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Étude

L’Ecole face au défi des compétences et de la compétitivité

130 000 jeunes – un sur six – sortent aujourd’hui de l’Ecole sans diplôme. Seulement un quart des jeunes atteignent ou dépassent le niveau de la licence. Face aux défis posés par le développement de la base productive et de la compétitivité de notre pays, le service public de l’éducation, avec l’appui des entreprises et des collectivités territoriales, doit pouvoir réduire la proportion de jeunes sortant du système éducatif sans diplôme, et élever le niveau national d’éducation et de formation.
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Notre compétitivité aurait à gagner de meilleures performances de notre système éducatif. Elle souffre en effet des sorties massives sans diplôme. On sait que 130 000 jeunes – un sur six – sortent de l’Ecole sans diplôme. Il leur est difficile tout à la fois de trouver un emploi et de le garder. On ne peut s’y résigner et se satisfaire de mesures palliatives. On n’a pas encore tout essayé. Nous croyons que l’Ecole est capable de se transformer, afin que les 130 000 « décrocheurs » – ces jeunes le plus souvent simplement différents du « format standard » – soient considérés non comme des « décrocheurs » mais comme des « décrochés », soulignant ainsi, par ce dernier terme, la part importante de responsabilité qui est celle du système éducatif dans leur décrochage. D’autre part, un taux nettement trop élevé de sortie au niveau du Certificat d’Aptitude Professionnelle (CAP) – qu’encourage un développement irrationnel de l’apprentissage – est la marque du système de formation professionnelle initiale, alors que les titulaires d’un CAP trouvent de plus en plus difficilement des emplois. Peu de titulaires d’un CAP poursuivent des études jusqu’au niveau du baccalauréat professionnel, ce qui a pour conséquence un flux insuffisant de bacheliers professionnels, alors que ce niveau de diplôme constitue dans de nombreuses branches professionnelles le niveau de référence pour l’accès à un emploi d’ouvrier ou d’employé qualifié.

Notre pays souffre aussi du fait que le quart seulement de ses jeunes atteignent ou dépassent le niveau de la licence, alors que nombre de nos concurrents approchent du double. On ne soulignera jamais suffisamment non plus que la dualité de notre système, avec d’un côté des « grandes » écoles – où le plus souvent les activités de recherche sont réduites – et de l’autre les universités – qui peinent à recruter les étudiants les plus brillants – porte atteinte à notre développement économique. Il est en effet, largement à l’origine du trop faible investissement dans la recherche des entreprises, lié notamment à l’insuffisance de la culture « recherche » de leurs dirigeants, avec la médiocre production nationale de brevets qui en résulte et plus encore avec les retards accumulés dans la prise en compte de secteurs émergents comme les biotechnologies ou les sciences et technologies de l’information. Il nous faut rebondir. L’élite française doit aussi accepter de se réformer.

Deux objectifs ont été clairement identifiés au cours de la campagne présidentielle par le candidat désormais Président : réduire rapidement, en la divisant par deux en cinq ans la proportion de jeunes sortant du système éducatif sans diplôme, et multiplier par deux, sur une plus longue période – 15 ans – la proportion de ceux qui atteignent ou dépassent le niveau de la licence, afin de recoller au peloton des pays qui, prenant appui sur des « performances éducatives » plus favorables, possèdent de ce fait un avantage compétitif marqué.

Cette première marche vers le « zéro défaut », où aucun jeune ne sortirait de l’École sans diplôme, associée à cette ambition d’élever le niveau national d’éducation et de formation, ne résulte pas seulement de considérations liées à l’économie et à l’emploi. Elle rejoint d’autres aspects de notre vie collective. De la même façon que dans l’industrie, on ne peut plus que rarement séparer le « hardware » – la fabrication des produits – du « software » – les services qui leur sont attachés -, ces derniers étant désormais à la fois des arguments de vente mais aussi souvent la principale source de revenus, de même le « hardware » territorial qui inclut le logement, l’urbanisme, le transport, les équipements collectifs ne peut plus être traité indépendamment du « software » où se situent l’éducation, la formation, la santé, le sport, la culture, la sécurité. Le « mikado » des compétences territoriales rend difficile cette approche globale. L’acte III de la décentralisation permettra-t-il de progresser ?

L’éducation et la formation : des leviers pour sortir de la crise ?

C’est la conviction affichée au niveau européen à Lisbonne dès mars 2000, puis déclinée à Barcelone en mars 2002 par les chefs d’État et de gouvernement européens, qui l’ont traduite sous la forme d’objectifs concrets à atteindre à l’an 2010. Cette approche a été également reprise, en 2005, dans le cadre de la loi d’orientation sur l’avenir de l’Ecole, avec trois objectifs à l’échéance 2015 : garantir que 100 % des élèves aient acquis un diplôme ou une qualification reconnue au terme de leur formation scolaire, s’assurer que 80 % d’une classe d’âge accède au niveau du baccalauréat, et conduire 50 % d’une classe d’âge à un diplôme de l’enseignement supérieur. Au cours des quinze dernières années, en dépit de ces objectifs aussi clairement désignés, les « performances » du système éducatif national n’ont pas connu d’améliorations notables. Il en est de même au niveau européen où les valeurs-cibles retenues en 2002 pour l’an 2010 n’ont pas, et de loin, été atteintes. Fort de la conviction que ce retard était dommageable, le Conseil européen a renouvelé en mai 2009 ses recommandations, sous la forme d’un « cadre stratégique pour la coopération européenne dans le domaine de l’éducation et de la formation », intitulé « Éducation et Formation 2020 ».

Le doute persiste cependant dans notre pays quant à la pertinence et à la nécessité de cette montée en puissance du niveau de qualification. Il est vrai par exemple que le baccalauréat n’a pas la même « valeur marchande » dès lors qu’il est acquis par 70 % des jeunes et non plus par quelques pour cent d’entre eux seulement, comme il y a quelques décennies. Les études économétriques [3] établissent pourtant que les investissements tant individuels que collectifs liés à l’éducation et à la formation se caractérisent par un haut taux de retour, tout autant pour les personnes qui en bénéficient directement que pour la collectivité, compte tenu des conséquences économiques et sociales qui en résultent. Les dernières données, relatives au taux d’emploi relevés au cours de l’année 2009 et publiées dans « Regards sur l’Education » de l’année 2011, établissent qu’en moyenne, pour l’OCDE, le taux d’emploi des 25–64 ans est de 80 % pour les titulaires d’un diplôme de l’enseignement supérieur, à comparer à 55 % pour la population non diplômée, avec un taux intermédiaire pour les diplômés de l’enseignement secondaire. Le diplôme favorise l’accès à l’emploi. Mais plus encore, le taux d’emploi des plus diplômés varie en moyenne, de pays en pays, dans le même sens que celui des non diplômés. En quelque sorte, les diplômés ne « volent » pas l’emploi des non-diplômés, tout au contraire.

Il ne suffit cependant pas d’afficher des objectifs pour les atteindre. Il peut y avoir un « commissariat au plan », un « commissariat à la compétitivité », des « conseils économiques, sociaux et environnementaux », des « conseils européens » et même des « lois de programmation » qui proposent des objectifs, sans que rien ne se passe pour autant, s’il n’y a pas de pilotes avec des moyens concentrés sur les objectifs à atteindre, avec des instruments de bord pour les attribuer et les mettre en œuvre là où ils sont nécessaires.

Á terme, même si le CAP doit demeurer là où il existe encore de l’emploi à ce niveau, le baccalauréat professionnel prend une nouvelle dimension et s’installe comme le principal diplôme professionnel d’insertion. La création du baccalauréat professionnel a constitué la réforme la plus marquante qu’a connue l’enseignement scolaire au cours des trois dernières décennies. La première promotion est sortie en juillet 1987, et en 2012, vingt cinq années plus tard, le cap des 2 000 000 de diplômés est franchi. Il s’agissait, au milieu des années 1980, d’élever à un rythme plus rapide qu’au cours des précédentes décennies le niveau de formation des Français, afin de contribuer au développement économique, social et culturel de notre pays, dans un environnement qui était déjà celui de la mondialisation. Une étape est alors avancée [4]  : conduire, à l’an 2000, 80 % des jeunes jusqu’au niveau du baccalauréat, tout en réduisant énergiquement la proportion des « sortants » sans qualification de l’École. Il ne s’agissait pas là d’un slogan, mais bien du résultat d’études portant sur les perspectives de l’emploi réalisées alors par le Bureau d’information et de prospective économique (BIPE). Pour atteindre ces objectifs, à l’époque, il était notamment proposé la substitution progressive de ce baccalauréat professionnel au certificat d’aptitude professionnelle (CAP). Il s’agissait parallèlement de changer le rythme de développement des enseignements supérieurs en doublant aussi, à la même échéance, le nombre des diplômés de l’enseignement supérieur. Si le second objectif a été atteint, le premier n’a été qu’approché. Même si l’économie nationale n’a pas connu, au cours des deux dernières décennies, le développement souhaité, il n’en demeure pas moins qu’en l’absence du baccalauréat professionnel, sans ses deux millions de bacheliers, et sans que le nombre d’ingénieurs ait doublé, notre pays aurait connu de plus sérieuses difficultés.

Les lycéens préparant le baccalauréat professionnel sont des lycéens comme les autres. Ils n’ont pas à être formés à l’écart. Il serait juste – c’est notre première proposition – que les lycéens professionnels étudient dans des institutions ayant simplement le nom de lycée, sans que soient construits en des lieux séparés ou désignés de façon distincte des « lycées professionnels », pour la préparation au baccalauréat professionnel, et des lycées d’enseignement général et technologique, où l’on préparerait seulement aux baccalauréats généraux ou technologiques. Plus généralement, il s’agit là d’un enjeu de société : le lycée unique est le lieu où s’acquièrent des connaissances et compétences spécifiques dans les domaines général, technologique et professionnel, mais aussi le lieu où doivent se forger des références communes nécessaires à l’exercice de la citoyenneté. Ce qui implique non seulement des lieux, mais aussi des temps communs à tous les lycéens. Tous auraient aussi à gagner par exemple à l’organisation de travaux personnels encadrés, formés d’équipes mixtes de lycéens, à partager plus souvent les bibliothèques, à se retrouver plus systématiquement pour les enseignements physiques et sportifs.

Mais il faut aller plus loin : à titre d’exemple, les lycéens – ou les apprentis – préparant le baccalauréat professionnel ne méritent pas d’être privés d’enseignements comme ceux de philosophie, dont l’expérience a montré à quel point ils pouvaient leur redonner confiance en eux-mêmes, en leur capacité à raisonner et à exprimer une opinion [5] , [6] . Et s’il est bien un « public » pour lequel devrait être réintroduit le concept de classes à projet culturel (PAC) mis à mal au cours des dix dernières années, c’est aussi celui-là. Ces projets pourraient utilement associer des lycéens professionnels et des lycéens de l’enseignement général et technologique. Ces approfondissements culturels constituent le cœur de notre deuxième proposition.

En 2012, près de 190 000 diplômes de bacheliers professionnels ont été délivrés. Il s’agit là d’un nombre particulièrement élevé, car résultant d’une réforme, progressivement mise en application depuis 2008, qui a conduit à réduire de 4 à 3 années la durée de sa préparation, de sorte que, pendant un temps, deux « générations » à la fois ont été en âge de le passer. Ce flux devrait ainsi se réduire à 140 000 lors des prochaines années. Conduire chaque année, d’ici moins de dix ans, un quart de la génération, soit environ 200 000 jeunes, au baccalauréat professionnel constitue notre troisième proposition .

Comment y parvenir ? D’abord en développant les pratiques et les parcours permettant aux titulaires d’un CAP de poursuivre avec de bonnes chances de réussite le chemin qui les conduira, plus lentement mais plus surement que par un accès direct, jusqu’au baccalauréat professionnel. Il faut se donner les moyens pédagogiques de cette ambition : méthodes pédagogiques, soutien scolaire et peut être soutien financier. Et en parallèle, en améliorant la réussite des candidats au baccalauréat professionnel, là encore avec des méthodes pédagogiques performantes et plus individualisées, du soutien, etc. C’est ainsi que le seuil de 200 000 bacheliers professionnels pourra être atteint. Il ne s’agit pas ici d’une « fuite en avant », mais d’une nécessité qui repose sur un constat : le niveau des compétences requises s’est élevé, de sorte que l’accès à l’emploi est désormais difficile, y compris à l’issue d’une formation en apprentissage, pour de nombreuses spécialités du CAP pour lesquelles le baccalauréat professionnel devient de fait le premier niveau de recrutement. Il ne s’agit en aucune façon de porter atteinte au développement des baccalauréats généraux et technologique, en captant en fin de troisième des élèves qui aujourd’hui s’engagent dans leur préparation, mais bien d’assurer une cohérence d’ensemble. L’objectif consiste en effet à simultanément réduire par deux la proportion de jeunes sortant sans diplôme, avec ainsi un objectif de 60 000 jeunes supplémentaires conduits à un CAP, tout en conduisant 60 000 jeunes parmi les 120 000 aujourd’hui terminant leurs études après un CAP réussi jusqu’à un baccalauréat professionnel, maintenant pour un temps un flux annuel d’environ 120 000 CAP par an. Former 200 000 bacheliers professionnels par an, ou encore conduire au baccalauréat professionnel environ le quart des jeunes d’une même génération, constitue un objectif réaliste et concret.

Dans le même temps, pour ne pas bloquer à ce niveau d’insertion la totalité de ce quart d’une classe d’âge, il conviendra, tout en ayant le souci de faire réussir tous les bacheliers professionnels, de favoriser aussi leur insertion dans les enseignements supérieurs, et plus particulièrement en sections de techniciens supérieurs. De fait, les formations conduisant au baccalauréat professionnel ne peuvent être conçues comme des « culs de sac », sous peine d’être perçues comme des voies de garage. Le baccalauréat professionnel est bien un baccalauréat, et non un simple brevet professionnel. Aujourd’hui de nombreux bacheliers professionnels souhaitent, une fois leur baccalauréat obtenu, poursuivre des études supérieures, mais la majorité d’entre eux y échouent [7] . Le taux de poursuite d’études des bacheliers professionnels a doublé en dix ans, passant de 9,7 % en 2000 à 18,8 % en 2010, et il s’est accéléré depuis, avec l’introduction du baccalauréat professionnel en 3 ans, approchant désormais le seuil de 25 %. Les sections de techniciens supérieurs (STS) accueillent la majorité d’entre eux, en sélectionnant parmi les candidats ceux qui apparaissent comme les plus aptes à obtenir ce diplôme. Les bacheliers professionnels représentent 21,5 % du recrutement pour les STS du secteur de la production et 14,1 % pour celui des services. En dépit du caractère très sélectif de leur recrutement, la moitié seulement des bacheliers professionnels en sort diplômée. Cette volonté de poursuivre des études au-delà du baccalauréat professionnel se justifie notamment par le fait qu’existent désormais des métiers pour lesquels le baccalauréat professionnel est insuffisant, de sorte que le BTS devient le premier niveau d’embauche. Il faut en prendre acte. On doit en conséquence, ou fermer ces formations « professionnelles » en leur substituant des filières technologiques préparant mieux aux études supérieures, ou faciliter les parcours des bacheliers professionnels par une entrée en biseau dans les sections de techniciens supérieurs pour faciliter leur réussite. Il s’agit sans doute là de la voie la plus raisonnable pour atteindre ce qui fait l’objet de notre quatrième proposition : mettre en place des pratiques d’accueil des bacheliers professionnels en sections de techniciens supérieurs, sous la forme d’une intégration progressive avec l’objectif – qui peut être atteint – de conduire un bachelier professionnel sur quatre à un diplôme de technicien supérieur d’ici la fin du quinquennat. La clé d’un élargissement de l’accession des bacheliers professionnels passe par la diversification de leur entrée dans l’enseignement supérieur. Le « plan licence » établi par Valérie Pécresse en 2007 a été par trop limité dans le changement des pratiques pédagogiques. Ainsi, les modalités de « remédiation » – dispositif de 5 heures d’accompagnement des étudiants, laissé à la définition concrète des universités, suivi par tutorat des élèves en difficulté – s’adressent en réalité aux bacheliers généraux les plus à même de tirer profit de cet accompagnement. Et plus encore, ce « plan licence » a échoué, y compris lorsqu’il a été appliqué aux bacheliers généraux.

Si les bacheliers généraux sont majoritairement issus des catégories socioprofessionnelles les plus favorisées, il n’en est pas de même pour les bacheliers professionnels, majoritairement issus des milieux les moins favorisés. Les bacheliers professionnels sont certes les ouvriers qualifiés du 21 e siècle. Mais la démocratie gagnerait à permettre à un nombre significatif d’entre eux d’accéder à des fonctions d’encadrement, en redonnant sens au concept « d’ascenseur social » [8] .

Pour aller au-delà de cet objectif qui consiste à conduire le quart des bacheliers professionnels jusqu’à un BTS, faut-il envisager une solution consistant à réduire de façon significative la part des formations de caractère strictement professionnel dans les cursus conduisant à ce baccalauréat professionnel au profit d’enseignements plus généraux, voire même introduire des classes professionnelles à large spectre, sans spécialité professionnelle véritable ? Le risque ne serait-il pas alors de rendre encore plus difficile l’accès des bacheliers professionnels à un emploi une fois le baccalauréat professionnel obtenu, c’est-à-dire à la proportion d’entre eux qui ne poursuivrait pas d’études ? Et n’accentuerait-on pas les difficultés induites par la réforme récente du baccalauréat professionnel, dont la préparation a été réduite de 4 à 3 années, avec tout à la fois un accès plus difficile à l’emploi, et des difficultés accrues dans les parcours qui suivent dans l’enseignement supérieur ? Il ne faut pas sacrifier la relation à l’emploi du baccalauréat professionnel – qui concerne la grande majorité de ses titulaires, puisqu’aujourd’hui environ 10 % seulement réussissent à obtenir un diplôme de niveau supérieur comme le BTS ou le DUT – à la nécessité d’en conduire un quart d’entre eux à ce niveau. La solution passe assurément par une transition préparée, dès la terminale pour ceux qui en ont la volonté, mais surtout par une entrée progressive et réellement accompagnée dans les formations supérieures. Il s’agit tout à la fois de mieux s’appuyer sur les acquis des bacheliers professionnels et de combler les lacunes qui, faute de l’être, ne leur permettraient pas de réussir en plus grande proportion.

Dès lors que la proportion de jeunes en grande difficulté scolaire à la sortie du collège sera sérieusement réduite, il sera temps de faire évoluer plus en profondeur l’enseignement professionnel et sa place dans le Lycée. C’est alors que la voie professionnelle pourra véritablement être une voie seulement choisie, et non plus majoritairement imposée. Une étape vers un nouveau Lycée qu’il serait contre-productif d’entreprendre trop tôt. Mais d’ici là, des aménagements sont possibles et nécessaires afin de rapprocher l’offre de formation de la demande des élèves et de leurs familles. Il s’agit aussi d’une autre façon d’aborder le décrochage scolaire, en évitant aux élèves de se retrouver, suite aux décisions prises de façon mécanique, dans une filière de formation dont ils ne perçoivent pas les attraits. La démarche actuelle, du type « top down » manque singulièrement d’humanisme, ne prenant pas suffisamment en compte les souhaits d’orientation des élèves, et les poussant souvent, contre leur gré, dans des filières dont l’existence même mériterait aussi d’être remise en question. Rapprocher l’offre et la demande, pour une orientation davantage choisie, tout en articulant mieux les demandes des jeunes et de leurs familles avec les besoins du développement économique sera notre cinquième proposition .

Après un faux départ, une vraie licence professionnelle, d’abord pour les bacheliers technologiques

Plus de 80 % des diplômés des IUT, mais aussi 50 % des diplômés issus des STS, poursuivent leur formation sous la forme d’une année complémentaire. Jusqu’à la réforme liée au processus de Bologne, cette formation complémentaire ne conduisait pas à un diplôme équivalent à la licence. Depuis la plupart des formations post-IUT ont été élevées au rang de licence professionnelle. Elles sont en conséquence plus attractives que sous leurs précédentes dénominations. La licence professionnelle est ainsi montée en puissance, de sorte qu’en 2010, 44 235 licences professionnelles ont été délivrées, essentiellement suite à un DUT, moins fréquemment après un BTS, et exceptionnellement au terme d’un chemin passant par les deux premières années (L1 et L2) de la licence générale.

La marge de progrès est considérable. Parmi les 50 698 étudiants inscrits au cours de l’année 2011–2012 en licence professionnelle, 24 665 étaient des bacheliers généraux, seulement 18 269 des bacheliers technologiques et 4173 des bacheliers des séries professionnelles. On peut comparer ces nombres respectivement à celui des bacheliers de l’année 2009, puisqu’il faut deux années complètes pour se retrouver en licence, à savoir 131 602 pour le baccalauréat technologique et 120 728 pour le baccalauréat professionnel. Seule une toute petite fraction – environ 15 % – des bacheliers technologiques accède aujourd’hui au niveau de la Licence. Quant aux bacheliers professionnels, 4 % d’entre eux ont une chance d’atteindre ce niveau. Il existe ainsi une considérable différenciation des destins entre filières du baccalauréat dans l’enseignement supérieur, puisque tout à la fois seuls les bacheliers généraux obtiennent une licence et que la moitié des licences professionnelles sont attribuées aussi à des bacheliers des séries générales. Ce n’est pas en soi une « bonne nouvelle » pour les bacheliers professionnels et technologiques.

L’Université française et ses diplômes

La France a adopté, en 2002, un système de certification à visibilité européenne qui distingue trois niveaux successifs de diplômes : la licence (L), le master (M) puis le doctorat (D). Même si la France en a été à l’origine – Claude Allègre en ayant été l’instigateur et le pilote – cette réforme, adoptée lors de la conférence interministérielle de Bologne en 1999, a des effets plus apparents que réels.

Hier. L’Université délivrait – en dehors notamment du secteur santé – cinq diplômes de niveaux distincts. Le premier, qui nécessitait en principe deux années d’études, était diversifié, puisqu’il incluait tout à la fois le DEUG – le diplôme d’études générales délivré par les Universités – et le DUT – le diplôme universitaire de technologie préparé dans un institut universitaire de technologie, au sein de l’Université. Le BTS ou brevet de technicien supérieur, sensiblement équivalent au DUT, était préparé dans les sections de techniciens supérieurs des Lycées.

Le deuxième niveau était celui de la licence accessible après une année d’études supplémentaire sous condition d’avoir obtenu le DEUG. Suivait le niveau de la maîtrise qui nécessitait encore une année supplémentaire, le passage de la licence à la maîtrise étant de droit pour les étudiants ayant obtenu la licence. Le quatrième niveau était, ou bien celui du Diplôme d’Études Approfondies (DEA) qui était destiné à des maîtres qui envisageaient de poursuivre en direction d’un doctorat (constituant le cinquième niveau) ou alors le Diplôme d’Études Spécialisées (DESS) pour ceux qui voulaient préparer l’entrée dans la vie professionnelle. Ces deux diplômes, le DEA comme le DESS, pouvaient être préparés en un an, et donc être obtenus cinq années après le baccalauréat, tout comme les diplômes d’ingénieur ou d’écoles de commerce qui pouvaient, en ce qui les concerne, être attribués sans qu’un diplôme intermédiaire soit imposé.

Aujourd’hui. La licence (L) demeure. A ses côtés existe une licence professionnelle, construite en principe en fonction des débouchés auxquels elle prépare. La première année du Master (M1) n’est guère différente de ce qu’était l’ancienne maîtrise, le passage de la licence à la maîtrise demeurant de droit pour ceux qui possèdent la licence. L’inscription en deuxième année du Master (M2) professionnel ou recherche s’effectue par contre sur dossier, et seuls les « meilleurs » dossiers sont retenus. Il en était de même pour l’entrée en DEA ou en DESS.

La licence professionnelle constitue de fait un objet mal identifié, non piloté. Alors que la licence générale constitue un passage obligé mais cohérent des bacheliers vers un master, la licence professionnelle prend la forme d’une année plaquée sur un cursus préexistant, sans nécessairement être associée à un parcours pédagogique cohérent. Leur lisibilité est réduite : il existe aujourd’hui 2 000 licences professionnelles distinctes avec seulement 20 étudiants chacune en moyenne ! Il faut refonder la licence professionnelle afin qu’elle s’ouvre davantage aux bacheliers technologiques mais aussi professionnels, ce qui implique que soient tracés des parcours bien adaptés, notamment aux profils des bacheliers technologiques, et formant un bloc de trois années construit de façon cohérente.

Il s’agit de la solution la plus réaliste, certainement aussi la plus efficace pour l’objectif consistant à conduire la moitié de la génération au niveau de la licence. Même si les IUT doivent être les moteurs essentiels de cette refondation, puisqu’il s’agit notamment de prolonger d’une année les études qui y prennent aujourd’hui place, en assurant une nouvelle cohérence d’ensemble des trois années d’études proposées, il est clair qu’elle ne peut être leur exclusivité, les sections de techniciens supérieurs pouvant aussi être mobilisées à cet effet. Et surtout, les Universités ont toute liberté également pour offrir des parcours permettant d’accéder directement à ce diplôme, le plus souvent en trois ans. Il s’agit ainsi d’un bon thème de travail pour les commissions académiques de coordination des formations post—baccalauréat. La refondation de la licence professionnelle, suivant ces bases, et au profit de cette nouvelle ambition, constitue notre sixième proposition .

On sait qu’aujourd’hui à peine la moitié des élèves des classes de terminales technologiques, avec un bonheur très variable selon les séries, obtient un diplôme de niveau égal ou supérieur à celui d’un BTS ou d’un DUT. La montée en puissance de la licence professionnelle doit être aussi le catalyseur d’une nouvelle conception de la voie technologique au lycée [9] , dans un contexte où serait affirmé un nouveau droit pour les bacheliers technologiques, celui de pouvoir être affecté « de droit » dans une formation technologique supérieure relevant d’une spécialité cohérente avec la spécialité du baccalauréat technologique qu’ils ont obtenu. Conduire, d’ici cinq années, la moitié des bacheliers technologiques jusqu’à la licence professionnelle constitue notre septième proposition d’action. Il serait important qu’une partie significative des moyens supplémentaires prévus au cours du quinquennat pour les enseignements supérieurs soient affectés ainsi à la promotion des bacheliers technologiques mais aussi professionnels, aujourd’hui pratiquement exclus de formations conduisant à des emplois de cadre. Comme, il s’agit pour l’essentiel de jeunes issus de milieux défavorisés, cette exclusion constitue aussi un déni de mobilité sociale ascendante.

Il ne s’agit pas pour autant de rompre brutalement avec le dispositif conduisant au BTS. Le lieu de préparation des BTS est bien le lycée. C’est l’écosystème où les STS ont pu connaître le développement remarquable qu’elles ont connu. Il ne s’agit pas seulement de s’appuyer sur les IUT. C’est par des dispositifs négociés avec l’Université et coordonnés au niveau national que cette voie lycéenne pourra également être mise à profit pour développer la licence professionnelle. Le caractère universitaire de la licence professionnelle doit être aussi affirmé, ce qui implique la participation d’enseignants-chercheurs aux enseignements. Mais c’est aussi en s’appuyant sur les enseignants certifiés et agrégés, en proportion significative en IUT et assurant la totalité des enseignements en STS, que cette refondation de la licence professionnelle pourra effectivement et de façon réaliste être mise en œuvre. Rien non plus ne pourra se faire sans eux.

L’enseignement supérieur long : évidemment professionnel

De l’insuffisance du nombre de diplômés au niveau de la licence résulte un déficit de diplômés au niveau des études supérieures « longues ». Comme à peine plus de 25 % des jeunes accèdent au niveau de la licence, il n’est pas anormal que moins de 20 % de la génération seulement possède un diplôme ressortant des études supérieures longues. Si au cours des 25 dernières années le nombre d’ingénieurs formés – à l’extérieur ou à l’intérieur des Universités – a plus que doublé, et si celui des diplômés des écoles de commerce a presque quadruplé formant désormais 30 000 diplômés par an, le plus important secteur à ce niveau demeure celui lié aux Masters avec leurs 90 000 diplômés. Dans le même temps, les filières universitaires traditionnelles perdent de leur attractivité. Ainsi en 2005, elles accueillaient 61 % des bacheliers généraux, mais seulement 53 % lors de la dernière rentrée. Sans pour autant, et c’est heureux, que le nombre total d’ingénieurs et de masters scientifiques se réduise, mais parce que les bacheliers choisissent d’abord les filières à objectifs professionnels affirmés : les classes préparatoires aux grandes écoles, les formations universitaires de la santé et du secteur paramédical, les STS ou les IUT. Si l’on s’en tient à la seule première année de la licence universitaire scientifique (L1), alors qu’elle accueillait 24 % des bacheliers S en 1996, elle n’en a plus accueilli que 17 % en 2002 et seulement 11 % en 2008 : une réduction par un facteur deux en dix ans. De même, les effectifs des masters « professionnels » ou indifférenciés s’accroissent, mais sans pour autant parvenir à contrebalancer la baisse des effectifs des masters « recherche ».

Nous proposons que soit supprimée la distinction entre les masters Recherche et les masters professionnels, et que les recrutements s’effectuent au niveau de l’entrée en première année. En l’assortissant néanmoins d’une condition : que le nouveau dispositif conduise à délivrer un nombre plus important de masters que ne le faisait le dispositif précédent. Si la France ne diplôme pas suffisamment au niveau de la licence, elle doit aussi augmenter de façon sensible le nombre de ses diplômés au niveau des masters ou équivalents. Cette huitième proposition implique que tous les masters aient un caractère professionnel, avec l’acquisition par les étudiants de compétences affirmées, y compris d’un certain nombre de celles pouvant être mobilisables au cours de la préparation ultérieure d’un doctorat. Cette relation entre les masters et les activités de recherche pourrait utilement être renforcée en associant de façon systématique les masters aux écoles doctorales relevant des mêmes spécialités. De fait, tous les étudiants des masters doivent, au cours de leur scolarité, à la fois être sensibilisés à des questions relatives à la recherche – par leurs enseignants et si possible par des stages dans des laboratoires de recherche – mais aussi par des stages sur d’autres terrains, en entreprises ou dans les administrations. Une formation plus approfondie par la recherche, d’une année environ, pourrait leur être proposée, débouchant sur un diplôme créé en 1991 mais qui n’a guère été mis en œuvre depuis, le diplôme de recherche technologique (DRT). Cette formation, placée sous une double tutelle universitaire et économique et organisée en alternance, est destinée à former à des emplois d’ingénieurs de recherche, et notamment pour les PME/PMI. Notre neuvième proposition consiste ainsi à réintroduire cette formation complémentaire courte par la recherche académique et industrielle.

De l’ensemble de ces premières propositions résulterait, pour les prochaines années, une architecture scolaire et universitaire clarifiée, avec trois routes principales se dessinant au Lycée : une voie professionnelle, la majorité des bacheliers professionnels rentrant sur le marché du travail une fois leur baccalauréat obtenu ; une voie technologique permettant de conduire les bacheliers technologiques au moins jusqu’à une licence professionnelle ; et une voie plus longue conduisant les bacheliers généraux jusqu’à un master ou à un diplôme équivalent, tous de nature professionnelle. L’interconnexion entre ces routes constitue aussi une obligation. Et il ne doit pas y avoir de culs-de-sac. Et à quel titre pourrait-on par exemple empêcher un bachelier d’une série générale qui ne se sentirait pas en état de réussir des études allant jusqu’au niveau d’un master de s’inscrire en licence professionnelle ? Il est également indispensable de faciliter l’accès des bacheliers professionnels à des études leur permettant l’acquisition d’une licence professionnelle, au-delà d’un seul BTS, tout comme aux étudiants issus de la licence professionnelle de poursuivre au-delà afin d’acquérir un diplôme du niveau d’un master. Un réseau qui ne peut être autoroutier, et qui doit être enrichi « d’itinéraires bis » bien balisés.

Ces « itinéraires bis » existent, notamment pour l’accès en STS de spécialités correspondant aux baccalauréats professionnels obtenus avec mention. Mais il faudra sans doute des mesures plus incitatives pour que soient réellement mis en œuvre ces principes, afin d’ouvrir davantage les IUT aux bacheliers technologiques et les STS aux bacheliers professionnels titulaires d’une mention. Parallèlement, il serait indispensable d’exiger de véritables procédures d’accompagnement des bacheliers professionnels à l’entrée des STS et DUT pour ne plus laisser ces jeunes isolés et abandonnés à eux-mêmes, comme c’est encore trop souvent le cas. Il existe des paramètres de réussite et des aménagements qui ont été identifiés comme pertinents : préparation à la poursuite d’étude en fin de terminale pro, effectifs suffisants de bac pro en première année – notion de masse critique -, périodes variables d’adaptation et de compensation de niveaux – dans les deux sens -, bilans de compétences, accompagnement personnalisé. Il s’agit non seulement de les étendre mais aussi d’évaluer plus précisément, dans la durée, leur efficacité, et de mettre en place un dispositif permanent de suivi, afin de mesurer notamment les conséquences sur la réussite des élèves de la réduction de 4 à 3 ans de la préparation au baccalauréat professionnel, sachant qu’aujourd’hui, avec un baccalauréat professionnel préparé en 4 ans, comme nous l’avons déjà indiqué, seulement la moitié des bacheliers professionnels qui s’engagent dans la préparation à un BTS réussissent au bout du compte à l’obtenir.

On distinguerait ainsi, au-delà du baccalauréat, deux voies majeures : celle conduisant à la licence professionnelle et celle conduisant à un master ou à un diplôme équivalent, la licence générale étant dans ce dernier cas une étape à franchir en cours de route, mais plus un objectif en soi. Il sera alors possible d’organiser les cursus de ceux des bacheliers qui ont un projet professionnel déjà bien affirmé en leur proposant aussi, dès leur arrivée à l’Université, un chemin lisible et bien balisé afin de le réaliser.

L’École de la qualité totale : zéro sortie sans diplôme

Sur le moyen / long terme, notre pays possède un « territoire » mal exploité qui est celui où sont cantonnés les jeunes – près de un sur six – qui sortent sans diplôme de l’École. Il n’existe parmi eux que peu de véritables « décrocheurs », à savoir ceux qui seraient, à un moment donné, sortis d’une trajectoire où ils ne rencontraient pas de difficultés particulières. La plupart sont en fait en échec, pratiquement décrochés, depuis le cours préparatoire, et leurs difficultés s’amplifient dans les années qui suivent, jusqu’à ce qu’ils constituent ainsi le gros du bataillon des sorties sans qualification [10] .

Il est particulièrement bienvenu qu’une partie significative des 60 000 emplois que le gouvernement s’est engagé à créer au cours des cinq prochaines années pour l’Éducation nationale soit ainsi concentrée sur ces premières années de la scolarité. Il n’en demeure pas moins que des résultats, en terme de réduction des taux de sorties sans diplôme, ne pourront être réellement perceptibles avant une dizaine d’années, le temps que ces élèves aient accompli leur parcours scolaire qui les conduit de l’école maternelle au lycée. On ne peut cependant accepter qu’il y ait, entre temps, une « génération perdue ». D’où notre dixième proposition : que soit vigoureusement modernisé le fonctionnement du collège ainsi que cela a été fait dans plusieurs pays pendant les années 1980.

Un collège facilitant la réussite de tous est un collège :

qui assure un meilleur accompagnement des élèves dans la rupture primaire / secondaire, par la fin des filières « cachées » comme le sont les classes de 4 e aide et soutien, les classes de 3 e technologique ou professionnelle, les classes à projet dont les classes bi-langues…

qui individualise les apprentissages, par tutorat, aide méthodologique, soutiens disciplinaires et aide aux devoirs pour toutes les classes, et qui favorise tout autant le travail en petits groupes, par une pédagogie de mise en activité de l’élève.

qui conçoit et qui met en œuvre un plan de formation des enseignants à la gestion de l’hétérogénéité, mais aussi un plan de formation des inspecteurs et des chefs d’établissements au pilotage du changement.

La gestion des élèves en difficulté n’est pas question de dispositifs, mais doit devenir l’affaire du quotidien de tous les enseignants, avec l’utilisation d’approches pédagogiques différenciées, y compris à l’intérieur d’un même groupe-classe. Le rôle de tous les professeurs, et d’abord du professeur principal, dans la préparation des élèves à l’orientation doit être souligné, en leur permettant notamment de prendre appui sur les « parcours de découverte des métiers et des formations », qui ne peuvent plus être seulement optionnels. Pour autant, certains dispositifs spécifiques, avant la sortie du collège, construits sur la base du volontariat, ne seraient-ils pas temporairement nécessaires, le temps que soit réduite la proportion d’élèves sortant en difficultés de l’école primaire et que l’ensemble du collège évolue ? La question mérite d’être posée. Ne nous trouverions pas aujourd’hui en situation de non-assistance à élèves en danger ? Encore faudrait-il que ces dispositifs se traduisent, pour un temps à limiter clairement, par la constitution de classes à effectifs très réduits où interviendraient aux côtés des enseignants des collèges des enseignants des lycées professionnels, et plus particulièrement des enseignants des disciplines générales souvent mieux armés que leurs collègues des collèges pour les faire progresser, comme prévu dans l’organisation des classes de 3e de découverte professionnelle. Cependant, l’Education nationale n’a pas fait la preuve, jusqu’à ce jour, qu’elle savait faire autrement que de mettre en place de tels dispositifs, sans en assurer le suivi et l’évaluation, sans apporter les moyens en personnels nécessaires à leur bon fonctionnement, et plus encore sans que ces dispositifs ne deviennent à l’image des classes de 3 e dites d’insertion, des dispositifs d’exclusion. Des dispositifs pouvant avoir initialement sens mais qui, eux-mêmes comme leurs élèves, tombent rapidement à l’abandon.

Des projets éducatifs territoriaux

La réussite d’un système d’éducation et de formation se mesure d’abord à la lumière non seulement des éventuels incidents de parcours individuels des élèves, de la petite enfance jusqu’à leur sortie de l’école, mais aussi de leurs conditions d’accès à l’emploi, de leurs capacités à s’y maintenir – parce qu’ayant appris à apprendre – comme à bien vivre en société. Le gouvernement proposera prochainement que soit accomplie une nouvelle étape dans le processus de décentralisation. Peut-on en attendre qu’il contribue aussi à la réduction des échecs scolaires et, au-delà, à un mouvement d’ensemble vers plus de formation et de qualification ? Aujourd‘hui, l’Éducation ne joue qu’un rôle mineur dans les « projets » de ville ou d’agglomération. Et pourtant, comment traiter de la rénovation d’un quartier sans prendre en compte les questions scolaires ? Comment évoquer l’économie et l’emploi en faisant l’impasse sur la formation professionnelle ? Comment mettre en place une politique culturelle sans qu’elle ne comporte un volet portant sur le développement des publics, alors que l’on sait à quel point à cet égard, il importe d’agir tôt ? Les établissements scolaires des zones les plus difficiles auraient dû devenir des laboratoires de l’innovation, de celle qui porte sur la pédagogie, les contenus des programmes ou les rythmes scolaires, comme le proposait Hubert Dubedout, le fondateur de la « politique de la ville ». Il n’en a, ici non plus, rien été.

Le principal levier pour améliorer la cohérence, la lisibilité et l’efficacité de cet ensemble éducatif consiste à surligner le niveau local, et plus particulièrement le territoire que l’on désigne sous l’intitulé de « bassin de vie ». Notre onzième proposition : que les « bassins de vie » constituent des lieux d’observation, d’évaluation et de propositions en vue d’assurer la réussite des élèves qui y vivent. Le découpage de la France en un nombre limité de « bassins de vie » constitue un « outil » introduit par l’INSEE pour faciliter la compréhension de la structuration du territoire de la France métropolitaine et mieux qualifier simultanément l’espace à dominante rurale. Il faut identifier les bassins de formation de l’Éducation nationale aux bassins de vie de l’INSEE – quitte à regrouper plusieurs bassins de vie, en zone rurale, afin que de regroupement contienne au moins un lycée – sans pour cela remettre forcément en cause les échelons de décision actuels. En effet, le fait que chaque administration ait son propre zonage ne constitue pas une source d’efficacité de l’action publique. Cette entrée par les « bassins de vie » peut nourrir utilement la réflexion portant sur les compétences des regroupements territoriaux. Les bassins de vie constituent des territoires pertinents d’analyse et d’action, pas une structure administrative qui complexifierait le paysage, qui l’est déjà par trop.

Les grosses agglomérations, qui constituent pour la plupart par elles-mêmes des bassins de vie, peuvent se voir attribuer – c’est la loi du 16 décembre 2010 – le statut de « communauté urbaine », et les très grosses agglomérations un statut encore plus spécifique, celui de « communautés d’intérêt européen », si celui-ci voit le jour, ce qui permettra dès lors, aux unes comme aux autres, de bénéficier de délégations de compétences des Départements pour les Collèges et des Régions pour les Lycées, tout en ayant également la capacité à prendre en compte, dans le cadre de leurs compétences « générales », des questions relatives au développement des enseignements supérieurs. Tout serait ainsi réuni pour contribuer, en partenariat avec l’État mais aussi avec les Régions, têtes de file pour l’économie, mais aussi pour l’orientation et la formation professionnelle, à la construction et à la mise en œuvre de projets de développement territorial globaux, au plus près des acteurs du terrain et attentifs à l’équité de traitement des territoires, ruraux comme urbains.

Le modèle dit de « Lycée des métiers » où cohabitent des formations technologiques et professionnelles, allant du CAP jusqu’au BTS, de la formation initiale, sous statut scolaire ou apprentissage, et de la formation continue, a été insuffisamment mis à profit, alors qu’il peut constituer un utile outil de développement de ces « bassins de vie » où n’existent pas de formations technologiques universitaires. Lorsqu’il ne s’est pas éloigné des intentions initiales, il a pourtant su faire la preuve qu’il pouvait tout à la fois constituer une structure d’appui pour les PME/PMI, avec leurs plateaux techniques, une source de compétences pour la formation continuée de leurs personnels, avec une capacité pour leur certification, et pour le développement de leurs produits. Ces dernières, en retour, ont servi de terrain de stage pour les élèves permettant également aux enseignants de rester au contact avec les réalités du monde économique et d’actualiser ainsi leurs enseignements.

Le temps est venu de mieux organiser les établissements en campus ou réseaux de compétences, pour constituer un « service public de formation et de certification ». Au-delà de la limite, trop souvent peu pertinente, des lycées « dans leurs murs », le concept devrait permettre de réaliser des associations de lycées cohérentes avec l’objectif de constituer un guichet d’entrée identifié du service public d’éducation et de formation pour un ensemble cohérent de métiers, organisés par exemple autour d’un secteur économique particulier, en lien avec les pôles de recherche et les entreprises, et en appui aux orientations des Régions.

La Région, les lycées professionnels et les centres de formation d’apprentis

L’État doit renforcer ses capacités d’orientation stratégique, mieux anticiper et piloter sur le long cours. Il ne s’agit pas de transférer aux Régions la totalité des compétences relatives à l’enseignement professionnel, mais bien de clarifier les rôles. L’État doit notamment demeurer le garant du caractère national des diplômes et du statut, également national, des personnels enseignants et administratifs, et renforcer sa capacité d’anticipation.

En cohérence avec leurs responsabilités en matière de développement économique, des compétences nouvelles, de nature prescriptive, pourraient être attribuées aux Régions, dès lors qu’une nouvelle organisation, davantage déconcentrée, serait à la fois plus efficace et plus économe en moyens. Il s’agit notamment des secteurs où l’état des lieux révèle un paysage enchevêtré. Il en est ainsi pour l’orientation et l’information des jeunes, pour les dispositifs destinés à favoriser l’accès à l’emploi et de façon plus générale en ce qui concerne les formations continuées.

S’il existe un autre domaine où l’enchevêtrement des responsabilités conduit aussi à un manque d’efficacité, c’est bien celui de l’enseignement et de la formation professionnelle initiale, avec des centres de formations d’apprentis placés – à l’exception de leur contrôle pédagogique – sous la responsabilité exclusive des Régions cependant que les compétences relatives aux lycées professionnels sont seulement partagées. Ce déséquilibre conduit aujourd’hui de nombreuses Régions à privilégier les centres de formations d’apprentis, même si la plupart d’entre eux sont de statut privé, au détriment des lycées professionnels, sans pour cela disposer d’arguments convaincants pour justifier de leurs priorités.

L’observation des volumes de jeunes entrant en formation professionnelle, qu’il s’agisse de la seconde professionnelle, de la première année de CAP – par voie scolaire ou par apprentissage – montre que plus d’un tiers des territoires régionaux propose une offre de formation axée à plus de 40 % sur le CAP. Plus une région compte d’apprentis, plus l’offre de formation est « tirée » vers ce niveau premier de qualification, et moins vers des qualifications élevées, et cela y compris sur des territoires dont la population est déjà moins qualifiée que la moyenne. Dès lors qu’elle deviendrait seule à décider de la répartition de l’offre de formation, n’y aurait-il pas un risque à ce qu’elle manque ainsi d’ambitions ? A la rentrée 2012, dans certaines régions, pourtant marquées par une offre de faible niveau de qualification, par un record de sorties sans diplômes, par un taux de chômage supérieur à la moyenne nationale, par un moindre accès au baccalauréat, la collectivité régionale n’a autorisé l’ouverture que des formations par apprentissage au détriment des lycées professionnels, augmentant ainsi le poids du CAP au détriment d’une élévation des qualifications.

Les régions ayant entière compétence sur les ouvertures des formations par apprentissage, il n’est pas toujours surprenant qu’elles ouvrent dans les CFA les formations de niveau V demandées par les acteurs économiques locaux. Surtout lorsque ces acteurs économiques locaux n’ont pas de vision à long terme et privilégient aussi parfois leur intérêt à se doter d’une main d’œuvre peu onéreuse et suffisante dans l’instant pour répondre à leurs besoins. Les régions n’ont pas toujours su résister à ces pressions. Comment, à titre d’exemple, pourrait-on justifier le fait que dans une académie comme celle de Lyon, compte tenu d’un développement massif des formations au niveau du CAP, la proportion, dans une génération, de bacheliers – y compris professionnels – soit inférieure à ce qu’elle est à Créteil, avec la Seine-Saint-Denis ?

Au-delà de la spécificité de la répartition des compétences, ce manque de vision s’explique peut-être aussi par la faiblesse du pilotage stratégique de l’État, lui-même en situation peu cohérente dans la répartition des responsabilités sur la formation professionnelle entre plusieurs départements ministériels.

Il est vrai que l’apprentissage, comme l’est également la formation continue, constitue aussi pour certains une activité de nature commerciale, avec un bonus payé par le contribuable sous la forme de subventions d’équilibre, de subventions d’équipements et même d’investissements immobiliers. L’Éducation nationale peut développer ses propres centres de formation par l’apprentissage, notamment en les situant dans les lycées, mais les organismes disposant des fonds collectés au titre de la taxe d’apprentissage n’ont que rarement la volonté de l’accompagner dans cette démarche.

Chacun aurait beaucoup à gagner à une mise en cohérence de la formation professionnelle tant initiale que continuée, ne serait-ce que pour en réduire les coûts ou améliorer ses performances. Mais il faut pour cela donner de nouveaux outils à la Région en lui permettant de collecter les fonds résultant de la taxe d’apprentissage. Et pour que chacun soit gagnant, la taxe d’apprentissage, dès lors qu’elle serait versée par les entreprises à la Région, pourrait être fixée à un taux inférieur à celui perçu par les organismes collecteurs standards. C’est notre douzième proposition .

Alors pourrait par exemple être construits des parcours mixtes voie scolaire et apprentissage (dits de « mixité consécutive »), comme première étape d’une remise en état de l’offre de formation, et l’École pourrait être mobilisée, bien davantage qu’elle ne l’est aujourd’hui, afin de former, de qualifier ou de requalifier les opérateurs rendus disponibles lors des temps d’activité réduite ou de chômage partiel.

De la même façon et dès maintenant, l’instauration d’un réel « crédit formation » utilisable tout au long de la vie, d’autant plus important que le niveau de diplôme serait faible, devrait être instauré. Tous les moyens de l’utiliser réellement devraient être recherchés et traduits dans la loi. Les procédures d’accueil dans le service public d’éducation et de formation – mixité des publics, ouverture des établissements toute l’année, etc. – devrait être mobilisées. C’est là notre treizième proposition .

L’apprentissage et la formation professionnelle initiale sous statut scolaire, une concurrence dépassée ?

Extrait de la note de Jean-Jacques Arrighi : « Formations en apprentissage : en finir avec les illusions » (Terra Nova, octobre 2011) [11]

« Le développement de l’apprentissage et des contrats de professionnalisation n’est pas, en l’état actuel, une arme efficace pour combattre le chômage des jeunes. Depuis plus de vingt-cinq ans, des politiques publiques à la fois vigoureuses, coûteuses et consensuelles ont été conduites. Il est temps d’en évaluer le résultat.

D’une part, les objectifs quantitatifs de jeunes en apprentissage ne sont jamais atteints et, d’autre part, l’apprentissage se développe sur les segments de la jeunesse les moins menacés par le chômage. Si le nombre de contrats signés progresse aussi difficilement, c’est tout simplement parce que, dans le contexte économique et éducatif français, la majorité des entreprises n’ont pas un intérêt économique avéré pour ce dispositif. Par ailleurs, l’évolution de l’alternance au cours des vingt-cinq dernières années n’entame en rien les noyaux durs du chômage des jeunes. Les enquêtes Génération du Céreq [12] démontrent de façon récurrente que le « sur-chômage » des jeunes est un phénomène très ciblé : il n’affecte pas ou peu les sortants diplômés de l’enseignement supérieur et les bacheliers technologiques ou professionnels industriels qui, très vite, en moins d’un an, connaissent un taux de chômage équivalent à celui de l’ensemble de la population. En revanche, la situation des jeunes non diplômés, et, dans une moindre mesure, celle des titulaires d’un CAP, celle des bacheliers généraux et celle des bacheliers technologiques/professionnels tertiaires est très inquiétante : pour la génération 2007, atteinte de plein fouet par la crise, le taux de chômage à trois ans atteint 40 % pour les non diplômés et il est compris entre 15 et 24 % pour les autres.

Dès lors, lorsqu’il se développe, l’apprentissage améliore peut-être les transitions école / emploi des jeunes les plus attractifs pour les entreprises, mais il contribue très peu à réduire un chômage des jeunes concentré sur des populations précises qui ne participent pas à son expansion.

Il est donc urgent d’évaluer les effets de cette politique, non plus à partir de mythes séduisants et d’objectifs à atteindre, mais à partir de faits avérés détaillés et précis : quels jeunes ? Quelles entreprises ? Dans quels métiers ? Seule une cartographie lucide des usages réels de ces contrats est susceptible de fonder une politique publique explicitement ciblée dans un univers complexe de gouvernance éclatée où l’État et les régions ne sont que des partenaires parmi d’autres (chambres consulaires, entreprises, branches, organismes de formation, OCTA).

L’alternance école/entreprise est une formule qui améliore incontestablement les premières transitions professionnelles entre la formation initiale et l’emploi. L’apprentissage n’est qu’une version particulière de ce principe qui se décline sous d’autres variantes (contrats de professionnalisation, stages des lycéens professionnels, stages des formations professionnalisantes du supérieur, stages de la formation professionnelle, entreprises d’insertion). C’est donc l’ensemble des différentes formules qu’il convient de considérer et de réinvestir. Une négociation doit être ouverte avec les partenaires sociaux pour créer une ou plusieurs formules intermédiaires contractuelles, à la fois moins contraignantes pour les entreprises et moins subventionnées par les finances publiques. Si une plus grande autonomie des partenaires sociaux, et de l’entreprise en particulier qui accueillera et formera elle-même les apprentis, conduit à une réelle résorption du chômage des jeunes non diplômés, cette piste doit être envisagée.

Il est ainsi urgent de démêler « l’écheveau » de la formation professionnelle initiale comme continue. Ce n’est pas ici notre propos. Il y a tant d’intérêts, financiers notamment, que la tâche ne sera pas facile. Pour autant, la nation n’a-t-elle pas le droit de s’interroger, en période de difficultés économiques et de désindustrialisation, sur la performance de son système de formation professionnelle ?

Une évaluation objective et neutre, donc à l’abri des groupes de pression et des intérêts partisans économiques comme politiques, des atouts et des faiblesses de l’ensemble des dispositifs de formation professionnelle initiale doit être menée sans tarder. Dans tous ces aspects (efficacité économique, efficacité pédagogique, efficacité sociale, etc.), les organismes en place aujourd’hui ne jouent pas ce rôle. On ne peut qu’espérer que les nouvelles instances prévues dans le projet de loi sur la décentralisation permettront de promouvoir ce type d’évaluation. C’est là notre quatorzième proposition .

Des politiques de site pour l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation

Il existe ainsi des domaines où la Région doit avoir une vocation prescriptive et une compétence exclusive. Mais l’enseignement supérieur et la recherche ne peuvent en faire partie. La communauté éducative n’accepte pas l’idée que puissent exister des universités régionales, voire locales, qui se substitueraient aux universités d’État, ni que l’autonomie, encore faible, que ce dernier a concédé aux Universités soit compensée par une dépendance plus étroite vis-à-vis des collectivités territoriales. Il peut par contre, très utilement, y avoir une stratégie territoriale de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation se traduisant par des relations contractuelles librement consenties. S’il existe par exemple un domaine où le potentiel de progrès associé à une coproduction État-Région-Universités serait considérable, c’est bien celui lié à la mise en cohérence de la carte des formations supérieures technologiques courtes – STS et IUT – et des licences professionnelles, où l’on constate ici des dispositifs insuffisamment développés pour faire face à la demande, et ailleurs des formations fonctionnant avec des effectifs squelettiques et donc avec des coûts difficiles à justifier

Les responsabilités en matière économique des régions peuvent les conduire à accompagner le transfert vers l’économie des résultats de la recherche. L’enchevêtrement au niveau national des organismes publics de recherche, souvent en charge des mêmes domaines d’activité, mais aussi des dispositifs de financement, ne permet pas, depuis la capitale, de donner la cohérence nécessaire à l’action de l’État. Les pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES) ne peuvent constituer en eux-mêmes des universités, au sens international du terme. Il est par contre nécessaire, ce qui constitue notre quinzième proposition, d’en faire, quitte à modifier leur statut et leur dénomination, les instruments d’une politique territoriale cohérente associant aux établissements d’enseignement supérieur et aux organismes nationaux de recherche présents sur le site les collectivités territoriales, mais aussi les milieux économiques. Il reste en effet à construire ces lieux de rencontre et de construction de projets. Point n’est besoin de les ériger en établissements autonomes. Dès lors qu’existent plusieurs dispositifs de ce type dans une même région, cette dernière pourrait faciliter leur mise en cohérence et assurer leurs jonctions avec les grands projets régionaux.

Rapprocher l’École et l’Économie

L’image de l’industrie dans notre pays n’a jamais été aussi favorable que lorsque, au milieu des années 1980, la gauche, sous l’impulsion de Jean-Pierre Chevènement, a réussi à faire dialoguer l’école et l’entreprise, pour aboutir à un projet commun [13] . C’est la gauche, avec Jack Lang, au début des années 2000, qui a perçu l’intérêt d’introduire la « découverte professionnelle » au Collège. C’est la gauche aussi qui a permis, toujours au début des années 1990, à nombre de nos compatriotes d’obtenir des diplômes par la Validation des Acquis Professionnels (VAP), devenue depuis Validation des Acquis de l’Expérience (VAE) et c’est aussi la gauche, avec Jean-Luc Mélenchon, qui a mis en avant le concept de Lycée des Métiers, rassemblant en un même lieu des formations technologiques et professionnelles et ouvrant ses ateliers aux PME et aux PMI.

Mais depuis, les sursalaires de certains dirigeants d’entreprise – y compris d’entreprises en difficultés – la financiarisation de leur gestion – avec l’impasse sur le moyen / long terme qui en résulte trop souvent – les « optimisations fiscales » avec le règne du moins disant… ont assombri l’image de l’entreprise. Cette image s’est également détériorée en raison de la responsabilité que certains font porter à l’entreprise sur toutes les atteintes à l’environnement et sur les dysfonctionnements du marché du travail, ou encore par l’excès d’usage du principe de précaution. Comme si la France pouvait survivre sans une économie solide, avec à son centre une industrie imaginative et productrice de richesse, et sans prendre le moindre risque.

L’École doit contribuer à redresser une image aujourd’hui encore, malgré des progrès notables, par trop caricaturale de l’entreprise, tout comme l’entreprise ne peut rester à camper dans son pré carré. Elle doit accueillir en plus grand nombre et dans de meilleures conditions les stagiaires en formation, favoriser la participation de ses meilleurs professionnels « du terrain » aux enseignements dispensés dans l’enseignement professionnel, ainsi qu’aux instances de l’Éducation nationale en charge de la conception des diplômes et de leur certification, puis prendre en compte ces diplômes à leur juste valeur, mais aussi contribuer à la formation continuée des enseignants qui interviennent dans le domaine des formations professionnelles. Non pas qu’il n’existe pas des partenariats déjà fructueux, mais il s’agit de les enrichir et de les diversifier. D’où la seizième proposition : instaurer dans tous les lycées où il y a de la formation professionnelle, mais aussi auprès des établissements d’enseignement supérieur, à côté de leurs conseils d’administration, des conseils d’orientation associant les entreprises, notamment locales et régionales, à la construction de leurs projets d’établissements. Réanimer en parallèle, dans chaque académie, les comités Éducation – Économie, créés en 1985, afin d’assister les responsables académiques dans l’exercice de leurs responsabilités. Peu d’entre eux ont en effet survécu au délitement des liens directs entre l’école et l’entreprise qui a marqué la dernière décennie. Ces conseils d’orientation ayant pour objet d’éclairer les instances délibératives des établissements concernés, il n’est point besoin de modifier leur fonctionnement et attributions, sinon à les pousser à entendre des avis autorisés et à justifier leurs décisions en matière de formation professionnelle.

  1. * Pseudonyme

  2. Les auteurs remercient Laurent Brisset et Juliette Tardieu (pseudonyme).

  3. Daniel Bloch. Ecole et démocratie , Presses Universitaires de Grenoble, 2011.

  4. Daniel Bloch, Pour une stratégie convergente du système éducatif et des entreprises , La documentation française, 2 e édition, 1987 et Education-Economie. Quel système éducatif pour la société de l’an 2000 ? La documentation française, 1988

  5. Daniel Bloch, La philosophie en lycée professionnel. Une innovation pédagogique décentralisée, Cahiers philosophiques , 103, p. 109–119, 2005

  6. « L’enseignement de la philosophie en lycée professionnel », Inspections de l’Education nationale, avril 2007.

  7. « La triste histoire des bacs professionnels », Le Monde , 28 septembre 2012.

  8. On ne peut ici éluder la question des échecs des bacheliers professionnels qui s’inscrivent, une fois le baccalauréat obtenu à l’Université, ne serait-ce que pour éviter à ce sujet les discours du « café du commerce ». Une première donnée : sur les 118 586 bacheliers professionnels de l’année 2010, 8 870 seulement se sont « inscrits » à l’université. Le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne l’ont pas « envahie ». Parmi eux, seulement 893 l’ont été en IUT. Les 7 553 autres, très majoritairement des bacheliers du secteur des services, sont pour la plupart des bacheliers qui ont été refusés, pour insuffisance de niveau, aussi bien en STS qu’en IUT. Leur inscription à l’université leur offre une solution d’attente, une protection sociale, mais la plupart d’entre eux ne s’accrochent au mieux que quelques semaines à leurs études. Ce qui est confirmé par exemple par l’absence fréquente de relations entre la série du baccalauréat professionnel obtenu et la nature de la filière universitaire où ils sont inscrits. Comment comprendre autrement le fait que par exemple 820 bacheliers du secteur de la production – la moitié d’entre eux…- soient inscrits en Lettres, et que 587 bacheliers du secteur des services le soient en Sciences ? Ainsi, un peu plus du quart des bacheliers qui s’inscrivent à l’université l’année de leur baccalauréat ne s’y réinscrivent pas l’année qui suit, y compris pour un redoublement. De façon plus générale, l’Université aurait beaucoup à gagner, dès lors qu’il s’agit de mettre en avant ses statistiques de réussite ou d’échec, à ne pas prendre en compte les « faux étudiants ».

  9. Daniel Bloch, « Restructurer le baccalauréat », Reflets de la physique , 20, 2010.

  10. Daniel Bloch, « Contre l’échec scolaire, agir dès la petite enfance », note Terra Nova, décembre 2010 :

    http://www.tnova.fr/note/contre-l-chec-scolaire-agir-d-s-la-petite-enfance

  11. Jean-Jacques Arrighi, « Formations en apprentissage : en finir avec les illusions », note Terra nova, octobre 2011 :
    http://www.tnova.fr/note/formations-en-apprentissage-en-finir-avec-les-illusions

  12. http://www.cereq.fr/index.php/menus/pied_de_page/base_de_donnees/Enquetes-d-insertion-Generation

  13. « Pour une stratégie convergente de l’Ecole et l’entreprise », La documentation française, 2 nde édition, 1987.

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