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Revue de presse

Parcoursup, Affelnet : la transparence est la clé de survie de ces algorithmes

La fondation Terra Nova rend public un rapport sur les procédés d’affectation utilisés dans l’Education nationale pour répartir élèves et professeurs dans le secondaire et l’enseignement supérieur. Et appelle à la création d’une agence spécialisée. Entretien avec Olivier Tercieux, coauteur de cette étude.
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Dans une note publiée ce mercredi par la fondation Terra Nova, « Faut-il sauver les algorithmes d’affectation ? », quatre chercheurs – Julien Combe (university College de Londres), Victor Hiller (Paris 2), Olivier Tercieux (Ecole d’économie de Paris, CNRS) et Camille Terrier (MIT) – se sont penchés sur ceux utilisés dans l’Education nationale : Affelnet, qui affecte des élèves de 3e aux lycées, le très décrié Admission post-bac (APB) pour les universités, utilisé entre 2009 et 2017 et remplacé par Parcoursup et enfin l’algorithme chargé de l’affectation des enseignants dans les établissements publics. Un exercice qui vise autant à expliquer leur fonctionnement qu’à questionner les choix – ou les non-choix – politiques à l’œuvre derrière les lignes de code. Olivier Tercieux a répondu aux questions de Libération.

Quel est l’objectif de cette note ?

Les algorithmes d’affectation sont couramment utilisés dans l’administration, pour affecter les élèves ou les enseignants dans les établissements publics, mais aussi les logements sociaux, les places en crèche et même pour affecter des organes à des patients malades. Or les algorithmes en usage au sein de l’éducation nationale sont souvent décriés dans le débat public, qu’il s’agisse d’Affelnet, d’APB ou de l’algorithme d’affectation des enseignants. Nous avons voulu comprendre ces critiques et savoir s’il était justifié qu’elles se concentrent sur l’utilisation même des algorithmes ou si les dysfonctionnement constatés avaient leur origine dans certains choix politiques.

Comment les algorithmes sont-ils apparus dans l’Education nationale ?

Il y a trois manières d’affecter les élèves ou les enseignants aux établissements publics. La première, c’est le choix dérégulé, pratiqué au Royaume-Uni avant 2003 ou en Suède aujourd’hui : les élèves postulent directement et les écoles choisissent selon leurs propres critères. On peut redouter alors des phénomènes de ségrégation scolaire et sociale.

A l’autre extrémité, c’est l’Etat qui décide de l’affectation des élèves. C’est un peu le principe de la carte scolaire. Mais en France, le marché du logement s’est progressivement adapté, amplifiant la ségrégation sociale.

La dernière approche, que la France a choisie en 2007, c’est le choix régulé : on demande aux familles leurs préférences et en cas de congestion on fait appel à des critères déterminés par l’Etat, par exemple la performance scolaire, l’origine sociale ou géographique. Dans ce contexte de choix régulés, le haut degré de centralisation crée des afflux importants de dossiers à traiter. Pour l’administration, décider d’une affection satisfaisante est une tâche quasi impossible sans l’aide d’algorithmes.

Ces algorithmes sont très critiqués aujourd’hui. Qu’est-ce qui ne marche pas ?

Dans le cas d’Affelnet, le point de départ, c’est la carte scolaire : elle ne permettait pas de lutter contre la ségrégation sociale et laissait aux initiés la possibilité de contourner le système. L’intention était bonne : passer au choix régulé en imposant un fort bonus de priorités aux boursiers. Il y a eu néanmoins un choix malheureux d’algorithme qui contrarie les objectifs. Dans de nombreuses académies où le bonus de priorité donné aux élèves du district est l’élément essentiel, l’algorithme « mime » de fait la carte scolaire ; nous avons montré que, dans certains cas, le bonus accordé aux boursiers peut paradoxalement pénaliser les élèves qui l’obtiennent ; et les parents les mieux informés peuvent toujours manipuler le système, notamment en jouant sur le classement de leurs choix. Il a d’ailleurs été montré que lorsqu’une stratégie de contournement est possible, ce sont les classes favorisées qui en profitent le plus. Or il existe un algorithme alternatif, identifié dès les années 60, qui permettrait d’éviter ces problèmes.

Dans le cas de l’affectation des enseignants, l’Etat a deux objectifs. Le premier, c’est la mobilité. Aujourd’hui, une demande de mutation sur deux n’est pas satisfaite dans le second degré, trois sur quatre dans le premier degré. Les conséquences peuvent être lourdes en termes de désaffection pour la profession. L’autre objectif est de créer plus d’égalité entre les écoles et entre les régions, en évitant d’affecter les enseignants peu expérimentés dans les académies au profil social plutôt défavorisé. Ces deux objectifs difficilement compatibles, et il faut avoir en tête que l’algorithme a des limites : inciter les enseignants à postuler dans les établissements concernés par l’éducation prioritaire relève de choix politiques. Il est néanmoins possible de construire des algorithmes qui remplissent mieux ces deux objectifs.

Pour la récente plateforme Parcoursup, il a été décidé de ne pas utiliser d’algorithmes d’affectation. Les élèves produisent une liste non ordonnée de dix établissements, les formations classent les élèves, le ministère retravaille ce classement en incorporant, entre autres, un quota de boursiers, puis le rectorat propose des places et les élèves répondent en fonction des propositions qui leur sont faites.

Parcoursup avait vocation à « remettre de l’humain » dans la procédure, or le résultat provoque une levée de boucliers. L’algorithme est-il moins « déshumanisant » qu’il n’y paraît ?

Un algorithme est un outil d’aide à la décision. L’humain, ce sont les « entrants » : les préférences des élèves et les priorités de l’Etat. Le débat public se focalise sur des éléments qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’algorithme lui-même. Admission post-bac en est une bonne illustration. Le fait que beaucoup de jeunes se retrouvaient sans affectation au cours de l’été venait surtout du nombre de places limité dans certaines formations.

Quant au tirage au sort, c’est une modalité envisageable dès lors qu’on ne veut pas faire de sélection à l’université. C’est ce point qui a donné lieu à une mise en demeure de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil), mais celle-ci ne remettait pas en cause l’usage même de l’algorithme. Le ministère a cependant préféré l’abandonner et aller vers un processus plus décentralisé. Etant donné les contraintes liées à l’abandon d’un algorithme centralisé, le travail a été plutôt bien fait : des chercheurs ont été impliqués, des explications ont été données. Le problème vient du choix en amont d’avoir abandonné un algorithme centralisé.

C’est-à-dire ?

Même si on manque de données sur Parcoursup, on voit bien que la procédure crée beaucoup de stress chez les élèves qui n’ont pas de réponse dans les semaines qui précèdent le bac. Au-delà, elle entraîne des stratégies chez ceux qui veulent en finir avec l’incertitude et qui acceptent une proposition sans attendre une éventuelle meilleure offre qui pourrait les satisfaire.

De l’autre côté, les formations aussi mettent en place des stratégies. Les établissements de « milieu de tableau », qui ne vont pas attirer les meilleurs élèves, peuvent être tentés de proposer plus de places qu’ils n’en ont. Ces stratégies ne sont pas satisfaisantes, car elles jouent sur la qualité finale de l’affectation. Par ailleurs, ces stratégies accélèrent énormément la procédure justement à cause du risque anticipé de sa lenteur, ce qui rend Parcoursup très compliqué à évaluer. Ce problème peut vraiment être évité si on utilise un algorithme d’affectation efficace.

Dans votre rapport, vous soulignez que l’Education nationale ne mène pas de simulation avant de mettre en place un algorithme. Vous recommandez la mise en place d’une agence pour les évaluer…

Le ministère de la Santé utilise lui aussi des algorithmes pour l’attribution des dons d’organes. Mais toute proposition de changement d’algorithme donne lieu, via l’Agence de biomédecine, à des simulations. Des chercheurs sont impliqués dans ce processus et l’agence a aussi un rôle d’information. Dans l’Education nationale, on a tendance à faire des expériences « grandeur nature »… Il faut une agence du même type qui puisse montrer l’ensemble des possibilités aux décideurs, pour qu’ils réalisent à quel point ces instruments peuvent être importants dans les politiques publiques. Il faut aussi que cette agence puisse produire des explications très accessibles sur les choix politiques.

Un algorithme, même juste, a-t-il une chance d’être accepté par le public ? Les préjugés semblent tenaces…

Il y a de l’espoir : à l’étranger, des algorithmes de ce type survivent. En France, si on a comme objectif la mixité sociale, Affelnet est un progrès car on se donne un instrument qui offre cette possibilité. Au final, il nous semble primordial que les décideurs publics s’approprient cet outil, et qu’ils clarifient leurs objectifs. La transparence est peut-être la clé pour la survie de ces algorithmes.

Pour l’accès à l’université, un algorithme centralisé serait-il le moyen de retrouver une certaine justice sociale ?

C’est ce que nous pensons. Evidemment c’est compliqué, car le public aurait l’impression de revenir à APB. Politiquement, ça a un coût. Une solution intermédiaire serait de commencer par une procédure comme Parcoursup pour conclure par l’utilisation d’un algorithme d’affectation. Afficher des critères très clairs pourrait aussi permettre d’éviter les soupçons de traitements de faveur.

Erwan Cario et Amaelle Guitton

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