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Note

Immigration : le gouvernement a un problème avec les étrangers

Dans un discours prononcé mardi 27 mars à Nantes, Nicolas Sarkozy a dénoncé « une vague d’immigration incontrôlée » qui réduirait à néant les efforts de la République pour intégrer les étrangers. Cherchant à reprendre la main sur un thème sur lequel il voulait incarner la rupture en 2007, le président candidat a repris ses propositions de Villepinte sur la remise en cause des accords de Schengen, ainsi que ses promesses en matière de réduction de l’accès au minimum vieillesse et au RSA pour les étrangers présents sur le territoire depuis plus de dix ans. Sur ces thèmes, Nicolas Sarkozy persiste dans un discours très nettement marqué à droite, en rupture avec les valeurs républicaines, comme le révèle son bilan en matière d’immigration, que Terra Nova publie aujourd’hui, dans le cadre du dépôt de bilan du président.
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Nicolas Sarkozy avait fait de sa politique en matière d’immigration un élément de la rupture qu’il voulait incarner : à l’« immigration subie », la France devait préférer une « immigration choisie », et l’identité nationale, à laquelle un ministère sans précédent était consacré, devait être réaffirmée.  

Le quinquennat a surtout été marqué par une succession de lois de plus en plus dures et par une course derrière les électeurs du Front national, non seulement sur l’entrée et le séjour des étrangers, mais aussi sur l’acquisition de la nationalité et sur la politique d’intégration, passée par pertes et profits. La multiplication de ces textes, modifiés avant d’avoir produit de réels effets, ainsi que les volte-face à répétition, sur les étudiants étrangers, sur la déchéance de la nationalité ou encore sur la pluri-nationalité, ont montré une forme d’amateurisme du gouvernement, toujours prêt à parler avant d’expertiser les sujets. Quant aux chiffres affichés par Claude Guéant, devenu ministre de l’Intérieur en 2011, ils souffrent d’un manque de transparence étonnant, laissant soupçonner une manipulation comparable à celle réalisée sur la sécurité.  

Sur le fond, les sujets de polémique n’ont pas manqué, l’exécutif français démontrant à plusieurs reprises qu’il avait manifestement un problème avec les étrangers, les migrations et le positionnement de la France dans la mondialisation. Les étudiants étrangers diplômés ont ainsi été décrits comme indésirables au moment d’entrer sur le marché du travail ; l’acquisition de la nationalité a été rendue plus difficile, au moment même où toute évolution sur le droit de vote était écartée par le Président sortant ; bien pire, les étrangers, non communautaires comme européens, ont été stigmatisés, la circulaire sur les Roms du 5 août 2010 restant comme une tache grave pour l’Etat de droit, dans la droite ligne du discours prononcé à Grenoble par N. Sarkozy.   Enfin, en mettant l’accent sur les sujets liés à la police des étrangers, la majorité a négligé les politiques de lutte contre les discriminations et favorables à l’intégration dans la société des étrangers résidant régulièrement en France.  

Note intégrale

  A l’approche de l’élection présidentielle, l’immigration, rapprochée de l’insécurité et placée, c’est plus nouveau, sur le terrain du patriotisme, revient sur le devant de la scène. L’UMP a organisé plusieurs évènements à ce sujet, sous la pression de son aile droite. Dans les actes, les masques sont tombés : le mythe de l’immigration choisie a été abandonné au profit d’un retour à l’antienne de l’immigration zéro. La France de N. Sarkozy veut être une France « qui ne change pas », comme l’a dit le ministre de l’Intérieur Claude Guéant en 2011.  

En matière d’intégration et de politique de la nationalité, les conditions sont durcies et le gouvernement brandit comme un trophée la baisse de 30 % des naturalisations en 2011 par rapport à 2010. Dans le même temps, le droit de vote des étrangers aux élections locales est rejeté, au motif que seule la naturalisation doit permettre l’acquisition de ce droit. Si l’on ajoute encore la stigmatisation des étrangers, notamment dans le bilan de la délinquance, la coupe est pleine : le gouvernement, dans une opération clairement dirigée vers l’électorat du Front national, adopte une ligne très dure, en rupture avec les valeurs républicaines.    

1. DES LOIS MULTIPLIÉES POUR UNE EFFICACITÉ DOUTEUSE

Depuis 2002, ce ne sont pas moins de cinq lois qui sont venues modifier les règles sur l’entrée et le séjour des étrangers ou l’acquisition de la nationalité.  

-          Loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile

-          Loi du 10 décembre 2003 relative au droit d’asile

-          Loi du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration

-          Loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile

-          Loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité  

Dans cette frénésie normative, le ministère de l’Intérieur a pris une place considérable : en plus de la police (entrée et séjour des étrangers, autorisations de travail), il a récupéré la politique d’intégration, avec la tutelle exclusive sur l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration) créé en 2009, et la politique de la nationalité. La sphère sociale et le ministère de la Justice ont été marginalisés. La question des étrangers est traitée uniquement sous l’angle des flux ; les réponses aux difficultés d’intégration des étrangers régulièrement présents en France apparaissent comme un sujet secondaire.  

Bien plus, ces lois se sont traduites par un durcissement régulier : limitation de l’immigration de droit (mariage, regroupement familial, asile) ; durcissement des conditions d’acquisition de la nationalité (allongement du délai d’acquisition par mariage : 1 an de vie commune en 1998 - supprimé en cas d’enfant né dans le couple ; 4 ans maintenant ; 5 en cas de vie à l’étranger) ; renforcement des moyens de reconduites à la frontière. En matière de naturalisation, la vérification de « l’assimilation » du demandeur, concept daté et quelque peu absurde, passe, depuis le 1er janvier 2012, par l’exigence d’une certification par des structures privées, aux frais du demandeur et dans des conditions contestables. La nature des tests, bien différents des entretiens conduits par le passé en préfecture, en face à face, peut laisser présager une diminution très forte des chiffres des naturalisations, voire des demandes si l’effet est dissuasif.    

2. LA POLITIQUE DU CHIFFRE ET LE MYTHE DE L’IMMIGRATION CHOISIE ABANDONNÉ

L’extinction de l’immigration illégale est une priorité politique depuis 2002 : le nombre des expulsions a été élevé au rang de critère n°1 d’évaluation de l’action du ministère de l’Intérieur. Les objectifs fixés ont été annoncés : 25 000 reconduites en 2007, 29 000 en 2010.   Quant à l’immigration légale, elle n’a pas vraiment diminué (entre 120 000 et 140 000 entrées par an[1]). Les conditions ont toutefois été durcies, d’abord pour l’immigration de droit, stigmatisée comme « immigration subie ».  

« J’instaurerai des plafonds annuels d’immigration » avait déclaré N. Sarkozy durant la campagne 2007. Seule l’immigration de travail – « l’immigration choisie » – a un temps échappé à la politique gouvernementale. Or, l’immigration légale est toujours, à plus de 80 %, une « immigration subie », selon le vocabulaire sarkoziste. Sa recomposition au profit de l’immigration de travail (« immigration choisie ») était pourtant une orientation fondamentale des gouvernements depuis 2006, avec la création de la carte de séjour « compétences et talents ». L’immigration de travail a certes progressé de 10 000 à plus de 20 000 par an mais reste marginale. C’est fini : Claude Guéant vient de fixer un objectif de baisse pure et simple du nombre de titres de séjours délivrés, avec une réduction de 30 % du nombre de titres de travail délivrés à des étrangers qualifiés. 

La circulaire du 31 mai 2011, qui a pour effet de rendre encore plus difficile l’obtention d’un titre de séjour avec autorisation de travail pour les 8 000 étudiants étrangers qui obtiennent un diplôme chaque année en France, a provoqué une vague de protestation, y compris dans les grandes écoles. Le gouvernement a finalement reculé par une nouvelle circulaire du 12 janvier 2012 qui prévoit la possibilité de faire réexaminer les demandes, avec des conditions assouplies pour les « forts potentiels ». Le mal a été fait et la France a donné d’elle-même une image bien peu accueillante.  

Le gouvernement affiche désormais explicitement, de manière démagogique et irréaliste, l’extinction de toute forme d’immigration légale et la fermeture des frontières, retournant au vieux mythe de l’immigration zéro. La France se referme et, loin d’être attractive, devient un repoussoir pour les jeunes les plus motivés, poussés à aller étudier puis travailler ailleurs, et notamment en Amérique du Nord.  

Les effets se font aussi sentir sur l’immigration illégale : en France, on l’a dit, les estimations varient entre 200 000 et 400 000 personnes en situation irrégulière, et 30 à 40 000 entrées de clandestins par an. C’est le second effet pervers de la politique de pression sur l’immigration légale : l’immigration illégale s’accroît, et avec elle la précarité et la misère. La politique du gouvernement a contribué à créer des illégaux. Surtout, le gouvernement continue à manipuler les chiffres, comme en matière de sécurité. Ainsi, alors que les chiffres de l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration) sont les seuls fiables, Claude Guéant ne les a pas rendus publics. Tous les chiffres qu’il a utilisés sont sujets à caution.  

3. LA STIGMATISATION D’ÉTRANGERS DÉSIGNÉS COMME DES BOUCS ÉMISSAIRES

– Le discours de Grenoble : venu à Grenoble installer un nouveau préfet, le 30 juillet 2010, après une flambée de violence, N. Sarkozy déclare, après une première partie de discours consacrée aux violences, aux bandes, à la délinquance urbaine : « nous subissons les conséquences de 50 années d’immigration insuffisamment régulée qui ont abouti à un échec de l’intégration ». Ensuite, évoquant la situation des immigrés clandestins, il enchaîne : « c’est dans cet esprit que j’ai demandé au ministre de l’Intérieur de mettre un terme aux implantations sauvages de campements de Roms ».  

La circulaire sur les Roms du 5 août 2010 : le préfet Michel Bart, directeur de cabinet du ministre de l’Intérieur B. Hortefeux, signe ce texte à destination des préfets ainsi rédigé : « 300 campements ou implantations illicites devront avoir été évacués d’ici trois mois, en priorité ceux des Roms. Il revient donc, dans chaque département, aux préfets d’engager (…) une démarche systématique de démantèlement des camps illicites, en priorité ceux de Roms ». Ainsi, un texte désigne une catégorie de population en raison de ses origines ethniques pour une opération de police. La circulaire a été jugée illégale par le Conseil d’Etat le 7 avril 2011. Les dommages collatéraux se font encore sentir, avec par exemple les déclarations stigmatisantes d’Arno Klarsfeld, président de l’OFII, en janvier 2012, à l’Assemblée nationale[2].  

29 000 Roms auraient été expulsés, mais avec une possibilité de retour, les Roumains bénéficiant de la libre circulation dans l’Union européenne (droit de séjour de trois mois, sauf « charge déraisonnable pour le système d’assurance sociale »).  

– Les reculs de l’Etat de droit ont été nombreux, notamment du fait de la loi du 16 juin 2011 :

-          création d’une zone d’attente itinérante qui permet de bloquer tout débarquement ;

-          le système des obligations de quitter le territoire français (OQTF), créé en 2006 par le ministre de l’Intérieur N. Sarkozy, a été profondément réformé pour prendre acte de l’échec de sa mise en œuvre ;

-          allongement du délai de la rétention administrative à 45 jours (contre 32 auparavant), avec prolongation possible de 20 jours (urgence absolue, menace) et recul du moment où l’intervention du juge judiciaire est nécessaire.  

– La stigmatisation des naturalisés, « mauvais Français » en puissance : dans le discours de Grenoble, N. Sarkozy a annoncé vouloir déchoir de la nationalité les Français auteurs de crimes. L’affaire du polygame bi-national nantais, fraudeur aux prestations sociales, a également déchaîné une partie de la droite. Résultat : l’inconstitutionnalité vraisemblable d’un élargissement des mesures de déchéance de la nationalité (qui revient à traiter différemment un Français de naissance et un naturalisé) a fait reculer le gouvernement qui a donné une nouvelle preuve de son incompétence en la matière.  

Dans la même logique C. Goasguen, rapporteur de la loi du 16 juin 2011 et de la mission d’information sur le droit de la nationalité, a fait voter un article qui oblige désormais les candidats à la naturalisation de déclarer s’ils peuvent et souhaitent conserver une autre nationalité, parallèlement à la nationalité française. Cette disposition, qui figure dans le code civil, ouvre la porte à un fichage des bi-nationaux.  

– Enfin, reprenant un discours traditionnel d’une partie de la droite, Claude Guéant a martelé dès le début 2012 une communication musclée sur le thème de la délinquance des étrangers, évoquant des raids depuis l’étranger de nature à effrayer le Français. En septembre 2011, ce sont les Comoriens à Marseille qui avaient été visés par Guéant, provoquant une levée de boucliers dans la cité phocéenne. Les chiffres d’ensemble de l’évolution de la délinquance et le bilan de la sécurité au cours du quinquennat sont intégralement sujets à caution. Mais la volonté d’exploiter cette peur est là, avec une traduction sur le plan législatif puisqu’une proposition de loi de trois députés UMP, directement pilotée par la place Beauvau, et rétablissant une forme de double peine, devrait être examinée par l’Assemblée nationale en urgence (face à un étranger présent en France depuis moins de trois ans et condamné à plus de trois ans d’emprisonnement, le juge devra se prononcer sur une peine complémentaire d’interdiction du territoire).  

4. UNE INTÉGRATION EN PANNE

La France éprouve des difficultés à faire évoluer son identité nationale pour faire une place aux Français issus de l’immigration récente. Or la politique d’immigration de Nicolas Sarkozy aggrave ces difficultés à un triple titre :  

-          Elle renforce la logique historique d’immigration temporaire.Elle rend le séjour de longue durée des étrangers plus difficile : durcissement de l’accès à la nationalité, pas de carte de séjour permanente, restrictions croissantes au regroupement familial… Elle s’inscrit dans une logique d’immigration temporaire, et non définitive. Non seulement elle ne prépare pas à l’intégration, mais elle cherche au contraire à la gêner. Or la plupart des immigrants demeurent définitivement sur notre territoire… La politique de pression sur l’immigration légale a en effet abouti à l’inflexion du regroupement familial (-17 % entre 2008 et 2009) et à une forte baisse de l’acquisition de la nationalité par mariage (-50 % depuis 2004).

-          En vantant « l’immigration choisie », elle stigmatise les « Français subis ».En prétendant un temps développer « l’immigration choisie » (l’immigration de travail), Nicolas Sarkozy stigmatise « l’immigration subie », celle du regroupement familial et du mariage. Or l’immigration « subie », c’est largement celle d’hier. Elle produit, aujourd’hui, les Français de la diversité. On leur fait comprendre qu’ils sont des citoyens non désirés. Le gouvernement dit ainsi à ces Français : « La France, tu l’aimes ou tu la quittes ». C’est une catastrophe pour l’intégration de ces populations. La création du ministère de l’immigration, de l’identité nationale et du co-développement (2007–2010) a marqué l’existence d’une forme de menace sur la France, dont l’identité nationale doit être préservée. En 2011, C. Guéant devenu ministre de l’Intérieur a déclaré que « Les Français, ont parfois le sentiment de ne plus être chez eux… Les Français veulent que la France reste la France » (Entretien à Valeurs Actuelles, 14 avril 2011), traduisant l’idée que l’intégration doit se traduire par une assimilation, c’est-à-dire par la disparition de la diversité.  

-          Avec le débat sur les bi-nationaux ou la déchéance nationale, elle désigne de « mauvais Français ».La France a tellement peu confiance en elle-même et en ses ressortissants qu’elle soupçonne ceux qui ont des racines multiples de ne pas être des « bons citoyens ».   -          Quant à la politique d’intégration, on n’en entend tout simplement plus parler, l’entrée au gouvernement de personnalités « issues de la diversité » (R. Dati, J. Bougrab, F. Amara…) ayant servi d’alibi. La suppression du FASILD, remplacé par l’Acsé (Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances) depuis la loi du 31 mars 2006, a marqué l’acte de décès d’une politique dédiée critiquée depuis longtemps par l’extrême droite (« le milliard des immigrés ») au sein d’une politique de la ville revisitée. La Halde, qui avait joué son rôle dans l’approfondissement des orientations lancées avant 2002 sur la question des discriminations ethniques, a été fusionnée dans le Défenseur des droits, avec une visibilité très incertaine.  


[1] Hors visas étudiants

[2] En réponse à une question de Bernard Roman, député du Nord, A. Klarsfeld aurait confirmé, lors de son audition le 11 janvier 2012, certaines déclarations faites antérieurement dans la presse sur les Roms et sur le nombre de leurs enfants. Les députés de gauche ont quitté la salle.

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