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Note

Circulaire du 31 mai sur les étudiants étrangers: un contresens historique

La circulaire du 31 mai 2011 relative à l’immigration professionnelle restreint la possibilité pour les étudiants étrangers de changer de statut et d’obtenir une autorisation de travail après leur diplôme. Elle fait polémique dans les rangs mêmes de la majorité : le ministre de l’Enseignement supérieur Laurent Wauquiez a déclaré dans une interview au Monde du 7 octobre qu’il allait « corriger la circulaire ». De fait, elle rompt avec le mythe de l’immigration « choisie », mot d’ordre pourtant rabâché par le président de la République, pour laisser la place à celui de l’"immigration zéro". Cette note révèle à quel point cette politique néglige les intérêts de la France : la circulaire du 31 mai s’attaque aux diplômés de l’enseignement supérieurs, ceux-là mêmes qui sont les plus susceptibles de s’intégrer dans le marché du travail, de créer des richesses et des emplois, d’assurer le rayonnement de la France à l’étranger.

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Synthèse

  Avec sa circulaire du 31 mai 2011, qui restreint la possibilité pour les étudiants étrangers de changer de statut et d’obtenir une autorisation de travail après leur diplôme, le gouvernement a commis un contresens majeur, contraire à toute politique d’intégration. 25 000 diplômés étrangers de l’université et 8 000 élèves des grandes écoles sont dans le viseur.   Depuis dix ans, et en particulier depuis 2007, la doxa traditionnelle de la droite explique qu’il convient de réduire les flux migratoires pour garantir l’emploi des Français et des immigrés déjà présents et « mieux [les] intégrer ». Cette circulaire s’attaque maintenant aux diplômés de l’enseignement supérieur, soit à ceux qui justement, s’intègrent au plus vite dans le marché du travail.   Elle révèle clairement que les discours sur l’intégration ou l’immigration choisie n’ont été que du vent, et la carte « compétences et talents », créée par la loi du 24 juillet 2006, un gadget giscardien peu utilisé, avec seulement quelques centaines de bénéficiaires. La droite a perdu depuis longtemps le sens des intérêts de la France : quel meilleur moyen de créer du chômage, si ce n’est expulser les cadres à hauts potentiels dont le travail va justement créer les richesses et les emplois dont nous avons besoin ? Comment rendre la France peu attractive voire repoussante, en multipliant les embûches rendant tout investissement financier et humain peu opportun ? Comment enrichir les Etats-Unis, le Royaume Uni et le Canada des talents de demain ?   De fait, dans Le Monde du 7 octobre, Laurent Wauquiez, dont ce n’est pourtant pas le domaine de compétence, a indiqué que des instructions d’assouplissement de la circulaire allaient être envoyées aux préfets, sans que le texte soit abrogé. L’incohérence est totale. Ce n’est pas en ralentissant que l’on évite le mur, c’est en changeant de direction. Il faut retirer cette circulaire et changer de logique à propos des étudiants étrangers, qu’il faut désormais considérer comme une ressource pour nos universités, ainsi que le font les Australiens, et une chance pour notre pays comme le font les Américains.    

Note intégrale

  La circulaire du 31 mai 2011[1] relative à la maîtrise de l’immigration professionnelle, signée du ministre de l’Intérieur C. Guéant et du ministre du Travail X. Bertrand, donne aux préfets l’instruction de diminuer les flux migratoires. En particulier, les demandes d’autorisation de travail doivent être traitées « avec rigueur ». Elle détaille les nombreux points sur lesquels les préfets doivent porter leur attention pour pouvoir parvenir à un rejet de la demande.   Si, s’agissant de l’introduction de nouveaux étrangers, elle s’inscrit dans la continuité de la politique restrictive conduite depuis 30 ans, en revanche, elle marque une fermeté nouvelle pour les demandes de changement de statut, par lesquelles les étrangers qui ont régulièrement étudié en France et qui y ont été diplômés, cherchent à obtenir le droit de travailler dans notre pays.   Une telle orientation, qui démontre que l’immigration choisie n’était qu’un mythe, est un contresens historique sur lequel il faut revenir, dans l’intérêt de la France.    

1 – UNE CIRCULAIRE QUI ROMPT AVEC LE MYTHE DE L’IMMIGRATION CHOISIE

  Pour N. Sarkozy, ministre de l’Intérieur puis Président de la République, « l’immigration choisie » est un mot d’ordre mythique destiné à montrer qu’il lutte contre l’immigration « subie ». Aujourd’hui, à quelques mois de la présidentielle, c’est l’objectif de l’immigration zéro qui revient.   Il faut rappeler que la frénésie législative a été forte depuis 2002 : pas moins de cinq lois sont venues modifier les règles sur l’entrée et le séjour des immigrants légaux sur notre territoire :   -         la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile ; -         la loi du 10 décembre relative au droit d’asile ; -         la loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration ; -         la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile ; -         la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité.   Toutes ces lois se sont inscrites dans un contexte politique général visant à encourager l’immigration « choisie ». Aujourd’hui, l’immigration de travail a certes augmenté, de 10 000 à plus de 20 000, mais demeure marginale dans l’ensemble des flux. Désormais, même ce type d’immigration est visé, en particulier les étudiants.   La circulaire du 31 mai 2011 définit les procédures applicables lorsqu’un étranger souhaite modifier les motifs de son séjour en France, et en premier lieu passer d’un séjour pour études à un séjour salarié. Elle ne concerne pas le droit au séjour en vertu de la vie privée et familiale. Elle s’applique aux étrangers ne relevant pas d’accords spécifiques, excluant ainsi Européens, Tunisiens et Algériens de son champ d’application. Ce texte concerne potentiellement chaque année les 25 000 étudiants étrangers diplômés des universités françaises et les 8 000 étudiants étrangers diplômés de ses grandes écoles, Marocains en premier lieu.   La majeure partie du texte est conforme aux orientations que la France suit depuis plusieurs décennies : la situation de l’emploi est opposable aux étrangers qui souhaitent travailler en France, ce qui signifie que, dans un secteur donné qui connaît un fort taux de chômage, l’introduction d’un nouvel étranger autorisé à travailler n’est pas possible. Elle détaille toutefois, sous la signature des ministres en personne, les motifs, de forme comme de procédure, permettant de rejeter les demandes.   La circulaire affiche du reste une bonne dose d’hypocrisie : ainsi, même lorsque la situation de l’emploi dans un secteur donné ne serait pas suffisamment dégradée pour opposer un refus à une demande de titre de séjour, la circulaire envisage l’hypothèse où une formation très rapide de chômeurs existants permettrait de répondre à l’offre d’emploi et ainsi éviter la délivrance d’une autorisation à un étranger souhaitant changer de statut. Qui peut croire que Pôle emploi est en état de relever un tel défi ?   Le résultat est très clair : encore davantage que par le passé, les services, qui perçoivent la volonté de fermeture croissante du politique, rejettent quasi systématiquement les demandes, avant que, le cas échéant, des recours gracieux ou contentieux les contraignent à reculer. Pour l’étranger, c’est un parcours du combattant, éventuellement coûteux. On peut aussi ajouter que l’étranger autorisé à travailler en France pour un an seulement devra, très rapidement, penser au renouvellement de son titre, alors même qu’il bénéficiera d’un contrat à durée indéterminée. Pour lui comme pour son employeur, il s’agit d’une épée de Damoclès. C’est déjà grave. Et pourtant, si ce n’était que cela…   Au total, le mythe de l’immigration choisie, qui était déjà une réalité depuis 30 ans, est tombé au profit d’un retour à une pseudo « immigration zéro ».    

2 – POUR LES DIPLOMÉS ETRANGERS, UN CONTRESENS HISTORIQUE

2. 1 – Les malheureuses innovations de la circulaire

Là où la circulaire innove, c’est lorsqu’elle prescrit aux préfets une plus grande fermeté pour le changement de statut des étudiants. Un étudiant étranger diplômé en France, pour occuper un premier emploi stable (les stages répondent à des règles particulières), doit obtenir un titre de séjour valant autorisation de travail. Il doit ainsi changer de statut, passant d’étudiant à salarié.   Une seule phrase résume l’esprit de la circulaire, la dernière : « Le fait d’avoir séjourné régulièrement en France en tant qu’étudiant, salarié en mission ou titulaire d’une carte compétences et talents ne donne droit à aucune facilité ». Et de fait, au travers du terme « vigilance » et des injonctions fortes (« vous vérifierez … »), la circulaire est un mode d’emploi du pinaillage administratif le plus mesquin, qui vise non pas à appliquer une réglementation sur le droit au séjour, mais à instaurer un rapport de pouvoir, et ensuite à trouver le détail qui permettra aux préfectures de rejeter les demandes de titres qu’elles acceptaient auparavant.   Les obstacles sont d’abord d’ordre procédural (délais atteignant plus de trois mois, refus de délivrance des pièces nécessaires à la constitution du dossier, imbroglios liés au lieu de résidence de ces diplômés)[2]. Sur le fond des demandes, les cas de refus se multiplient. Le Collectif du 31 mai a recensé plus de 50 refus de changement de statut concernant des diplômés de l’enseignement supérieur, Terra Nova ayant également eu connaissance de plusieurs cas comparables. Outre les cas non recensés et le fait que les délais d’attente peuvent s’étaler sur près de cinq mois, accroissant l’insécurité, il est prévisible que cette tendance va s’amplifier considérablement dans les jours à venir avec l’entrée sur le marché du travail des étrangers fraîchement diplômés.   Aucune formation, aussi prestigieuse soit-elle, n’est épargnée. Même des diplômés de Polytechnique ou de HEC ont reçu une décision négative assortie d’une Obligation de quitter le Territoire français (OQTF), alors qu’ils disposaient d’un travail bien rémunéré dans de grandes entreprises opérant en France. Le ministère de l’Intérieur s’attaque de plein fouet à « l’immigration choisie », dévoilant à quelques mois des élections l’hypocrisie du slogan.   Quant à la conclusion, elle laisse pantois ; derrière une phrase sibylline, (« nous vous demandons de vous assurer personnellement de la mise en œuvre de ces instructions »), chaque préfet verra clairement la menace du prochain conseil des ministres en cas de résultat insuffisant…  

2. 2 – Un non sens économique et démographique

  La circulaire du 31 mai se retranche derrière le chiffre du chômage des étrangers (23 %) pour justifier ce durcissement. Or, ce chiffre est discutable puisqu’il confond toutes les tranches d’âges et ne rend pas compte de la situation réelle de la population ciblée par cette circulaire. La circulaire a ainsi touché des diplômés titulaires d’un contrat de travail signé par des entreprises souhaitant s’attacher leurs compétences. Les entreprises concernées par des cas de refus ou d’attente trop longue sont depuis lors montées en première ligne pour défendre ces diplômés qu’elles considèrent souvent comme irremplaçables.   Cette politique prétend résorber de cette manière le chômage touchant les diplômés français. Pourtant, l’approche malthusienne consistant à vouloir réduire le nombre d’actifs pour résorber le chômage s’avère inopérante. Ces diplômés qualifiés, extrêmement mobiles, que les entreprises recrutent à grands frais, participent activement à la création de richesse sur le sol français. En leur refusant le droit de travailler en France, cette politique court-termiste privera la France de talents qui participent à la création d’emplois à plus long terme.   Enfin, en adoptant une approche comptable, il semble incohérent de se passer de diplômés dont la formation a représenté un coût important (10 260 euros par an et par étudiant de l’enseignement supérieur selon l’OCDE[3]) au moment où ils sont à même de contribuer par leurs impôts et leurs cotisations sociales au financement des comptes publics.   De même, alors que la situation démographique européenne et française est préoccupante, avec un nombre de retraités en augmentation constante (en 2040, 26 % de la population aura plus de 65 ans), il est acquis que la France aura besoin de jeunes travailleurs en provenance de l’étranger à l’horizon 2015 / 2020. La circulaire du 31 mai va à rebours de cette évolution bien documentée. Sans doute, comme le ministre de l’Intérieur le répète à l’envi, la France ne connaît pas de besoins particuliers dans certains secteurs et notamment dans ceux ayant recours à de la main d’œuvre peu qualifiée. Mais c’est précisément à propos des étudiants diplômés que la circulaire se trompe. Et pour Karine Berger et Valérie Rabault (Les trente glorieuses sont devant nous, éditions rue Fromentin, 2011), les besoins humains atteindraient 10 millions d’étrangers d’ici 2040.  

2. 3 – L’Université française, l’autre grande perdante

  Au sein du gouvernement, le ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, L. Wauquiez, a annoncé, dans Le Monde daté du 7 octobre, un possible assouplissement de ces règles, sans que la circulaire soit pour autant abrogée. L’effet de ses déclarations sur les services préfectoraux sera nul, et l’incohérence est totale : pendant que les préfets appliqueront cette lecture restrictive des textes, la France continuera à ne pas ménager ses efforts afin d’améliorer l’attractivité de son enseignement supérieur qui reçoit 280 000 étudiants, plaçant le pays en troisième position derrière les Etats-Unis et le Royaume-Uni.   Dès la publication de cette circulaire, universités et grandes écoles se sont retrouvées pour dénoncer cette mesure attentatoire au rayonnement de l’enseignement supérieur à l’étranger. Louis Vogel, président de la Conférence des Présidents d’Université, estime ainsi que «  cela décourage les étudiants étrangers de venir. Il faut une vision de long terme »[4].   Nombre de ces diplômés ne demeureront pas définitivement sur le territoire français. Pourtant, ils ressentent cette mesure comme une injustice, tant une première expérience professionnelle est importante afin de compléter leur formation.  

2. 4 – Une atteinte au rayonnement de la France

  Le ministère de l’Intérieur adopte une posture selon laquelle ce durcissement permettrait de contribuer à l’effort de « développement solidaire » des pays dont ces diplômés sont originaires[5]. Outre que cette mesure touche indistinctement les étudiants provenant de pays développés ou de pays en développement, cette justification s’avère légère. C’est plutôt vers des pays concurrençant la France sur le terrain de l’économie de la connaissance que ces diplômés se tourneront si la France leur ferme son territoire.   La France forte d’un système d’enseignement supérieur attractif et d’un large réseau de lycées à l’étranger devrait être capable, en accueillant plus dignement ces étudiants souvent francophones et francophiles, de s’attacher des ambassadeurs à travers le monde. Ces diplômés sont autant de portes d’entrées sur les marchés en croissance que la France courtise. Ils sont aussi un formidable vecteur de francophonie. A l’inverse, cette politique risque d’attiser rancœur et désarroi parmi ceux que la France a formés et qui devraient être ses meilleurs relais à l’international.    

Conclusion

Face à une politique migratoire qui vient saboter les efforts entrepris par les universités et grandes écoles françaises pour attirer des étudiants étrangers, il est nécessaire de procéder à de larges réaménagements et à changer de paradigme. Cela passe d’abord par le retrait de la circulaire du 31 mai 2011 et plus généralement par l’amélioration des conditions dans lesquelles se déroulent les procédures d’obtention de changement de statut.   Les diplômés étrangers doivent être traités dignement grâce à une procédure transparente et respectant des délais décents. Il faut affirmer qu’un étudiant qui a passé plusieurs années en France, qui y a étudié et vécu, a vocation à investir dans notre pays, non seulement d’un point de vue économique mais aussi et surtout sur un plan humain et personnel. L’allongement de la durée du titre à trois ans, sur le modèle de la carte « compétences et talents », avec la possibilité d’effectuer des allers-retours entre le pays d’origine et la France, pourrait constituer la bonne réponse aux besoins du pays et des diplômés. La France ne peut pas se vivre comme une citadelle assiégée. C’est une impérieuse nécessité à l’heure où notre pays se doit d’attirer des talents dans un monde de plus en plus concurrentiel.  

[1] Disponible sur le site www.circulaires.gouv.fr à l’adresse :http://www.circulaires.gouv.fr/pdf/2011/06/cir_33321.pdf [2] Le site Internet www.questionsdetrangers.com a retracé les difficultés dans un article du 5 août dernier : « Réduction de l’immigration professionnelle : lourdes conséquences pour les jeunes diplômés étrangers » [3] Enseignement supérieur : quels sont les pays qui dépensent le plus ? Le Monde, 27/09/2011 [4] Universités : opération séduction à l’international, Jean-Claude Lewandowski, Les Echos, 04/10/2011 [5] Menace sur les diplômés étrangers en entreprise, Marie Bellan et Isabelle Ficek, Les Echos, 03/10/11

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