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Rapport

Pour une école commune, du cours préparatoire à la troisième

Les derniers résultats de l’enquête PISA renforcent le constat déjà ancien d’une école française peu performante, où l’écart s’accroît entre les élèves les plus faibles, de plus en plus nombreux, et les meilleurs, dont l’importance numérique tend à se réduire.

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Le projet républicain français est celui d’une école qui construit un sentiment d’appartenance à une même communauté politique. Pendant longtemps, son organisation en trois systèmes d’enseignement parallèles et cloisonnés (le Primaire, le Secondaire et le Privé) a contredit et entravé la réalisation de ce projet. Ce n’est qu’avec la réforme Haby de 1975 instituant le collège unique que l’école publique a commencé à traduire dans ses structures les principes civiques et démocratiques du projet républicain. La plupart des enfants fréquentent depuis lors les mêmes lieux d’enseignement (école primaire puis collège) pendant leur scolarité obligatoire.

Mais, près de 40 ans après, il faut bien constater que la disparition des ordres scolaires cloisonnés n’a pas changé radicalement la donne, elle n’a pas permis l’avènement d’une école républicaine commune également profitable à tous les élèves. Si la massification (la scolarisation de tous dans le Secondaire) a été globalement réussie, la démocratisation (l’accession de tous aux savoirs communs nécessaires à tout citoyen) est manifestement un échec. Dans les comparaisons internationales, l’école française se caractérise en effet par des résultats d’ensemble moyens, une efficience médiocre, de fortes disparités entre les meilleurs et les moins bons élèves, une élite scolaire moins fournie, une dégradation générale des performances depuis 10 ans et par la plus forte influence du milieu social des élèves sur leurs résultats : une école obligatoire peu efficace qui confirme les inégalités sociales plus qu’elle ne les corrige [1] . Un projet de réelle refondation de l’école, porté par la gauche, devrait donc se donner pour but de relancer la démocratisation en faisant acquérir à tous les enfants – et donc en pratique à ceux qui n’y parviennent pas actuellement, massivement les enfants des classes populaires – les savoirs et compétences indispensables au citoyen de demain.

Mais comment faire ? S’il fallait construire ex nihilo l’école française, nulle raison ne conduirait à adopter un tel partage entre deux établissements si différents que l’école élémentaire et le collège : aucune continuité ni cohérence d’ensemble n’y règnent, ni dans les contenus enseignés, ni en matière pédagogique et éducative, ni sur le plan de l’organisation scolaire, ni même en matière institutionnelle avec la double responsabilité des communes et des départements, ni enfin dans les compétences et la formation des enseignants. Ces derniers se connaissent mal, se jalousent souvent et parfois se dénigrent, crispés sur des identités professionnelles qu’on pourrait croire dépassées (la polyvalence des instituteurs versus la spécialisation disciplinaire des enseignants de collège) alors qu’ils exercent le même métier devant les mêmes élèves.

Cette solution de continuité, ce manque de progressivité et ce défaut de cohérence sont parmi les causes majeures de l’échec des élèves les plus fragiles ou les plus démunis devant la culture scolaire. C’est pourquoi notre groupe a centré sa réflexion sur les principes de continuité, de progressivité et de cohérence de l’enseignement comme du parcours scolaire. Ces principes mis en œuvre doivent permettre l’avènement d’une école plus démocratique garantissant l’acquisition effective par tous les élèves d’une culture commune, dans des structures communes et sous la conduite d’enseignants partageant une formation et des compétences professionnelles communes.

De nouvelles initiatives doivent être prises pour instituer et assurer le succès de l’école commune, projet ambitieux et exigeant pour les acteurs du système éducatif. Il n’y a pas de fatalité aux 140 000 sorties annuelles de jeunes sans diplôme, ni à l’échec scolaire d’un grand nombre d’enfants des classes populaires. Des marges importantes de progrès existent, comme le montre l’expérience de plusieurs pays de niveau économique comparable au nôtre.

Cette note présente d’abord les principes et les connaissances qui militent en faveur de cette école commune, puis recense les obstacles et les difficultés qui attendent un gouvernement réformateur dans plusieurs domaines tout en avançant un ensemble de propositions de mise en œuvre pouvant permettre de les surmonter.

1 – L’école commune, pourquoi ?

La coupure entre l’école et le collège n’est pas le résultat de choix éducatifs et pédagogiques mais le fruit de l’Histoire. Il est donc important avant d’analyser les effets de cette rupture – sur les contenus, la pédagogie et l’éducation des élèves – d’en comprendre la construction historique, jusqu’à l’instauration du collège unique en 1975. Nous développerons ensuite deux autres arguments : le premier a trait aux effets de la mixité sociale des classes et des établissements, le second tient dans l’examen des réformes entreprises par la majorité de nos voisins européens.

1–1 Le collège unique : la démocratisation inachevée

Commençons par comprendre la logique du système actuel. La plupart des pays européens connaissent ou ont connu un système scolaire divisé entre Primaire et Secondaire, le premier héritier des « petites écoles » religieuses, le second des « collèges » universitaires ou congréganistes. La particularité française consiste dans l’institution d’un système primaire complet, allant sans discontinuité des petites classes communales jusqu’aux Ecoles normales supérieures de l’enseignement primaire, qui fut durant un siècle et demi concurrent du Secondaire, mais fondé sur un autre principe que le privilège de la naissance : le mérite scolaire. Elitisme social et malthusianisme d’une part, enseignement de masse et promotion des meilleurs de l’autre. Logique oligarchique d’un côté, méritocratique de l’autre, aucun des deux systèmes n’était cependant démocratique. En 1975, la fusion du Primaire supérieur (CEG) et des premiers cycles de lycée (transformés en CES à partir de 1965) dans un collège unique se donne précisément pour but la démocratisation, l’accès de tous aux savoirs, une réussite scolaire socialement plus juste ; mais, sous la pression conjointe du syndicat des professeurs des lycées, des lobbies disciplinaires et des élites intellectuelles et sociales produites par les anciens lycées, elle se réalise sur la base des objectifs, des programmes et de l’organisation scolaire du Secondaire, et sans que la gestion de l’hétérogénéité des classes ait été pensée ; le nouveau collège bascule résolument du côté d’une propédeutique au lycée général avec les conséquences que l’on sait : classes hétérogènes souvent impossibles à gérer du fait de la lourdeur de programmes quasi-exclusivement académiques et de l’absence de formation pédagogique des professeurs, éviction des élèves qui décrochent vers l’enseignement professionnel ou la déscolarisation, séparation de l’instruction et de l’éducation marquée notamment par la généralisation des surveillants et des conseillers d’éducation, mise en extinction du corps des professeurs de collège bivalents pris comme bouc émissaire de l’échec scolaire. Raymond Aron fut parmi ceux qui pressentirent cette évolution : « La généralisation dans l’enseignement du second degré des méthodes et des matières de l’enseignement secondaire est probablement contraire à la démocratisation réelle », prédit-il dès 1966 [2] .

Pour les élèves, se constitue l’expérience d’une rupture radicale entre deux mondes, celui où l’on s’élève du CP au CM2, et celui d’une fausse continuité de la Sixième à la Terminale, symbolisée par le compte à rebours des années restant avant l’entrée dans l’enseignement supérieur, et qui laisse sur le bord du chemin ceux qui échouent à y parvenir. L’idée d’égalité des chances, en plaçant chacun sur la même ligne de départ de la même course d’obstacles, s’est révélée fallacieuse, ce qui est apparu dès qu’on s’est préoccupé d’analyser la photo d’arrivée : les écarts d’accès selon l’origine sociale aux filières les plus convoitées n’ont pas été réduits par ce collège unique, mais s’en sont trouvés accrus [3] . En fait, de par ses résultats, l’école française est aujourd’hui devenue une école oligarchique de masse.

1–2 Le passage CM2-Sixième : une triple rupture aux effets discriminants

A 11 ans, avec le passage du Primaire au Secondaire, les élèves font l’expérience d’une triple rupture : en termes de contenus enseignés et de relation au savoir, de pédagogie et de relation au(x) maître(s), enfin d’éducation et de relation aux normes sociales et morales.

La rupture dans les contenus enseignés

La définition des contenus de l’école élémentaire possède sa logique et ses dispositifs propres traditionnellement dévolus à une Inspection générale spécifique. Ils avaient pour but d’inculquer -selon Condorcet, auteur de cette notion – les éléments de savoir indispensables à l’exercice de la citoyenneté. A ces fondamentaux, tels qu’on les nomme plus volontiers aujourd’hui de façon parfois confuse et réductrice, s’ajoutent, depuis la suppression de l’examen d’entrée en Sixième et du cours supérieur, certains pré requis du collège. La logique d’élaboration des contenus d’enseignement est donc duale : certains sont conçus en fonction de l’âge et du développement progressif des capacités motrices, psychologiques et cognitives des enfants (logique ascendante) ; d’autres découlent des exigences des différentes disciplines enseignées au collège, et plus précisément des programmes de Sixième (logique descendante).

Dans l’enseignement secondaire, cette logique descendante préside seule à l’élaboration de programmes conçus de telle manière que les exigences du niveau supérieur imposent les contenus du niveau immédiatement inférieur ; ainsi le programme de mathématiques de Terminale S est celui que devront avoir bien assimilé les élèves jugés capables de suivre une classe préparatoire scientifique ; ceux de Troisième sont conçus pour l’entrée en Seconde de lycée général et technologique, et tendent donc à laisser de côté les 40 % d’élèves orientés vers l’enseignement professionnel, qui ne peuvent ainsi l’être que par défaut. Comme l’indique le code de l’éducation, les programmes « constituent le cadre national au sein duquel les enseignants organisent leurs enseignements en prenant en compte les rythmes d’apprentissage de chaque élève. » Ils ont donc pour particularité de proposer dans le Secondaire, en théorie comme en pratique, des objectifs plafonds que seuls les « très bons élèves » (ceux dont les « rythmes d’apprentissage » sont adaptés… au bout du compte à entrer à Polytechnique ou HEC !) pourront atteindre, tandis que les plus faibles mesureront la distance qui les sépare de contenus venant révéler et consolider leurs difficultés. Dans le Primaire, se développe aujourd’hui chez une partie des enseignants une intériorisation de cette logique de l’aval : emplois du temps imitant ceux du collège, contenus allant au-delà des exigences d’entrée en Sixième et dépassant les capacités cognitives de la grande majorité des élèves, comme les attendus du palier 2 (fin de CM2) du livret de compétences pour ce qui concerne la maîtrise de la langue.

L’entrée au collège est également marquée par une rupture en matière d’évaluation. A l’école primaire des livrets d’évaluation décrivant les compétences et connaissances « acquises », « non acquises » ou « en voie d’acquisition », permettent de faire un point régulier sur les acquis individuels des élèves, du moins quand cela n’est pas dévoyé par une conception behavioriste des livrets et par une insuffisante maîtrise de ce type d’évaluation ; ils sont désormais quasi-généralisés. Au collège, l’évaluation passe massivement par une note sur 20, plus indicative de la position de l’élève dans son groupe classe que d’acquis précis. La pratique du calcul des moyennes par matière et d’une moyenne générale achève de rendre l’évaluation totalement muette sur ce que les élèves savent et savent faire comme sur ce qu’ils ignorent : elle ne peut alors servir qu’au classement et à la sélection des élèves sur un critère général d’excellence académique. Ce mode d’évaluation est profondément décourageant pour les élèves faibles, et il est largement responsable du stress particulier manifesté par les élèves français.

C’est avec ces logiques que celle du socle commun a voulu rompre ; d’abord en assurant une continuité ascendante des contenus du CP à la Troisième, définis en termes d’acquis progressifs pour les élèves et non de programmes pour les enseignants ; ensuite en définissant ces contenus en termes de connaissances, de compétences et de culture, dont l’école obligatoire est capable de « garantir à chaque élève les moyens nécessaires à leur acquisition » (article L.122–1–1 du code de l’éducation) ; enfin, en instituant une évaluation par validation progressive des connaissances et compétences acquises, sans compensation entre elles.

On n’a pas assez explicité et souligné la triple révolution que représentent ces initiatives dans l’histoire de notre système éducatif : contenus définis non plus en termes de normes pour les enseignants mais de standards pour les élèves, introduction de la notion de compétence et d’une pédagogie de l’approche par compétences, enfin passage d’une évaluation centrée sur des notes et des moyennes à une évaluation validant progressivement des acquis. Sans doute ses initiateurs n’en ont-ils pas eu eux-mêmes pleinement conscience.

Le socle commun définit donc (en théorie, mais pas en pratique !) des objectifs pouvant et devant être atteints par tous les élèves. Il ne représente donc pas une diminution des exigences scolaires, au contraire il les rend crédibles en ne confondant pas exigences pour tous et recherche de l’excellence pour quelques-uns. Mais la mise en œuvre du socle, de son évaluation et de sa certification, déjà objectivement compliquée, a été réalisée par des gouvernants et des cadres parfois peu convaincus. Cela n’a pas permis d’en faire une référence pour les enseignants, une base forte pour appuyer à moyen terme un redressement de la situation et aller vers une maîtrise de ces éléments fondamentaux par tous les élèves ; le socle n’est en effet pas parvenu à entamer la logique des programmes, des moyennes et de la compensation, à sortir de l’encyclopédisme, à mettre en évidence l’indispensable et à proposer aux enseignants des progressions réalistes et efficaces.

La rupture pédagogique

Pour les élèves, la rupture la plus sensible à l’entrée au collège est toutefois pédagogique. Passer d’un maître (dans la plupart des cas une maîtresse) polyvalent(e), conduisant toute l’année une seule classe, à des professeurs spécialisés chacun dans une discipline, imposant chacun ses préoccupations didactiques et ses exigences pédagogiques, constitue une expérience souvent difficile. Il est significatif que plusieurs dizaines d’années de recommandations ministérielles visant à une meilleure « liaison CM2-Sixième » n’aient au mieux abouti qu’à des dispositifs cherchant à préparer les élèves aux exigences des professeurs, très rarement à adapter ces derniers aux réalités du parcours scolaire des élèves. Toute tentative de dépasser cette rupture par une progressivité entre la conduite unifiée de la classe et le morcellement des enseignements s’est jusqu’à présent heurtée aux identités corporatives et à la défense des prés carrés professionnels. Pire encore, les programmes de 2008 ont tenté de résoudre à leur manière le problème de la rupture entre l’école et le collège en imposant à l’école primaire la logique disciplinaire du Secondaire. En conséquence, les emplois du temps de l’école sont de plus en plus émiettés, à la manière de ceux du collège. Cette secondarisation du Primaire n’est évidemment guère favorable aux élèves les plus fragiles qui ont davantage besoin d’un référent unique et de structures stables, alors qu’il peut leur arriver de travailler, entre les cours et les divers dispositifs d’aide et de soutien, avec plus d’une dizaine d’intervenants par semaine.

La rupture éducative

A l’école primaire, les maîtres sont à la fois responsables de l’instruction (les apprentissages cognitifs) et de l’éducation (les apprentissages axiologiques et comportementaux) des élèves. Tel n’est plus le cas au collège où les professeurs ne sont et ne se sentent trop souvent responsables que de l’enseignement de leur discipline ; d’où l’existence dans l’enseignement secondaire de personnels auxiliaires chargés de faire régner la discipline, c’est-à-dire l’ordre intérieur nécessaire à l’enseignement. L’école primaire envisage les apprentissages axiologiques et comportementaux comme une mission sociale et morale (former l’homme et le citoyen). L’enseignement secondaire ne semble intéressé que par la normativité des seuls comportements scolaires (la discipline), qu’il a toujours volontiers confiée à des personnels considérés comme subalternes. Son ambition morale n’en est cependant pas moindre, mais elle reste implicite, diffuse et incluse dans un idéal humaniste caractérisé par un mélange étroit (mais confus au point de les rendre indiscernables) de compétences intellectuelles et de vertus morales [4] . En pratique, les professeurs savent bien que le domaine éducatif ne peut être rejeté exclusivement sur les familles, mais il leur apparaît comme une tâche supplémentaire dont ils ne devraient pas avoir à s’acquitter, à laquelle ils ne sont pas préparés et qui les « distrait » de l’enseignement de leur discipline. Concevoir l’instruction comme un accomplissement de la nature humaine offre en outre l’avantage tactique de pouvoir regarder de haut l’enseignement primaire et les formations professionnelles.

Les plus fragiles, premières victimes de l’absence de continuité entre l’école et le collège

Dans ces conditions, ce sont bien sûr les élèves les plus fragiles sur les plans émotionnel, culturel et social qui sont les plus affectés par cette triple rupture cognitive, pédagogique et éducative. Alors que l’école primaire offre aux élèves un cadre stable, un référent unique aux exigences connues, le collège attend brusquement d’eux des capacités à s’adapter à des exigences multiples, dans une permutation permanente des espaces, des temps, des personnes et des codes. Des exigences d’autant plus difficiles à satisfaire qu’elles ne sont pas toujours suffisamment explicitées ni accompagnées, encore moins mises en cohérence par un projet partagé. Il n’est pas surprenant que les élèves dont la culture familiale est la plus éloignée de la culture de l’école soient très majoritairement les laissés-pour-compte d’une triple rupture qui altère souvent et brise parfois leur confiance en eux. La seule étude que l’on possède sur les effets socialement discriminants du parcours école-collège date de vingt ans et mériterait d’être actualisée [5] . Elle montre que sur un différentiel de 55 points de pourcentage en défaveur des enfants d’ouvriers par rapport aux enfants de cadres à l’entrée au lycée, 10 sont acquis avant l’entrée à l’école, 10 autres sont à imputer à l’école élémentaire (dont 5,5 au seul CP) et 35 se construisent au collège. Elle se trouve confirmée par une autre étude plus récente portant sur les enfants issus de l’immigration, qui montre que si l’école élémentaire atténue les différences d’acquis entre les élèves selon leur origine, le collège les accentue de nouveau [6] .

1–3 La question de la mixité sociale

Un autre facteur déterminant dans la structuration des inégalités de résultats entre élèves est la mixité sociale (ou des compétences scolaires, mais elle en diffère peu) des établissements et des classes dans la mesure où, dans notre pays, les compétences scolaires sont le plus étroitement corrélées au milieu social. Le rôle positif de l’hétérogénéité des classes sur les résultats des élèves au collège avait déjà été établi en France il y a une quinzaine d’années [7] . Une autre étude française, plus récente, confirme l’importance déterminante de la mixité sociale en comparant les performances scolaires moyennes des élèves entre départements et entre établissements [8] . Les études PISA de l’OCDE enfin, démontrent en 2009 comme en 2012 que les systèmes éducatifs les plus performants sont aussi les plus justes sur le plan social et les moins ségrégatifs ; ce sont aussi ceux où le tronc commun de l’école obligatoire est le plus long et le plus unifié, sans aucune filière officielle ou déguisée avant toute orientation. Au total, quelle que soit l’échelle des études (pays, territoires, établissements, classes), toutes établissent que la mixité sociale est favorable à une meilleure équité des résultats, et que celle-ci entraîne de meilleures performances pour l’ensemble des élèves [9] .

L’idée courante selon laquelle le système éducatif ne peut être tenu pour responsable de dynamiques ségrégatives qui affectent l’habitat et se répercutent sur la composition sociale des écoles et des collèges mérite d’être nuancée. D’abord la ségrégation scolaire est toujours plus importante que celle de l’habitat du fait des stratégies familiales d’évitement, renforcées par l’assouplissement de la carte scolaire depuis 2007 ; ensuite les réputations des établissements affectent désormais le prix du foncier et jouent directement sur la ségrégation résidentielle ; enfin les dispositifs d’affectation des moyens, de même que les critères de répartition des élèves dans les différentes classes se donnent rarement pour objectif – faute d’incitation – le maintien ou l’amélioration de la mixité sociale des établissements et des classes.

L’école commune ne peut résoudre à elle seule une question aussi complexe que la mixité sociale ; mais elle peut y contribuer de deux manières : en n’ajoutant pas un facteur ségrégatif supplémentaire en matière de structures scolaires et de pré orientations précoces, et en favorisant les collaborations entre les communes et les départements en matière de planification des investissements, d’élaboration des cartes scolaires et d’aménagement des territoires. Quel sens ont en effet les idées de « société commune » et de « vie en commun » dans des écoles ghettos ? Alors même que la continuité école-collège est susceptible, si l’institution s’en donne la peine, de poser de façon nouvelle la question du choix du collège par les familles.

1–4 De nombreux pays européens ont choisi cette voie

Alors que les savoirs scolaires allaient auparavant un peu partout de soi, la question de la finalité de la scolarité obligatoire a conduit depuis deux décennies la majorité des pays européens à affronter une nouvelle interrogation pour définir les enseignements dispensés : qu’attendre des élèves à la fin de la scolarité obligatoire ?

La réponse à cette question a été déclinée de trois façons, avec des nuances, selon les pays : à partir d’objectifs explicites d’apprentissage communs à tous les élèves (France avec le socle, malgré une mise en œuvre très partielle, Italie, Espagne et plusieurs pays des Balkans) ; avec l’établissement d’un curriculum national pour l’école de base (les cinq pays scandinaves) ; en insistant sur des niveaux de performance à différents paliers (Royaume-Uni sans l’Ecosse). Dans tous les cas il s’est agi d’améliorer l’efficacité et l’homogénéité de l’école obligatoire en fonction d’objectifs la dépassant car visant l’ensemble national.

Aujourd’hui, 12 pays européens sur 27 affichent une école unique pour l’ensemble de la scolarité obligatoire (Bulgarie, Tchéquie, Danemark, Estonie, Lettonie, Hongrie, Slovénie, Slovaquie, Finlande, Suède, Islande et Croatie), alors que deux autres (Espagne et Italie) ont mis en place des réformes conservant leurs deux structures scolaires tout en les rapprochant. Plusieurs facteurs ou éléments contextuels ont favorisé ces progrès dans la continuité des parcours scolaires par unification ou rapprochement des structures.

Nulle part on n’observe, comme en France, d’opposition marquée entre deux cultures, celles des premier et second degrés, fondée sur une concurrence séculaire entre établissements et une rivalité entre syndicats représentant des personnels exerçant à des niveaux différents.

Sur le plan pédagogique, le curriculum est un projet portant sur l’ensemble de la scolarité obligatoire, et la distinction fréquente entre curriculum national et curriculum local donne une plus grande maîtrise aux acteurs locaux sur la conception et la mise en œuvre des plans d’études.

Des modes d’évaluation certificative fondés sur la confiance accordée aux enseignants permettent à ces derniers de s’approprier les finalités d’un socle ou d’un curriculum dans sa globalité.

Dans plusieurs pays scandinaves, le statut de « professeur chercheur » des enseignants, tourné vers la recherche collective de solutions, favorise de meilleures conditions de collaboration entre professionnels.

Si la question du choix de l’établissement se pose différemment selon les pays, il semble néanmoins rare que, comme c’est parfois le cas en France, les familles construisent pour leurs enfants des parcours scolaires discontinus entre l’école et le collège.

Quand les deux niveaux sont maintenus séparés, la plus grande autonomie des établissements favorise des relations fécondes entre des institutions plus « égales » ; c’est le cas par exemple des mises en réseau volontaires d’écoles primaires et de scuole medie dans de nombreuses régions italiennes où un travail commun se réalise sur le curriculum, ne rendant à l’heure actuelle ni nécessaire ni pertinente une fusion des structures.

Ainsi, dans beaucoup de pays européens, et de manière diverse, la question d’un rapprochement entre Primaire et Secondaire inférieur ne s’est pas posée de façon globale et frontale car divers éléments ont facilité cette évolution.

1–5 Deux expériences de collaboration entre écoles et collège : Toulon et Trappes

Le collège Youri Gagarine de Trappes et ses écoles

Depuis la rentrée 2011 une expérience de collaboration regroupe le collège Youri Gagarine de Trappes et d’abord 2 puis 6 écoles primaires de son secteur scolaire.

Certains enseignements sont dispensés conjointement, en fin de primaire, par des professeurs d’école et de collège ; différents selon les écoles, ils concernent les lettres, l’EPS, les SVT et l’anglais. Parallèlement une classe de CM1 et une de CM2 viennent travailler chaque semaine une demi-journée au collège. Enfin un travail conjoint sur les moyens d’améliorer le climat scolaire a été entamé visant à trouver une meilleure cohérence des règles de la vie scolaire. Un conseil pédagogique inter degrés a été institué, avec notamment pour objectif la mise en place de projets personnalisés de réussite éducative (PPRE) passerelles. Des bilans trimestriels sont effectués par les acteurs eux-mêmes.

Les points positifs de l’expérimentation concernent une meilleure connaissance mutuelle du travail et des compétences des enseignants, une meilleure appréhension par les professeurs des écoles des attentes de leurs collègues à l’entrée du collège et la découverte par les élèves de fin de primaire du fonctionnement pédagogique du collège. Les points faibles relèvent de certaines conséquences du volontariat : difficulté à trouver des volontaires pour des échanges de services inter degrés ; abandon d’une action à la suite de la mutation d’un enseignant volontaire.

Le réseau expérimental d’écoles et de collèges de Toulon

Depuis 2011, ce réseau rassemble les 32 écoles et les 5 collèges de la circonscription de Toulon 2, socialement très hétérogène, avec pour but d’identifier les problèmes d’enseignement et de tenter de les résoudre en commun. Un conseil de réseau permet une réflexion régulière entre 8 directeurs et 4 chefs d’établissement, accompagnés par 2 inspecteurs.

Le constat préalable montre que, du point de vue de l’élève, la continuité des apprentissages rencontre des limites qui relèvent d’abord de la méconnaissance et de la diversité des attentes. Chacun des deux systèmes -école et collège- semble mal mesurer la part de l’implicite de ses propres codes, et leurs conséquences en termes de résultats comme de rapport à l’école et au savoir. Le réseau vise à mobiliser les deux degrés pour partager des connaissances et faire des acteurs de terrain les concepteurs des évolutions à entreprendre pour assurer une continuité entre l’école et le collège. Pour les enseignants, il s’agit aussi de se situer dans une logique de développement professionnel, et d’élaborer conjointement avec des universitaires des méthodes et des outils adaptés.

Plusieurs équipes ont entrepris des actions pour transformer les principes et les formes d’accueil, d’écoute et d’enseignement, afin d’améliorer la reconnaissance de l’autonomie des élèves dans leur éducation et leurs apprentissages. D’autres actions concernent la compréhension des enjeux et des codes d’entrée dans la culture, en prenant appui sur des œuvres fondatrices et en cultivant chez les élèves le goût du savoir et de l’échange ( plus de 35 classes engagées ; des binômes de professeurs conduisant ensemble des séances avec 40 à 45 élèves ) ; avec la didactique de l’oral, il s’agit de prendre en considération la langue des élèves et de leur permettre d’accéder à la maîtrise d’une langue française normée sans laquelle il n’est pas de communication au-delà de l’univers familier, ni de poursuite d’études et de liberté professionnelle ( 30 classes impliquées dans un groupe de travail en cycle 2 et/ou dans un projet utilisant le medium radio ) ; la lecture littéraire nourrit l’imaginaire et construit un lecteur autonome ( 17 classes ) ; enfin les sciences contribuent à former l’esprit à l’investigation méthodique ( 12 classes ). Les travaux de ces équipes sont enrichis de formations et d’accompagnement de terrain, notamment par des universitaires.

Les personnes engagées soulignent l’intérêt de travailler ensemble pour mieux se connaître et impulser des idées, des savoirs et des pratiques. Ce travail interroge les pratiques et les représentations des enseignants, mais aussi celles du management. Les limites de cette expérience renvoient à des questions d’autonomie des unités éducatives en termes de moyens d’accompagnement et de remplacement, aux obligations statutaires et aux qualités d’organisation des leaders, à leur stabilité sur poste et au courage d’innover, dans la classe comme dans l’encadrement.

2 – Enjeux, difficultés et propositions

Le but poursuivi par le projet d’école commune, comme on vient de l’exposer, est de parvenir à une continuité, à une progressivité et à une cohérence entre l’école primaire et le collège. L’école commune est bien sûr d’abord tournée vers la réussite des élèves qui aujourd’hui échouent mais elle ne se désintéresse pas des autres ni de l’émergence d’une élite. On ne tire pas vers le haut les plus faibles en centrant les moyens sur la formation des meilleurs. Les études internationales sont claires : concentrer les efforts sur les plus faibles conduit au progrès de tous et à la promotion d’une élite plus fournie.

La mise en œuvre de l’école commune, sans cesse ajournée malgré les analyses convergentes de plusieurs études et travaux d’experts, n’est pas sans difficultés : « Les choses ne sont pas mûres » répondait à un journaliste, pendant la campagne présidentielle, un conseiller du futur ministre. Mais quand le seront-elles donc ? Et le rôle du politique se borne-t-il à faire de simples constats de « maturation » ? Nous avons résolu d’examiner les différents domaines (culturel, institutionnel, pédagogique et budgétaire), où des difficultés de mise en œuvre sont prévisibles, et nous faisons des propositions susceptibles de les éviter. Ces propositions dessinent in fine une stratégie d’action vers une école obligatoire plus juste et plus efficace.

2–1 Le domaine culturel

L’école et le collège sont deux « mondes » institutionnels et professionnels très différents, appuyés sur des histoires et des cultures qui les distinguent et parfois les opposent. Leur rapprochement exige de ne pas heurter frontalement ces identités enseignantes, mais de ne pas non plus les essentialiser en les considérant comme immuables. Bien sûr, l’école commune ne peut être construite contre les enseignants ou une partie d’entre eux : le sens de la réforme n’est pas de contraindre les enseignants, mais de faire réussir les élèves, il faut l’expliquer sans relâche.

Des obstacles proprement syndicaux se nourrissent de ces différences culturelles sans pour autant en constituer un décalque : deux grandes centrales, la CFDT et l’UNSA, et leurs syndicats affiliés, ont surmonté cette division identitaire et sont favorables à la réforme. A l’intérieur de la FSU, le SNES (syndicat des professeurs de collège et de lycée général et technologique) et le SNUIPP (syndicat des enseignants du primaire) n’ont pas des positions identiques. Le seul véritable obstacle semble être l’hostilité du SNES à une réforme dont il est convaincu des effets « régressifs » par rapport à ses conceptions de la culture et à sa vision jacobine de l’organisation scolaire, qu’il partage avec une partie notable des élites du pays ; il redoute aussi la coupure en deux de son champ de syndicalisation entre collèges et lycées, et l’avantage ainsi donné aux syndicats concurrents « généraux ».

Propositions

Favoriser le rapprochement des identités professionnelles par des mesures touchant le recrutement et les pratiques : évaluation des éléments constitutifs d’une culture professionnelle commune dans le cadre des concours de recrutement, formation pédagogique commune dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation (ESPE), stages de formation continue conjoints, travail en commun sur le cycle 3 (CM1-CM2-Sixième), élaboration commune des contenus des enseignements dans le cadre d’un fonctionnement curriculaire nouveau, etc.

Ne plus survaloriser la puissance du SNES, cesser notamment d’en faire le partenaire privilégié du ministère et ne pas identifier la FSU à ce seul syndicat ; davantage s’appuyer sur les syndicats, associations et fédérations de parents favorables à cette réforme. Mais il faut aussi rassurer ce grand syndicat représentatif et lui donner des gages sur le maintien des institutions (écoles et collèges) qui marquent formellement l’existence d’un premier et d’un second degrés, ainsi que sur la continuité collège-lycée général et technologique (à condition toutefois de construire aussi une nécessaire continuité collège-lycée professionnel qui intéresse près de 40 % des élèves).

2–2 Le domaine institutionnel

Ce domaine rassemble tout à la fois les structures (service communal d’une part, établissement public de l’autre), les responsabilités et les financements (communes pour les écoles, départements pour les collèges avec la prérogative conservée de l’Etat sur les affectations des élèves), le pilotage académique, et enfin les statuts des enseignants.

Le meilleur moyen d’aborder un aspect aussi complexe n’est sans doute pas de viser un stade administratif « idéal » en créant ex nihilo un nouvel établissement public rassemblant école et collège. Une telle approche soulèverait en effet l’hostilité du premier degré (les professeurs des écoles et les directeurs sont attachés à une certaine forme d’autogestion, les inspecteurs tiennent à leurs responsabilités de proximité) et de communes très soucieuses du développement de leur(s) école(s). En même temps il s’agit d’engager résolument et de favoriser concrètement de nouvelles collaborations entre les structures et les collectivités.

Propositions

Au niveau local mettre en place des réseaux écoles-collège constituant des unités d’enseignement de taille suffisante pour en faire des lieux de développement professionnel continu, dans le souci d’accroître l’autonomie et la responsabilité des équipes qui les composent.

Développer autour de l’encadrement chargé d’accompagner les équipes dans un climat de confiance, des missions d’animation pédagogique et éducative (coordination de réseaux, de projets, de niveau, de champ disciplinaire…) assurées par des enseignants et des personnels d’éducation.

Au niveau académique, mettre en place un pilotage intégré et dynamique du développement des conseils des réseaux écoles-collège ; en particulier les encourager et les aider à s’engager dans des expérimentations et des innovations, en premier lieu sur le cycle 3 commun (CM1-CM2-Sixième) puis sur l’ensemble des niveaux ; lever les obstacles administratifs à ces collaborations, actions et formations communes.

Au niveau national, laisser subsister les institutions et les responsabilités actuelles mais prendre acte de la continuité école-collège dans la structure du budget de l’Education nationale en suivant une recommandation répétée de la Cour des comptes : introduire un programme budgétaire « socle commun », pour que cet « objectif essentiel du système éducatif » ne soit plus à cheval sur deux programmes budgétaires différents, le programme actuel « Enseignement scolaire public du second degré » regroupant les moyens alloués aux collèges et aux lycées ; faire un bilan des nouveaux conseils écoles-collège au bout d’un an puis entreprendre les modifications nécessaires.

Dans le cadre de la prochaine loi de décentralisation, concevoir la simplification administrative en confiant la responsabilité des écoles et des collèges à la même collectivité.

Faire de la recherche de la mixité sociale, ethnique et scolaire des établissements et des classes un « impératif catégorique », une priorité réelle se traduisant par des procédures nouvelles de gestion de la carte scolaire et de l’allocation des moyens aux réseaux écoles-collège ; dans ce cadre, confier la responsabilité des affectations des élèves en collège au président de la collectivité.

Développer des expérimentations plus poussées, pouvant aller ici ou là jusqu’à l’intégration des structures sur le même site, avec l’engagement des collectivités autour de projets pédagogiques et éducatifs innovants se donnant pour objectif la réussite de tous, sur la base du volontariat des institutions et des équipes pédagogiques.

Fusionner le corps de professeur des écoles et celui de professeur certifié ; ce regroupement présenterait de multiples avantages :

Favoriser la mobilité professionnelle et les « secondes carrières » à l’interne, sur la base d’un volontariat encouragé s’il est dans l’intérêt du service.

Favoriser l’harmonisation des recrutements, en privilégiant le niveau académique, et le rapprochement des formations.

Définir les obligations professionnelles par niveau d’enseignement et non par corps.

Mieux gérer et valoriser les ressources et compétences des professeurs des écoles qui sont recrutés désormais à un niveau aussi élevé que leurs collègues certifiés.

Ecarter la crainte du SNES de re-création d’un corps de professeur de collège.

2–3 Le domaine pédagogique et éducatif

C’est le plus important puisqu’il s’agit de parvenir à modifier des pratiques qui favorisent globalement les meilleurs élèves au détriment des plus faibles et, en matière d’orientation ou de choix d’enseignement, les riches au détriment des pauvres [10] . Pour cela, loin de stigmatiser et contraindre, il est proposé de doter les équipes enseignantes de plus d’autonomie et de leur confier de nouvelles responsabilités collectives. En particulier, il s’agit de traiter la difficulté scolaire, qu’elle soit cognitive ou comportementale, à l’intérieur même des classes, en évitant au maximum une externalisation en plein développement mais qui nécessite de multiplier les dispositifs et les personnels auxiliaires, et qui au final se révèle coûteuse et inefficace pour les élèves les plus concernés [11] .

Par ailleurs, le recrutement actuel peut être critiqué : les concours ne permettent pas l’émergence d’une culture professionnelle et pédagogique commune fondée sur la capacité à favoriser les acquisitions cognitives et éducatives des élèves ; ils valident des capacités estimées et non des compétences observées devant des élèves ; quant aux stagiaires, ils sont quasiment assurés de leur titularisation ; ce système, maintes fois dénoncé, est à l’origine de ces multiples cas d’inadaptation et de souffrance professionnelle qui constituent un sujet fréquent de mécontentement pour les familles.

Propositions

Construire un curriculum cohérent de la maternelle au collège : compétences du socle commun rénové, niveaux de maîtrise attendus à la fin de chaque cycle, outils de suivi des acquis des élèves, modalités de la certification ; remplacer le diplôme national du brevet par un brevet du socle commun, attestant de la maîtrise des compétences du socle.

Au-delà de leur participation à l’élaboration nationale des contenus d’enseignement, donner le pouvoir et la responsabilité aux équipes des écoles et collèges de compléter et de parachever ces contenus, collectivement et au niveau local, en élaborant des « plans d’études » pour les élèves, intégrant contenus, méthodes, évaluation des élèves et accompagnement formatif des équipes.

Lancer un plan pluriannuel de développement professionnel et de formation continue ambitieux, visant à faire acquérir des compétences pédagogiques et éducatives nouvelles à l’ensemble des enseignants en poste, notamment sur les pédagogies de l’entraide et de la coopération, sur l’accompagnement des élèves en difficulté d’apprentissage et comportementales, ainsi que sur les méthodes d’évaluation non décourageantes ; mettre en place dans chaque académie un dispositif d’aide et de soutien de proximité aux équipes enseignantes ; mobiliser les personnels de direction et d’inspection autour de ces dispositifs.

Renforcer la professionnalisation de la formation initiale pour développer et valider ces nouvelles compétences pédagogiques ; cela implique de modifier la place et le contenu des épreuves des concours et les maquettes du master « métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation » (MEEF).

En matière de recrutement, afin de pouvoir évaluer de réelles compétences professionnelles, décrocher l’admissibilité (placée en fin de L3 ou de M1) de l’admission aux concours, en plaçant cette dernière en fin de M2 sous forme d’une épreuve en situation d’enseignement avec des élèves.

Mettre en place des dispositifs d’accompagnement pédagogique conséquents, dans la classe, pour tous les élèves présentant des difficultés d’apprentissage, en particulier au cycle commun à l’école et au collège.

Revenir sur la dynamique de « l’individualisation » de l’enseignement et des parcours scolaires « à la carte », ainsi que sur la multiplication des choix et des options qui profitent toujours aux privilégiés.

2–4 Le domaine budgétaire

Il n’est pas de réforme possible sans marge de manœuvre budgétaire ; et il n’existe pas de choix budgétaire sans réflexion politique et économique. On a fait plus haut le constat très critique du fonctionnement social du système scolaire français. Son coût économique dépasse largement les frontières du budget de l’éducation. La France combine en effet une école coûteuse, mais injuste et inefficace, qui fabrique de nombreux jeunes actifs sous qualifiés, à un système de traitement et de soutien très élaboré de la difficulté sociale représentant pour la puissance publique une charge économique considérable. Le coût des sorties sans diplôme de la formation initiale peut ainsi être évalué à près de 24 milliards d’euros au minimum par an (voir encadré ci-dessous et annexe 3).

Le coût minimal de l’échec scolaire

Le coût de l’échec scolaire est estimé, sur une base prudente, à environ 24 milliards d’euros par an. Ce montant résulte de la comparaison de la situation actuelle à un scénario « contrefactuel » dans lequel est attribué virtuellement un diplôme de niveau BEP/CAP aux individus sans diplôme. Cette évaluation a été réalisée sur la base de données récentes issues de l’édition 2012 de l’enquête « Emploi en continu » de l’Insee. Alors que la littérature existante sur le sujet compare souvent les individus sans diplôme à la moyenne des individus diplômés, la cellule chiffrage de Terra Nova propose une hypothèse contrefactuelle sans doute plus réaliste.

L’évaluation inclut l’impact fiscal de l’échec scolaire , c’est-à-dire les moindres rentrées fiscales (impôt sur le revenu, CSG et CRDS, TVA) liées aux moindres revenus des individus sans diplôme, et l’impact budgétaire , c’est-à-dire le coût de l’échec scolaire en termes de prestations (allocations chômage et RSA « socle ») à verser aux individus sans diplôme qui sont plus souvent inactifs ou au chômage que les individus diplômés. Les coûts sociaux indirects sont en revanche écartés de l’évaluation. Déduire un lien causal de la corrélation statistique entre l’absence de diplôme et la criminalité ou l’état de santé paraît douteux sur le plan méthodologique.

Notre évaluation s’interprète comme un coût minimal auquel viendrait s’ajouter l’ensemble des coûts indirects non chiffrables qui font l’objet d’une description qualitative. Ce coût minimal représente l’ampleur de l’effort budgétaire qui pourrait être réalisé sans impact sur nos finances publiques, à condition bien sûr que la dépense supplémentaire se traduise par une réelle amélioration du système scolaire. En définitive, c’est sans doute la disparition des coûts sociaux indirects qui bénéficierait le plus à notre société.

Source : cellule chiffrage de Terra Nova

Dans ce cadre, le choix de consacrer près de la moitié des 50 000 postes créés sur 5 ans au statut de fonctionnaire stagiaire pour les étudiants de seconde année de master est critiquable.  Sans efficacité sur l’amélioration de notre système éducatif, il réduit considérablement les marges de manœuvre budgétaires, alors que la formation continue, aujourd’hui réduite à peau de chagrin, concerne potentiellement plus de 700 000 enseignants.

Proposition

On est donc amené à conseiller au Gouvernement, s’il souhaite établir une école plus juste et plus efficace, et s’il veut, par la formation de tous, donner la priorité aux objectifs économiques nationaux à long terme, de dégager préalablement les marges budgétaires nécessaires à une telle réforme, notamment pour mettre en place un vaste et ambitieux plan pluriannuel de formation continue et d’accompagnement professionnel des enseignants d’école et de collège. Au total, le budget consacré à la formation continue et à l’accompagnement de ces enseignants devrait représenter à terme 6 % de la masse salariale, ce qui représenterait un quasi doublement de l’investissement de formation pour ces personnels [12] .

2–5 Le domaine de la communication

Gagner la bataille de l’opinion est essentiel. Les forces conservatrices sont nombreuses, mais elles sont désunies : familles privilégiées favorables à l’entre soi social et à l’élitisme scolaire (voir le projet actuellement concocté pour elles par l’UMP) ; universitaires et lobbies disciplinaires confondant l’excellence académique et l’élitisme social, et méprisant la pédagogie ; front du refus syndical : SNES et ses alliés de droite et d’extrême gauche réunis sur des positions conservatrices et des revendications démagogiques purement quantitatives. Au travers de la continuité et de la cohérence de l’école obligatoire, c’est au fond toute la question du sens de l’école pour la population, de la confiance dans l’école qui se trouve soulevée. L’école commune est avant tout l’ambition de reconstruire cette confiance.

Propositions

Positionner d’emblée la réforme comme une exigence morale répondant à un impératif de justice sociale et de cohésion républicaine, et comme un objectif stratégique servant l’intérêt supérieur de la Nation, notamment sur le plan économique.

Donner aux familles davantage de pouvoir et de responsabilités dans les processus d’orientation.

Savoir anticiper les thèmes du dénigrement du projet d’école commune et préparer les réponses. Ainsi :

L’école commune, c’est la recherche d’une meilleure continuité, d’une réelle progressivité et d’une plus grande cohérence dans la scolarité obligatoire ; ce n’est pas la « primarisation du Secondaire »

L’école commune, c’est prendre au sérieux les savoirs et les vouloir réellement maîtrisés par tous les élèves ; c’est tout le contraire de la situation actuelle où l’ambition des programmes va de pair avec une indifférence générale à la réalité de leur maîtrise par les élèves.

L’école commune, ce sont de nouvelles démarches pédagogiques collectives, attentives aux apprentissages réels des élèves ; ce n’est pas une construction bureaucratique et chronophage, dévorant le temps des enseignants dans des réunions stériles

L’école commune, ce n’est pas le mélange dans les mêmes bâtiments d’élèves de 6 à 15 ans mais c’est la volonté de mettre l’éducation des comportements, le respect des valeurs et des règles de vie, ainsi que la sécurité des élèves, la morale laïque et la solidarité entre les élèves au cœur d’un projet de réussite éducative pour tous.

ANNEXE 1 – principales propositions

Dégager les marges de manœuvres budgétaires permettant de lancer un vaste plan pluriannuel de formation et d’accompagnement professionnel des professeurs enseignant en école et en collège, et mobilisant à terme 6 % de la masse salariale de ces personnels.

Communiquer sur la nécessité d’une réforme de l’école obligatoire en se plaçant sur le terrain des valeurs ; s’appuyer sur les résultats des recherches et sur les recommandations des études internationales ; insister sur le sens d’une réforme tournée vers la réussite des élèves et non vers une critique des enseignants.

Utiliser toutes les possibilités de la loi sur la refondation pour développer les initiatives des nouveaux conseils écoles-collège et pour développer le travail en commun sur l’ensemble de la scolarité obligatoire ; associer des municipalités et des conseils généraux volontaires à certaines expérimentations d’intégration plus poussée ; mobiliser l’encadrement dans un pilotage dynamique de la réforme.

Dans la prochaine loi de décentralisation, confier la responsabilité des écoles et des collèges à la même collectivité.

Fusionner les corps de professeur des écoles et de professeur certifié de manière à favoriser la mobilité professionnelle et l’utilisation de toutes les compétences sur l’ensemble école-collège.

Donner davantage de pouvoir et de responsabilité aux équipes enseignantes ; en particulier leur confier, au-delà de leur participation à l’élaboration nationale des contenus, la possibilité de les compléter et de les parachever, collectivement et au niveau local, en élaborant des « plans d’études » pour les élèves, intégrant contenus, méthodes, évaluation des élèves et accompagnement formatif des équipes.

Revoir les processus d’orientation et d’affectation des élèves, ainsi que de répartition des moyens de façon à favoriser la mixité sociale et scolaire des établissements et des classes ; limiter le nombre des options et supprimer les dispositifs ségrégatifs ; confier plus de responsabilité à la collectivité territoriale pour l’affectation des élèves.

ANNexe 2 – Note complementaire, 3 juin 2014 – Claire Krepper, Jean-pierre obin

La note de Terra Nova publiée le 6 mars 2014, Pour une école commune, du cours préparatoire à la troisième, un pas supplémentaire vers la démocratisation n’est pas passée inaperçue : de nombreux médias s’y sont intéressés, de même que plusieurs syndicats et associations professionnelles. Sa lecture par les premiers s’est avérée diverse : certains y ont vu un soutien à la politique de refondation de Vincent Peillon, d’autres une critique en règle de son action, d’autres enfin ont su dégager avec moins de sensationnalisme l’intérêt de certaines analyses et propositions. On peut toutefois regretter que la majorité des commentateurs se soient focalisés sur quelques propositions « phares » ou « controversées », donnant une vision incomplète de l’argumentation développée.

Du côté des syndicats et des associations, les commentaires ont davantage porté sur le fond des questions soulevées. On laissera ici de côté celles, les plus nombreuses, qui ont manifesté globalement un intérêt ou un soutien à notre argumentation pour nous consacrer à répondre aux deux syndicats de la FSU, celui des inspecteurs (le SNPI, minoritaire) et celui des professeurs de collège et de lycée général et technologique (le SNES, majoritaire), qui ont jugé le sujet suffisamment « sensible » pour publier de longues notes critiques. Nous en retiendrons d’abord quelques arguments polémiques, puis deux critiques de fond qui nous semblent avoir été portées de bonne foi.

***

Pour commencer, les notes du SNES et du SNPI présentent un caractère nettement polémique, en présentant une vision tronquée, voire caricaturale de notre étude.

La première caricature consiste à disqualifier a priori les auteurs de la note, au prétexte qu’ils appartiendraient presque tous à l’UNSA. Ce qui est faux : parmi les sept signataires, trois adhèrent à un syndicat de cette fédération ; les autres sont membres d’autres organisations ou non syndiqués. Certains ont un engagement associatif. Tous ont participé à l’élaboration de cette note à titre personnel et pas au nom d’une quelconque organisation. La responsable du secteur éducation de Terra Nova, qui a choisi le thème de l’étude, mis en place le groupe de travail et en a sollicité les membres, n’est pas syndiquée à l’UNSA.

La seconde caricature consiste à faire croire que les auteurs de la note « méprisent » les enseignants du second degré, en les présentant comme peu soucieux de ce que les élèves apprennent réellement, tant ils seraient obsédés par leur discipline de recrutement. Non, Terra Nova ne méprise pas les enseignants ! Ils ne sont ni responsables ni coupables : ils sont victimes tout autant que les élèves d’un système  qui les empêche de faire leur métier et qui génère une grande souffrance professionnelle tant l’écart entre le travail prescrit et leur travail réel est important et tant leurs résultats d’ensemble, attestés par les études nationales et internationales, sont éloignés de leurs idéaux. Quant au « rejet des disciplines » qu’on nous prête, c’est l’accusation suprême portée rituellement contre ceux qu’on veut disqualifier aux yeux des « collègues ». Il faudrait pourtant sortir de cette diabolisation et raisonner de manière pragmatique et dans l’intérêt des élèves sur ce sujet. Ainsi, en quoi les enseignants d’’histoire-géographie-éducation civique, de SVT, de SES ou de génie industriel, par exemple, sont-ils réputés « monovalents », alors que ceux de Lettres-histoire sont supposés « bivalents » ? En quoi les professeurs d’arts plastiques sont-ils « monovalents » par rapport aux disciplines artistiques, et ceux d’EPS par rapport aux disciplines sportives ? Tout ceci n’a guère de sens et il suffit de franchir le Rhin, les Alpes ou les Pyrénées pour relativiser l’intérêt d’un vocabulaire à fonction principalement identitaire, et que la note de Terra Nova s’est attaché à éviter. La vérité est plus simple : plus l’étude des savoirs s’approfondit, plus leur enseignement se spécialise, et ceci de l’école au troisième cycle universitaire. Il devrait en être ainsi dans l’école commune -et au-delà-, avec le passage progressif d’un enseignant unique à des enseignants de plus en plus spécialisés dans des champs de connaissance de plus en plus étroits. Ce que nous dénonçons, ce n’est ni la « polyvalence » ni la « monovalence » disciplinaire, mais les effets de rupture, de discontinuité entre deux systèmes étrangers l’un à l’autre, et qui n’ont jamais été conçus pour se succéder et se compléter mais à l’origine pour se côtoyer et ensuite se concurrencer.

La troisième caricature revient à soutenir que nous verrions dans cette rupture le seul facteur explicatif de l’échec scolaire, en déniant notamment ce qui en revient à l’école primaire. C’est une lecture pour le moins abusive de notre note pour deux raisons. D’une part, une partie importante de la note est consacrée à l’examen d’une autre cause majeure de l’échec sélectif des enfants des classes sociales défavorisées : la baisse de la mixité sociale dans l’habitat, dans les établissements et dans les classes. D’autre part, nos affirmations sur la responsabilité respective de l’école, du collège et surtout de leur défaut de continuité et de cohérence, sont fondées sur des études nationales ou comparatives, que nous citons. Depuis la publication de notre note, une étude comparative de l’INSEE sur les sorties précoces, autrement dit le décrochage, est encore venue apporter de l’eau à notre moulin. [13] Elle conclut en effet que « deux traits des systèmes éducatifs sont propices à de faibles proportions de sortants précoces » : d’une part « la continuité structurelle entre les enseignements primaire et secondaire de premier cycle (troncs communs non sélectifs) », et de l’autre « le développement des enseignements professionnels secondaires de second cycle ».

Le dernier argument polémique prend l’aspect d’un paradoxe. Comment reprocher à notre note d’avoir fait du SNES le principal élément d’opposition à l’école commune alors que sa réaction en est la parfaite illustration, d’ailleurs totalement assumée ? Pour notre part nous n’appelons pas à l’anathème : le constat de l’état de notre système éducatif est suffisamment grave, et l’enjeu de son redressement suffisamment déterminant pour notre pays, pour que toutes les forces progressistes débattent et s’unissent pour réformer l’école. Sinon les conservateurs auront assez vite les mains totalement libres pour proposer un projet de privatisation de l’enseignement public et de développement de la scolarisation familiale qui recueillera l’assentiment d’une majorité de nos concitoyens.

***

Les notes du SNPI et du SNES développent également deux critiques de fond. La première est que les propositions de Terra Nova ne reviendraient qu’à des mesures structurelles ; elles ne garantiraient pas une meilleure continuité pour les élèves et surtout une meilleure formation pour les enseignants, mais elles permettraient des flexibilités et donc des économies budgétaires. En fait, les propositions structurelles de notre note sont peu nombreuses. Elles concernent essentiellement la fusion des corps des professeurs des écoles et des professeurs certifiés, et le rattachement des écoles et des collèges à la même collectivité territoriale.

La fusion des corps a beaucoup fait réagir les médias et le SNES.

Pourtant, la portée de cette mesure est surtout symbolique. En effet, il ne s’agit évidemment pas de créer un corps unique d’enseignants polyvalents de la maternelle à la fin du lycée ayant les mêmes obligations de service. Une fusion des corps des professeurs des écoles et des professeurs certifiés conduirait à une égale reconnaissance de ces enseignants, y compris sur le plan indemnitaire. Elle faciliterait aussi la mobilité entre les différents niveaux d’exercice, celle-ci étant conditionnée toutefois à l’examen d’une qualification acquise lors de la formation universitaire initiale ou par une formation certificative d’adaptation au niveau ou à la discipline concerné. Les obligations réglementaires de service seraient alors définies en fonction du niveau d’exercice. Cette fusion en un corps unique pourrait faciliter une formation initiale en partie commune même si le concours présenterait des spécialités. En fait, rien de révolutionnaire dans cette proposition : aujourd’hui déjà, les obligations de service et les épreuves des concours des professeurs d’EPS, de mathématiques ou d’arts plastiques, par exemple, ne sont pas les mêmes ; sans parler de la situation encore plus particulière des certifiés documentalistes. Nous ne discernons pas très bien en quoi l’intégration à cette diversité des qualifications des professeurs des écoles, aux aussi recrutés avec un master universitaire, mettrait en danger notre système éducatif.

Le rattachement des écoles et des collèges à la même collectivité territoriale

Cette disposition a fait l’objet de la publication d’une tribune dans le journal Libération du 11 février 2014, cosignée par des responsables de Terra Nova et de deux grandes fédérations syndicales. La logique de l’école commune, ou tout simplement celle d’un bon fonctionnement en réseau des collèges et de leurs écoles de recrutement, pousse à ce que tous dépendent de la même collectivité territoriale. Si la réforme annoncée est poussée jusqu’à son terme et se traduit par la disparition des conseils généraux, il serait donc logique que collèges et écoles dépendent des communautés de communes.

Les économies budgétaires

En fait, elles ne sont guère à attendre de ces mesures structurelles. En revanche, notre note insiste sur le coût phénoménal du décrochage scolaire sur les finances publiques, estimé à plus de 24 milliards d’euros par an ; elle est toute entière tournée vers une analyse de ses causes et les moyens de le faire reculer. A l’inverse de l’accusation du SNES, nous insistons sur la nécessité d’investir dans la formation des enseignants, aussi bien en formation initiale qu’en formation continue. Et la note est très explicite sur ce point : elle avance comme première proposition (et ce n’est pas un hasard) de «  dégager les marges de manœuvre budgétaires permettant de lancer un vaste plan pluriannuel de formation et d’accompagnement professionnel des professeurs enseignant en école et en collège, mobilisant à terme 6% de la masse salariale de ces personnels  ». Sur l’ampleur financière de cet immense gâchis comme sur l’effort financier à engager en matière de formation, on ne peut être qu’étonné de l’absence de réaction du SNES.

Scolarité commune et scolarité obligatoire

Seconde critique de fond, la note de Terra Nova réduirait la scolarité obligatoire à l’école et au collège, alors que la revendication du SNES est de la porter à 18 ans.

Le SNES se trompe de débat afin d’attirer l’attention sur une question (la durée de l’obligation scolaire) sans aucun rapport avec celle que nous avons développée (la continuité entre l’école et le collège). Le SNES reproche par ailleurs aux propositions de Terra Nova de «  couper le collège du lycée et d’installer de fait un tri à l’intérieur du collège entre ceux qui auront vocation à poursuivre dans le bloc bac-3/bac+3 et les autres que l’on sommera de choisir une formation professionnelle immédiate  ». Que propose donc le syndicat ? De supprimer la voie professionnelle après le collège ? De reporter le premier palier d’orientation en fin de seconde ? On aimerait connaître l’avis des professeurs de lycée professionnel. Le « grand second degré » que défend le SNES depuis sa création a-t-il jamais empêché de faire du collège l’espace de tri entre le lycée général et technologique et le lycée professionnel ? Quant au bloc bac-3/bac+3, le SNES en a une vision bien étroite : les élèves de l’enseignement professionnel sont de plus en plus nombreux à accéder à l’enseignement supérieur, notamment par la voie des BTS et des licences professionnelles.

Des propositions de nature pédagogique

Le SNES et le SNPI, en mettant l’accent, pour les critiquer, sur nos deux propositions structurelles, ne disent rien de l’essentiel de notre note : ses propositions pour assurer une meilleure continuité et une plus grande cohérence cognitive, pédagogique et éducative de l’école et du collège, et notamment :

Construire un curriculum cohérent de la maternelle au collège

Lancer un plan de développement professionnel ambitieux au plus près des écoles et des établissements, dans le cadre des réseaux écoles-collège

Renforcer la professionnalisation de la formation initiale des enseignants

Renforcer les démarches collaboratives et l’évaluation non stigmatisante

Favoriser la continuité par le rapprochement des identités professionnelles des enseignants (formation initiale et continue, travail en commun dans les conseils écoles-collège…)

Les propositions de Terra Nova ne cherchent ni à « primariser » le collège, ni à « secondariser » l’école primaire. Chaque niveau présente des atouts et des faiblesses dans son fonctionnement actuel. Echanger et travailler davantage ensemble doit faciliter l’émergence de nouvelles organisations, conçues dans l’intérêt des élèves et s’appuyant sur les atouts de chacune des structures. Ces nouvelles collaborations doivent être construites par les équipes éducatives elles-mêmes, dans l’esprit de la collaboration instaurée par la loi sur la refondation, qui introduit un cycle commun pour les élèves et un conseil commun entre chaque collège et les écoles de son bassin de recrutement. C’est là la démarche inverse de celle imposée d’en haut en 2008 par Xavier Darcos : une organisation des programmes de l’école primaire par disciplines universitaires, calquée sur celle du collège en dépit des besoins des élèves.

Nos propositions précisément partent des élèves, qui ne sont pas différents en fin de CM2 et en début de 6ème. Les plus fragiles d’entre eux, majoritairement issus des classes populaires, sont ceux qui parviennent le moins bien à surmonter la triple rupture cognitive, pédagogique et éducative de l’entrée au collège. C’est le sens même de l’intérêt général que de les aider à avoir un parcours scolaire plus continu, plus progressif et plus cohérent. La recommandation de Condorcet dans son Second mémoire sur l’instruction publique, « Il faut (…) empêcher que l’instruction, qui est instituée pour les élèves, ne soit réglée d’après ce qui convient aux intérêts des maîtres » ne reste-t-elle pas d’actualité ?

Annexe 3 – Une evaluation minimale du cout budgetaire de l’echec scolaire (cellule chiffrage de Terra nova, janvier 2014)

Si la lutte contre l’échec scolaire apparaît comme un impératif moral et social, elle revêt également une dimension financière importante. Intuitivement, une personne diplômée participera en effet plus activement à la vie économique du pays (meilleure situation face à l’emploi, paiement d’impôts plus élevés) qu’une personne sans diplôme.

Cette note se propose de quantifier l’effet du diplôme sur les finances publiques, afin de préciser les enjeux économiques d’une réforme du système scolaire et d’en justifier les coûts. Après un exposé de la méthode d’analyse (I), les résultats sont présentés (II) puis discutés (III). Quelques études sont ensuite présentées et commentées (IV).

1 – Méthode

Périmètre de l’analyse

L’étude porte sur la population en âge de travailler (18–65 ans) et se focalise sur la relation au travail (inactivité, chômage ou emploi) en fonction du diplôme. En particulier, les effets budgétaires des retraites ne sont pas modélisés [14] . L’analyse repose sur la construction d’un scénario contrefactuel où toutes les personnes en réalité sans diplôme auraient les caractéristiques de celles ayant un diplôme du degré le plus faible [15] (CAP ou BEP).

Fig. 1 : Incidence du diplôme sur la situation par rapport à l’emploi

Source : INSEE et calculs des auteurs

Remarque : La définition de « sans diplôme » reprend celle utilisée par la plupart des institutions publiques : sont « sans diplômes » les personnes n’ayant aucun diplôme ou uniquement le certificat d’études primaires (CEP) ou le brevet des collèges (BEPC).

Plutôt que de considérer une cohorte d’individus (par exemple, les jeunes sortant du système scolaire sans diplôme en 2013) et de projeter puis d’actualiser son comportement (ce qui nécessiterait de faire de nombreuses hypothèses sur l’évolution des grandeurs macroéconomiques ainsi que des dispositifs fiscaux et sociaux), la population des personnes sans diplômes est prise dans son ensemble. Cela correspond à une approche budgétaire [16] du sujet, où prime l’impact financier de l’échec scolaire pour un exercice donné, quel que soit l’âge des personnes considérées. Ainsi, le coût annuel de l’échec scolaire est pris égal à la somme des différentiels budgétaires, cohorte par cohorte, pour les personnes en âge de travailler.

Fig. 2 : Effectifs totaux par type de diplôme

Nombre

Pourcentage

Total des 18–65 ans

39 024 974

100,00%

Non-diplômés

10 940 733

28,04%

Titulaires d’un BEP/CAP

9 284 842

23,79%

Source : INSEE et calculs des auteurs

Néanmoins, il convient de tenir compte de l’évolution du profil des « sans diplômes » et de leur insertion dans la société. On peut en effet concevoir que les jeunes générations seront davantage pénalisées dans leur vie professionnelle que leurs aînées. Pour ce faire, la comparaison des trajectoires des personnes diplômées ou non n’est effectuée que sur la première partie de la vie professionnelle (18–45 ans), puis les effets sont extrapolés à l’ensemble des générations.

Données utilisées

La principale source de données utilisée est l’enquête [17] « emploi en continu 2012 » de l’INSEE. Elle comporte en effet plus de 420 000 observations basées sur environ 80 000 individus statistiquement représentatifs et fournit de très nombreuses variables (âge, diplôme, situation par rapport à l’emploi, revenu, etc.).

Les résultats ainsi obtenus sur ce panel d’individus sont ensuite extrapolés sur l’ensemble de la population grâce aux données exhaustives de recensement.

Grandeurs modélisées et hypothèses utilisées

L’approche générale de l’étude se veut prudente, ne modélisant que les effets qui semblaient pouvoir l’être sans approximations trop grossières. Les caractéristiques comportementales (consommation de soins, délinquance, etc.) des populations étudiées ne sont notamment pas prises en compte [18] . Deux types de grandeurs sont traités : les prélèvements obligatoires et les aides sociales.

Concernant les prélèvements obligatoires, l’analyse se restreint aux plus importants [19]  : l’impôt sur le revenu, la CSG, la CRDS et la TVA. Les aides sociales prises en compte sont les allocations chômage et le RSA « socle ».

Remarque : L’effet sur l’IS n’est pas analysé. Il est en effet particulièrement hasardeux de quantifier l’impact du diplôme sur le résultat fiscal des entreprises. Plus généralement, les effets d’équilibre général sont ignorés (par exemple, une meilleure adéquation de l’offre d’emploi à la demande via une qualification plus élevée pourrait induire à moyen terme une baisse des salaires donc du produit de l’IR, mais améliorerait la productivité des entreprises entraînant une hausse de la production et donc du PIB).

Prélèvements obligatoires

Les données utilisées font apparaître le salaire net payé individu par individu. Le salaire net imposable en est déduit par application d’un coefficient de 1,036 (obtenu à partir des taux de CSG non déductible et de CRDS) et le salaire brut par application d’un coefficient de 1,236 (obtenu en prenant un taux de cotisations salariales hors CSG/CRDS égal à 14,05%, qui correspond à une population non cadre) [20] .

La CSG et la CRDS s’obtiennent ensuite immédiatement. Pour l’IR, le barème le plus récent est appliqué (décomposition en tranches, décote, etc.). L’intérêt de travailler avec des données non agrégées est de tenir compte de la progressivité de l’IR.

Concernant la TVA, il est fait l’hypothèse que les populations étudiées ont un taux d’épargne nul ou, autrement dit, qu’elles consomment l’intégralité de leur revenu. La part du revenu consacrée au paiement d’un loyer ou des intérêts d’un emprunt immobilier est déduite du calcul de TVA. Ce montant a été obtenu à partir d’une étude de l’INSEE [21] évaluant à partir de l’enquête logement la part de revenu disponible pour les ménages les moins aisés (les trois premiers déciles), selon le statut du ménage vis à vis du logement (habitant un logement du parc social, propriétaire, accédant…), ainsi que la ventilation des différents statuts pour ces déciles. Un taux moyen de TVA de 14,4% a été calculé à partir de données relatives aux premiers déciles de niveaux de vie [22] .

Concernant les prélèvements obligatoires directs, on obtient, sur l’échantillon étudié, les produits suivants.

Fig. 3 : Produit individuel moyen des PO directs

En euros (€)

Non-diplômés

Titulaires d’un BEP/CAP

Salaire net payable moyen

16 708

18 945

IR moyen

1 248

1 612

CSG/CRDS moyens

1 622

1 840

Source : INSEE et calculs des auteurs

Les résultats sur la population globale sont facilement obtenus par extrapolation à partir des données présentées en .

Fig. 4 : Manque à gagner en termes d’IR et de CSG/CRDS

En millions d’euros (M€)

Coût de l’échec scolaire

IR

5 335 M€

CSG/CRDS

5 011 M€

Source : INSEE et calculs des auteurs

De la même manière, on obtient la perte de recettes sur la TVA.

Fig. 5 : Manque à gagner en termes de TVA

En millions d’euros (M€)

Coût de l’échec scolaire

TVA

5 118 M€

Source : INSEE et calculs des auteurs

Aides sociales

L’échec scolaire se traduit par un coût en termes de prestations sociales. Par souci de simplification, seules les allocations versées aux chômeurs et le RSA « socle » versé aux inactifs sont pris en compte dans ce chiffrage. Ces allocations sont en effet les plus substantielles en termes de volume global. Par ailleurs, en considérant que les allocations, destinées à opérer des transferts de richesse, sont globalement destinées aux personnes ayant les plus faibles revenus, on sous-estime ainsi le coût total de l’échec scolaire, ce qui est conforme à l’approche prudente retenue.

Poursuivant la comparaison contrefactuelle, on compare la situation actuelle, dans laquelle près de 11 millions des Français entre 18 et 65 ans sont sans diplôme, à une situation virtuelle dans laquelle ces individus seraient titulaires d’un BEP/CAP. Les individus sans diplôme sont soit employés, soit chômeurs, soit inactifs. On considère que les employés ne perçoivent pas de prestations sociales, que les chômeurs perçoivent une allocation chômage et que les inactifs perçoivent un RSA « socle » lorsqu’ils en font la demande. Suivant en cela une récente étude de la CNAF [23] , on considère que le taux de non-recours au RSA s’élève à 36 % parmi les inactifs, c’est-à-dire que 64 % des inactifs perçoivent le RSA « socle » et 36 % ne le perçoivent pas.

Notre évaluation montre alors qu’ avec un diplôme environ 2 millions de Français sans emploi seraient employés : environ 1,1 million d’inactifs percevant le RSA, 0,6 million d’inactifs ne percevant pas le RSA et 0,3 million de chômeurs trouveraient alors un emploi.

Si l’on considère qu’un chômeur sans diplôme touche environ 850 € d’allocations par mois (donnée tirée de l’édition 2012 de l’enquête « Emploi en continu » de l’Insee) et que le RSA « socle » pour un inactif correspond à environ 430 € par mois (cf. étude de la CNAF), on aboutit à un coût pour les finances publiques d’environ 8,4 Md€.

À ce montant s’ajoutent les autres prestations sociales non prises en compte (prestation d’accueil du jeune enfant, etc.).

Coûts non modélisés

Certaines études évaluant le « coût pour la société » que représentent les personnes sans diplômes se penchent, en sus des prestations sociales et du manque à gagner en termes d’impôts pour l’État, sur les coûts de santé ainsi que de sécurité. Il a été fait le choix de ne pas prendre en compte ces éléments, et ce pour plusieurs raisons.

L’hypothèse prévalant à l’inclusion des coûts de sécurité dans un tel chiffrage est la suivante : la part d’individus sans diplômes dans la population carcérale (et, plus largement, délinquante) est supérieure à la moyenne. Néanmoins, il est douteux d’établir une relation linéaire entre la délinquance et les dépenses de justice et de sécurité, qui sont avant tout des choix politiques. En outre, on ne peut imputer directement à l’absence de diplôme le fait de devenir délinquant : si le décrochage scolaire contribue à une « mise à la marge », propice à la délinquance, il est incertain d’établir une causalité aussi directe et l’on peut raisonnablement penser que des facteurs tiers (situation familiale, etc.) ont une incidence sur la propension à « décrocher » scolairement comme judiciairement.

Enfin, il n’est pas tenu compte des dépenses de santé, pour lesquelles les différences entre diplômés du BEP/CAP et non diplômés ne semblent pas significatives. Les études mesurant le niveau de santé des individus selon leur diplôme pointent, certes, une corrélation entre les deux. Là encore, il est difficile d’établir un lien de causalité. Par ailleurs, les effets budgétaires d’une mauvaise santé sont contrastés et se compensent partiellement, une espérance de vie plus faible venant compenser une consommation de soins plus forte. Une modélisation fine de ces coûts ne rentre pas dans le champ de cette étude.

2 – Résultats

L’approche modulaire retenue permet de donner un chiffrage poste par poste (voir le détail des calculs supra).

Fig. 6 : Synthèse du coût de l’échec scolaire

Impact sur l’impôt sur le revenu

5,3 Md€

Impact sur la CSG et la CRDS

5,0 Md€

Impact sur la TVA

5,1 Md€

Impact sur les allocations chômage

2,6 Md€

Impact sur le RSA « socle »

5,8 Md€

Impact total sur les finances publiques

23,8 Md€

Source : INSEE et calculs des auteurs

3 – Discussion

De nombreuses hypothèses ont été faites pour obtenir ce résultat, bien que les effets difficilement modélisables aient été exclus pour ne garder que ceux dont la mesure semblait fiable. Les phénomènes non modélisés (lien entre niveau de diplôme et santé, délinquance ou encore participation à la vie citoyenne) viendraient probablement alourdir le coût pour la société de l’échec scolaire.

De même, il n’est pas tenu compte des phénomènes de « reproduction sociale », qui viennent accroître la probabilité qu’un jeune dont les parents sont sans diplômes le soit également [24] .

4 – Revue de la littérature

Les études qualitatives sur les non-diplômés sont nombreuses et permettent d’établir des caractéristiques idéal-typiques des jeunes concernés par l’échec scolaire : manque de confiance en eux, origines sociales modestes, difficultés scolaires, en majorité des hommes (60%). Certaines études ont tenté de montrer, généralement pour insister sur le fait que chacun est concerné par ce problème en apparence individuel, que le coût pour la société en est conséquent. Ces dernières ont dès lors proposé de chiffrer le coût que représentent annuellement ces jeunes sortis du système scolaire sans diplôme.

Étude du BCG

Selon Agnès Audier, consultante au Boston Consulting Group [25] , 140 000 jeunes quitteraient le système scolaire français sans diplôme chaque année et coûteraient très cher aux finances publiques en ayant des salaires significativement inférieurs et recourant de manière accrue au système de solidarité nationale. Sans aucun diplôme, les risques de connaître le chômage seraient deux à trois fois plus élevés en début de vie professionnelle qu’avec le baccalauréat. Elle mentionne également à travers un article publié en octobre 2013 dans Les Echos que « les études réalisées » indiquent des dépenses de santé plus importantes et « une probabilité plus forte d’avoir affaire au système judiciaire ». Néanmoins, elle ne précise pas de quelles études il s’agit. Ainsi, un « décrocheur » selon le BCG coûterait à la société 230 000 € de plus qu’un jeune diplômé au cours des quarante ans de sa vie active. Multiplié par le nombre de « décrocheurs », et en prenant en compte quarante années de vie active, une cohorte annuelle de décrocheurs coûterait 32,2 Md€.

Néanmoins, ce chiffrage n’est pas explicité. Il semble donc tomber des nues, d’autant que plusieurs doutes méthodologiques émergent rapidement.

Premièrement, le chiffrage des décrocheurs n’est pas explicité. Le code de l’éducation, dans son article L.313–7, définit les jeunes à tenter de « raccrocher » comme ceux «  qui ne sont plus inscrits dans un cycle de formation et qui n’ont pas atteint un niveau de qualification fixé par voie réglementaire », l’article D.313–59 du même code venant fixer ce niveau de qualification à l’obtention du baccalauréat général ou d’un diplôme professionnel de niveau IV ou V. La direction de l’évaluation (DEPP) du ministère de l’éducation nationale, sur la base des enquêtes de l’INSEE et de ses propres statistiques, chiffre à 16 % des « sortants de formation initiale », la part des jeunes sortant sans diplôme autre que le brevet, soit environ 130 000 jeunes par an. Par ailleurs, la même direction du ministère estime à 12 % la proportion de jeunes de 18 à 24 ans sans diplôme autre que le brevet et ne poursuivant pas d’études, ce qui représente 100 000 jeunes en moyenne sur ces 6 classes d’âge, cette différence pouvant se comprendre par des reprises d’études ou de formation [26] . Le ministère de l’Education nationale retient par ailleurs le chiffre de 140 000 « décrocheurs », issu d’une étude de panel montrant que 21% des élèves en situation d’échec scolaire ont quitté l’école dès le collège et plus de la moitié a quitté une formation dès le CAP (22,5%) ou le BEP (36%) [27] .

Deuxièmement, il semblerait que le BCG ait comparé le coût des sortants sans diplôme à celui de ceux qui ont le baccalauréat. Or, un chiffrage n’a de sens que s’il compare ce qui est comparable. Étant donnée leur trajectoire scolaire avant décrochage, nombre de sans diplômes n’auraient aucune chance d’obtenir un baccalauréat. Une hypothèse plus raisonnable consiste à leur comparer des personnes détentrices d’un BEP, ou d’un CAP.

Troisièmement et surtout, aucune description des coûts pris en compte dans le calcul n’est apportée, alors même que certains coûts sont discutables, soit car ils sont difficilement mesurables (e.g. criminalité, santé), soit car ils ne sont pas quantifiables (e.g. moindre participation à la vie démocratique).

Enfin, la question de l’actualisation du chiffre pour un calcul tout au long de la vie reste floue. Elle supposerait d’être capable de suivre chaque cohorte en distinguant en son sein les diplômés des non-diplômés pour savoir à partir de quel moment ils « raccrochent » ou trouvent un emploi. Sans compter qu’il parait très difficile de faire des projections pour les sans diplômes sortant aujourd’hui du système scolaire. En effet, le ministre de l’Éducation nationale indiquait lors du séminaire de lutte contre le décrochage scolaire du 8 janvier 2014 que 23 000 jeunes en échec scolaire ont été « raccrochés » en 2013.

Autres études

L’étude du BCG n’est pas la seule et nombreux sont les pays dont des think-tanks ou des organismes publics ont souhaité établir un chiffrage du coût de l’échec scolaire ou du décrochage scolaire selon le cas. Une étude américaine publiée par des chercheurs de l’université de Colombia de 2006 [28] utilise les quatre types de coûts (quantifiables) décrits précédemment et étudie une cohorte des personnes ayant 20 ans en 2006. Elle considère qu’elle comprend 700 000 décrocheurs et que le coût d’un diplômé par rapport à un non diplômé est de 209 000 dollars sur toute sa vie active, soit 155 000 euros [29] , soit beaucoup moins que le chiffre du BCG.

Une autre étude américaine du NESSE [30] , propose quant à elle un chiffre de 450 000 dollars de coût tout au long de sa vie d’un non-titulaire de l’équivalent du baccalauréat, soit 350 000 en conservant le même taux de change ; un chiffre beaucoup plus important que celui des professeurs de l’Université de Colombia précité. De même, le chiffrage du Conseil canadien de l’apprentissage paru en 2008 correspondant à 19 100 dollars, soit 14 100 euros, avec un taux de décrochage proche de 20%. L’estimation du ministère de l’emploi et de l’économie finlandais proposait une estimation de 27 500 euros de dépense annuelle pour chaque jeune déscolarisé, soit plus de 1,1 million d’euros pour 40 ans de carrière. Ces chiffres très hétérogènes d’un pays à l’autre peuvent certes être imputables à des différences de systèmes éducatifs (e.g. existence d’un BEP ou non), sociaux et fiscaux, mais ils peuvent sans doute être expliqués par des différences en termes de définition du décrochage et méthodologie. Malgré des chiffres très différents, la plupart de ces études présentent le point commun de ne pas expliciter les hypothèses sur lesquelles elles sont fondées. Si des indicateurs ont été mis en place suite au sommet de Lisbonne en 2000 et notamment l’indicateur « sortants précoces » qui mesure la part des jeunes de 18 à 24 ans qui ne possèdent pas de diplôme de l’enseignement secondaire et qui ne sont ni en formation, ni en études, l’harmonisation des chiffrages demeure impossible. Il s’agirait de 12% en France métropolitaine, contre 13% des 18–24 ans de l’Union européenne.

  1. Etude PISA 2012 de l’OCDE, montrant aussi que cette iniquité s’est sensiblement accrue en France depuis 2003

  2. Le Figaro du 19/3/1966, cité par A. Prost

  3. A. Prost, L’enseignement s’est-il démocratisé ? Revue française de pédagogie 82, 1988

  4. E. Morin, Culture supérieure et culture de masse, Communications V, 1965

  5. M. Duru-Bellat, J-P. Jarousse et A. Mingat, Les scolarités de la maternelle au lycée. Etapes et processus dans la production des inégalités sociales, Revue française de sociologie 34–3, 1993

  6. M. Ichou, Différences des origines et origine des différences, Revue française de sociologie 54–1, 2013

  7. M. Duru-Bellat et A. Mingat, Rapport de recherche de l’IREDU , 1997 ; rien n’indique que les discriminations à l’entrée en Seconde de lycée entre les enfants de cadres et ceux d’ouvriers – objet de cette étude – se soient atténuées depuis lors

  8. C. Ben Ayed et alii, Fragmentations territoriales et inégalités scolaires, Education et formations 74, 2006

  9. M. Demeuse et alii, Vers une école juste et efficace , De Boeck Université, 2005

  10. M. Ichou et L-A. Vallet, Performances scolaires, orientation et inégalités sociales d’éducation. Évolution en France en quatre décennies, Education et formations 82, 2012

  11. N. Mons, Les nouvelles politiques éducatives ; la France fait-elle les bons choix ? , PUF 2007 ; A. Grimault-Leprince et P. Merle, Les sanctions au collège : les déterminants sociaux de la sanction et leur interprétation , Revue française de sociologie 49, 2008

  12. Les derniers chiffres connus sont ceux de 2011 et sont publiés dans l’enquête annuelle formation du ministère de la fonction publique (DGFAP-DES) de 2013 ; ils montrent une nette baisse des dépenses de formation continue des personnels de l’éducation nationale à 3,2 % de la masse salariale, contre près de 4 % en 2010, soit 3,266 milliards d’euros ; toutefois, ces chiffres sont muets sur la part prise par les enseignants dans ces dépenses, et la méthode de calcul imposée par la DGAFP est régulièrement critiquée par les inspections générales de l’éducation nationale comme peu adaptée aux spécificités du ministère (cf. IGEN-IGAENR, Actualisation du bilan de la formation continue des enseignants, rapport 2013–009, p. 15)

  13. Florence Lefresne, « Réduire les sorties précoces des systèmes éducatifs », La France dans l’Union européenne , Insee-références, 2014

  14. La modélisation de ces effets est incertaine : la législation des retraite est extrêmement fluctuante au regard de la durée des engagements correspondants. De surcroît, à l’équilibre, les régimes de retraite sont financés par les cotisations, sans effet direct sur les finances publiques

  15. En particulier, le contrefactuel ne suppose pas que les personnes sans diplômes obtiennent le diplôme « moyen », ce qu’une réforme du système scolaire pourrait difficilement réaliser

  16. Il faut toutefois avoir à l’esprit qu’une amélioration du système scolaire n’aurait d’effet que sur les jeunes générations : le coût budgétaire ici calculé ne pourrait être entièrement résorbé que sur une longue durée.

  17. Les bases de données utilisées sont téléchargeables à cette adresse : http://www.insee.fr/fr/themes/detail.asp?reg_id=0&ref_id=fd- eec12&page=fichiers_detail/eec12/telechargement.htm.

  18. Au surplus, les corrélations observées entre niveau d’étude et comportement ne sont pas nécessairement sous-tendues par des relations de causalité

  19. D’autres impôts comme les taxes sur les tabacs ou sur les alcools représentent un enjeu moindre. De surcroît, elles portent sur la consommation de biens dont l’élasticité au revenu n’est que de second ordre

  20. Le régime des fonctionnaires ne fait pas l’objet d’une évaluation distincte

  21. Les inégalités face au coût du logement se sont creusées entre 1996 et 2006, Pierrette Briant, 2006

  22. Revue de l’Institut d’Économie Publique, étude n° 13

  23. CNAF, Dossier d’études n° 156, Études sur le revenu de solidarité active (RSA), octobre 2012

  24. Ainsi, les élèves ayant des parents ouvriers ou inactifs on 2,4 fois plus de chances de quitter le système scolaire sans diplôme, voir Bouhia et al., 2011, Économie et Statistique

  25. « Décrochage scolaire, décrochage de la dette : même combat !  », Les Échos , 04/09/2013

  26. DEPP-MEN , L’Etat de l’École n°23, octobre 2013

  27. Lancement du dispositif « Objectif formation-emploi » pour les jeunes décrocheurs, séminaire national, 04/12/2012, http://cache.media.education.gouv.fr/file/12_decembre/38/2/DP-Lancement-du-dispositif-Objectif-formation-emploi-pour-les-jeunes-decrocheurs_235382.pdf

  28. Henry M. Levin, Clive Belfield, Peter Muennig et Cecilia E. Rouse, The Costs and Benefits of an Excellent Education for All of America’s Children, 2006

  29. Au taux $1 = 0,74 €

  30. Early School Leaving: Lessons from Research for Policy Makers , 2009

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