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Note

Face à l’homophobie : mettre fin à la hiérarchisation des discriminations

Alors que le débat autour du mariage pour tous attise les violences homophobes, il est urgent de prendre des initiatives de fond pour refaire société. Pour garantir une réelle égalité des droits entre homosexuels et hétérosexuels, notre système juridique doit lui aussi évoluer. Dans cette note, Sophie Lemaire et Mehdi Allal proposent d’enrichir le principe d’égalité énoncé dans l’article premier de la Constitution française, en mentionnant l’orientation sexuelle, afin de mettre un terme à la hiérarchisation institutionnelle des discriminations.

Publié le 

Le programme d’actions gouvernemental contre les violences et les discriminations commises à raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre présenté fin 2012 par Najat Vallaud Belkacem souligne que « le progrès dans l’égalité des droits ne fera pas, à lui seul, reculer les expressions de peur, de rejet, d’intolérance, vis-à-vis de la différence relative à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre ».

Pire que cela, aujourd’hui, le débat autour du mariage pour tous attise les violences tandis que les discours prolifèrent sur le fait que l’homosexualité n’est pas une variante de la sexualité, mais bien une déviance.

La relativisation de la lutte contre l’homophobie souligne l’urgence d’accompagner le projet de loi de mesures fortes pour refaire société. La sensibilisation en milieu scolaire, ou encore la formation des personnels confrontés aux victimes de violences homophobes sont des initiatives de fond nécessaires. Néanmoins, il est un domaine qu’il ne faut pas ignorer pour opérer un véritable changement de paradigme : celui du droit.

Profondément « hétérocentré », notre système juridique devrait évoluer vers un modèle garantissant une réelle égalité, qui ne restera que partielle sans la modification de l’article 1er de la Constitution.

Ce week-end, comme en novembre, les défilés contre le mariage pour tous ont été le théâtre de débordements attendus. Les manifestants n’ont pas hésité lors d’interviews à qualifier l’homosexualité de désordre ou de danger pour les fondements de la société. Ces violences, morales et parfois physiques, via la mobilisation des extrémistes, s’inscrivent dans le prolongement de la libération de la parole homophobe concomitante à l’ouverture des débats sur le « mariage pour tous » dans la société française.

Confusion entre l’ouverture du mariage pour les couples de même sexe et la polygamie, discours sur la pédophilie, rapprochements entre homosexualité et sexualité instable : autant de dérives qui ont déferlé dans la rue, sur les pancartes, et dans la presse…

Une forme de discrimination latente ressurgit, assortie de manifestations violentes de haine et d’injures. Que l’homophobie soit clinique, anthropologique, libérale, irrationnelle, cognitive, elle gagne du terrain en France, où le malaise des homosexuels ne cesse de croître…

SOS Homophobie, au mois de décembre, a vu ses appels augmenter de pas moins de 300 % par rapport à l’année 2011, où l’association en avait reçu 350. Pour certains homosexuels, le débat a entraîné un retour en arrière, alors qu’il leur semblait que la société évoluait vers une acceptation croissante de l’homosexualité. Sur Twitter, le hashtag « simonfilsestgay » a entraîné derrière lui des insultes allant jusqu’à la menace de mort.

Particulièrement inquiétant : ce qui aurait dû être considéré comme une avancée n’a pas mobilisé que des ultras. La revendication de l’égalité des droits a suscité une levée de boucliers, de toute part, mêlant les avis divers de croyants, de psychanalystes, de politiques, d’intellectuels…  

De façon pernicieuse, l’homophobie s’est introduite là où on ne l’attendait pas. Le débat a fait régresser le camp de ceux qui acceptaient en fermant les yeux, qui s’est réveillé lorsque les homosexuels ont commencé à revendiquer les mêmes droits que les hétérosexuels. Au-delà de l’actualité, d’après les enquêtes réalisées, un homosexuel sur quatre a déjà été agressé physiquement en raison de son orientation sexuelle au cours des dix dernières années.

L’homophobie, en France, est coriace et il ne faut pas la sous-estimer. Une violence symbolique faisant passer l’anormalité de l’homosexualité pour acquise se développe et ne cesse de croître. Pour certains, l’homosexualité est tolérée, en ce sens où elle est acceptée mais désapprouvée, là où spontanément, car « contre nature », elle serait rejetée. La bataille culturelle est en marche. Il faut l’arrêter, et pour cela étouffer cette propagation des idées selon lesquelles l’homophobie n’est pas une discrimination pouvant être pleinement combattue.

Du point de vue d’une certaine idéologie, s’il est impossible d’être « pour » l’homophobie, qui est une discrimination punie par la loi, il est difficile d’être contre ; l’homosexualité étant considérée comme une dérive par rapport à une conception essentialiste du couple. Si l’on tire le fil d’un certain raisonnement, l’homophobie est une discrimination « juste », voire justifiée.

En juillet 1992, la Congrégation pour la doctrine de la foi dirigée par le cardinal Ratzinger soulignait que « l’orientation sexuelle ne constitue pas une qualité comparable à la race, l’origine ethnique, etc. en ce qui concerne la non-discrimination. A la différence de celles-ci, l’orientation homosexuelle est objectivement désordonnée et fait naître une préoccupation morale particulière. Il y a des domaines dans lesquels ce n’est pas une discrimination injuste de tenir compte de l’orientation sexuelle, par exemple dans le placement ou l’adoption d’enfants, dans l’engagement d’instituteurs ou d’entraîneurs sportifs, et le recrutement militaire ».

A l’image de certaines composantes conservatrices de la société, le droit français ne place pas l’homosexualité au même plan que l’hétérosexualité. Mais une nouvelle approche est en train de se substituer à la perspective actuelle ; la logique de permissivité tend à être remplacée par l’avènement d’une réelle égalité des droits.

Aujourd’hui, dans la Constitution, ce principe est affirmé et respecté quand il concerne le sexe, la race ou encore l’origine, mais pas quand il a trait à la question de l’orientation sexuelle, qui apparaît comme un sujet échappant aux textes fondamentaux. De façon cohérente, le droit privé a participé jusqu’alors à la perpétuation d‘un « modèle hétérosexuel ».

Notre cadre juridique évolue dans le bon sens, avec la dépénalisation de l’homosexualité, les mesures antidiscriminatoires, et bientôt, nous l’espérons, le mariage pour tous.

Néanmoins, pour affirmer haut et fort le principe d’égalité des droits pleine et entière pour les homosexuels, il apparaît pertinent de toucher à la Constitution de la Ve République. Après l’adoption du texte de loi sur le mariage pour tous, l’enrichissement du principe d’égalité dans l’article premier de la Constitution française permettra d’envoyer un message clair face à la prolifération de l’homophobie.

Il serait ainsi rédigé : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race, d’orientation sexuelle, d’identité de genre, ou de religion ». Une proposition de loi constitutionnelle en ce sens ne sera pas seulement un outil pour mettre en cohérence les textes de loi. Ce sera le préalable d’une nouvelle ère : celle de la fin d’une hiérarchisation institutionnelle des discriminations.

Pour aller jusqu’au bout de cette démarche et affirmer une volonté politique claire, il conviendra de mettre en place une autorité de lutte contre l’homophobie et les discriminations en raison de l’orientation sexuelle. Indépendante, elle pourra être saisie selon les mêmes modalités que l’ancienne HALDE, et définira les contours et le cadre de ce combat plus que jamais d’actualité.

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