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Note

Refonder l’aide aux élèves en grande difficulté scolaire

Vidée de sa substance depuis la réforme de l’école primaire en 2008, l’aide aux élèves en grande difficulté obéit aujourd’hui à une tendance d’externalisation de sa prise en charge vers les secteurs privé et de santé. Or pour comprendre et maîtriser les effets des troubles liés à la difficulté scolaire, une stratégie initiée par la puissance publique est indispensable.

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L’action éducative publique s’est adossée, tout particulièrement depuis les années 1970, sur deux dispositifs publics : les Réseaux d’aide spécialisés aux élèves en difficulté (RASED) et les Centres médicaux psycho-pédagogiques (CMPP). Créés par la conjonction de l’initiative associative et des inspections académiques, ils présentaient l’originalité de proposer une pluralité d’approches, de faire travailler ensemble, au service du jeune, des professionnels aux spécialités différentes, rassemblés autour d’un même objectif. Les réponses apportées par ces dispositifs s’inscrivaient clairement dans une perspective de service public et en respectaient les principes (égal accès, gratuité…). Ils tentaient de réinstaller l’enfant, l’adolescent et sa famille dans un « cercle heureux » visant la restauration de l’estime de soi, la reconstruction du sentiment de compétence, le goût des apprentissages.

Ces dispositifs ont fait l’objet de critiques, assez anciennes, qui méritent attention. L’éclatement, la parcellisation des interventions des RASED, les modalités de prise en charge des élèves, souvent hors la classe, le manque de spécialisation réelle des enseignants, l’insuffisance de leur pilotage, ont fait l’objet d’analyses des inspections générales de l’éducation nationale (1997), assez largement partagées. Depuis lors, aucune évaluation importante, à caractère scientifique, n’a été diligentée quant à l’efficacité de ces aides. Concernant les CMPP, leur distanciation avec les responsables locaux de l’éducation nationale, l’effet de « file d’attente » allongeant excessivement les délais de prise en charge, l’insuffisante liaison, le manque de complémentarité des interventions, ont progressivement distendu le lien à l’Education nationale, aux équipes enseignantes, aux apprentissages scolaires.

Les aides professionnelles spécialisées vidées de leurs moyens

Prenant appui sur ces insuffisances, ainsi que sur les mesures introduites par la réforme de l’école primaire de 2008, les ministres successifs ont engagé, en appui à la politique de réduction de l’emploi public, un processus qui a conduit au démantèlement de l’aide aux élèves les plus en difficulté. Relayant un lent processus d’asphyxie progressive, qu’illustrent la raréfaction des moyens de fonctionnement et le très net ralentissement des départs en formation, les suppressions d’emplois massives depuis 2009 marquent la disparition progressive de ce dispositif.

Alors qu’il y avait 15 000 postes spécialisés en 2008, ce nombre s’établissait à 12 047 en 2011, et lors de cette rentrée, ces réseaux ont supporté une grande part des 5 700 suppressions d’emploi inscrites au budget pour le premier degré, même si le processus dit de sédentarisation des enseignants spécialisés a pu, pour un temps, faire illusion. La même démarche, mais plus silencieuse, moins médiatisée, est à l’œuvre en direction des CMPP. Ciblés par les « leviers d’efficience » du ministère pour supprimer des emplois, ceux-ci se voient retirer, dans de très nombreuses académies, les ressources que constituaient les rééducateurs mis à disposition, ainsi que les enseignants assurant leur direction pédagogique et administrative.

Les associations gestionnaires, les élus locaux, en zone urbaine comme en zone rurale, constatent impuissants les effets de cette conjugaison de mesures, l’abandon de territoires entiers, la disparition de toute aide publique, que les Agences Régionales de Santé (ARS) ne peuvent compenser.

Ce processus mis en œuvre sans jamais avoir été annoncé, assumé, délibéré, conduit à l’externalisation vers le seul secteur de santé, et en particulier le secteur libéral, de la prise en charge de la grande difficulté scolaire et des troubles spécifiques d’apprentissage, avec ses corollaires : inégalité d’accès selon les territoires, inégalité dans l’accès à l’information, paiement à l’acte… Dans les quartiers populaires, dans les zones rurales ou de montagne, le recours à la rééducation orthophonique, par exemple, est extrêmement difficile pour les familles, voire impossible. De surcroît, ces interventions, quand elles sont possibles, par les professionnels de santé, et quelle que soit leur compétence, sont marquées par l’absence de lien construit, organisé, avec l’école et les apprentissages. A la raréfaction des réponses, s’ajoute leur éclatement. Ce processus traduit soit une profonde méconnaissance de la diversité des causes de la grande difficulté scolaire, soit une conception de la différence toujours assimilée à une pathologie qu’il conviendrait par le soin de rectifier. A rebours des intentions proclamées, ce sont les enfants des milieux modestes, les plus concernés par l’échec scolaire, qui vont, les premiers, être écartés des dispositifs publics…

Reconstruire une réponse publique pour l’aide aux élèves en grande difficulté

Les élèves à besoins éducatifs particuliers, qui selon les normes et engagements souscrits par la France ont droit à une « allocation différenciée de moyens », sont évalués par l’OCDE à 11 % de la population scolaire. Ils recouvrent certes une grande variété de situations mais près de la moitié de ces élèves connaissent des Troubles Spécifiques des Apprentissages (TSA), troubles qui affectent des enfants indemnes de déficit sensoriel important, d’affection neurologique, de désordre psychologique, ou psychiatrique, dans le cadre d’une fréquentation scolaire normale et en l’absence de déficit intellectuel. Les spécialistes de ces troubles avancent le chiffre de 6 à 10 %, ce qui correspond à 1 à 3 enfants par classe, plusieurs centaines de milliers d’enfants de primaire pour la France entière. Près de 50 000 enfants entrant en CP, chaque année, seront confrontés à la dyslexie. Ces mêmes troubles  « explosent » au collège et deviennent le premier facteur d’échec. L’autre famille de difficultés, que les acteurs de terrain perçoivent en fort développement, dès l’école maternelle, relève des troubles de la conduite et du comportement, en cas de situation extrême de troubles psychiques. Les liens entre leur accroissement et la dégradation des conditions de vie, la montée de la précarité, le délitement du lien social, le renforcement du caractère normatif de l’école, ne sauraient être écartés.

Certes, la personnalisation des parcours, la différenciation pédagogique, les dispositifs d’aide personnalisée peuvent contribuer à en limiter les effets, à atténuer les manifestations scolaires de ces troubles. Une étude récente menée par un groupe de chercheurs de l’université Paris Descartes (2009) estime que l’aide personnalisée est indiquée pour 1 élève en grande difficulté sur 5, alors que les aides spécialisées sont pertinentes pour 4 élèves sur 5 en grande difficulté. Les travaux récemment publiés par le Centre de recherches en Education de l’université de Nantes ( Recherches en éducation , Hors série n°4, 2012) confirment cette appréciation « d’un modèle didactique essentiellement en phase avec les élèves qui apprennent sans difficultés ». Pour la très grande majorité de ces enfants, une stratégie initiée par la puissance publique est donc indispensable, à la fois pour maîtriser les effets destructeurs de ces troubles spécifiques en contexte scolaire, mais aussi et surtout pour en comprendre, traiter et atténuer les causes. Celles-ci sont certes pour une part inhérentes au processus d’apprentissage lui-même, mais elles relèvent aussi de difficultés d’adaptation aux contraintes et attentes scolaires, aux procédures intellectuelles attendues de l’élève, à des pathologies médicales, à des situations sociales et éducatives complexes. La question de la grande difficulté ne saurait se limiter à des pratiques pédagogiques, elle appelle une analyse et une prise en compte plurielle. Faute de réponse, les familles se tourneront vers les Maisons Départementales des Personnes Handicapées (MDPH) et exigeront que tous ces troubles soient reconnus comme « handicap », ce processus étant, dans de nombreux départements, déjà à l’œuvre. Cette réponse publique, adossée à une volonté politique forte de réduction de l’échec scolaire, ne saurait donc être que partenariale.

Elle doit conjuguer dépistage précoce, rééducation, accompagnement professionnel, formation des acteurs, implication de la famille, aides matérielles et humaines, adaptation des démarches pédagogiques. Son efficience réside dans la pluralité des regards, dans le croisement des réponses médicales, sociales, éducatives et pédagogiques, dans un processus de co-construction.

Agir dans la durée en ce domaine invite à mieux mobiliser les ressources disponibles, à organiser différemment l’exercice des responsabilités

Il convient tout d’abord de réinstaller le principe d’éducabilité au cœur de la profession enseignante et d’adresser à celle-ci des messages de confiance, pour que de nouveau « elle ose » au service de l’enfant. Depuis les années 1960 et 1970, l’école française s’est puissamment rigidifiée, la pédagogie a été déconsidérée au profit du pilotage par les résultats. Ce qui était possible, il y a peu, sous la responsabilité du maître, devient procédure administrative complexe, dérogatoire, ne suscitant que découragement. La formation des enseignants français dans le domaine des élèves à besoins éducatifs particuliers, réduite à 2 ou 3 jours, au mieux, dans le cadre de la formation initiale, nous déconsidère en regard de ce qui est pratiqué dans nombre de grands systèmes éducatifs, bien plus démocratiques que le nôtre. Alors que nous disposons d’une recherche française dans le domaine de l’éducation, de très haut niveau international, notre pays peine à en organiser le transfert vers les éducateurs. La formation des enseignants dans le cadre d’une école à finalité inclusive doit assurément redevenir une grande priorité, et il n’y aura d’ouverture de l’école que si l’institution et ses membres sont de nouveau considérés, s’ils ont la certitude que la nation leur fait confiance pour lutter contre l’échec scolaire.

L’identification des situations, la mise en place de réponses adaptées, supposent que soient clairement définis les rôles, entre ce qui relève de l’adaptation du cours, de la séance, de ce qui relève de l’engagement dans un processus de prise en charge.

Refonder un dispositif d’aide pour les élèves à besoins éducatifs particuliers au sein de l’école du socle

Au niveau de la circonscription de premier degré, nombre d’inspecteurs ont recréé, en l’absence de circulaire, mais dans l’intérêt des élèves, une instance de pilotage, placée sous leur autorité, permettant d’analyser les situations de grande difficulté. Cette instance, héritière pour une part des anciennes commissions de circonscription de premier degré (CCPE), mérite d’être promue, sous des formes nouvelles. Au sein du collège devrait être plus clairement identifié, dans l’équipe de direction, un « référent élèves à besoins particuliers » pour la mise en œuvre des adaptations, des aménagements de parcours pour ces élèves.

Dans une perspective inter-degrés, pourrait être installée une commission, au niveau du secteur de recrutement du collège, sous l’autorité conjointe du principal et de l’inspecteur chargé de la circonscription, chargée d’examiner les situations des élèves à besoins éducatifs particuliers . Cette formule présenterait nombre d’avantages en termes de suivi des situations individuelles, de régularité des interventions et prises en charge. Cette réorganisation géographique présente aussi l’avantage d’éviter l’éparpillement des interventions, affirme un pilotage conjoint 1 er et 2 e degré, prend en compte un public plus large (handicap, ENA, adaptation scolaire…). Alors qu’aujourd’hui les interventions des maîtres spécialisés cessent à l’entrée en 6 e , l’aide aux élèves gagnerait ainsi en pertinence, en s’inscrivant dans le continuum de l’école du socle.

Articuler dispositifs internes et action des collectivités, des professionnels

Aujourd’hui l’accès aux prises en charges par les professionnels du secteur médical et social est fortement inégal. Outre les difficultés financières, se cumulent disparités territoriales et méconnaissance des dispositifs. Le traitement de la grande difficulté n’est pas coordonné, il est parcellaire et peu articulé aux enjeux pédagogiques. Celui-ci ne progressera pas sans clarification des responsabilités, sans désignation, comme pour de nombreuses politiques publiques, d’un « chef de file ». Les expériences menées, dans l’éducation prioritaire, nous ouvrent de nouvelles perspectives. Pourrait ainsi être proposée, sous l’impulsion des collectivités locales et de leurs groupements, à l’image des dispositifs actuels de « Réussite Educative », la création d’un réseau d’acteurs, de professionnels des secteurs médical, social, éducatif afin de construire et de garantir pour chaque enfant, chaque famille concernée, et en particulier les plus démunies, une réponse coordonnée, prise en charge par la puissance publique. Les formes juridiques de ce groupement sont à adapter aux caractéristiques du territoire, mais très clairement cette proposition vise un net renforcement des responsabilités des élus locaux. Ceux-ci assurent d’ores et déjà plus d’un quart de la dépense éducative du pays, ils se sont déjà beaucoup investis dans l’accompagnement à la scolarité. L’Education Nationale ne pouvant, seule, assumer cette mission d’impulsion et de coordination d’une politique publique, faisant appel à de multiples financements, à l’intervention d’acteurs du monde associatif, du champ de la santé, du secteur médico-social, c’est bien un nouveau partenariat qui est à inventer. Cette nouvelle architecture suppose de la part de l’Etat réaffectation des ressources et garanties quant à leur pérennité. La question des transferts financiers, la péréquation entre collectivités ne saurait être éludée si l’on veut garantir l’égal accès sur l’ensemble du territoire.

Réaffirmer la professionnalité des enseignants spécialisés

Les personnels des RASED actuels (10 000 environ à la rentrée 2012, dont deux tiers environ de maîtres E et G) doivent voir leurs missions redéfinies vers la détection , la prise en charge, le traitement des troubles spécifiques des apprentissages . La prolongation des modalités actuelles de fonctionnement de ce dispositif d’aide ne saurait constituer une réponse en regard des enjeux et de l’objectif de réduction de l’échec scolaire. Les maîtres spécialisés qui y exercent, les enseignants en charge des classes, attendent une impulsion nouvelle qui re-légitime leur action.

Première cause d’échec à l’école, les troubles spécifiques des apprentissages doivent être pris en charge au sein de l’institution et dans le cadre d’un partenariat avec les professionnels. L’exemple des orthopédagogues au Québec constitue une piste d’évolution pertinente en regard de l’importance de ces troubles à l’école. S’intéressant au développement global de l’apprenant, ces professionnels sont appelés à prévenir, à identifier et à corriger les difficultés et les troubles d’apprentissage. Ils dépistent, identifient et évaluent les difficultés et les troubles dans le domaine du langage parlé, écrit, du raisonnement logicomathématique, du développement psychomoteur. Ils établissent des programmes d’étude adaptés aux besoins individuels des élèves, travaillent en partenariat étroit avec la communauté éducative.

L’école primaire tout particulièrement, les équipes enseignantes, les parents, leurs enfants doivent aussi pouvoir solliciter l’aide de professionnels à la fois psychologues et pédagogues. Capables de comprendre les difficultés relationnelles, comportementales, la souffrance d’un enfant, ces psychopédagogues auraient un rôle majeur à jouer auprès des équipes et dans la relation avec la famille. L’école a grand besoin d’expertise dans le champ des troubles de la conduite et du comportement. La détérioration des liens sociaux générés par la précarité induit un phénomène de distanciation de l’école pour toute une partie des familles. Les enseignants de maternelle témoignent fortement de ces difficultés pour l’enfant et sa famille à comprendre l’école et à en accepter ses règles.

Cette évolution qualitative est possible à coût budgétaire inchangé. Elle est réalisable dans le cadre de l’élévation des niveaux de recrutement mais devra toutefois, pour réussir, s’accompagner d’une réelle spécialisation professionnelle de ces personnels, d’une formation de haut niveau, dans le domaine des sciences du langage et de la psychologie tout particulièrement. La refonte des dispositifs, en s’appuyant sur la notion internationalement partagée de besoins éducatifs particuliers ( special needs ), permettra d’élargir le champ d’intervention de ces personnels qui aujourd’hui restent hors du champ de la scolarisation des élèves handicapés. Elle permettra aussi, à un niveau géographique pertinent, de rassembler et de piloter une équipe pluridisciplinaire (maître CRI, enseignants référent, maîtres spécialisés, COP, médecin scolaire…) aujourd’hui dispersée.

  1. * Itard est le pseudonyme d’un spécialiste des questions éducatives.

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