côté des filières sélectives. Presque un tiers des titulaires du baccalauréat S entament des études non-scientifiques, tandis que 20 % se dirigent vers des filières courtes (dont les quelque 30000 places sont en principe prioritairement réservées aux bacheliers technologiques et professionnels). Enfin, 15 % choisissent les licences scientifiques, à égalité avec les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), assez loin derrière la première année commune aux études de santé (PACES).

3° Le choix des filières courtes. Comme le remarque le CEREQ [11] , les IUT et les STS « ont en commun d’offrir aux jeunes de bonnes perspectives d’emploi après des études qui conjuguent sélection à l’entrée et formation en alternance ». Mais « le BTS est un diplôme final qui débouche plus fréquemment sur une entrée directe dans le marché du travail. En cela, le BTS continue à remplir son rôle initial, celui d’être une voie de qualification supérieure et d’acquisition d’une professionnalité. En revanche, le DUT s’affirme de plus en plus comme un diplôme ouvrant à une poursuite d’études. »

De fait, 87 % des titulaires d’un DUT poursuivent leurs études [12] . Il ne s’agit donc pas d’un pourcentage réduit d’étudiants qui, par leur réussite et leur motivation, auraient montré que le choix initial d’une filière courte devait être complété par une poursuite d’études, mais avant tout d’une stratégie d’évitement des licences universitaires. Cette stratégie est tout à fait rationnelle du point de vue des étudiants, qui, une fois sélectionnés, bénéficient d’un taux d’encadrement plus important et ont de bonnes chances de succès, même s’il n’est pas sûr que ce parcours les prépare au mieux aux exigences des masters. Mais elle est peu cohérente du point de vue de l’Etat, qui voit ses IUT ainsi détournés de leurs objectifs.

4° Evolution du taux de réussite au baccalauréat. En 1984, le taux de réussite au baccalauréat C était de 67 %. Aujourd’hui, le taux de réussite au baccalauréat S est supérieur à 90 %. Cette évolution, positive car le redoublement est rarement la bonne solution, mérite néanmoins réflexion puisque tout baccalauréat donne automatiquement accès à l’ensemble des filières universitaires non sélectives. Le système d’enseignement supérieur sait-il accueillir dans des bonnes conditions tous les bacheliers qui sont reçus aujourd’hui ?

5° Réussite, échec et réorientation

Le tableau qui suit compare les taux de succès selon les filières.

Tableau 1. Devenir à la rentrée 2012 des entrants en 1ère année d’université en 2011 (en %) [13]

Passage dans l’année supérieure (généralement sans changement d’orientation)

Redoublement

Sortie

(abandon, STS,

école privée

post-bac…)

Même filière

Autre filière

Filières non sélectives

L1

41,4

17 ,9

8,4

32,2

PACES

16,7

51,6

12,9

18,9

filières sélectives

IUT

71,6

10,6

4,5

13,3

Ingénieurs

72

8,3

13,3

6,3

Le faible taux de passage de L1 (première année du cycle universitaire) dans l’année supérieure est évidemment largement problématique, même s’il est évidemment abusif de qualifier d’« échec » toutes ces sorties prématurées, qui recouvrent une grande diversité de situations : réorientation, sortie vers une autre filière sélective, arrêt momentané… L’injection de moyens significatifs (le plan « Réussite en Licence » a mobilisé plus de 700 millions d’euros), et de nombreuses autres tentatives, n’ont pas résolu le problème. Pourquoi ?

D’une part, parce qu’une partie des étudiants qui arrivent à l’université n’ont aucune chance d’y réussir avant même d’avoir commencé, car ils ne sont pas préparés aux cursus où ils sont inscrits. Ainsi, Anne Fraïsse, présidente de l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, pourtant farouche défenderesse de la démocratisation des études supérieures, déclarait dans une interview récente [14]  : « L’entrée libre, qui paraît démocratique, est un principe hypocrite qui condamne plein d’étudiants à l’échec. Nous le savons en les inscrivant, mais nous n’avons pas le droit de faire autrement. »

D’autre part parce que beaucoup d’autres étudiants, qui ont toutes les capacités et tous les prérequis pour réussir, sont découragés par les conditions d’accueil, la faiblesse du suivi pédagogique, le peu d’exigence à leur égard, ou encore parce que le sens de leurs études ne leur apparaît pas clairement.

Enfin, un nombre également important d’étudiants – 36 % des entrants, cas unique dans tous les pays de l’OCDE [15] – choisissent l’université uniquement comme solution transitoire, en attendant l’accès à une filière sélective (par exemple, vers des STS, IUT, ou certaines études paramédicales), avant la fin du cycle Licence. Une étude récente de sociologie [16] conclut ainsi : « A l’analyse, l’Université apparaît surtout comme un espace intermédiaire, diversifié et hiérarchisé, de circulation et de régulation, d’ajustement et d’expérimentation, tout à fait singulier et particulièrement central dans et pour le fonctionnement de l’espace de l’enseignement supérieur ».

Pour les universités, cette situation est inextricable. Ainsi, plus encore que la faiblesse, réelle ou supposée, du niveau moyen des entrants à l’université, leur hétérogénéité – en compétences et motivations – est l’un des principaux freins à la réussite universitaire en licence. Tout ceci est un facteur de démoralisation générale dont on ne saurait sous-estimer l’importance. Démoralisation des autres étudiants, car la dynamique positive autour de l’apprentissage de savoirs nouveaux est plus difficile à entretenir ; démoralisation des enseignants, quand ils ont face à eux un nombre important d’étudiants qui pour diverses raisons, qu’il s’agisse de choix personnels ou d’échecs, n’iront pas au bout du cycle. Il n’est pas exagéré de dire que, au prix de l’amplification des inégalités, l’université est sacrifiée à la paix sociale. Mais pour combien de temps encore ?

7° Comparaison internationale. Comme cela a été rappelé plus tôt, il y a dans la plupart des pays deux types d’institutions d’enseignement post-baccalauréat, les unes préparant à des diplômes de type 5 (filières professionnalisantes courtes) et de l’autre côté des universités à vocation généraliste, plus théoriques, qui préparent à des diplômes de type 6, et dont l’enseignement est en lien avec la recherche ; la France a une part plus importante de filières professionnalisantes courtes (16 %) que la moyenne ; ainsi le Royaume-Uni en a 8 %, le Danemark 5 %, la Suisse 9 %, mais la Corée et le Japon en comptent 24 % La distinction entre ces deux types d’institutions porte sur les contenus, le type de débouchés, mais plus encore sur la pédagogie. Les universités reposent sur une plus grande autonomie dans l’organisation du travail de la part des étudiants, autonomie qui va de pair avec un volume de travail personnel plus important, un nombre d’heures de cours plus limité, etc. Par ailleurs, selon des modalités très différentes d’un pays à l’autre, l’accès à l’enseignement supérieur est conditionnel : soit que l’enseignement secondaire général soit plus sélectif, soit qu’il existe des procédures de sélection, en général prises en charge par les établissements eux-mêmes, qui reposent sur des critères comme la détention d’un diplôme de type baccalauréat (rarement condition suffisante), un niveau mesuré par un test, la réussite à un examen, ou la présentation d’un dossier.

Cette diversité des situations produit pourtant des taux de diplômés assez similaires d’un pays à l’autre, ceux qui pratiquent une sélection féroce à l’entrée à l’université (comme le Japon) n’étant pas ceux dans lesquels il y a le moins d’étudiants.

Ainsi, la singularité française est triple :

Des types de baccalauréats (général, technologique, professionnel) correspondant à des objectifs et des pédagogies très différents donnent les mêmes droits d’accès aux filières universitaires.

Parmi les différents types d’enseignement supérieur, seule l’Université a obligation d’accueil de tous les bacheliers, alors même que sa conception de l’enseignement est fondée sur le rapport au savoir le plus exigeant.

L’Université est prise en étau entre deux grands systèmes sélectifs, le système méritocratique/élitiste des classes préparatoires aux grandes écoles, et celui des études courtes (STS, IUT).

Ainsi notre pays cumule toutes les difficultés. En premier lieu, notre système est fortement inégalitaire et ne favorise nullement la réussite du plus grand nombre des étudiants. Il compromet ensuite la vitalité de nos universités dont l’efficacité et le rayonnement sont largement tributaires de la qualité et de la mobilisation des étudiants. Enfin il ne conduit que partiellement et imparfaitement à l’élévation du niveau de formation global dont le pays a besoin.

Proposition 1 – Sélection à l’entrée en licence : les conditions d’une mise en œuvre démocratique

Seule une mesure forte et simple nous paraît de nature à améliorer radicalement un système d’orientation profondément défectueux : nous estimons qu’il faut donner à tous les établissements d’enseignement supérieur le droit de choisir, c’est-à-dire de sélectionner, leurs étudiants à l’entrée du cursus post-baccalauréat (licence, STS, IUT…) ; à notre sens, cette mesure est non seulement compatible avec les principes que nous avons énoncés au début de cette note, mais seule en mesure d’en améliorer la mise en œuvre. Nous sommes convaincus que, sous les conditions décrites ci-dessous, cette mesure va dans le sens d’une réelle démocratisation de l’accès aux études supérieures, de l’augmentation du nombre des étudiants, et de l’augmentation générale du niveau de qualification. Elle devrait permettre d’augmenter de manière significative le taux de réussite dans l’enseignement supérieur, et de replacer les universités au centre du système.

Il convient néanmoins de respecter six impératifs pour mettre en œuvre cette mesure dans le cadre d’une politique nationale de croissance des effectifs globaux de l’ensemble de l’enseignement supérieur.

A. Diversification. Dans la note « Neuf idées pour redonner confiance aux universités et aux universitaires » [17] , nous expliquions l’importance de : « diversifier l’offre de parcours pour répondre à la diversité des publics de licence, sans pour autant céder au fantasme de l’adéquation entre formation et emploi. La diversification fera sens si elle affiche clairement les prérequis de chaque parcours, ses objectifs de formation et ses débouchés. » Diversification veut dire diversification des objectifs généraux (poursuite d’études ou entrée sur le marché du travail après la licence), et diversification des rythmes d’apprentissage (en fonction des prérequis, des capacités, du statut d’étudiant à plein temps ou d’étudiant-salarié). Dans ce contexte, sélectionner des étudiants, signifie les orienter en fonction d’un objectif d’études explicite, renégociable au cours des études. Il importe toutefois de mettre en place des dispositifs permettant aux étudiants aux bases insuffisantes d’accéder au cursus de leur choix au prix d’un apprentissage préalable : années propédeutiques, apprentissage à distance, etc. La coordination territoriale désormais généralisée doit jouer à ce titre une fonction indispensable.

B. Reprise d’études. La diversification des parcours de licence doit permettre aussi de répondre à un besoin très rarement évoqué : la reprise d’études après une période de travail salarié vers 25 ou 30 ans, voire plus tard. Dans ce contexte d’études tardives, les parcours de licence doivent être optimisés par la validation des acquis de l’expérience ; de plus, les dispositifs permettant de suivre des études à temps partiel, ou à distance – s’appuyant notamment sur les nouvelles technologies-, sont primordiaux. La licence doit être construite pour s’adapter aussi bien à la formation des jeunes en formation ininterrompue qu’à la reprise d’études. Si revenir en formation supérieure devenait plus facile et plus courant, le sujet de la sélection se poserait en des termes très différents ! Et répondrait bien mieux qu’actuellement aux besoins de formation et aux rythmes spécifiques des adultes en reprise d’études, ainsi qu’aux étudiants qui sont conduits à travailler pour financer leurs études. Cela rendrait également plus aisée une année de césure pour des jeunes qui souhaiteraient adopter cette formule si féconde dans les pays d’Europe du Nord.

C. Critères. Lorsqu’on parle de sélection en France, tout le monde pense tri par l’excellence scolaire, répondant à l’imaginaire de la sélection de type « Polytechnique ». Il est clair que les critères d’admission devraient être réfléchis très sérieusement au niveau de chaque établissement si tous les cursus post-bac avaient la capacité de recruter leurs étudiants. Ainsi, pourraient être pris en compte :

La pertinence du profil scolaire, au regard des prérequis et des exigences de la formation,

Le projet personnel lié à la formation (ce qui n’implique pas nécessairement un projet professionnel),

Dans le cas des reprises d’études, la nature du parcours professionnel et l’objectif visé,

Des éléments supplémentaires comme l’implication forte dans des activités artistiques, culturelles ou sportives, des activités associatives, syndicales ou politiques, des activités périscolaires, scientifiques, etc.

A chaque institution serait laissé le soin de décider comment elle procède. Il pourrait y avoir des critères d’admission automatique pour un certain type de candidats (par exemple admission en Licence Sciences d’un élève de Terminale S, ou dans un cursus adapté de Licence Sciences de l’Ingénieur d’un élève de Terminale Sciences et technologies de l’industrie et du développement durable – STI2D), une analyse plus approfondie du dossier de ceux jugés avoir besoin d’une préparation ou d’un accompagnement particulier pour réussir (l’élève de Terminale S qui veut suivre des études purement littéraires, ou celui de STI2D qui veut suivre une Licence en économie), et une procédure d’aide à une réorientation pour les autres. En tout état de cause, chaque filière devrait avoir l’obligation de rendre publics les prérequis et les exigences pédagogiques, de même que les modalités et les procédures de sélection.

D. Régulation. Une régulation est nécessaire au vu de trois types de déséquilibres, dont certains sont déjà patents dans la situation actuelle, ou qui pourraient apparaître avec la mise en application de nos propositions :

Une limitation malthusienne des effectifs étudiants ;

Des déséquilibres incontrôlables des effectifs entre filières ;

Des déséquilibres préjudiciables des flux d’étudiants entre établissements, avec le risque d’une différenciation forte entre établissements de prestige mieux financés et les autres.

Le risque malthusien nous paraît limité : compte tenu du potentiel d’accueil des établissements d’enseignement supérieur en France, les établissements, pour assurer leur vitalité, doivent maintenir voire accroître leurs effectifs. La mesure de sélection que nous préconisons aura essentiellement pour effet de redistribuer les flux de façon plus raisonnable au regard de la diversité des profils étudiants.

Le déséquilibre entre filières est déjà une réalité, et pose un problème très sérieux. On sait bien que certaines filières très attractives offrent de maigres débouchés professionnels immédiats, et que d’autres sont en manque criant d’étudiants. Ce problème est délicat, et très mal traité aujourd’hui ; il pose la question de la liberté de choix par les étudiants, et s’il est essentiel que les étudiants puissent suivre des études qu’ils désirent, il importe aussi qu’ils le fassent en connaissance de cause (voir E. ci-dessous) et uniquement s’ils y sont préparés [18] .

Enfin, contrairement à ce que laisse entendre leur identité de statut légal, les universités sont d’ores et déjà différenciées, et ceci est bien antérieur aux lois récentes sur l’autonomie. On sait qu’un quart d’entre elles concentrent plus de la moitié des moyens de recherche, et, nonobstant le caractère national des diplômes, il n’est pas vrai qu’elles sont toutes en mesure de proposer strictement le même enseignement. Cela est-il d’ailleurs souhaitable ? N’est-il pas préférable que chacune joue avec ses atouts propres, liés à une localisation, à un bassin d’emploi, au rassemblement de compétences spécifiques ? Les universités où la recherche ne pèse pas aussi lourd ont bien des atouts ; elles offrent souvent un meilleur suivi aux étudiants de licence que les universités les plus proches du modèle international d’universités de recherche. À chaque université incombe de savoir valoriser ses atouts, de proposer des cursus originaux et adaptés à tel ou tel public, afin de garder une réelle capacité d’attraction.

Au vu de ces risques, quelles régulations mettre en place ? L’Etat doit y jouer un rôle central. Il dispose pour cela de plusieurs leviers :

Il fixe les capacités d’accueil des étudiants dans les établissements au moyen de la répartition du budget de l’enseignement supérieur ;

Grâce aux contrats avec les établissements (et maintenant, au niveau territorial, avec les associations et Communautés d’Universités et Etablissements (ComUE), crées par la « Loi Fioraso »), il peut valider leurs objectifs quantitatifs et qualitatifs ; par exemple, l’Etat pourrait valoriser le fait d’accueillir des bacheliers technologiques et professionnels (un analogue de la loi SRU), ou les établissements qui réussissent mieux en termes de diversité sociale ;

De même l’Etat doit soutenir des formations à faibles effectifs dans des disciplines dites orphelines à faibles débouchés ;

Enfin, comme c’est le cas aujourd’hui pour les néo-bacheliers, l’État doit garantir l’accès à une filière d’enseignement supérieur, en principe au sein de l’académie d’origine. De plus, la coordination territoriale renforcée par la Loi ESR doit permettre à chacun de trouver un choix d’orientation correspondant à ses vœux et capacités.

E. Explicitation des débouchés. Comme nous l’avons dit, le principe de liberté donnée à un étudiant d’étudier le domaine de son choix, pourvu qu’il puisse justifier de sa préparation et de sa motivation, doit s’accompagner d’un principe d’information disponible, accessible et intelligible, tant sur la nature des études et leurs prérequis que sur leurs débouchés.

F. Contrat. Pour qu’une filière d’enseignement fonctionne bien, il faut des professeurs compétents et une allocation de moyens suffisante, des étudiants motivés, préparés à suivre les enseignements qui leur sont dispensés et correctement informés sur ce que leur formation va leur apporter. Il faut surtout que corps enseignant, corps administratif, et étudiants soient d’accord sur les perspectives de formation qui les unissent. En bref, l’enseignement fonctionne si les parties prenantes, professeurs et institution d’un côté, étudiants de l’autre, passent un contrat qui gouverne leurs comportements mutuels.

Ainsi, la sélection n’est rien d’autre que le dispositif de passation du contrat entre l’institution et l’étudiant. L’étudiant, en faisant acte de candidature, marque un engagement, son intérêt pour le cursus qu’il va suivre, et s’engage à fournir le travail nécessaire à sa réussite. L’institution, et en particulier ses professeurs, à la capacité de répondre oui ou non à cette demande. Certes, comme dans toute situation sociale, la réponse n’est pas complètement libre, car elle se situe dans le contexte régulé décrit ci-dessus. Si l’institution dit oui, elle s’engage à :

Former l’étudiant c’est-à-dire non seulement à délivrer les enseignements prévus, mais également à soutenir et à accompagner un parcours de formation cohérent ; ceci suppose de faire évoluer les pratiques pédagogiques ;

Assurer les conditions nécessaires à la réussite et l’épanouissement de chacun et à la vie collective, associative, culturelle et sportive de tous ;

Permettre à l’étudiant de réussir (si son travail est suffisant) car elle a, en l’acceptant, exprimé un avis sur le fait qu’il était apte à ces études.

Ainsi, la sélection telle que nous la concevons est un moyen de responsabiliser les établissements, au travers des équipes pédagogiques, sur la réussite de leurs étudiants, sans abaisser les exigences des diplômes.

Spécificités du Master

Si les principes que nous avons énoncés au début de cette note s’appliquent au niveau du Master comme à celui de la Licence, les motivations et modalités de notre proposition sont très différentes à ce niveau.

Il y a au niveau Master deux grandes filières : les écoles (environ 60 000 diplômés) et les universités (environ 120 000). Dans les écoles, le modèle dominant est inchangé depuis des lustres : deux années de préparation (en CPGE ou en « cycle préparatoire intégré »), trois années de scolarité dans l’école. Dans les universités, au moment du passage au LMD (trois années de Licence + deux années de Master + trois années de Doctorat) en 2001–2002, il a été décidé de ne pas modifier le moment de la sélection au niveau du Master. Cela a eu pour conséquences de créer théoriquement un cursus de Master de deux ans, entre bac+3 et bac+5, mais avec une sélection à bac+4 reprenant celle existante après la maîtrise à l’entrée du DEA ou du DESS. Système absurde mais qui est le résultat du compromis social ayant permis l’adoption de la réforme : l’ambition européenne était alors apparue plus importante qu’une cohérence inaboutie…

Dès lors, contrairement à la Licence, le passage au LMD n’a pas induit, dans de nombreux cas, une refonte en profondeur des maquettes des Masters. En effet, les fortes résistances sur la sélection émanant des organisations étudiantes se sont trouvées confortées par les fortes résistances pédagogiques à changer quoi que ce soit de ce « qui marche le mieux », émanant des professeurs « propriétaires » de « leurs » DEA ou DESS.

Il en a résulté souvent le maintien d’une architecture en deux années distinctes pédagogiquement et appelée, sans fondement dans aucun texte, « M1/M2 ». Bien que la plupart des universités et disciplines aient effectué depuis 2002 un gros travail d’harmonisation de ces deux années, il n’en reste pas moins que le couperet de la sélection au milieu de cycle reste un verrou largement problématique à la cohérence du cycle Master. Les effectifs déclarés [19] de 150 000 étudiants en M1 et 140 000 en M2 incitent à des interprétations erronées, laissant entendre des parcours linéaires avec relativement peu d’échec. Or, la réalité est beaucoup plus complexe. Le taux de passage moyen en M2 pour les primo-entrants en Master n’est que de 65 %. Par ailleurs, il faut comptabiliser dans les effectifs de M2 les étudiants d’écoles (par ex. d’ingénieurs) qui font un M2 soit en parallèle de leur dernière année, soit ensuite, sans être passés par un M1 universitaire. Réciproquement, un nombre significatif d’étudiants arrêtent au niveau M1, soit parce qu’ils sont en situation d’échec, soit parce que, leur M1 validé, ils n’ont pas été acceptés dans un M2 qui leur convient. De telles sorties au niveau « bac+4 » peuvent également se justifier, dans quelques disciplines, par des concours (notamment administratifs) à ce niveau, mais ces cas tendent à se raréfier.

Cette division M1 / M2 n’est pas non plus sans conséquences pédagogiques préjudiciables :

Du fait de la séparation actuelle M1 / M2, le démarrage de l’année de M2 est rendu lent et difficile par la nécessité de donner de l’homogénéité à des étudiants de provenances très diverses. Cci est particulièrement observé dans les grandes métropoles où la diversité de l’offre provoque un large brassage des étudiants à ce moment, correspondant souvent à un mois, le tout sur une période de cours déjà brève (typiquement 5 à 6 mois);

Dans le même ordre d’idée, on comprend bien que 1+1 n’est pas égal à 2 : un cursus en deux ans donne une formation bien plus solide et cohérente que deux formations d’un an ;

La coupure M1/M2 rend aussi assez difficile le départ à l’étranger pour un semestre de type Erasmus. Partir en M1 c’est risquer de recevoir une formation peu reconnue pour son dossier d’entrée de M2 ; partir en M2 enlève tout sens à la “marque M2” ;

Cette coupure interdit, pour les étudiants de l’université, la pratique devenue très courante dans les écoles d’ingénieurs et de commerce de l’année de césure entre la 2ème et la 3ème année (l’équivalent du passage M1/M2) permettant un long stage en entreprise ;

Il s’agit d’un système difficile à décrypter par les étudiants qui ne possèdent pas les clefs des mystères de l’enseignement supérieur, et ignorent par exemple les subtilités du distinguo mention / spécialité / parcours. Cette complexité de l’information s’exerce clairement en la défaveur d’étudiants issus de milieux peu familiers avec le système universitaire. Ceci alors que la notion de Master est par ailleurs très bien identifiée internationalement, souvent même bien mieux que les diplômes de certaines écoles.

Enfin, les Masters universitaires sont, évidemment, en concurrence avec les écoles. Quand un étudiant termine une Licence universitaire, il a le choix entre candidater à une école ou faire un Master. S’il est accepté par une école, il a d’emblée la quasi-garantie d’obtenir le diplôme de l’école en deux ou trois ans, et peut organiser sereinement la suite de ses études, obtenir un prêt étudiant en plus d’une bourse, etc. S’il opte pour un Master, il doit franchir un double obstacle: obtenir un M1, et être admis dans un bon M2. Cette incertitude est très décourageante.

Nous estimons que les études au niveau du Master doivent être, en règle générale, encadrées par des enseignants ayant une activité de recherche, et s’appuyer sur des structure de recherche, même lorsqu’il s’agit de Masters « professionnels » ou de formations comparables. C’est pourquoi il nous paraît important que les universités aient une place croissante dans la délivrance de diplômes de ce niveau.

Proposition 2 – Déplacement de la sélection vers l’entrée en Master, pour veritablement créer les masters universitaires

A. Motivation. Il faut proposer de vrais parcours de Master cohérents sur deux ans avec sélection à l’entrée – et uniquement à l’entrée.

Du même coup, le sens d’une coupure entre Licence et Master, qui sont deux diplômes aux objectifs différents, sera rétabli. C’est au passage de l’un à l’autre qu’il doit y avoir respiration, respiration : année sabbatique, séjour à l’étranger, engagement associatif, emploi salarié avant reprise Mais cette inégalité peut aussi être prise en compte dans les critères d’admission en master, en valorisant à égalité les différentes formes que cette pause dans les études peut prendre. C’est aussi le moment naturel de mobilité entre les établissements : autant il peut être compréhensible de chercher à faire une Licence à proximité de son lieu d’habitation, autant le choix du Master doit se faire à une échelle nationale voire européenne. Le Master est la marque des établissements, profondément lié à leur potentiel de recherche, et donc fondamentalement différent d’un établissement à l’autre. Cette mobilité géographique doit favoriser au maximum la mixité sociale, avec un système d’aides financières et de logements accessibles aux étudiants en difficulté financière. En effet, le volume de travail en Master rendant plus difficile un emploi salarié en parallèle s’il n’est pas cohérent avec la formation suivie.

B. Modalités. De même que pour la Licence, la sélection doit mettre en œuvre des critères explicites (prérequis disciplinaires + projet personnel + expériences extra-universitaires lorsque c’est pertinent).

Dans ces conditions, la sélection à l’entrée en Master se traduira, non par la réduction de l’accès aux études supérieures de haut niveau, mais au contraire par une augmentation du nombre des étudiants qui y réussissent. De nouveau, le risque malthusien est là encore faible : les universités n’ont aucune raison de réduire leurs capacités d’accueil en Master, qui irriguent leur capacité en recherche. Ainsi, dans ce cadre sélectif, tout étudiant licencié devrait se voir offrir une place dans au moins un Master, comme c’est le cas dans le système des écoles d’ingénieurs, où le nombre de places offert est globalement supérieur au nombre de candidats.

Comme en Licence, il s’agit d’un contrat entre l’université et l’étudiant, où les deux parties se sont choisies : la sélection assurera des taux de réussite élevés.

C. Différentiation et spécialisations. La sélection à l’entrée d’un Master se fera sur des bases thématiquement larges, avec une spécialisation progressive – dans l’esprit du LMD –, les choix d’unités d’enseignement conditionnant les parcours. La spécialisation pourra prendre des colorations plus ou moins « recherche », plus ou moins « professionnelle », sans nécessiter de distinction entre des Master « pro » et des Masters « recherche ». On peut imaginer que certains parcours (actuels M2) puissent avoir de bonnes raisons de limiter le nombre d’étudiants, notamment pour cause de débouchés trop faibles ; dans ces cas, la sélection pour ces parcours pourrait se faire dès l’entrée en Master.

Il est clair qu’un tel changement aurait des conséquences importantes sur l’organisation des Master. La première serait sa durée : s’il s’agit bien de passer d’un « niveau bac+3 » à un « niveau bac+5 », rien n’oblige à se concentrer sur la préparation d’un Master pendant deux années pleines et consécutives : les études peuvent être aménagées par exemple pour les étudiants-travailleurs ou travailleurs-étudiants, sans les mettre en situation d’échec ou de redoublement, Ainsi, ces réformes permettraient de repenser la question des rythmes d’études, sujet essentiel sur lequel la réflexion mérite d’être prolongée. Dans les disciplines où cela s’avère pertinent, le projet de recherche menant à mémoire de Master pourra être défini dès les premiers mois, permettant des travaux largement plus ambitieux qu’actuellement. Enfin cette conception intégrée d’un Master en deux ans permet également pour les établissements qui le souhaiteraient l’organisation au sein des universités de ce qu’on pourrait appeler des écoles universitaires de recherche, rassemblant dans un même ensemble Masters et Doctorats d’un grand champ disciplinaire, des «  graduate schools  » à la française en quelque sorte…

On l’aura compris, la sélection à l’entrée du Master est un moyen de porter ce diplôme au niveau de reconnaissance auquel il peut légitimement prétendre, par l’adossement sur la recherche universitaire. Le Master afficherait ainsi sa complémentarité avec la formation proposée par les différentes écoles, pour procurer enfin le meilleur des deux systèmes sans « casser ce qui marche », mais en garantissant l’accès à des études au meilleur niveau à tous ceux qui en ont les ambitions et les capacités.

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La situation actuelle, véritable échec démocratique, porteuse de conséquences sociales et économiques néfastes et préoccupantes montre qu’il est plus que temps d’avancer sur le dossier de la sélection universitaire.

Terra Nova a décidé de le faire pour sortir d’une situation où chacun sait que c’est indispensable, mais où personne ne veut le faire.

Affirmer un principe de sélection à l’entrée de tout cycle universitaire, c’est avant tout se forcer à réfléchir au sens de ces cursus : d’où partent les étudiants et où veut-on les amener ? Quels sont leurs objectifs, les notions et compétences qu’ils doivent acquérir ? Refuser la sélection, ou tout au moins la sélection universitaire, revient à ne considérer « les études » que comme une course de haies, où il s’agit juste de sauter les uns après les autres les obstacles que sont les examens universitaires, dans la logique d’un parcours linéaire où chaque haie ouvre naturellement la voie à la section suivante. Si cette vision peut convenir aux étudiants les mieux armés, elle met néanmoins en situation d’échec un grand nombre d’entre eux – très souvent ceux des classes sociales défavorisées – et elle vide de leurs sens les objectifs intrinsèques de chaque diplôme. Une décennie après la mise en place du LMD dans les universités françaises, il est temps d’assumer une différenciation des objectifs du Baccalauréat, de la Licence, et du Master, et d’en tirer les conséquences en termes d’entrée dans les différentes filières. Sans remettre en cause le droit aux études supérieures, la sélection est un outil qui responsabilise les étudiants et les établissements autour d’un objectif de réussite du plus grand nombre. Cette mesure contribuera également à changer l’image des formations universitaires, actuellement fortement dégradée – parfois de façon très injuste !

Reste la question, et non des moindres, du courage politique nécessaire pour porter de telles mesures. La « sélection » fait office de « chiffon rouge » pour nombre de syndicats étudiants, et l’on préfère mettre en avant l’« orientation ». Comme nous l’avons vu, orientation et sélection sont de fait indissociables, mais ne peuvent se réduire l’une à l’autre. Si la sélection généralisée peut inscrire l’ensemble du système d’enseignement supérieur dans une dynamique positive, il est important de préciser qu’ à titre individuel , cette mesure n’aurait que peu de conséquences directes pour la grande majorité des étudiants, dont les choix d’orientation correspondent bien à leurs acquis.

Notons enfin que ce débat s’exprime en des termes différents en ce qui concerne la Licence et le Master, et n’en est pas au même niveau de maturité. Pour la Licence, de plus en plus nombreux sont les universitaires qui estiment n’avoir plus les moyens d’accomplir leur mission ; cependant beaucoup reste à faire pour définir les régulations garantissant à chaque étudiant une place dans l’enseignement supérieur, et éviter les déséquilibres entre filières et établissements. Il n’en va pas de même pour le Master, dont la réforme toucherait uniquement l’organisation interne des diplômes de chaque université. C’est aussi là où l’absurdité de la situation actuelle est la plus criante, et donc là où l’action est prioritaire.

  1. * Ont en particulier contribué à sa rédaction Martin Andler, Daniel Bloch, Laurent Daudet, Angélique Drémeau, Yves Lichtenberger, Jean-François Méla, Catherine Paradeise, Stéphanie Serve.

  2. Sur le cas du master : « Sélection en master à l’université : Fioraso s’attaque à un tabou », Les Echos , 25 septembre 2014. Lire également le débat sur le blog Educpros « Université : pourquoi la sélection n’est pas la solution » http://www.letudiant.fr/educpros/entretiens/pourquoi-la-selection-a-l-universite-n-est-pas-la-solution.html ainsi que l’entretien avec Marie Duru-Bellat sur ce même blog : « L’orientation dans l’enseignement supérieur devrait être mécanique voire autoritaire » http://www.letudiant.fr/educpros/entretiens/marie-duru-bellat-sociologue-l-orientation-dans-l-enseignement-superieur-devrait-etre-mecanique-voire-autoritaire.html

  3. Bien sûr, la réussite des étudiants dépend aussi d’un ensemble de facteurs qui ne sont pas directement liés à l’organisation pédagogique : la disponibilité de bourses, la nécessité ou pas de travailler pour financer les études, les conditions de logement, de transport, etc. Tous ces facteurs sont très importants, mais ne seront pas abordés dans cette note.

  4. Tableau A1.3.a, Education at a Glance , OCDE, 2013. Dans ce texte, comme dans notre réflexion en général, il nous paraît important de regarder la situation française à l’aune de celle dans les autres pays ; mais nous mesurons toujours combien les comparaisons internationales sont difficiles et ne doivent pas avoir de caractère normatif.

  5. « Scolarisation et origines sociales depuis les années 1980 : progrès et limites » in « 30 ans de vie économique et sociale », INSEE, janvier 2014

  6. C’est également le cas, dans certaines universités, en économie-gestion, langues étrangères appliquées, arts du spectacle, information-communication, psychologie, etc. Lire à ce sujet « Sélection : il y a du tirage à l’université », Libération , 15 Juillet 2014.

  7. L’université Paul-Sabatier présente l’accès à cette filière ainsi : « L’adéquation entre le profil de l’étudiant(e), son projet et les exigences de la formation est examinée avec soin par l’équipe d’enseignants-chercheurs, qui accompagne ainsi l’étudiant(e) dans son choix d’orientation. Cet examen implique la constitution d’un dossier comportant notamment une lettre de motivation, les bulletins scolaires et une lettre de parrainage d’un enseignant de lycée (physique-chimie ou mathématiques). Afin de conseiller au mieux l’étudiant(e), après étude de son dossier, un avis lui sera retourné, sur l’intérêt d’intégrer ou non les parcours spéciaux. » A l’université Paris II : « Les candidats au Collège de droit devront constituer deux dossiers de candidature : l’un pour la première année de licence, l’autre pour le Collège proprement dit. Pour une inscription en première année, les candidats justifiant d’une mention très bien au baccalauréat sont admis après une sélection sur dossier et complété éventuellement par un test d’admission. » A l’UPMC : « Le cursus [bi-disciplinaire Mathématiques-Physique] s’adresse à des étudiants de très bon niveau, particulièrement motivés pour suivre une formation scientifique exigeante et rigoureuse qui amplifiera, dans un esprit universitaire, l’autonomie de travail, l’esprit d’initiative et le goût pour la science contemporaine. »

  8. « Les effectifs d’étudiants dans le supérieur en 2012–2013 », Note d’information 14.01, Ministère Enseignement Supérieur et Recherche , Février 2014.

  9. Les chiffres des deux paragraphes qui suivent sont extraits du Tableau 6.1, Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche 2013, Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

  10. Op. cit. , référence 4

  11. Bref n° 275, CEREQ, Paris 2010.

  12. http://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/pid24624/taux-insertion-professionnelle-des-diplomes-universite.html

  13. « Les étudiants / Repères et références statistiques », DEPP, Ministère de l’éducation nationale , édition 2013

  14. Site web du Point, 18 juillet 2014.

  15. http://educationdechiffree.blog.lemonde.fr/2013/02/15/taux-de-reussite-a-luniversite-la-situation-en-france-et-dans-les-pays-de-locde/ Eric Charbonnier, 15 février 2013.

  16. Romuald Bodin, Sophie Orange, L’Université n’est pas en crise, Editions du Croquant, 2013.

  17. « Neuf idées pour redonner confiance aux universités et aux universitaires », Terra Nova , juin 2014.

  18. Nous sommes par ailleurs bien convaincus que des formations réputées très éloignées de toute perspective de professionnalisation peuvent se révéler être des tremplins efficaces pour une carrière réussie, alors que d’autres filières dites professionnelles, parfois trop dépendantes de retournements conjoncturels, peuvent déboucher sur des impasses.

  19. Intervention de la Secrétaire d’Etat à l’Enseignement Supérieur et à la Recherche, Geneviève Fioraso, lors de la séance des questions au gouvernement du 3 juin 2014 à l’Assemblée Nationale.

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