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Étude

Le recrutement et la formation des personnels de l’Education nationale

A l’occasion de la rentrée, cette étude de Terra Nova examine comment l’Etat employeur opère la sélection et organise la formation de ses personnels de l’éducation, les qualités comme les insuffisances des dispositifs de recrutement et de formation. Elle sont à mettre à la lumière de la grande ambition qui a toujours été celle de la gauche : faire mieux réussir à l’école ceux qui aujourd’hui y parviennent mal et qui sont massivement, dans notre pays, les enfants des classes populaires. Sur la base de ces analyses, cette étude avance des propositions de court et moyen termes susceptibles d’améliorer les dispositifs actuels.

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1 – Le recrutement et la formation initiale des enseignants et des conseillers principaux d’éducation

Les professeurs de l’enseignement public sont environ 725 000 : 335 000 dans le Primaire, le reste dans le Secondaire dont 55 000 agrégés et professeurs de chaire supérieure de classes préparatoires. A ces enseignants sont associés plus de 11 000 conseillers principaux d’éducation (CPE).

En 2013–2014 a été inauguré pour ces personnels un nouveau dispositif de recrutement et de formation : définition de nouvelles épreuves aux concours de recrutement, mise en place de masters « professionnels » et ouverture des Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation (ÉSPÉ). C’est là une nouvelle étape d’un long processus historique qu’il convient d’abord de résumer pour en saisir les dynamiques, avant d’aborder le contexte international puis les premières leçons à tirer de cette réforme.

1.1 – Une unification manquée sur la base des principes de l’enseignement secondaire

Le « système éducatif » français est une création assez récente. On peut la dater de 1975 avec la fusion des deux types de collèges [1] , ou encore de 1991 avec l’institution d’écoles de formation communes à tous les enseignants, les IUFM. On peut même juger que son unification n’est pas encore totalement achevée avec la subsistance de lycées professionnels. Car durant la plus grande partie de son histoire l’école publique française a été schématiquement divisée en trois systèmes distincts, en trois « ordres » dotés chacun de l’ensemble des attributs d’une autarcie pédagogique et administrative complète : direction ministérielle, corps d’inspection, établissements scolaires, écoles de formation pour enseignants, dispositif d’élaboration des programmes. De 1802 à 1965 (réforme Fouchet) l’enseignement secondaire a proposé un parcours scolaire complet allant des classes enfantines aux classes préparatoires aux grandes écoles. L’enseignement primaire, de 1833 à 1975 (réforme Haby), a offert avec son enseignement primaire supérieur des poursuites d’études jusqu’aux Ecoles normales supérieures de Saint-Cloud et de Fontenay, concurrentes de celles de la Rue d’Ulm et de Sèvres. Plus récemment, l’enseignement professionnel, créé en 1941, par ses pratiques, son organisation et ses syndicats ouvriers, s’est longtemps tenu à distance du reste de l’Education nationale. Cette organisation a pendant un temps été adaptée à une société fortement hiérarchisée, puis elle a favorisé le maintien des ségrégations et servi la justification scolaire des destinées sociales.

Peu après la création par Bonaparte d’un établissement secondaire public, le « Lycée » , le recrutement de ses professeurs s’opère majoritairement par le concours de l’agrégation. Mais il faut attendre 1839 pour voir apparaître une première ébauche de formation initiale avec les « conférences de préparation » à ce concours. Après un siècle d’élitisme malthusien (les lycées de garçons ne scolarisent, de la 6ème à la Terminale, guère plus de 75 000 élèves entre 1880 et 1930), la massification de l’enseignement secondaire à partir de la Libération impose la révision de dispositifs de recrutement devenus trop étroits. Le concours du certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (le CAPES) supplante à partir de 1950 l’agrégation comme voie principale de recrutement des professeurs de lycée. Cette montée en puissance nécessite la création, en 1957, des Instituts de préparation à l’enseignement secondaire (les IPES), annexés aux universités, recrutant leurs étudiants sur concours une année après le baccalauréat puis les préparant à une licence et aux concours. Ces instituts sont fermés en 1978, le flux de diplômés du supérieur vers les concours étant devenu suffisant. Puis, jusqu’en 1991, la formation professionnelle initiale est assurée par les Centres pédagogiques régionaux (CPR) où, pendant l’année suivant la réussite au concours, le professeur stagiaire est confié à un conseiller pédagogique, professeur de sa discipline, pour deux stages d’observation et de pratique accompagnée avant de passer avec une classe les épreuves pratiques du CAPES.

Créant un enseignement primaire public , la loi Guizot contraint en 1833 les communes à ouvrir des écoles publiques de garçons et impose à chaque département la création d’une Ecole normale pour former les instituteurs. Recrutés avec le brevet élémentaire, rejoints en 1883 par des institutrices, ils y bénéficient jusqu’à la fin des années 1970 de trois années rémunérées de formation avant d’être titularisés et de se voir attribuer un poste. En 1979, leur recrutement est élevé au baccalauréat et les années de formation incluent un diplôme d’études universitaires générales (DEUG). En 1986, le concours d’entrée à l’Ecole normale est relevé au niveau de ce diplôme et suivi de deux années de formation rémunérées. Depuis 1991, le niveau de recrutement et la formation des instituteurs (devenus professeurs des écoles) sont alignés sur ceux des professeurs du Secondaire.

L’enseignement professionnel pour les jeunes ouvriers, employés et agriculteurs a été créé par le régime de Vichy en 1941. A la Libération, sont ouvertes des Écoles normales nationales d’apprentissage (ENNA) chargées de donner une formation professionnelle en deux ans aux professeurs des « Centres d’apprentissage », ancêtres de nos actuels lycées professionnels, qu’ils enseignent des disciplines générales et soient titulaires du baccalauréat, ou des matières professionnelles et disposent d’un simple CAP. Cette autonomie prend fin, comme pour le Primaire, en 1991 avec la création des Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM).

Les réformes de 1989–1991 , dues au gouvernement de Michel Rocard, unifient à la licence le niveau de recrutement de l’ensemble des enseignants (à l’exception des agrégés recrutés avec la maîtrise), ainsi que les dispositifs de formation et les carrières des professeurs des trois ordres d’enseignement : Primaire, Secondaire et Professionnel. Les CPR, les écoles normales et les ENNA (et aussi les centres de formation des conseillers d’éducation) sont alors fusionnés dans de nouveaux établissements publics d’enseignement supérieur, les IUFM. À partir de 1991 et jusqu’en 2009, pendant les trois années du cursus universitaire conduisant à la licence (ou les quatre menant à la maîtrise pour l’agrégation), les études des futurs enseignants et conseillers principaux d’éducation (CPE) deviennent donc essentiellement académiques, ce qui constitue une continuité pour le Secondaire mais une régression pour les enseignements primaire et professionnel. Puis, durant une première année de formation en IUFM (ou comme candidats libres) les étudiants préparent un concours orienté vers la polyvalence pour le premier degré ou focalisé sur les aspects académiques de la ou des spécialités enseignées pour le second degré. Ce n’est qu’après la réussite à ce concours, lors d’une deuxième année de formation organisée en alternance par les IUFM, que les professeurs abordent certains aspects professionnels, didactiques et pédagogiques [2] .

A la rentrée de 2010 , par mesure d’économie budgétaire, le ministre Xavier Darcos supprime les 18 000 postes de professeurs stagiaires de seconde année d’IUFM (eux-mêmes intégrés alors aux universités), en même temps que le niveau de recrutement est élevé au niveau du master (M2). Cette décision brutale est présentée sous un verni idéologique constant à droite, selon lequel il suffirait d’élever le niveau de qualification universitaire des enseignants pour améliorer leurs compétences professionnelles. Les résultats de cette réforme (la mastérisation) s’avèrent catastrophiques : baisse drastique du vivier et donc du niveau de recrutement, désarroi de jeunes enseignants placés dans des classes souvent difficiles sans aucune formation, dégradation de l’image du métier. Dans le premier degré, le nombre de candidats présents aux épreuves s’effondre, passant de 6,37 à 3,06 candidats par poste en moyenne entre 2009 et 2013, avec de fortes disparités entre académies [3] .

En 2013 , la gauche revenue au pouvoir, Vincent Peillon engage une nouvelle réforme, avec pour objectifs d’attirer davantage de candidats vers les concours et de réintroduire une formation, si possible plus professionnelle. Elle comporte la création d’un master spécifique aux métiers de l’enseignement [4] , un abaissement à la première année de master (M1) du niveau requis pour se présenter aux concours, la définition de nouvelles épreuves à ces concours, le rétablissement des postes de professeurs stagiaires et de l’année de stage pour achever le master (M2), ainsi que le remplacement des IUFM par de nouvelles institutions universitaires, plus fédératives mais ne disposant pas du statut d’établissement public, les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ÉSPÉ).

Depuis les grandes réformes des années 1970 et 1980, qui ont vu la création d’un système éducatif unifié puis le rapprochement des formations et des corps enseignants, la position des enseignants dans la société française a considérablement évolué. D’une part, les attentes des Français par rapport à l’école se sont accrues, diversifiées et généralisées. De l’autre, la position sociale des enseignants s’est transformée : à un certain « embourgeoisement » des instituteurs et des professeurs de l’enseignement professionnel, progressivement promus dans le cadre A de la fonction publique, a correspondu une certaine banalisation du statut social de la masse de ceux de l’enseignement secondaire, souvent perçue comme une dégradation de leur condition sociale.

La concurrence séculaire entre un enseignement malthusien et élitiste (le Secondaire), et un enseignement de masse et promotionnel (le Primaire) s’est conclue, dans le long combat de la gauche au XXème siècle pour leur unification (le mouvement de l’Ecole unique ) sur une double victoire [5] .

Sur le plan quantitatif (la scolarisation de masse), la massification de l’enseignement s’est faite en très large partie grâce au dynamisme de l’enseignement primaire supérieur (écoles primaires supérieures jusqu’en 1941, cours complémentaires et CEG ensuite). Sur le plan qualitatif, c’est le modèle pédagogique du Secondaire qui s’est imposé, notamment en matière de recrutement et de formation des enseignants, et la démocratisation (égal accès aux savoirs et à la réussite scolaire) n’a pas été réalisée. La large prééminence de la part académique sur la part proprement professionnelle de la formation était sans doute adaptée à un enseignement destiné à la petite élite sociale et scolaire qui fréquentait les établissements secondaires jusqu’à la Libération, mais elle se révèle de nos jours, dans un contexte de scolarisation de masse, productrice d’élitisme, d’inégalités et d’échec scolaire. Non seulement le Secondaire a su préserver son modèle académique en dépit de l’évolution profonde de son public, mais il l’a imposé à des enseignements primaire et professionnel de traditions tout autres, qui y ont vu une occasion de promotion et de reconnaissance sociales. Cet alignement n’a pas été que symbolique, il a été chèrement payé, en particulier par une dégradation de la formation professionnelle de ces enseignants.

Plutôt que de s’en lamenter, et dénoncer dans ce gâchis le poids de certains syndicats, l’influence des groupes de pression disciplinaires, la prégnance du corporatisme universitaire, et, face à cela, la pusillanimité des gouvernants de gauche comme de droite, on peut interroger la capacité de la réforme de 2013, au nom même de son objectif affiché de « professionnaliser » la formation, à prendre réellement le contre-pied de ces évolutions : c’est la perspective adoptée par cette étude.

1.2 – La France, un pays singulier au sein des nations développées

Cette comparaison entre pays développés peut être organisée autour de deux axes : les éléments distinctifs et les problématiques communes.

1.2.1 – Les éléments distinctifs

La structure de la formation des enseignants, ses contenus, sa durée et sa certification, ainsi que la nature du recrutement distinguent fortement entre eux les systèmes d’enseignement.

Deux structurations de la formation coexistent dans le monde développé et notamment en Europe. Le modèle simultané , très majoritaire, repose sur une orientation précoce vers le métier et un enseignement concomitant des composantes académiques et professionnelles de la formation. Fortement minoritaire, le modèle consécutif voit l’enseignement académique précéder l’orientation vers l’enseignement et la formation professionnelle ; il ne concerne en Europe que la France pour le Primaire, à laquelle s’ajoutent quatre autres pays pour le Secondaire inférieur (collège) [6] .

La définition des contenus de la formation est le plus souvent laissée aux soins d’établissements de formation disposant d’une large autonomie dans le cadre de directives nationales souples. Cinq pays dont la France se distinguent cependant par des directives détaillées dans tous les domaines [7] . La proportion relative des contenus académiques et professionnels constitue en particulier un facteur important de disparité entre pays : ainsi la formation professionnelle représente de 13 à 70 % de la formation pour les enseignants du Primaire, et de 9 à 58 % pour ceux du Secondaire, la France se situant dans la partie basse de ces fourchettes [8] . Dans la plupart des pays européens, la formation des enseignants du Secondaire est marquée par une forte spécialisation dans une à trois matières enseignées. La France se distingue ici encore par une formation très spécialisée et par un travail interdisciplinaire restreint [9] .

La durée de la formation [10] varie selon le niveau d’enseignement. Pour le Primaire, à l’exception de huit pays dont la France qui exigent le master, la majorité requiert trois ou quatre années d’études supérieures. Pour le Secondaire inférieur les positions s’équilibrent et pour le Secondaire supérieur la majorité des pays exige un master [11] . La certification obtenue au terme de cette formation est dorénavant celle d’un niveau universitaire dans la quasi-totalité des pays (classification 5A de l’OCDE).

L’organisation du recrutement relève dans plus de la moitié des pays de l’OCDE de l’autorité locale ou de l’établissement scolaire, généralement par le biais d’entretiens avec une commission. Pour un établissement, l’avantage de ce type de recrutement est de pouvoir sélectionner les personnes qu’il estime adaptées aux exigences de son projet, et pour les candidats de choisir plus directement l’établissement qui leur convient. Dans une minorité de pays le recrutement s’opère au niveau régional voire national, par le biais de concours garantissant davantage d’équité dans la sélection, mais suivis d’une forte incertitude dans l’affectation à un poste. Outre la certification de la formation, la quasi-totalité des pays fait appel à des critères d’admission supplémentaires : citoyenneté, maîtrise de la langue d’enseignement, examens de santé et contrôles de sécurité ; certains imposent aussi une limite d’âge.

1.2.2 – Les problématiques communes

Au-delà de ces différences, face à des évolutions culturelles et sociales assez semblables, la plupart des pays développés se sont trouvés placés devant trois problématiques communes, qui les ont conduits à des réflexions et à des réformes souvent convergentes.

La part respective de la formation académique et professionnelle constitue la première d’entre elles . Le rôle des universités dans la formation initiale des enseignants s’est considérablement accru depuis 30 ans. Les écoles normales d’instituteurs ont été fermées et leur formation rapprochée de celle des professeurs du Secondaire, dans des instituts ou départements universitaires au sein desquels (ou pour lesquels) s’est alors posée la question du meilleur équilibre entre savoirs académiques et compétences professionnelles selon les différents niveaux d’enseignement. Ce sujet reste en débat dans beaucoup de pays. Cependant, les Etats européens se sont engagés en 2007 à promouvoir le développement des compétences pédagogiques nécessaires à enseigner dans des classes hétérogènes ; l’Allemagne, le Portugal et le Royaume-Uni ont depuis réformé leur système de formation en ce sens.

Sur ce débat peuvent s’en greffer trois autres. Le premier porte sur la nature de ces institutions : spécialisées dans un champ disciplinaire universitaire, ou bien professionnelles et dédiés à l’éducation. Avec la création des ÉSPÉ, la France semble avoir plutôt choisi de ne pas choisir en faisant de fait porter cette tension sur ces institutions elles-mêmes ; d’où la situation conflictuelle qui s’y développe, examinée plus loin. Un second débat, plus pratique, porte sur la place des stages professionnels et sur leur articulation avec les enseignements théoriques. Enfin, un dernier débat porte sur la place de l’approche par compétences et de l’évaluation des élèves, et sur ses conséquences dans la formation des maîtres chargés de les mettre en œuvre.

La seconde problématique commune est celle de la continuité avec l’entrée dans la profession. Deux modes d’organisation coexistent. Le premier vise à préparer les jeunes enseignants à l’entrée dans le métier par une phase finale qualifiante en situation d’enseignement, avant évaluation de leur capacité à exercer de plein droit. Le second consiste à organiser des mesures de soutien aux enseignants débutants, centrées sur les difficultés à surmonter : parrainage, contribution d’experts, soutien par des pairs ou réflexion sur les pratiques en petits groupes, ou encore combinaison de ces modalités [12] .

Une troisième problématique est en train de se développer : celle de l’évolution des missions des enseignants dans un contexte culturel et social en mutation. Ainsi, le conseil des ministres de l’Union européenne de 2002 à Barcelone a adopté des objectifs d’amélioration des systèmes d’enseignement des États membres et, partant, de la formation des enseignants et des formateurs. C’est l’origine du cadre stratégique adopté en 2010, « Education et Formation 2020 » [13] . L’idée se développe au niveau européen que l’entrée dans la « société de la connaissance » [14] ne saurait être sans effet sur la formation des enseignants à une époque où l’accès aux savoirs n’est plus leur monopole ; d’autant plus qu’ils doivent former des élèves d’origines socioculturelles plus variées, et que les enjeux du « vivre ensemble » pèsent de plus en plus sur nombre de systèmes éducatifs. La profession enseignante est aujourd’hui interrogée : quelle part doit y prendre la transmission des connaissances et quelle part y donner à l’éducation civique et comportementale ainsi qu’à la transmission des valeurs politiques et morales ? [15] Cette question, qui déborde d’ailleurs largement celle de l’éducation civique, est à l’ordre du jour dans beaucoup de pays, étant donnée l’évolution des sociétés (crise de la démocratie, montée des inégalités, ségrégations…), des comportements juvéniles (violences, addictions…) et des équilibres géopolitiques (développements des migrations, montée des fondamentalismes religieux…).

En conclusion, on peut faire le constat de la singularité de la France en matière de recrutement et de formation des enseignants. Au sein de l’Union européenne, la question se pose pour notre pays de savoir si ces singularités impliquent des points fondamentaux touchant son identité nationale, et doivent alors être maintenus, ou, à l’inverse, s’il ne s’agit que de manifestations résiduelles de crispation corporatiste ou de conservatisme social qui doivent être surmontées. Pour ne prendre qu’un exemple, l’ambition du processus de Lisbonne, qui assigne désormais à l’école l’objectif très néolibéral de former des knowledge workers [16] , repose implicitement sur le principe d’une école « utilitaire » devant s’adapter à l’économie et à la société. Elle heurte de front notre modèle républicain d’une école indépendante des puissances économiques et transformatrice de la société. Pour autant et au nom de ce modèle, doit-on, comme certains intellectuels, justifier des conceptions conservatrices et élitistes de l’école et du métier d’enseignant totalement inadaptées à la société d’aujourd’hui ?

1.3 – La mise en œuvre de la réforme de 2013 : un essai à transformer

La réforme de 2013 a mis fin aux quatre années durant lesquelles les nouveaux enseignants ont été privés de toute formation initiale. Son rétablissement s’est accompagné de la mise en place de nouvelles épreuves aux concours et de la création de nouveaux masters confiés à de nouvelles institutions, les ÉSPÉ.

1.3.1 – De nouvelles épreuves aux concours de recrutement

Les concours de 2014 ont vu la première mise en œuvre de nouvelles épreuves dans l’ensemble des concours. Ainsi, aux CAPES et concours assimilés, qui représentent 90 % des recrutements dans le second degré, les deux épreuves orales, celles de « mise en situation professionnelle » et d’« entretien à partir d’un dossier » comportent en principe une dimension plus professionnelle qu’auparavant. Dans la première en effet, le candidat «  élabore une séquence pédagogique nécessitant l’exploitation de ressources documentaires (…) à partir d’un sujet tiré des programmes et instructions de l’enseignement secondaire  », puis il propose «  une bibliographie sur le sujet proposé incluant les éléments du corpus et des documents complémentaires qu’il juge utiles et effectue l’analyse documentaire de deux documents de son choix tirés du corpus  ». Dans la seconde, on lui demande de faire «  un exposé portant sur une question posée par le jury, suivi d’un entretien avec celui-ci, [prenant] appui sur un dossier proposé par le jury, comprenant un ou plusieurs documents (de nature scientifique, didactique, pédagogique, extraits de manuels ou travaux d’élèves) (…)  » [17]

Une lecture attentive des rapports de jury de concours de 2014, conduit à une série de réflexions sur la mise en œuvre de ce cadre réglementaire.

Les jurys, dans leur grande majorité, ont développé des préoccupations essentiellement disciplinaires. Chaque jury a cultivé la particularité de sa discipline, aucun n’a cherché à mettre en avant la nécessité pour tout professeur de travailler en équipe interdisciplinaire et, dans le cadre d’un projet d’établissement, de prendre en compte la diversité des élèves, de travailler en liaison avec les familles, ou encore en collège de collaborer avec les écoles primaires. Surtout, à l’exception notable des jurys de Lettres et de Mathématiques, aucun n’a accordé la moindre considération à l’ouverture non disciplinaire de la seconde épreuve d’admission, rendue en principe obligatoire par l’arrêté ministériel : «  L’entretien permet aussi d’évaluer la capacité du candidat à prendre en compte les acquis et les besoins des élèves, à se représenter la diversité des conditions d’exercice de son métier futur, à en connaître de façon réfléchie le contexte dans ses différentes dimensions (classe, équipe éducative, établissement, institution scolaire, société) et les valeurs qui le portent, dont celles de la République.  » [18] En matière de « professionnalisation », cela constitue une réelle régression par rapport aux concours précédents qui comportaient une épreuve « Agir en fonctionnaire de l’Etat et de façon éthique et responsable », dont l’importance, attestée par une valeur de 6 points sur les 40 des épreuves orales, avait contraint les jurys à s’ouvrir à toute une série de questions professionnelles étrangères à la stricte didactique de la ou des disciplines enseignées.

En particulier, on ne trouve quasiment aucune mention de la transmission des valeurs de la République , et le terme de « laïcité » ne figure qu’en incidente dans les rapports du jury de Lettres modernes et d’Histoire-géographie. A tel point qu’à la suite des attentats de janvier 2015, la ministre a dû écrire aux présidents de jury pour leur rappeler, texte à l’appui, la définition de la seconde épreuve d’admission et de leur demander «  de veiller à ce que dans ce cadre, les thématiques de la laïcité et de la citoyenneté trouvent toute leur place  » à l’avenir [19] .  Cette directive ne semble pas avoir été perçue pleinement comme telle par certains jurys à la session de 2015, si bien que la ministre a annoncé le 8 juillet à Lyon, devant l’université d’été organisée par le réseau des ESPE sur la laïcité, qu’elle diligentait une mission de l’inspection générale à ce sujet.

Il n’existe aucune position commune entre jurys sur ce que doit être le métier d’enseignant. Chacun cultive sa propre conception du métier malgré l’existence du référentiel de compétences commun publié en 2013, unanimement ignoré. Dans ce cadre, certains jurys affichent ouvertement la conception la plus élitiste qui soit. Ainsi, comment ne pas rester perplexe lorsque qu’un président affirme : « L’obtention du CAPES externe ouvre la voie aux carrières de l’enseignement mais aussi à terme à beaucoup d’entre celles (sic) du monde éducatif. Cette ouverture est favorisée par la nouvelle approche du métier de professeur qui permet d’envisager une mobilité accrue et de meilleures prises de responsabilités au sein du système scolaire secondaire et supérieur (avec les classes préparatoires), et du monde universitaire (avec, par exemple, les professeurs agrégés et les professeurs certifiés affectés dans des établissements d’enseignement supérieur) (…) En raison de l’articulation réinstaurée entre le CAPES externe et les agrégations externes, il est à nouveau possible aux jeunes certifiés de préparer ces dernières et de les réussir, sous réserves de certaines adaptations (…) Les jeunes professeurs certifiés sont encouragés s’ils le souhaitent à envisager des poursuites d’études, notamment dans le cadre d’un master recherche. » [20] Pour les candidats qui n’auraient pas bien compris le sens de cette invite, on pourrait la résumer ainsi : « Vous allez exercer quelques années en collège, mais ce n’est pas là notre vrai métier. Dirigez-vous plutôt vers les classes préparatoires ou l’université… » Cette vision ne peut que renforcer les clichés les plus négatifs sur les élèves des collèges et des lycées. Cette opposition aux orientations nationales est justifiée au nom d’une curieuse « indépendance », principe éthique sans doute supérieur au droit revendiqué par le même président lorsqu’il affirme plus loin : « L’indépendance du directoire [du jury] est une garantie de l’impartialité du recrutement et de son niveau d’exigence. Cette indépendance s’inscrit dans les cadres de la mission confiée par le Ministre au président du jury lorsqu’il le nomme à cette fonction. » Cette conception « indépendantiste » de la responsabilité des jurys, y compris par rapport aux textes officiels, constitue de fait un frein puissant au développement du métier promu par le référentiel de 2013 ; d’autant plus que la valeur des candidats estimée par ces jurys détermine la première note pédagogique des jeunes enseignants du Secondaire et, par voie de conséquence, une bonne part de l’évolution de leur carrière.

Cette particularité, propre au second degré, favorise aussi un individualisme et un esprit de compétition peu favorables au travail collectif. Elle encourage l’idée que l’entrée dans le métier se situe après la réussite au concours et non à la sortie de l’ÉSPÉ, dévalorisant ainsi l’aspect professionnel du M2. Elle coupe aussi le second degré du premier, qui n’a pas les mêmes procédures. Cela conduit enfin à ce que le taux d’échec à la titularisation soit extrêmement faible dans le second degré, puisque tout y est joué lors du concours [21] .

Dans le premier degré, les sujets des concours sont définis dans chaque académie, ce qui rend difficile une étude d’ensemble de leurs pratiques. On se contentera donc ici d’analyser la pertinence des nouvelles épreuves. Celles d’admissibilité (écrit) tentent de vérifier un niveau minimal de compétence dans les principaux domaines de la polyvalence des professeurs des écoles. A l’oral, pour l’admission, il existe deux épreuves qui méritent toutes deux d’être interrogées. Pour la première (« Mise en situation professionnelle dans un domaine au choix »), le candidat choisit le domaine disciplinaire (parmi huit) où il se sent le plus à l’aise et travaille sur un dossier fourni ensuite par le jury. On discerne la logique de cette orientation : ne pas mettre en difficulté les candidats en valorisant leur dominante universitaire. Mais elle conduit à renforcer les domaines déjà bien maîtrisés, au détriment de la recherche d’un équilibre entre les différents domaines de la polyvalence. Dans une seconde épreuve (« Entretien à partir d’un dossier »), le candidat commence par plancher sur un sujet relatif à une activité physique, sportive ou artistique, puis il est invité à faire un exposé sur une situation professionnelle à partir d’un dossier fourni par le jury. Le privilège accordé ainsi aux disciplines corporelles parmi les autres domaines de compétences des enseignants du premier degré peut sans doute être questionné.

1.3.2 – De nouveaux masters et de nouvelles écoles de formation

Les Écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ÉSPÉ) ont été créées dans le cadre de la loi Peillon du 8 juillet 2013. Elles ont succédé aux IUFM dès la rentrée de 2013 pour préparer les étudiants aux nouveaux concours de 2014, en ouvrant la première année des nouveaux masters MEEF (M1), la seconde année (M2) étant mise en place à la rentrée de 2014. Les ÉSPÉ ont fait l’objet d’un suivi particulier grâce à l’institution d’un comité de suivi de la réforme de la formation des enseignants, présidé par le recteur Filâtre. Le Sénat s’est aussi préoccupé de cette réforme en publiant un rapport d’information [22] . Enfin, un rapport conjoint des deux inspections générales a lui aussi tenté un bilan de la première année de fonctionnement [23] . A partir de ces rapports et de plusieurs consultations et observations, on peut tenter une analyse provisoire et partielle de la mise en place de ces institutions.

Une formation universitaire divisée et sans cohérence

La décision, élaborée lors de la concertation pour la refondation de l’été 2012, de placer les concours en fin de M1 a été justifiée à l’époque par la nécessité (réelle) d’élargir le vivier de recrutement par rapport aux concours précédents, placés en fin de M2. Mais elle l’a été surtout pour des raisons budgétaires : la (re)création des supports budgétaires, supprimés par la droite, afin de pouvoir accueillir dans les ÉSPÉ les fonctionnaires stagiaires en seconde année de master, a ponctionné une grande part des postes promis à l’Education nationale par le candidat François Hollande ; et il était impossible de doubler la mise comme le souhaitaient certains syndicats qui voulaient placer le concours en fin de licence et le faire suivre de deux années de formation. Cette position du concours n’est guère favorable à la cohérence générale du parcours de formation. La première année est évidemment structurée par la préparation et par la réussite au concours ; elle n’est « professionnelle » que pour autant que les épreuves préparées le soient, et on a vu plus haut ce qu’il en était. Seule la seconde année peut donc tenter de s’affranchir des visions élitistes du métier véhiculées par certains jurys et s’organiser autour du stage en responsabilité (avec de vrais élèves, dans de vraies classes et de vrais établissements) dans la logique d’une formation en alternance.

La redéfinition des épreuves a toutefois fait évoluer la formation en première année : il y existe désormais une réelle préoccupation didactique. Mais l’ensemble des autres aspects pratiques et théoriques non disciplinaires (la relation aux élèves, la conduite d’une classe, le travail en équipe interdisciplinaire, le fonctionnement interne d’une école ou d’un établissement, le droit de l’éducation, l’éthique professionnelle, les relations avec les familles, l’éducation et la transmission des valeurs, l’exercice de l’autorité…), qui constituent pourtant l’essentiel du métier même dans le second degré, peu ou pas valorisés par les jurys, sont quasiment absents.

Malgré la rhétorique officielle sur la construction d’une « culture commune » entre les futurs enseignants, les étudiants et les stagiaires ont peu l’occasion de se côtoyer, encore moins de travailler ensemble. La première année de master, très lourde pour les étudiants, court ainsi le risque de constituer un bachotage en vue du concours, auquel s’ajoute parfois, pour obtenir le passage en seconde année, des exigences universitaires (en histoire, philosophie, sociologie ou psychologie de l’éducation, voire management) sans rapport direct avec les attentes des jurys.

Un candidat idéal très minoritaire

Le candidat idéal du concours, tel qu’il apparaît en filigrane dans la réforme de 2013, est un étudiant qui, dès sa licence sait qu’il veut devenir enseignant. Il s’inscrit donc en master MEEF, prépare un concours, le réussit du premier coup en même temps qu’il valide son M1 ; il passe ensuite en M2 où il suit une formation en alternance entre l’établissement scolaire, où il exerce un mi-temps en responsabilité, et l’ÉSPÉ où son autre mi-temps est consacré à décrocher le M2 nécessaire à sa titularisation. L’architecture de la nouvelle formation initiale des enseignants et CPE a été conçue pour lui. Or, si cet étudiant idéal existe, il s’avère qu’il ne représente qu’une minorité, dans les faits un tiers au mieux des situations réelles. Cette proportion est d’autant plus faible que le concours attire beaucoup de candidats, et elle ne peut que diminuer à l’avenir si les viviers s’accroissent, ce qui est un objectif du ministère. Cette analyse est moins vraie pour les professeurs des écoles, dont le recrutement est académique, dans les académies peu convoitées, où un autre effet pervers se présente alors : la faiblesse des seuils d’admission auxquels les jurys sont contraints.

Les situations réelles rencontrées dans les masters MEEF sont bien plus diverses, et une bonne part de la dernière année universitaire a été consacrée dans les ÉSPÉ à tenter d’y faire face. D’abord, il a fallu tenir compte des étudiants « reçus-collés », très nombreux, majoritaires parfois comme en MEEF3 (CPE), qui valident leur M1 mais sont recalés au concours, et à qui il faut proposer un M2 adapté, sans stage en responsabilité. A ceux-là s’ajoutent quelques « collés-reçus » qui doivent redoubler le M1 qu’ils n’ont pas obtenu, et perdent au bout d’un an le bénéfice du concours. Il y a aussi ceux, beaucoup plus nombreux, qui, déjà titulaires d’un master (non MEEF) se réorientent et réussissent un concours, et auxquels il faut proposer un « parcours adapté », plus ou moins individualisé, les dispensant d’une partie du master MEEF. A ces derniers, s’ajouteront à partir de la rentrée 2015 les reçus déjà titulaires du master MEEF ; ils seront au fil des ans de plus en plus nombreux : qu’en faire ? La multiplicité de ces parcours entre en contradiction avec la volonté affichée par les concepteurs de la réforme de simplifier la formation avec une maquette de master relativement standardisée. Elle constitue une contrainte supplémentaire pour les formateurs et tous ceux qui ont la charge de faire vivre les formations au quotidien [24] . Elle est aussi propice à des ruptures d’égalité dans la mesure où les réponses apportées à ces profils différents peuvent être variées à l’intérieur d’une même ÉSPÉ, et surtout d’une ÉSPÉ à l’autre. Enfin, elle suscite le mécontentement de beaucoup de stagiaires des « parcours adaptés » qui ont parfois le sentiment de « perdre leur temps » à l’université au détriment de leur investissement dans le métier.

Une gouvernance complexe

En matière d’organisation et de gestion, les ÉSPÉ se distinguent des IUFM sur plusieurs points. Rappelons que les IUFM étaient à l’origine des établissements publics à caractère administratifs (EPA) rattachés à l’enseignement supérieur. A ce titre, ils disposaient d’une personnalité morale et juridique et pouvaient gérer de manière autonome leurs moyens et leur budget. La seule chose qui, du fait de leur statut, leur était interdite était de délivrer des diplômes, responsabilité réservée aux établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP), c’est-à-dire en pratique aux universités. La loi Peillon de 2014 fait des ÉSPÉ, notamment afin qu’elles puissent délivrer leurs masters, des composantes internes d’un EPSCP, c’est-à-dire d’une université ou d’une communauté d’universités et d’établissements (COMUE) [25] . A ce jour, seule l’ÉSPÉ de Lille a choisi cette seconde formule (qui n’en fait pas pour autant un membre de cette communauté mais, là aussi, un simple organe interne). Faisant le bilan des difficultés d’organisation des ÉSPÉ, le rapport sénatorial considère que leur élévation au rang de composante d’une COMUE leur conférerait une plus grande autonomie, et constituerait la solution la plus pertinente et la plus lisible.

Car la difficulté principale rencontrée par ces structures est de parvenir à définir un modèle administratif et financier pérenne et viable. Les modalités de gouvernance des ÉSPÉ se ressentent de la double contrainte dans laquelle elles se trouvent placées : en faire une structure fédérant les moyens de l’ensemble des universités d’une même académie tout en n’appartenant qu’à l’une d’elles. Les ÉSPÉ sont organisées autour de deux instances principales : un conseil d’école (CE) et un conseil d’orientation scientifique et pédagogique (COSP), auxquels s’ajoutent le cas échéant un ou plusieurs conseils de perfectionnement du master ou de ses mentions. Ces instances accordent une large place aux représentants des diverses universités et des autorités académiques ; le président du conseil d’école est élu parmi les personnalités extérieures désignées par le recteur ; le directeur de l’école est nommé pour un mandat de cinq ans sur proposition du conseil d’école. La situation peut cependant varier d’une région à l’autre et elle dépend notamment du nombre d’universités en jeu dans chaque académie et d’éventuelles habitudes antérieures de travail en commun. Le rapport sénatorial note que «  la mise en place des ÉSPÉ est indiscutablement compliquée par la reconfiguration du paysage universitaire dans plusieurs académies  » ; il constate que « la réforme a été mise en œuvre à marche accélérée » (comme le souligne aussi le rapport IGEN/IGAENR) et que des ajustements seront nécessaires dans les années à venir. Le problème majeur réside donc dans la coexistence de deux logiques organisationnelles contraires : d’une part la logique fédérative des ÉSPÉ veut que les universités mettent des moyens en commun pour organiser des formations complexes et coûteuses ; mais de l’autre, face à ses propres arbitrages internes, chaque université tend à se défausser sur ses voisines du financement de formations généralement perçues comme peu prestigieuses pour elle-même.

Un « choc de culture »

Cette expression revient avec insistance dans les bilans. L’installation des ÉSPÉ continue «  à se heurter à un certain nombre de résistances et de cultures bien installées  » comme l’écrit par euphémisme le rapporteur sénatorial pour évoquer les diverses chapelles universitaires et féodalités disciplinaires campant chacune sur son pré carré et souvent peu désireuses de partager, de mettre en commun ou d’abandonner tel enseignement. L’idée selon laquelle « enseigner est un métier qui s’apprend » est contestée au sein même des ÉSPÉ, en particulier par certains universitaires attachés à leur enseignement disciplinaire, et qui se servent parfois des effectifs étudiants des ÉSPÉ pour maintenir à flots leurs masters disciplinaires. Les compétences et l’expertise accumulées par les formateurs et enseignants chercheurs des IUFM en matière de formation des enseignants ne sont pas toujours reconnues et valorisées. A ces deux catégories principales de formateurs s’ajoutent des personnels d’inspection dans certains secteurs et, à terme, des personnels de la formation continue des rectorats. Ce sont toutes ces personnes, avec leurs cultures professionnelles différentes, qu’il s’agit de faire travailler ensemble dans la nouvelle structure.

Quant au « tronc commun » prévu dans les maquettes, il n’a souvent de commun que le nom, tant les contraintes d’organisation, exacerbées par la prégnance des féodalités universitaires, peuvent se révéler insurmontables. Pourtant, les compétences professionnelles communes à tous les enseignants et CPE sont bien identifiées dans le référentiel de 2013, et le contenu du tronc commun, ses thèmes obligés ainsi que son organisation pratique sont précisément définis [26] . Il représente en principe environ le quart en volume des enseignements de la maquette des masters. Mais, préparé à la hâte étant donné la publication tardive de l’arrêté, il se présente souvent sur le terrain sous la forme de cours magistraux, notamment dans les ÉSPÉ où les effectifs sont très nombreux. Ces cours sont supposés rassembler des étudiants et stagiaires des premier et second degrés de toutes les disciplines. Mais, cette dimension interdegrés et interdisciplinaire est souvent battue en brèche par les rivalités et les contraintes d’organisation. On peut aussi regretter que lors de la mise en place de ce tronc commun, on n’ait pas suffisamment saisi l’opportunité de travailler avec les mouvements pédagogiques et les associations partenaires de l’Education nationale, alors qu’une convention a été signée en novembre 2014 entre le collectif des associations partenaires de l’école (CAPE) et le réseau des ÉSPÉ (R-ÉSPÉ).

Le rapport sénatorial souhaite que les Écoles puissent donc «  devenir un lieu de dépassement des anciennes contradictions  », et pour cela «  travailler à bâtir un esprit d’école que chacun partage au-delà des métiers, des cultures et des pratiques administratives  ». Même si certaines ÉSPÉ (par exemple celle de Clermont-Ferrand, souvent citée en exemple) ont déjà mis en œuvre cet esprit commun, d’autres (comme celles de Créteil et de Versailles) ne parviennent pas à surmonter leurs divisions et se révèlent difficilement gouvernables.

La question de la formation des formateurs reste posée tout comme celle de la pédagogie pratiquée dans les ÉSPÉ, dont on peut s’interroger sur l’effet modélisant, sur l’isomorphie engendrée par toute formation : on forme les élèves comme on a été soi-même formé. En d’autres termes, les pratiques pédagogiques des formateurs (en ÉSPÉ, en établissement) influent fortement sur les pratiques pédagogiques de stagiaires qui auront tendance à reproduire ce qu’ils ont vécu et observé. Or, force est de constater que les pratiques des formateurs en ÉSPÉ relèvent souvent de la pédagogie frontale. Il y a donc un enjeu à proposer des dispositifs de formation plus coopératifs et actifs. De même pour les tuteurs dans les établissements : leur désignation ne répond pas forcément à des critères pédagogiques mais est souvent le produit des circonstances. On crée un « berceau » (ainsi nomme-t-on l’établissement d’accueil d’un stagiaire…) parce qu’il y existe des heures d’enseignement disponibles et pas forcément pour les qualités du tuteur ou pour la capacité de formation de l’établissement.

L’acronyme adopté par les concepteurs de la réforme de 2013 n’est pas innocent. A n’en point douter, en remplaçant les IUFM, qui n’avaient pas démérité et pouvaient encore évoluer, par des ÉSPÉ ils ont voulu afficher leur grande espérance : celle de faire radicalement évoluer le métier d’enseignant, notamment dans le second degré, pour l’adapter aux réalités des élèves et de la société d’aujourd’hui, et de lutter ainsi contre les inégalités et les discriminations sociales que l’école française reproduit voire accentue plus que toute autre. A observer les deux premières années de mise en œuvre de cette réforme, on doit constater que ce combat est loin d’être gagné. Deux grandes difficultés doivent en effet être surmontées : d’une part, celle posée par des épreuves de concours (structurantes pour le contenu des études de M1 puis de M2) si peu porteuses de cette ambition ; et de l’autre, celle de la viabilité administrative, financière et pédagogique d’institutions conçues sur des principes contraires entre lesquels il faudrait trancher ; des institutions souvent divisées, et auxquelles on devrait permettre de trouver une unité, une simplicité, et donc une efficacité au service de ce grand projet national. Sinon l’espérance placée dans cette réforme risque fort de se réduire à un mauvais jeu de mots.

1.4 – Propositions

Placer les épreuves d’admissibilité des concours en fin de M1 et les épreuves d’admission en fin de M2 [27] .

C’est le dispositif qui a été expérimenté et a donné satisfaction pour le recrutement de transition en 2013. Il offre plusieurs avantages :

il permet d’alléger une première année de master excessivement chargée et d’établir une année complète pour préparer l’admissibilité, puis une autre pour préparer l’admission en alternance avec un demi service en responsabilité ;

en calibrant l’admissibilité (à 110–120% des postes ouverts par exemple), il autorise une véritable sélection à l’issue du stage en responsabilité, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, surtout dans le second degré ;

le stage en responsabilité se faisant sous couvert d’un contrat public permettrait d’économiser environ 10 000 emplois de fonctionnaire [28]  ;

il permettrait d’évaluer les candidats devant une classe, au moins dans une des épreuves d’admission (c’est ainsi que se concevait le « CAPES pratique » avant les réformes de 1989–91), et de valider ainsi de véritables compétences professionnelles.

Rendre les épreuves des concours plus professionnelles

Dans le second degré, l’une des épreuves écrites pourrait avoir un caractère non disciplinaire : une connaissance élémentaire du système éducatif, de son histoire, de son fonctionnement et de ses résultats, des principaux textes juridiques régissant la vie scolaire, du fonctionnement d’un établissement scolaire, des principaux résultats de sociologie, de psychologie et d’économie de l’éducation, ne devrait-il pas être requis pour commencer à enseigner ?

Dans le premier degré, l’épreuve d’admission « Mise en situation professionnelle » pourrait se dérouler sur un dossier permettant d’évaluer un premier niveau de construction de compétences scientifiques, didactiques et pédagogiques dans un domaine tiré au sort – et non plus choisi par le candidat – parmi les huit domaines d’enseignement autres que les mathématiques et le français ; la seconde épreuve serait remplacée par une séquence d’enseignement avec des élèves, suivie d’un entretien.

Pour tous, l’interrogation orale sur la transmission des valeurs de la République, en principe partie intégrante aujourd’hui de l’épreuve d’admission « Entretien à partir d’un dossier » devrait être « sanctuarisée » grâce à un horaire et un coefficient spécifiques.

Encourager la diversification des recrutements

Les « troisièmes concours » actuels, adaptés aux personnes ayant déjà une expérience professionnelle, pourraient être améliorés en ayant recours à la valorisation des acquis de l’expérience (VAE) [29] et à la valorisation des acquis professionnels et personnels (VAPP) [30] .

Pendant l’année de stage, offrir un choix entre école élémentaire et maternelle dans le premier degré, et entre lycée et collège dans le second.

C’est probablement la seule manière d’éviter que la maternelle comme le collège soient marginalisés dans la formation, ce qui est actuellement le cas ; des modules de formation continue devraient permettre aux enseignants le souhaitant de changer de niveau.

Placer la titularisation au terme de la première année d’enseignement à temps plein

Cette année en responsabilité serait ponctuée de formations complémentaires suivies dans le cadre de la formation continue, notamment sur la base d’une inspection donnant lieu à la première notation.

Faire des ÉSPÉ des établissements publics membres d’une COMUE

La leçon doit être tirée des graves difficultés rencontrées par les ÉSPÉ. Il faut leur donner une réelle consistance tout en maintenant le rôle fédérateur que souhaitaient leur confier leurs concepteurs. Pour cela, on ne voit guère d’autre moyen que de leur conférer le statut d’établissement public dans le cadre d’une COMUE, sans lequel elles resteront des cadres vides ou des structures balkanisées, ou pour celles qui ne s’y résignent pas, en guérilla permanente avec des universités qui contrôlent les inscriptions administratives et pédagogiques des étudiants, disposent des moyens d’enseignement et, pour certaines, convoitent leurs locaux pour les affecter à d’autres usages [31] .

2 – La formation continue des enseignants

La formation continue des enseignants est généralement reconnue comme un levier majeur de progrès pour le système éducatif puisqu’elle concerne le « stock », 40 fois plus important que le « flux » des entrants bénéficiant de la formation initiale. Pour autant, elle ne constitue pas [32] une priorité de la politique éducative, l’essentiel des dernières créations de postes ayant bénéficié à la formation initiale. De fait, la formation continue a surtout servi de variable d’ajustement budgétaire dans les académies pendant la période 2002–2012, avec un effondrement marqué des crédits prévus et consommés entre 2006 et 2012. De l’avis même des responsables de la DGRH du ministère, «  les coûts de formation, les contraintes en crédits et en emplois seraient un véritable obstacle à toute perspective d’intégration de la formation continue dans une politique de GRH  » [33] .

2.1 – Un bilan quantitatif très médiocre

Les informations dont on dispose sur la formation continue des enseignants sont éparses et parfois peu lisibles. Elles sont pour la plupart quantitatives et apportent peu d’indications sur l’efficacité des formations et le degré de satisfaction des enseignants par rapport à leurs besoins ou attentes. Le Bilan social du ministère fournit les indications suivantes pour l’année 2012–2013, toutes en progression par rapport à l’année précédente [34]  :

Dans le premier degré

187 900 personnes ont participé à au moins une heure de formation. On peut donc estimer que 56% de l’ensemble des enseignants ont bénéficié d’une formation ; 755 800 journées stagiaires ont été réalisées, représentant en moyenne 4 jours de formation par personne présente, et 2,3 jours rapportées à l’ensemble des enseignants.

Dans le second degré

255 400 personnes ont participé à au moins une heure de formation. On peut donc estimer que 56,8% de l’ensemble des personnels enseignants et personnels de direction, d’inspection, d’éducation et d’orientation (DIEO) ont bénéficié d’une formation, même courte ; 907 300 journées stagiaires ont été réalisées, représentant en moyenne 3,6 jours de formation par personne présente, et 2 journées rapportées à l’ensemble des personnels enseignants et DIEO.

De leur côté les Repères et références statistiques (RRS) de 2014 fournissent des indications concernant la formation continue des seuls enseignants, permettant de calculer les indicateurs quantitatifs suivants relatifs à l’année scolaire 2012–13 :

Enseignants du 1er degré : environ 700 000 journées stagiaires ont été réalisées, soit 2,2 jours de formation par enseignant en fonction.

Enseignants du 2nd degré : environ 780 000 journées stagiaires ont été réalisées, soit 2,0 jours de formation par enseignant en fonction.

En 5 ans, ces chiffres ont légèrement progressé pour le premier degré (de 2,1 à 2,2 j/e) et ont nettement régressé pour le second (de 2,3 à 2,0 j/e). Dans le second degré, cette régression est encore plus sensible sur 20 ans, puisque les chiffres de 1993–94 indiquaient environ 1 400 000 j-st représentant 3,5 j/e. Cette évolution a pénalisé le plus fortement les académies de la région parisienne (Versailles se situait à 5,6 j/e, Créteil à 4,6 et Paris à 4,4). On a en effet assisté durant cette période à un émiettement des formations, par le développement des actions courtes d’actualisation des connaissances dans les disciplines, et par la forte régression des formations longues. Ainsi, les formations de plus d’une semaine qui représentaient 21 % du volume total de formation en 1993–1994, ne représentent pratiquement plus rien aujourd’hui.

Par ailleurs, les RRS font apparaître un taux d’absence des stagiaires inscrits et régulièrement convoqués de 26 %, d’autant plus préoccupant que s’y ajoute un taux supplémentaire d’évaporation en cours de stage de 9 %.

2.2 – Un bilan qualitatif décevant

Cette importante déperdition met sans doute en cause, du moins partiellement, la qualité et la pertinence de certaines formations. A l’appui de cette hypothèse, l’enquête TALIS 2013, conduite par l’OCDE montre que les enseignants français sont ceux qui se sentent le moins bien préparés, sur le plan de la pédagogie ou des pratiques de classe, pour la ou les matières qu’ils enseignent. Seuls 6 enseignants sur 10 déclarent être bien ou très bien préparés dans ces domaines, alors qu’ils sont 9 sur 10 en moyenne dans les pays enquêtés. Pourtant, ce sont eux qui déclarent le moins participer à des actions de formation continue (76 % contre 88 % en moyenne dans les pays de l’enquête TALIS), alors qu’ils sont davantage aidés financièrement pour le faire que leurs collègues d’autres pays.

On peut parler d’un véritable divorce entre les enseignants et la formation continue qui leur est proposée. Lors d’une enquête menée en 2014 par le Syndicat des enseignants de l’UNSA (à laquelle 17 000 enseignants du premier et du second degré ont répondu), 83% ont répondu négativement à la question « Bénéficiez-vous d’une formation continue qui vous aide dans votre travail ? »

2.3 – Des problèmes d’organisation récurrents

Ces dernières années, la formation continue a été massivement recentrée sur l’accompagnement des nouveaux enseignants privés de formation initiale et sur l’accompagnement des réformes. En conséquence, très peu de formations ont été proposées aux enseignants plus anciens pour actualiser leurs connaissances et développer leurs compétences professionnelles.

Par ailleurs, les logiques d’organisation et de pilotage de la formation continue sont différentes et peu coordonnées entre premier et second degrés, ce qui fragilise la continuité entre école et collège, pourtant au cœur de la logique du socle commun depuis 2005 et de la loi de refondation avec le nouveau cycle CM1-CM2–6ème. Dans le premier degré, le lien strict entre formation continue et remplacement constitue aujourd’hui un obstacle au développement de cette dernière, car les moyens de remplacement ont considérablement diminué dans les académies. Dans le second degré, le lien entre formation et remplacement est moins strict, mais l’organisation de formations en équipe au sein des établissements pose traditionnellement la question de la prise en charge des élèves.

La situation budgétaire de la formation continue est paradoxale. D’un côté les académies se plaignent de la baisse permanente des crédits de formation : ainsi, le responsable de la formation continue des personnels d’une grande académie déclarait récemment disposer d’un budget annuel de 250 € par personne, tous postes budgétaires confondus, dont 90% étaient consacrés aux déplacements des stagiaires : une misère ! De son côté, le ministère affiche une dépense globale pour la formation continue de 1,07 milliard d’€ en 2012 (4 % de la masse salariale) dans l’enquête interministérielle de la DGAFP, un chiffre supérieur à la moyenne de la fonction publique (3,5 %) [35] . La Cour des Comptes en conclut que «  le ministère dispose donc de moyens suffisants, mais mal mis en œuvre et mal pilotés  » [36] .

S’inspirant de nombreux secteurs qui développent la formation continue de leurs salariés en ligne [37] , le ministère tente donc depuis peu de développer une offre de formation « hybride » associant formation présentielle et formation en ligne, en s’appuyant sur la plate-forme M@gistère. Il se heurte pour l’instant à la réserve d’une majorité d’enseignants, attachée à la « respiration » et aux échanges professionnels dont les stages sont l’occasion, et peu convaincue par certains supports de formation et par une mise en œuvre institutionnelle souvent vétilleuse. Sans jeter le discrédit sur nombre de formations qui peuvent, du fait de leur objet, se dérouler à distance, il ne faudrait pas non plus les ériger en système : l’isolement des enseignants est une réalité professionnelle et l’institution doit plutôt favoriser la réflexion et les projets collectifs. De ce point de vue, une autre entrée, également « soutenable » sur le plan économique, serait de favoriser l’essor des formations d’initiative locale sur site, dans les écoles et les établissements ou à l’échelle des bassins. Cette dimension reste encore très modeste. Pour se développer efficacement, elle devrait s’accompagner d’une implication des cadres dans le repérage des besoins de formation des établissements et des équipes pédagogiques, et d’une adhésion des enseignants aux exigences d’un développement professionnel continu.

La « déshérence » de la formation continue des enseignants, pour reprendre un mot du Président de la République, a au moins deux causes, l’une culturelle et l’autre plus structurelle. La première réside dans la difficulté chronique de notre ministère – aidé parfois en cela par des syndicats et des fédérations de parents focalisés, lors de la préparation de chaque rentrée, sur le nombre de classes ouvertes et le nombre d’élèves par classe – à se dégager des contraintes et des vicissitudes du court terme pour aborder et privilégier les exigences du long terme. La gestion des emplois comme celle des personnels illustre, de manière récurrente, cette propension à privilégier la tactique plutôt que la stratégie, en d’autres termes à sacrifier la formation des personnels sur l’autel de la préparation de la rentrée scolaire. La seconde cause de ce désengagement est l’absence de responsabilité unifiée des questions de formation, éclatées entre deux ministères et trois directions générales. Aucune structure de coordination permanente n’a été mise en place. Le choix n’est pas sans conséquences de confier à l’enseignement supérieur la responsabilité de la formation initiale des enseignants et de placer la tutelle de leur formation continue dans une direction d’objectifs (la DGESCO), alors que la direction de gestion (la DGRH) assume quant à elle la responsabilité de la formation des personnels d’encadrement [38] .

2.4 – Propositions

Créer une structure autonome et paritaire chargée de la formation continue des enseignants

Le seul moyen de sanctuariser un budget décent et des moyens pérennes dédiés à la formation continue, ainsi que de rassembler les diverses responsabilités, serait de créer une structure autonome, extérieure à l’administration. Plusieurs exemples existent autour de nous avec les institutions dédiées à la formation des personnels des fonctions publiques hospitalière (l’Association nationale pour la formation des personnels hospitaliers, ANFH) et territoriale (le Centre national de formation des personnels territoriaux, CNFPT, un établissement public), ainsi qu’à celle des personnels de l’enseignement privé catholique (Formiris, une fédération d’associations). On peut aussi penser à une agence nationale, comme la Teachers Learning Agency au Royaume-Uni. La gestion de cette structure pourrait associer à ceux de l’Etat les représentants des personnels et des usagers, la formation n’étant pas a priori un facteur de dissension entre salariés et employeur, et constituant même souvent un élément important du dialogue social. Il lui incomberait d’assurer la fonction de maître d’ouvrage : tenir les objectifs, rassembler et répartir les moyens, suivre et évaluer les réalisations, stimuler la recherche développement notamment dans l’utilisation du numérique.

Mais la plus grande part de l’organisation concrète de la formation ne peut qu’être déconcentrée. Se poseront alors les questions essentielles du pilotage académique, de sa liaison avec l’ÉSPÉ et les autres ressources de formation, de la responsabilité de l’établissement scolaire dans le domaine de la formation, de la diversification de ses formes et de ses modalités. De ce point de vue, on ne peut qu’être réservé devant l’idée d’une responsabilité exclusive des ÉSPÉ sur la formation continue des enseignants : la forme universitaire n’est pas la seule intéressante en matière de pratiques professionnelles et, de manière générale, une certaine forme de concurrence est souhaitable car les positions de monopole favorisent en général la routine au détriment de la qualité.

Instituer à la fois un droit à et une obligation de se former

La formation continue des enseignants est une nécessité qui ne peut être laissée au seul volontariat des individus. Elle doit devenir une obligation pour l’Etat, et donc donner lieu pour chaque professeur à un crédit de formation rechargeable sur la carrière ; mais par ailleurs elle doit aussi s’imposer à chacun, par exemple sous forme d’une à trois semaines de formation chacune des trois premières années d’exercice, puis par période de trois ans. Ces formations seraient organisées par l’administration ou dispensées par l’enseignement supérieur, ou encore par des associations et mouvements pédagogiques agréés. Là pourraient être abordées et approfondies les questions rencontrées par les enseignants dans l’exercice quotidien de leur métier, comme les relations avec les parents, les conduites à risque des élèves, l’aide personnalisée, l’évaluation et l’éducation à l’orientation, l’enseignement en éducation prioritaire, la transmission des valeurs, etc. Pour éviter la désorganisation de l’enseignement qui est souvent, dans le second degré principalement, la conséquence du départ en formation des professeurs, le développement de leur formation continue devrait pouvoir se faire d’une part en dehors du temps de service devant les élèves, et de l’autre en mettant en place des dispositifs de remplacement organisés localement pour les formations de courte durée et par les services académiques pour les stages longs.

Développer les formations d’initiative locale, notamment intercatégorielles

La déconcentration des formations au niveau des écoles et des établissements présente plusieurs avantages :

elle est une source très substantielle de développement puisqu’elle induit des économies considérables, les frais de mission et de transport des personnels pouvant représenter l’essentiel des dépenses dans certaines académies ;

la formation des personnels est alors inscrite dans le projet d’école ou d’établissement, et relève ainsi de l’initiative du conseil des maîtres ou du conseil pédagogique ;

elle permet de développer le travail en équipe sur la didactique, la pédagogie et les questions éducatives ;

elle permet également des formations intercatégorielles autour de l’organisation et du fonctionnement de l’école ou de l’établissement, ainsi que sur les questions de vie scolaire.

Améliorer le statut et la formation des formateurs

Aujourd’hui les formateurs académiques (FA) dans le second degré et les maîtres formateurs (PEMF) dans le premier, sont des personnels à temps partiel intervenant de différentes manières dans le champ de la formation initiale ou continue des enseignants ; ils sont placés sous la tutelle des corps d’inspection et leur statut est actuellement en cours de révision (PEMF) ou d’élaboration (FA) [39] . Parallèlement, des formateurs « à temps partagé », par ailleurs enseignants ou CPE, collaborent à la formation initiale dans les ÉSPÉ, mais sous autorité universitaire. Il faudrait pouvoir rapprocher voire rassembler ces différentes catégories de formateurs à temps partiel en une seule, dont l’exercice serait limité dans la durée (trois à cinq ans renouvelables une fois), avec un service adapté (par exemple1/2 service en formation, 1/3 devant élèves et 1/6 en décharge pour tenir compte de la difficulté de combinaison des horaires). Une première étape pourrait être de reconnaître la fonction de formateur « à temps partagé » des ÉSPÉ par un recrutement transparent, une formation spécifique et un certificat d’aptitude. En ce qui concerne les formateurs académiques, la priorité semble être de sortir du recrutement actuel par cooptation, favorable à la reproduction des modèles pédagogiques traditionnels, pour rendre plus objectifs les critères de leur recrutement et favoriser notamment les compétences et les qualifications en formation de formateurs.

3 – Le recrutement et la formation des personnels de direction

Actuellement plus de 13 000, les personnels de direction dirigent les collèges et les lycées, comme chefs d’établissement ou adjoints.

3.1 – Le recrutement

Ils sont recrutés par voie de concours, de liste d’aptitude ou de détachement avant de commencer leur carrière en position d’adjoint. La grande majorité est recrutée par deux concours ouverts aux personnels titulaires d’enseignement, d’éducation, d’orientation et d’information justifiant de cinq années de services effectifs, ainsi qu’à certains autres personnels (attachés des administrations de l’Etat, ressortissants de l’Union européenne). L’un est ouvert aux certifiés, professeurs de lycée professionnel, professeurs des écoles, l’autre aux agrégés, professeurs de chaires supérieures, maîtres de conférences et inspecteurs de l’Education nationale (IEN). Leurs épreuves et les sujets sont identiques.

L’épreuve écrite d’admissibilité , dite « mise en situation professionnelle », repose sur l’étude d’un cas de pilotage d’un établissement scolaire, à partir de documents. A lire les derniers rapports des jurys, le nombre élevé de documents fournis pose deux problèmes : d’une part leur lecture prend un temps trop important qui serait certainement plus utile à la réflexion et à l’analyse ; d’autre part, les références mobilisées pendant l’épreuve par beaucoup de candidats proviennent essentiellement de ces documents, ce qui ne permet pas toujours d’apprécier leurs connaissances personnelles. Ces rapports insistent aussi sur l’importance de la mise en contexte, qui doit permettre de travailler sur l’articulation entre l’autonomie de l’établissement et les priorités nationales et académiques. De fait, les membres du jury essaient de juger les copies sur le degré de connaissance des marges de manœuvre, des leviers du changement et des réponses possibles à apporter dans une situation spécifique précise : stratégie éducative et pédagogique à adopter, maîtrise de la conduite d’un projet (du diagnostic à l’évaluation), pilotage de l’établissement (incluant le management des équipes, la communication interne et externe avec les parents et partenaires, la recherche de l’adhésion…). Le problème est que, de manière générale et pour les raisons évoquées ci-dessus, les analyses sont rares et quand elles existent, plutôt sommaires. Dans le meilleur des cas, la « remédiation » apparaît comme le mot magique, même s’il n’est pas toujours adapté à la situation, ce qui montre la difficulté de nombreux candidats, pourtant pour la plupart enseignants, à réfléchir sur la façon de faire évoluer le système, et notamment les enseignements, ou, plus généralement, d’influer sur ce qui se passe dans les classes.

Au final, si comme dans tous les concours à l’admissibilité on « élimine », on le fait essentiellement, au-delà même du barème proposé, sur la maîtrise de la langue écrite, ce qui au fond n’est pas totalement illogique, étant donné la place que l’écrit occupe dans le métier. Par ailleurs, il semble à ce stade difficile de trouver mieux, si l’on considère que les précédentes modalités de recrutement se sont révélées moins satisfaisantes et qu’une admissibilité sur reconnaissance des acquis de l’expérience professionnelle (RAEP) – mise en œuvre dans le recrutement des corps d’inspection – ne semble pas adaptée à un concours orienté vers un changement notable de posture professionnelle. Sur ces bases, la qualité du recrutement semble s’améliorer puisque, ces dernières années, on a pu constater une élévation du seuil d’admissibilité qui s’explique en grande partie par une meilleure préparation des candidats.

L’épreuve orale d’admission commence par un exposé du candidat et se poursuit par un entretien avec le jury. Elle s’apparente donc à un entretien de motivation et de recrutement professionnel, où l’on demande aux candidats de se projeter dans la fonction briguée en les confrontant à des situations professionnelles diverses. D’ailleurs, «  dans la plupart des académies, la préparation à l’épreuve orale du concours change de nature et il s’agit moins d’une préparation à une épreuve qu’une préparation à exercer un nouveau métier  ». Et si à l’admissibilité le bénéfice du doute profite au candidat, à l’admission il doit profiter à l’institution : «  Les notes faibles ont généralement sanctionné moins des ignorances ou des défaillances intellectuelles que des traits de comportement ou des prises de position jugés incompatibles avec les exigences d’une fonction de personnel d’encadrement  » [40] .

Deux points méritent d’être soulignés. Les rapports, tout comme les jurys, insistent sur la loyauté nécessaire à l’égard de l’institution, sur l’aptitude à faire adhérer à un projet, à entraîner une équipe, sur la capacité à décider, sur l’exercice de l’autorité. Or on constate que des candidats ont du mal à trouver le bon positionnement : certains n’ont visiblement pas perçu les contraintes et les nécessités qui s’imposent à la fonction de personnel de direction, tandis que d’autres ont une vision principalement injonctive du pilotage. Par ailleurs, les jurys doivent tenter d’évaluer la capacité des candidats à exercer ces fonctions d’encadrement dès la rentrée suivante : ils regrettent alors que nombre de candidats, même s’ils sont excellents dans leur discipline, même s’ils ont acquis des connaissances solides sur les textes en vigueur, présentent des difficultés élémentaires à réfléchir à l’échelle d’un établissement et d’une équipe, à avoir une vision globale de son fonctionnement et donc à travailler dans un collectif. Ceci leur semble rédhibitoire pour espérer devenir personnel de direction… mais explique aussi bien des problèmes que rencontre notre système éducatif.

De manière générale, les jurys constatent une augmentation de la qualité des prestations à l’oral ; et d’ailleurs le concours se révèle de plus en plus sélectif avec des taux de réussite de 26,9% en 2008 et de 15,9% en 2014, résultats qu’on peut attribuer en grande partie à une meilleure information et à une véritable préparation des candidats. Beaucoup s’inscrivent au Centre national d’enseignement à distance (CNED), ou bien suivent les préparations proposées par les académies (et depuis peu par des officines privées), de qualité variable mais en amélioration générale. Fort de ce constat, l’institution intègre de plus en plus cette « année de préparation » informelle dans ses stratégies de formation.

3.2 – La formation statutaire

Depuis la réforme de 2001, les personnels recrutés prennent leur fonction sous la forme d’un stage en pleine responsabilité, dès la rentrée suivant leur recrutement. Ils bénéficient en outre d’une formation dite en alternance – avec des sessions de formation organisées par l’ESENESR et les rectorats – qui doit s’inscrire dans un «  parcours personnalisé de formation  ». Dans les deux ans suivant leur titularisation, «  les personnels de direction complètent leur formation par une formation continue  », avec des possibilités d’ouverture (autres services publics, systèmes éducatifs étrangers).

La formation statutaire est donc divisée en quatre temps :

1. La préparation au concours , en autoformation ou dans le cadre de sessions proposées par le CNED ou les académies, présente une ampleur et des contenus très variables comme on l’a vu.

2 . La période séparant l’admission et la rentrée suivante marque le début du stage en responsabilité. C’est un moment crucial qui doit permettre à l’enseignant, au CPE… de changer de posture et de positionnement, tout en le préparant à la prise de poste et à l’ensemble des responsabilités et tâches qu’il aura en charge dès la rentrée de septembre (ne serait-ce que la préparation des emplois du temps). Mais ces deux mois sont bien courts pour affronter la complexité de cette métamorphose identitaire et être opérationnel dès la rentrée suivante.

3. Le stage en responsabilité, ponctué de formations à l’ESENESR et en académie, porte sur la posture et l’éthique du métier, la gestion des ressources humaines, le pilotage pédagogique et éducatif, le travail avec les partenaires (collectivités, associations…) et des analyses de situations professionnelles. Deux points sont à souligner. D’une part, les établissements concernés ne recevant aucun moyen supplémentaire, un départ en formation entraîne l’obligation pour l’adjoint de faire à un moment ou à un autre le travail qui est attendu de lui dans l’établissement, avec toutes les tensions que cela peut représenter. D’autre part, les sessions intercatégorielles sont rares. Pour seul exemple, la première d’importance organisée à l’ESENESR (trois jours) avec les corps d’inspection a eu lieu en novembre 2014. Or le « pilotage partagé » avec les inspecteurs est désormais inscrit dans les discours, et les instances co-pilotées sont de plus en plus nombreuses : comités de pilotage des réseaux d’éducation prioritaire (REP), conseils écoles collège, conseils de cycle 3. Il faudrait donc à court terme avancer en matière de formation commune avec les corps d’inspection (objets de travail, contenus de formation…) Mais l’essentiel du processus formateur s’opère en fait sur le terrain, dans l’exercice du métier d’adjoint avec le double encadrement du chef d’établissement d’accueil et d’un tuteur (un autre personnel de direction). C’est ainsi que l’année de stage, pour le meilleur comme pour le pire, s’avère très modélisante.

4. La formation continue dans les deux années qui suivent la titularisation rencontre, là encore, les difficultés occasionnées par les responsabilités exercées en établissement.

3.3 – Propositions

Affecter les adjoints stagiaires sur des postes en surnombre

Cette disposition est évidemment coûteuse (environ 600 postes) mais elle est indispensable si l’on veut que l’adjoint ait du temps pour se former et que le chef d’établissement d’accueil ne voit plus son arrivée comme une difficulté mais comme une chance, et que cela lui donne le temps et l’envie de s’impliquer dans sa formation.

Remplacer les tuteurs par des équipes tutorales

Afin de casser l’effet excessivement modélisant du référent unique, on pourrait mettre en place au niveau des départements, des équipes tutorales offrant aux stagiaires une palette de personnalités, de styles de management, de pratiques et d’éthiques professionnelles bien plus enrichissante en terme de formation.

Développer les formations au droit, au management et à la pratique du dialogue social

Les établissements constituant avant tout des communautés de travail, tout confirme la place importante qu’y ont prise le droit, la GRH et le management dans les missions et le temps de travail de leurs responsables. Entre les contraintes de la RGPP et la multiplication des statuts des personnels, et donc des situations à traiter, ces thématiques sont devenues des incontournables du métier. C’est pourquoi il faudrait développer les formations à l’usage du droit de la vie scolaire, aux compétences managériales et à l’organisation du dialogue social dans l’établissement, car elles constituent un passage obligé et quasi quotidien du pilotage d’un établissement et de la conduite du changement.

Développer la formation pédagogique et éducative

La question de la formation pédagogique et éducative des personnels de direction et de leurs compétences en la matière est primordiale à l’heure de la mise en œuvre de la loi sur la refondation de l’école de la République : travail sur l’évaluation, le redoublement, la prévention du décrochage, la transmission des valeurs, la mise en place des enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI) au collège… A l’heure où le changement est d’ordre pédagogique et éducatif, la formation que les personnels de direction doivent recevoir en la matière, qu’ils viennent ou non des corps d’enseignement du second degré (où la formation reste profondément disciplinaire), ne semble pas à la hauteur des enjeux.

Développer les formations continues d’adaptation à l’emploi

S’ajoute à cela la question de la formation continue, en particulier des formations d’adaptation à l’emploi lors d’un changement de poste : le système de mutation promotion, d’adjoint vers des postes de chef d’établissement puis vers des postes de plus en plus complexes nécessiterait davantage de formations d’accompagnement spécifiques.

4 – Le recrutement et la formation des directeurs d’école

Représentant 14 % de la profession, les directeurs sont des enseignants partiellement ou totalement déchargés de leur service devant des élèves. Leur fonction est de coordination administrative et pédagogique, ainsi que de représentation extérieure, sans autorité hiérarchique sur les maîtres et les autres personnels de l’école.

4.1 – Un recrutement difficile vers un métier peu attractif

L’emploi de directeur d’école est accessible aux enseignants du premier degré après inscription sur une liste d’aptitude départementale. Malgré les revalorisations récentes (amélioration du régime des décharges de service et des rémunérations), la fonction de directeur d’école, de par l’importance de ses responsabilités et sa charge de travail, reste peu attractive [41] , ce qui a conduit à l’abrogation de la condition d’ancienneté de trois ans d’exercice prévue initialement [42] . Aujourd’hui, de nombreux postes sont occupés par intérim, même si la tendance tend à s’atténuer. Les mesures actées lors des chantiers ouverts par le ministère sur l’évolution des métiers (clos en novembre 2014), si elles sont de nature à accroître l’attractivité, seront vraisemblablement insuffisantes pour répondre aux difficultés de recrutement rencontrées. Une incidence majeure de cette situation est la faible sélectivité dans l’accès à la fonction. La création d’un corps des directeurs d’école reste un sujet peu consensuel : réclamée par certaines associations [43] , elle fait l’objet d’une opposition marquée des grandes organisations syndicales qui refusent en particulier la présence dans l’école d’une autorité hiérarchique [44] . Compte tenu des contraintes budgétaires et de l’orientation de réduction du nombre de corps dans la fonction publique d’Etat, tout concourt à éviter le débat depuis l’échec du projet de statut des maîtres-directeurs du ministre René Monory en 1987.

4.2 – Une formation redéfinie

Le principe d’une formation initiale des directeurs a été défini par décret : «  Tout directeur d’école nouvellement nommé doit suivre une formation préalable à sa prise de fonction  » [45] . Un arrêté précise qu’elle dure cinq semaines, trois préalables à la prise de fonction et deux au cours de la première année d’exercice [46] . Enfin, une note de service définit le champ de la formation et précise indirectement les missions de ces personnels [47] . Pour autant, dans les faits, si une grande majorité de départements se conforment à ces obligations, la réduction des emplois de personnels assurant les remplacements pendant les formations en conduit d’autres à ne pas les respecter totalement. Quant aux enseignants ayant accepté un intérim de direction sur un poste resté vacant à l’issue des mutations, ils sont massivement privés de formation initiale.

A la rentrée de 2015, une rénovation de la formation des directeurs doit se mettre en place [48] . Elle se caractérise par une augmentation de trois jours de la formation initiale et la mise en place d’une formation continue complémentaire en vue d’actualiser et d’approfondir la formation initiale. Cette rénovation s’inscrit dans une conception plus ouverte de la construction des compétences professionnelles, tenant mieux compte de l’environnement institutionnel. Des modalités nouvelles sont introduites (stage auprès d’une commune ou d’une intercommunalité, tutorat, échanges de pratiques, adaptation au contexte local), mais sa mise en œuvre concrète est tributaire des moyens mobilisables (compétences des formateurs, prises en charge des frais de déplacements, remplacements des personnels).

4.3 – Propositions

Concevoir la formation des directeurs comme une construction de compétences professionnelles nouvelles et spécifiques , et non plus comme un simple moyen de diffuser les prescriptions institutionnelles et les textes réglementaires.

Le récent référentiel de métier de directeur d’école [49] a mis en évidence qu’il n’est pas seulement le primus inter pares mais qu’il exerce un métier à part entière, comportant des missions et donc des compétences spécifiques. La formation professionnelle doit être dédiée à leur construction. La connaissance du cadre juridique et institutionnel, certes indispensable, ne constitue pas le cœur du métier. La prise de décision, la qualité des relations avec les parents d’élèves et les partenaires, la gestion des tensions dans l’équipe enseignante sont autant de domaines dans lesquels des savoir-faire doivent s’élaborer au cours de la formation.

Développer des formations pluricatégorielles, locales et nationales , rassemblant des inspecteurs de circonscription, des chefs d’établissement du second degré, des directeurs d’école et des conseillers pédagogiques.

Le système éducatif tel qu’il fonctionne aujourd’hui met en permanence en relation de multiples acteurs dont les cadres de fonctionnement et les missions sont de nature très variée. Pour autant, la faible efficacité du système dans sa globalité tend à interroger la cohérence de l’ensemble et ses effets pervers sur la réussite des élèves. Si les différents personnels assurant des fonctions d’encadrement partageaient leurs compétences professionnelles et confrontaient, lors de formations communes, leurs contraintes et leurs marges de manœuvre, cela permettrait sûrement de gagner en cohérence dans l’exercice des missions de chacun comme dans l’efficience du tout.

Elargir la compétence du conseil des maîtres à l’élaboration du projet de formation des personnels et inclure cette dimension dans le projet d’école.

S’il appartient au directeur d’école de «  faire émerger des besoins de formation professionnelle au sein de l’équipe pédagogique  » comme le prévoit le référentiel de métier, qu’en est-il dans la pratique ? La nécessité d’une mise en cohérence des pratiques pédagogiques au sein d’une même école et d’une adaptation au contexte a été bien soulignée lors de la concertation préparatoire à la loi Peillon. Il faut pour cela qu’une partie de leur formation continue soit commune aux maîtres d’une même école, pensée collectivement et formalisée dans le projet d’école.

Instituer un conseil de directeurs émettant un avis sur le projet de formation de la circonscription.

Depuis longtemps, dans beaucoup de départements, les inspecteurs ont pris l’habitude de réunir, selon des modalités diverses, les directeurs d’école. La fréquence et la pérennité de ces réunions informelles attestent de leur utilité. Cette instance pourrait devenir à la fois le lieu régulier d’échanges de pratiques professionnelles entre personnels souvent confrontés dans leur mission à la solitude, et une institution dotée de compétences spécifiques (avis sur le projet de circonscription, avis sur le projet de formation de la circonscription). En matière de formation, la confrontation des constats établis par les inspecteurs, les conseillers pédagogiques et les directeurs aux demandes formulées par les enseignants permettrait de vérifier l’adéquation des besoins institutionnels aux attentes des enseignants [50] .

5 – Le recrutement et la formation des personnels d’inspection

A nombre de quelques milliers, les inspecteurs à vocation pédagogique sont tous désormais placés sous l’autorité du recteur qui, outre leurs tâches statutaires, peut leur confier les missions les plus diverses [51] . L’existence de deux corps, ceux des inspecteurs d’académie (IA) et des inspecteurs de l’éducation nationale (IEN) – et partant de deux concours – mérite d’être questionnée. Alors que tous les enseignants disposent des mêmes niveaux de rémunération et des mêmes carrières depuis la revalorisation de 1989–90, les corps qui les inspectent sont toujours clivés par la même vieille hiérarchie entre le Secondaire général et technologique d’une part (les IA-IPR), et les enseignements primaire et professionnel et l’orientation de l’autre (les IEN).

5.1 – Un recrutement toujours consanguin

Les deux concours ont été rénovés en 2011 et sont organisés selon les mêmes modalités : une admissibilité sur la base d’un dossier de reconnaissance des acquis de l’expérience professionnelle (RAEP), une admission après un entretien avec le jury [52] .

Ces deux épreuves et la manière dont elles sont mises en œuvre suscitent toujours beaucoup de critiques. Le dossier RAEP comme l’entretien prêtent en effet le flanc à de multiples et anciens soupçons d’arbitraire, de cooptation, de clientélisme, de manque de transparence voire d’entorse à la neutralité politique [53] . Le dossier professionnel de l’admissibilité est peu structurant professionnellement, l’absence de critères d’évaluation affichés favorise implicitement la continuité entre les fonctions et la subjectivité des évaluateurs, malgré la double notation. L’entretien d’admission, sans aucun support, valorise lui aussi une carrière enseignante vue au travers des deux derniers rapports d’inspection communiqués au jury. La composition du jury et l’absence de tout recrutement externe contribuent également à ce qu’au final le recrutement des corps d’inspection apparaisse toujours parfaitement consanguin. Tout est fait pour valoriser la continuité entre les métiers ; si bien que la véritable rupture institutionnelle et professionnelle que constitue de fait le passage de la position « devant les élèves » à celle de « représentant du recteur », est largement déniée ou refoulée. Tout porte à voir dans l’inspecteur un « super agrégé » de sa discipline, porteur non seulement des connaissances, mais aussi des valeurs et des pratiques professionnelles de cette élite très particulière de la profession.

Comment s’étonner alors, qu’au moment des réformes et des expérimentations, les corps d’inspection apparaissent souvent dans une grande empathie sinon une forme de connivence avec les résistances au changement d’un corps enseignant qu’ils sont pourtant censés accompagner pour le faire évoluer ?

5.2 – Une formation encore endogame

La formation statutaire des corps d’inspection a été rénovée en 2010 [54] . Elle se déroule sur une année, en alternance et comporte 70 journées de formation dont trois regroupements nationaux d’une semaine à l’ESENESR, deux regroupements académiques d’une semaine et deux stages extérieurs. Malgré les efforts déployés depuis 2013 par l’Ecole supérieure pour diversifier les intervenants, force est de constater que sur les deux rives de l’alternance – tuteurs et formateurs – la formation statutaire des inspecteurs reste encore souvent prise en charge par des pairs. Après la consanguinité du recrutement, l’endogamie de la formation participe ainsi – à son niveau, qui n’est pas subalterne si l’on y réfléchit – à la reproduction des élites par le système scolaire français.

5–3 Propositions

Aligner les épreuves des concours d’inspecteur sur celles des concours de personnels de direction

On discerne mal pourquoi les corps d’inspection ne pourraient bénéficier d’un concours réellement professionnalisant comme celui dont disposent les personnels de direction, dont on a vu plus haut l’effet structurant des épreuves, avec la mise en place de véritables formations préparatoires en dehors de toute instruction officielle. Les deux épreuves des concours de personnel de direction pourraient très aisément être adaptées aux concours d’inspecteur, avec un gain notable sur la transparence et l’objectivité du recrutement.

Ouvrir les jurys et les formations à des profils plus diversifiés

Le fait d’articuler la formation statutaire avec un cursus universitaire en lien direct avec les enjeux et les missions liés à l’exercice du nouveau métier provoquerait sûrement un infléchissement positif. Pour simple exemple, ouvrir ces formations aux choix éducatifs faits dans d’autres pays en les étayant des divers points de vue issus des sciences humaines et sociales, offrirait sans doute à nos cadres pédagogiques des perspectives plus riches d’analyse et de positionnement.

  1. Les CEG issus de l’enseignement primaire supérieur et les CES issus de l’enseignement secondaire

  2. La période 1940–2010 a fait l’objet d’une étude particulièrement fouillée sous la direction d’Antoine Prost : La formation des maîtres , Presses universitaires de Rennes, 2014

  3. J-P. Obin, « Mastérisation : quelles évolutions pour le corps enseignant et pour l’école ? » Les Cahiers français 368, 2012

  4. Le master des métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (MEEF) comporte 4 mentions : MEEF1 pour les professeurs des écoles, MEEF2 pour les professeurs du second degré, MEEF3 pour les conseillers principaux d’éducation (CPE) et MEEF4 pour les autres métiers ; mais, paradoxe, ce master spécifique n’est exigé ni pour présenter les concours, ni pour être titularisé

  5. A. Prost, L’enseignement s’est-il démocratisé ? , PUF, 1986

  6. Ce sont l’Italie, l’Espagne, la Hongrie et Chypre : Eurydice « Etude comparative sur la formation initiale et la transition vers la vie professionnelle des enseignants », 2012

  7. L’Estonie, la France et le Luxembourg définissent au niveau national les contenus et la durée des différents enseignements, les Pays-Bas et le Royaume-Uni les compétences à acquérir par les jeunes enseignants

  8. Les pays mettant l’accent le plus important sur la formation professionnelle sont pour le Primaire : la Finlande, la Hongrie, l’Irlande, la Slovénie et Malte ; pour le Secondaire s’ajoutent à ce dernier pays : l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique francophone, le Royaume-Uni, l’Italie et le Luxembourg.

  9. Henri Peyronie, « Les problématiques sociologiques de la formation des enseignants et leur socialisation identitaire : quelles comparaisons internationales », Les Sciences de l’éducation – Pour une ère nouvelle , vol 44, N°3, 2011.

  10. Comptabilisée ici comme l’ensemble des études et formations postsecondaires précédant l’entrée en fonction

  11. Eurydice/Eurostat « Key data on Education in Europe 2012 »

  12. Commission européenne (DGEC) « Mise en place de programmes d’initiation cohérents et systémiques », 2010

  13. Conclusions du Conseil du 12 mai 2009 concernant un cadre stratégique pour la coopération européenne dans le domaine de l’éducation et de la formation (« Éducation et formation 2020 »)

  14. Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen « Améliorer la qualité des études et de la formation des enseignants », 2007, 392 final , Bruxelles

  15. Danièle Perisset-Bagnoud, « Quelle professionnalisation pour les nouveaux instituts de formation à l’enseignement en Suisse ? Enjeux et ambiguïtés » - Spirale 46 (2010)

  16. Uluorta et Quill, « In Pursuit of the Knowledge Worker. Educating for World Risk Society », International Studies in Sociology of Education , 2009

  17. Arrêté du 13 avril 2013

  18. idem

  19. Lettre du 27 janvier de Najat Vallaud-Belkacem aux présidents de jury

  20. Rapport du jury du CAPES d’Histoire-Géographie 2014, p. 15

  21. Entre 2001 et 2011 le taux de non titularisés définitifs a été 10 fois moins élevé pour le second degré que pour le premier

  22. J-B. Magner « L’an I des ÉSPÉ : un chantier structurel », rapport sénatorial du 4 juin 2014

  23. «  La mise en place des Écoles supérieures du professorat et de l’éducation  » rapport de l’IGEN et de l’IGAENR, 09/2014

  24. Certains universitaires refusent d’ailleurs d’y participer, arguant de l’absence de responsabilité des universités sur ces fonctionnaires stagiaires déjà diplômés

  25. Les COMUE sont de nouvelles structures en plein développement regroupant plusieurs universités et grandes écoles et dotées elles-mêmes du statut d’EPSCP

  26. Arrêté du 27 août 2014 ; note du MENESR du 30 avril 2015

  27. Une autre option serait de translater d’une année ce dispositif : écrit en fin de licence, oral en fin de M1 avec deux années de formation en ÉSPÉ ; l’avantage serait sans doute une meilleure unité de la formation, dans la mesure où les épreuves orales seraient elles-mêmes plus professionnelles ; l’inconvénient serait de déléguer la préparation de l’écrit à des licences non professionnelles situées en dehors des ÉSPÉ

  28. Soit l’équivalent temps plein du service des quelque 20 000 stagiaires à mi-temps dans les écoles et établissements

  29. Décret 2009–590 du 24–4–1990

  30. Décret 85–906 du 23–8–1985

  31. Le Groupe reconstruire la formation des enseignants (GRFDE) dénonce dans un texte du 11 mai 2015 le « dépeçage » en cours des ÉSPÉ par certaines universités intégratrices : http://grfde.eklablog.com/

  32. Ou plus ; car Alain Savary en avait fait sa priorité dès 1981 et n’eut pas le temps de mettre en place les IUFM ; il faudra attendre 1989 pour que le dossier de la formation initiale soit rouvert par Lionel Jospin

  33. Rapport n°2013–009 de l’IGEN, février 2013

  34. Le référé de la Cour des Comptes 71653 du 30–1–2015 donne des indications partielles en légère progression pour 2013–14

  35. Référé 71653 de la Cour des Comptes

  36. idem

  37. Ainsi, le CNAM délivre aujourd’hui plus de la moitié de ses cours à distance

  38. La lecture de la note du 30 avril 2015 sur la mise en place du tronc commun dans les ÉSPÉ, signée par les 3 directrices générales du ministère, nous porte à souscrire à l’excellente proposition de Laurent Joffrin dans son éditorial de Libération du 12 mai 2015 « d’embaucher une équipe de traducteurs pour mettre en français les écrits du ministère » ; à titre d’exemple de cette prose absconse, cette phrase à propos des ressources documentaires : « Ces ressources sont variées, tant en termes de maturité pour une mise ne œuvre dans les formations qu’en termes de granulométrie… » ; comprenne qui pourra !

  39. Pendant les vacances d’été 2015, alors que ce texte était achevé, sont parus 3 décrets et 4 arrêtés précisant les missions, les modalités de recrutement et les obligations de service des maîtres formateurs et conseillers pédagogiques du prmier degré ainsi que des formateurs académiques du second degré : décrets 2015–883, 884 et 885 du 20 juillet 2015 et arrêtés ministériels des 20 et 28 juillet 2015

  40. Rapport des jurys de 2014

  41. Exception faite du département de Paris ou le régime de décharge, l’accès ou logement de fonctions, les indemnités péri-éducatives rendent la fonction plus attrayante

  42. Décret 89–122 du 24 février 1989 relatif aux directeurs d’école

  43. Le Groupement de défense des idées des directeurs d’écoles (GDID) créé en 2000 est une association dont la vocation première est la création d’un statut spécifique des directeurs d’école

  44. Le Sgen-Cfdt et le Se-Unsa sont néanmoins favorables à une expérimentation d’établissements publics dans le premier degré avec un directeur mieux reconnu sur emploi fonctionnel

  45. Décret du 24 février 1989

  46. Arrêté du 4 mars 1997

  47. Note de service n° 97–069 du 17–3–1997

  48. Arrêté du 28 novembre 2014 complété par la circulaire n° 2014–164 du 1–12–2014

  49. Circulaire 2014–164 du 1–12–2014

  50. La circulaire de rentrée 2015–085 du 3–6–2015 semble aller dans ce sens

  51. Circulaire 2009–64 du 19–5–2009

  52. Arrêté du 22–6–2010

  53. Ainsi l’une des premières mesures d’un ministre nouvellement nommé a-t-elle été de remercier les deux présidents de jury en exercice et de nommer à leur place des inspecteurs généraux réputés politiquement proches

  54. Circulaire 2009–053 du 7–4–2009

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