Les travailleurs immigrés : avec ou sans eux ?
Pourra-t-on se passer de l’immigration de travail en France dans les années à venir ? Dans un contexte de vieillissement démographique, de pénurie de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs et d’inquiétude sociale alimentée par des discours politiques polarisés, il est essentiel de revenir aux faits et d’évaluer objectivement la contribution de la main-d’œuvre immigrée à l’économie française.


Le présent rapport propose une réflexion lucide sur la place des immigrés dans l’économie française aujourd’hui et demain. À rebours des discours idéologiques, il dresse un état des lieux documenté de l’apport des travailleurs immigrés, en particulier dans un contexte de vieillissement démographique, de montée des besoins en services essentiels et de tensions croissantes de recrutement dans de nombreux secteurs. A la lumière de ces mutations, il montre que le recours à la main-d’œuvre étrangère sera décisif dans les années et décennies qui viennent si l’on veut maintenir le ratio de soutien entre actifs et inactifs à un niveau raisonnable, c’est-à-dire à un niveau qui permette de pérenniser notre modèle social. A charge pour la collectivité nationale d’inventer une politique d’intégration qui rende acceptable l’immigration à venir dont l’origine sera la demande de travail de la France.
Cet appel à la main-d’œuvre immigrée n’a rien d’inédit dans notre histoire. La France a souvent eu recours à l’immigration pour soutenir sa croissance, reconstruire après les guerres ou faire face à une natalité insuffisante. Depuis le XIXe siècle, l’appel à des travailleurs étrangers répond à des besoins militaires, agricoles ou industriels. L’histoire du droit de la nationalité en porte la trace.
D’abord assumé, ce recours a été progressivement occulté jusqu’à ce que soit officiellement suspendue l’immigration de travail en 1974. Alors que la dynamique migratoire a été une composante structurelle de l’essor économique français, le débat sur l’immigration s’est alors déplacé vers d’autres questions, en particulier l’immigration illégale, le regroupement familial ou l’asile.
L’analyse du marché du travail actuel montre cependant que les travailleurs immigrés continuent à jouer un rôle économique crucial et complémentaire de la main-d’œuvre native. De nombreux secteurs sont aujourd’hui en tension : soins à la personne, nettoyage, BTP, logistique, informatique, santé. Ces métiers peinent à recruter, et les projections à l’horizon 2030 indiquent une aggravation de ces tensions, voire de réelles pénuries. Le cas de la pandémie de Covid a constitué une démonstration éloquente du rôle crucial de l’immigration : lorsque les flux migratoires ont brutalement chuté en 2020–2021 du fait de la fermeture des frontières, les secteurs qui dépendent le plus de cette main-d’œuvre ont vu leurs difficultés de recrutement exploser.
Le rapport souligne aussi que l’immigration n’est pas cantonnée aux métiers peu qualifiés. Si les immigrés sont fortement présents dans les secteurs du nettoyage, de l’aide à domicile ou de la restauration, ils sont aussi indispensables dans des professions hautement qualifiées. Un médecin sur cinq exerçant en France est diplômé à l’étranger, et leur présence est tout aussi décisive dans l’informatique.
Pourtant, malgré leur utilité manifeste, les immigrés sont confrontés à une précarité persistante. Le rapport met en lumière un déclassement fréquent, une moindre mobilité sociale, une faible reconnaissance des diplômes, ainsi qu’une discrimination dans l’accès aux emplois stables et aux promotions. À diplôme égal, les immigrés progressent moins vite que les natifs, ce qui limite leur intégration professionnelle. Cette situation est source d’inefficacité économique mais aussi d’injustice sociale, ce que le débat public occulte souvent.
Le document démonte également le mythe d’un coût excessif de l’immigration pour la société. Le cas de la Seine-Saint-Denis, territoire très pauvre mais hautement contributeur à la protection sociale du fait de son dynamisme économique et de sa population active importante, montre que les immigrés participent activement au financement du système solidaire français, notamment via les cotisations sociales. La protection sociale dépend avant tout du travail, et non de l’origine des travailleurs.
Enfin, le rapport se projette dans l’avenir et livre une analyse prospective des besoins de main-d’œuvre immigrée dans les décennies qui viennent. À mesure que la population française vieillit et que la natalité baisse, le ratio de soutien démographique (actifs/inactifs) se dégrade, menaçant tout l’édifice des solidarités qui structurent notre modèle social.
Selon ses propres modélisations, aucun des scénarios envisagés par l’Insee ne permet d’empêcher une telle dégradation. Même la combinaison d’une fécondité qui remonterait à deux enfants par femme (hypothèse la plus élevée et la moins probable) et d’un solde migratoire de 120 000 personnes par an ne parviendrait pas à assurer une population active suffisante pour maintenir le ratio de soutien au niveau où il se trouve aujourd’hui.
Si l’on veut consolider les fondations de notre modèle social, il faut donc aller plus loin que ce qu’envisage l’Insee. Comment ? La variable de la fécondité étant très difficile à piloter, c’est vers l’immigration qu’il faut se tourner. Le rapport propose de modéliser le besoin de main-d’œuvre immigrée supplémentaire pour maintenir le ratio de soutien à son niveau actuel. Il en ressort qu’il faudrait accueillir environ 310 000 nouveaux immigrés par an à l’horizon 2040–2050. Soit un peu moins qu’en 2022 (331 000) mais plus que la moyenne des années 2010 (245 000). Des politiques visant à augmenter le taux d’activité des jeunes décrocheurs, des seniors et des femmes pourraient permettre de rapprocher le nombre des entrées nécessaires de la moyenne des années 2010 mais en aucun cas de se passer d’un apport migratoire conséquent.
La prudence commande donc, non pas d’ouvrir les frontières à tous les vents, mais de maintenir le niveau d’ouverture actuel de notre pays à l’immigration en fléchant davantage les entrées vers l’activité économique. Et en prenant soin d’accueillir et d’intégrer correctement ces populations. Non seulement pour des raisons humanistes, mais également pour les maintenir sur notre sol dans un contexte européen qui est déjà et qui sera de plus en plus concurrentiel pour attirer la main-d’œuvre étrangère. Dans un continent qui entre dans l’hiver démographique, la compétition sera rude et elle portera également sur les travailleurs natifs que l’émigration vers d’autres horizons pourrait tenter… A nous d’inventer donc une nouvelle politique d’immigration où le travail aura un rôle central.
Introduction
« Il faut augmenter la quantité de travail en France ! » « Il faut arrêter l’immigration ! » Ces deux propositions organisent aujourd’hui le débat public. Davantage de travail pour financer la protection sociale, la transition écologique, le besoin de réarmement. Moins d’immigration car « les Français n’en peuvent plus ».
Hier, les autorités politiques pensaient qu’il n’y avait de richesses que d’hommes, y compris pour faire la guerre, et qu’il fallait attirer des hommes en France pour renforcer sa capacité militaire et sa production économique. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. L’immigration est devenue une idée quasi-universellement combattue, à tel point que Flaubert revenu parmi nous pourrait ajouter une entrée à son Dictionnaire des idées reçues : « Immigration. Tonner contre. » Le sujet fait la une des médias, plus nombreux qu’avant, plus vocaux qu’avant, qui se revendiquent ou se rapprochent des thèses de l’extrême-droite. Leur audience reste en fait assez confidentielle mais leur capacité à dicter l’agenda médiatique est majeure. Ils produisent un discours nouveau parce que transgressif, transgressif parce qu’ouvertement hostile à une population devenue pour partie française, ce qui ne se faisait plus dans un pays où les attaques des uns contre les autres, d’une auto-proclamée majorité silencieuse contre des minorités ethniques ou religieuses n’ont pas laissé de bons souvenirs. Alors, le sujet est à la une et tant pis s’il occupe plus les esprits de responsables politiques en mal d’idées que ceux des Français qui, toutes les enquêtes d’opinion le montrent, relèguent au sixième ou septième rang de leur préoccupation la question et n’ont quasiment jamais été aussi tolérants selon l’indice longitudinal de la Commission nationale consultative des droits de l’homme calculé depuis 1990 (voir graphique ci-après)[1].
Tableau 1
L’indice longitudinal de tolérance de la CNCDH

Nous ne ferons pas ici l’éloge de l’immigration, pas plus que nous n’accablerons les immigrés de tous les malheurs nationaux. Nous voulons sortir ce sujet du champ des seules valeurs (et des invectives) et parler aussi des faits : ce n’est pas inutile pour mettre en œuvre des politiques publiques. Nous voulons faire un état des lieux en adoptant un point de vue rarement utilisé dans le débat politique sur le sujet : celui du travail. Et, avouons-le, rendre un peu de la dignité qu’ils méritent aux travailleurs immigrés.
En Allemagne, le débat sur l’immigration est scindé en deux. On parle d’un côté des réfugiés et des demandeurs d’asile, souvent syriens ou afghans, et de l’autre des besoins de l’immigration de travail, revendiqué par les grandes entreprises – ah, la collusion entre le grand patronat et les immigrés ! – mais aussi et surtout par les associations, les hôpitaux, les acteurs des services sociaux, des transports publics et de l’agriculture, loin, bien loin, de l’indice des valeurs de la bourse de Francfort (le DAX) et du complot destiné à faire baisser les salaires des « vrais Allemands » (le même discours existe pour les « vrais Français »). Après tout, au cours des deux dernières décennies, 70 % de la croissance de la force de travail européenne est due à l’immigration, contre 47 % aux États-Unis[2] .
En France, le discours sur l’immigration de travail a quasiment disparu depuis son arrêt, en 1975[3]. Depuis, ce sont le regroupement familial, les réfugiés, l’immigration illégale, la charge que les immigrés feraient peser sur les comptes sociaux qui préoccupent les responsables politiques et l’opinion, occultant ainsi l’importance des immigrés dans la production nationale et, c’est plus récent, leur rôle essentiel dans la prise en charge des Français, notamment dans le domaine du soin médical et des services à la personne. La vieille crainte historique des classes populaires qui se sentaient concurrencées par une main-d’œuvre étrangère aux salaires plus bas et au faible taux d’engagement syndical s’est peu à peu estompée, remplacée par la « peur sur la civilisation » et sur la Sécurité sociale agitée par l’extrême-droite et la droite identitaire en cours de fusion.
Pourtant, partout en Europe et en France, l’heure est à la « mise au travail », les gouvernements expliquent tous qu’il va falloir travailler plus pour financer la transition climatique, le vieillissement démographique, le réarmement. L’idée que l’on peut augmenter la quantité de travail par l’arrivée de nouveaux travailleurs doit donc être débattue, d’autant qu’en l’occurrence il s’agit moins d’augmenter la quantité de travail que de limiter sa baisse. Et ce débat sur l’immigration de travail doit s’accompagner de réflexions sur des politiques d’intégration aujourd’hui dramatiquement absentes. Il doit également conduire à poser la question de l’acceptabilité du sujet car on va droit vers une impasse générale. L’étude du Credoc réalisée pour Terra Nova montre d’ailleurs qu’une majorité de Français acceptent l’immigration quand elle est justifiée par le travail.
Bien sûr, on peut – et on doit – augmenter le taux d’activité des jeunes, des femmes, des seniors. Bien sûr, la robotisation va supprimer des emplois et l’IA transformer le monde du travail. Bien sûr, il y a des poches de productivité dans l’économie qui pourraient permettre de limiter les besoins de nouveaux travailleurs. Bien sûr, on ferait mieux de réinsérer des jeunes, souvent issus de l’immigration, qui n’ont pas d’emplois, de formation ni de diplôme. Mais, les faits sont têtus, les chiffres éloquents et la réalité brutale quand on ne veut pas la voir. Et immanquablement, on s’y cogne. Alors, on peut dire comme Eugénie Bastié que « l’immigration est une drogue pour la France », que « Thierry Marx (président de l’Umih, le syndicat des restaurateurs) ne doit pas faire la politique migratoire de la France[4] », « que la civilisation ne se brade pas pour un steak-frites au rabais ». On peut discourir. Mais c’est mieux d’agir. Et puis aussi de regarder la réalité : la démographie française s’effondre pour la première fois depuis la grande crise de 1993, une tendance qui semble durable. La France a perdu 110 000 naissances par an entre 2017 (767 000 naissances) et 2024 (663 000 naissances) avec une dynamique à la baisse qui s’accélère[5].
Alors, plutôt que de faire des phrases sur l’effondrement de la civilisation française causée par les immigrés, plutôt que de rêver à ce qu’elle n’a jamais été, tentons de dessiner la France comme elle est et comme elle sera dans les années à venir. Confrontons-nous au réel. En sachant que la situation décrite va irriter certains et que l’avenir qu’elle décrit promet quelques confrontations tant le sujet de l’immigration est devenu sensible en France, en tout cas auprès d’une partie de l’opinion et de médias militants.
Une récente étude publiée dans Nature[6], citée par Gérald Bronner[7], montre que le discours factuel s’est effondré dans le débat public, remplacé par des proclamations d’authenticité qui ont laissé peu à peu le réel de côté au profit de la polarisation et des affects. Le pathos a remplacé le logos et a écarté l’ethos. Ce travail vise à remettre la rationalité au cœur du débat sur l’immigration. Notre ambition est simple : essayer de comprendre ce que serait la France, son économie, ses services, son lien social sans l’immigration, aujourd’hui et surtout demain. Nos sources sont les sources officielles et publiques : le recensement de l’Insee, l’enquête Emploi du même institut et des données qui viennent de la Commission européenne avec Eurostat qui compile les données des différents pays européens tout en les standardisant pour pouvoir les comparer.
Compte tenu de la qualité médiocre du débat public sur cette question, il faut commencer par un état des lieux pour rappeler quelques réalités importantes sur l’histoire de l’immigration de travail en France, sur la place des immigrés, leur nombre, leur rôle dans l’activité économique nationale. Et il faut y ajouter une analyse qualitative ainsi qu’une réflexion sur l’appairage entre la demande de travail et l’offre qui vient d’apports extérieurs. Nous avons aussi calculé ce que seraient la France et son marché du travail sans apport d’immigrés nouveaux et ses conséquences sur l’équilibre des comptes sociaux via une modélisation de l’évolution du ratio actifs/inactifs. Nous avons également tenté de modéliser le flux d’immigration nécessaire pour pallier la baisse de la démographie et anticiper les politiques publiques qu’il faudra mettre en œuvre. Enfin, mais faut-il le dire, parce que l’immigration va continuer, il est essentiel de mettre en place une politique d’intégration qui brille aujourd’hui par son absence.
Alors, les travailleurs immigrés, avec ou sans eux ? Voyons ce que cela donne…
1. Politique d’immigration et travail en France
Depuis 1850, la politique d’appel aux immigrés en France a évolué en fonction des besoins militaires, démographiques et économiques du pays.
Histoire de l’appel aux immigrés : natalité, défense, travail
L’appel aux immigrés, assumé ou honteux comme aujourd’hui, est une constante de l’histoire contemporaine. Les débuts d’une immigration importante coïncident avec plusieurs transformations décisives – l’industrialisation du pays et l’expansion coloniale – qui ont posé pour longtemps les caractéristiques de l’immigration de travail, historiquement peu qualifiée et venant d’abord des pays voisins puis de l’ancien empire colonial. C’est également la question de l’immigration qui a contribué à forger le droit de la nationalité française[8], droit qui fluctue suivant les besoins d’immigration. Jusqu’au XIXe siècle, l’étranger était en effet seulement celui qui venait d’ailleurs, aussi bien d’une autre région que d’un autre pays. L’idée de citoyenneté issue de la Révolution, puis l’unification nationale entreprise par la République contribua à définir plus précisément l’étranger. Alors que depuis l’instauration du Code civil, la règle de nationalité se limitait au droit du sang qui succédait au droit du sol d’Ancien Régime, la loi de 1889 mêla droit du sol et droit du sang et accorda la nationalité française aux enfants d’étrangers nés sur le sol français, à leur majorité s’ils le souhaitent (droit du sol différé) et de façon automatique si leurs parents sont nés étrangers sur le sol français (double droit du sol, applicable aux personnes majeures et à condition d’avoir grandi en France). L’idée est donc bien d’intégrer, voire d’annexer à la nation les populations étrangères mais vivant sur place.
Pourquoi ? Parce que l’immigration était utilisée comme une ressource stratégique pour pallier le manque de main-d’œuvre. Dès le milieu du XIXe siècle, la France connaît une industrialisation rapide et une expansion agricole nécessitant un apport accru de travailleurs mais elle est handicapée par sa croissance démographique, plus lente que celle des autres grandes puissances européennes, et par la perte de l’Alsace-Moselle après 1870. Sous le Second Empire et la Troisième République, de nombreux travailleurs belges et italiens sont recrutés pour œuvrer dans les mines du Nord, la sidérurgie et l’agriculture, tandis que les Espagnols, notamment dans le Sud-Ouest, participent aux vendanges et aux travaux des champs. À cette époque, les premières structures de régulation de l’immigration voient le jour, notamment avec la création du Service de la Main-d’œuvre Étrangère en 1917. C’est un fait peu connu mais quelques 500 000 travailleurs ont été recrutés selon des modalités variables pendant la Première Guerre mondiale. Environ 220 000 hommes en provenance de tout l’empire colonial ont été acheminés en France en un temps record (ce chiffre ne tient pas compte des milliers de coloniaux initialement recrutés comme soldats) : environ 75 000 Algériens (“Kabyles”), 35 000 Marocains, 18 500 Tunisiens, 5 500 Malgaches, 49 000 Indochinois. Il faut y ajouter environ 37 000 Chinois, en théorie recrutés comme ouvriers civils, mais en réalité traités et administrés comme des coloniaux[9]. Les étrangers, quant à eux, viennent pour l’essentiel des pays limitrophes : plus de 100 000 Espagnols traversent les Pyrénées pour se faire embaucher majoritairement dans l’agriculture, tandis que plusieurs dizaines de milliers se retrouvent dans les industries de guerre, sur les ports, sur les chantiers. Ce sont aussi 20 000 Italiens, 20 000 Portugais et 20 000 Grecs qui sont venus, sans oublier des ouvriers spécialistes recrutés dans des pays alliés ou neutres.
Avec la Première Guerre mondiale, la France subit un choc démographique considérable, marqué par la disparition de près de 1,4 million d’hommes et une baisse dramatique des naissances. Afin de répondre aux besoins de la reconstruction, le pays met en place une politique migratoire d’envergure, favorisant l’arrivée massive d’Italiens, d’Espagnols, de Polonais et de Tchèques. Afin d’encadrer ce flux, des accords bilatéraux sont signés avec plusieurs pays, notamment l’Italie dès 1919 et la Pologne en 1920. En 1931, la France devient le premier pays d’immigration en Europe, avec plus de 2,7 millions d’étrangers (6,5 % de la population). Parallèlement, la main-d’œuvre coloniale est mobilisée en grand nombre, des travailleurs algériens, marocains, tunisiens et indochinois étant envoyés dans les usines et sur les chantiers.
Les naturalisations font partie de cette politique destinée à augmenter la population nationale. Critiqués par la droite, les critères retenus en 1889 sont finalement assouplis dans la réforme de la nationalité de 1927, qui instaure un double droit du sol dès la naissance (et non plus différé à la majorité). Une Française qui épouse un étranger ne doit plus renoncer à sa nationalité pour « suivre la condition de son mari ». Enfin, les exigences pour obtenir la nationalité sont abaissées (il est possible de postuler après seulement trois ans de présence en France), ce qui conduit à une forte hausse des naturalisations (au nombre de 600 000 entre 1927 et 1940, mariages compris).
Avec la crise économique de 1929 qui arrive en France en 1931, la tendance se retourne : la montée du chômage attise les tensions sociales et conduit à l’adoption de mesures restrictives dès 1932, limitant l’embauche de travailleurs étrangers et encourageant leur retour dans leur pays d’origine.
Plus tard, la loi de 1927, critiquée dès le début par l’extrême droite, est réformée par le régime de Vichy[10] qui procède à 15 000 dénaturalisations (en commençant par les naturalisations décidées sous le Front populaire) et abroge le décret Crémieux de 1870 qui accordait la nationalité française aux juifs d’Algérie. En 1944, les principes définis en 1889 et 1927 sont rétablis, non sans débats, avec un léger durcissement des conditions de naturalisation (5 ans de présence en France sont désormais nécessaires) et l’effacement des dénaturalisations est engagé.
Les règles d’accès la nationalité ne changent plus jusqu’aux années 1980 où, dans le contexte de hausse du chômage, elles connaissent un durcissement. La « loi Méhaignerie » de 1993 stipule que l’étranger adulte qui sollicite la naturalisation après un séjour d’au moins cinq ans « ne peut être naturalisé s’il ne justifie de son assimilation à la communauté française, par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française. » La loi contraint aussi les enfants d’immigrés nés en France à « manifester leur volonté de devenir français ». En 1998, les socialistes revenus au pouvoir rétablissent la législation de 1889 en l’assouplissant légèrement : un enfant d’immigré né en France peut demander sa naturalisation dès 16 ans, voire l’obtenir à 13 ans sur demande des parents, les cinq années de résidence pouvant être discontinues. Le débat a toujours cours. Ces évolutions disent une chose : suivant les conditions socio-économiques et militaires, la France a toujours adopté des politiques d’attraction des immigrés et d’attributions de la nationalité adaptées aux circonstances. Ouvertes en cas de besoin, fermées quand les conditions économiques se retournent.
B. L’organisation de la politique d’immigration : de l’intérêt au droit
1. L’État et le patronat organisent l’immigration
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, l’immigration est libre et peu contrôlée. De la Première Guerre mondiale datent les premières mesures d’organisation et de régulation de l’immigration, avec deux acteurs principaux : le patronat et l’État, dont les intérêts ne convergent pas toujours. Après la guerre, l’État entend réguler l’immigration, ce qui ne signifie pas toujours interdire, mais souvent organiser pour répondre aux besoins de l’économie et des employeurs, et aux inquiétudes des classes populaires. Dans les années 1920, sous l’impulsion décisive du Bureau international du travail, des traités sont signés avec l’Italie, la Belgique et la Pologne afin d’encadrer l’immigration (égalité théorique des salaires avec les travailleurs français), mais aussi de préserver ses droits fondamentaux, en matière de santé et de droit du travail notamment. Toutefois, jusque dans les années 1920, l’État laisse aux employeurs le soin d’organiser eux-mêmes l’immigration. La Société générale d’immigration, fondée en 1924 par les Charbonnages de France, organise des missions de recrutement dans des pays partenaires, à commencer par la Pologne, et se charge de répartir les migrants à travers la France en fonction des demandes locales dans l’agriculture ou l’industrie. Le système peut être qualifié de mixte ; le cadre général est fourni par l’État, mais ce sont les entreprises qui organisent concrètement les filières d’immigration. Dès que la situation économique est fragilisée, les choix inverses sont faits. Une loi de 1932 par exemple régule et contraint l’emploi des étrangers. Des retours forcés sont organisés, dont les Polonais sont les premières cibles.
Au sortir de la guerre, le désir de l’État d’organiser l’immigration s’accentue, avec la création de l’Office national de l’immigration, chargé des sorties et surtout des entrées, pour faire face aux enjeux de la reconstruction. Les premiers résultats sont mitigés, et il faut attendre les années 1950 pour que la France redevienne un pays attractif. Au cours de la décennie suivante, l’État signe des accords de migration avec l’Espagne, le Portugal (ce qui permet la régularisation rapide de ceux qui sont arrivés illégalement sur le sol français), la Turquie, le Maroc et la Tunisie. Ces accords facilitent la venue en France de travailleurs immigrés dont la présence est conçue comme provisoire, pour travailler en particulier dans l’industrie, très demandeuse. Les Trente Glorieuses correspondent à l’âge d’or de l’immigration. Il est en revanche un pays avec lequel aucun accord n’est signé, sauf pour limiter d’un commun accord la migration : l’Algérie. Après l’indépendance de l’Algérie en 1962, les accords d’Évian ont initialement instauré une relative liberté de circulation entre les deux pays. Toutefois, dès 1963, la France met en place des mesures de contingentement pour limiter l’entrée de travailleurs algériens, en réponse à une immigration jugée trop massive. Un tournant majeur survient avec la signature de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Cet accord établit un régime migratoire particulier pour les ressortissants algériens, leur offrant des conditions préférentielles par rapport aux autres étrangers en matière de séjour, de circulation et d’emploi. Il reflète la volonté de maintenir des liens étroits entre les deux pays tout en régulant les flux migratoires. Au fil des décennies, cet accord a été modifié par plusieurs avenants. En 1973, le gouvernement algérien avait interdit l’émigration mais les employeurs recrutaient les immigrés algériens qui se présentaient[11]. L’Office national de l’immigration (ONI), dont le champ de compétence se limitait aux Européens, est contourné et affaibli.
En 1985, des quotas d’immigration de travail sont introduits. En 1994, la délivrance d’un visa devient obligatoire pour les Algériens souhaitant entrer en France. En 2001, certaines dispositions de l’accord sont harmonisées avec le droit commun français applicable aux étrangers. Ces évolutions témoignent d’une volonté progressive de rapprocher le régime algérien du droit général, tout en maintenant des spécificités.
Dans les mentalités, les immigrés sont hiérarchisés en fonction de leur désirabilité : d’abord les Européens du Nord et de l’Est, désormais peu nombreux, puis ceux du Sud, auxquels un certain nombre de préjugés s’attachent toujours, et enfin ceux du Maghreb, Marocains et Tunisiens étant privilégiés par rapport aux Algériens. D’où le choix de la Ve République naissante de favoriser de facto l’immigration portugaise pour réduire le recours à l’immigration maghrébine[12]. L’accord franco-portugais de 1971 prévoit 65 000 entrées de Portugais par an. Entreprises et État restent donc des acteurs majeurs de l’immigration.
Le durcissement de la position de l’État précède la crise économique. En 1968, la régularisation a posteriori est rendue illégale et des mesures sont prises contre les recrutements clandestins, ce qui fait basculer de nombreux immigrés dans l’illégalité et dans une nouvelle catégorie, celle des « sans-papiers ». L’immigration, du fait des difficultés économiques et de sa visibilité croissante, est de plus en plus indésirable aux yeux d’une partie de l’opinion publique et de l’État. En juillet 1974, peu de temps après l’élection de Valéry Giscard d’Estaing, l’immigration de travail et familiale est suspendue, mesure initialement pensée comme provisoire mais qui s’est pérennisée, même si l’immigration familiale (regroupement) est réintroduite deux ans plus tard. Paradoxalement, la crise coïncide avec la sédentarisation croissante des immigrés, et de plus en plus de leur famille ; Algériens ou Portugais qui n’avaient pas prévu de rester s’installent pour longtemps. L’État souhaite pourtant leur retour, notamment dans le cas des Maghrébins, et tente sans succès de l’organiser. En dépit de la situation, les immigrés continuent de venir en France, depuis l’Afrique ou l’Asie, et les employeurs continuent d’embaucher lorsqu’ils en ont besoin. La France reste attractive. Mais le statut des immigrés change ; la nouvelle législation fait basculer nombre d’entre eux dans la clandestinité.
2. Le politique ne décide plus seul de l’immigration
Depuis les années 1980, l’immigration est un enjeu majeur du débat politique : faut-il fermer davantage les frontières, limiter l’accès à la nationalité, réduire la visibilité de l’islam dans l’espace public, imposer l’assimilation plutôt que favoriser l’intégration ? C’est aussi un temps de mobilisations pour les droits des sans-papiers. Les années 1980 sont également celles de la marche des Beurs et de l’émergence de SOS Racisme. Surtout, en trois décennies, plus de vingt lois sur l’immigration ont été votées et ont durci les conditions du droit au séjour, les cartes de résidents ayant par exemple de plus en plus laissé la place aux cartes temporaires. Pourquoi les flux se poursuivent-ils en dépit des politiques migratoires de plus en plus restrictives ? Ce décalage se retrouve dans les autres pays occidentaux. Qu’est-ce qui a changé ? Les droits des immigrés et de leur famille ont été peu à peu rapprochés des droits des nationaux. Le droit, ou plutôt les droits, sont ainsi devenus un facteur d’immigration, en plus du travail.
L’immigré n’est plus seulement considéré comme une force de travail mais aussi comme un individu, doté de droits si ce n’est politiques, du moins humains (le droit d’avoir une vie familiale normale) et sociaux (le droit de bénéficier de prestations). Ces droits concernent son séjour en France mais aussi son lien avec des personnes qui peuvent arguer de sa présence pour venir en France, au titre de ses liens familiaux. Ces droits permettent à certaines personnes de venir en France pour y trouver asile. Certains se voient reconnaître ce droit. D’autres voient leurs demandes refoulées. Pourquoi la France et l’Europe ont-elles construit un édifice juridique qui protège les droits et libertés des demandeurs d’asile ? Parce qu’elles ont en mémoire la fermeture des frontières pendant les années 1930, en Europe et aux États-Unis, face à ceux qui fuyaient le nazisme. C’est pour éviter cela que le droit d’asile est aussi préservé en Europe, malgré les coups de boutoir de l’extrême-droite qui voudrait, face aux abus indéniables de certains demandeurs d’asile, supprimer ou limiter drastiquement ce droit.
La conséquence de ces évolutions, c’est que la politique migratoire n’est plus uniquement guidée par les besoins des économies mais aussi par des flux indépendants de la situation économique et sociale… et de la volonté des responsables politiques.
Longtemps, l’immigration pour motif familial a dominé mais sa part a beaucoup baissé, passant de 51 % des titres de séjour en 2007 à 32 % en 2021. Elle a été dépassée en 2021 par l’immigration des étudiants. Parallèlement, l’immigration pour motifs économiques est en hausse, représentant désormais 13 % des titres, contre 7 % auparavant. Et les migrations étudiantes occupent également une place croissante, reflétant l’attractivité du système éducatif français. Selon Campus France[13], le nombre d’étudiants étrangers inscrits dans l’enseignement supérieur français a connu une croissance notable ces dernières années, illustrant l’attractivité du système éducatif français. Pour l’année universitaire 2023–2024, 430 466 étudiants étrangers étaient inscrits, soit une augmentation de 4,5 % par rapport à l’année précédente. Cette progression s’inscrit dans une tendance à la hausse observée depuis plusieurs années, avec une croissance de 8 % en 2021–2022.
Mais, si ces catégories sont juridiquement correctes, elles masquent aussi en partie la réalité. L’immigration de travail n’est pas aussi basse qu’elles le suggèrent. Pour une raison simple : beaucoup des immigrés qui viennent en France pour motif familial vont ensuite travailler, on y reviendra.
C. Le fait migratoire en France aujourd’hui
Depuis 1945, la population française est passée de 40 à 67 millions d’habitants : ces 27 millions supplémentaires sont dus, dans des proportions proches, à l’immigration, à la natalité (baby-boom notamment) et à l’allongement de la durée de la vie[14]. En comparant la part des immigrés dans la population sur près de 80 ans, on observe une tendance nette à la hausse : en 2023, les immigrés représentent 10,7 % de la population française, contre 5 % en 1946, 7,4 % en 1975 et 8,5 % en 2010. Mais cette croissance n’a rien de linéaire : elle est marquée par des périodes de hausse, de stabilisation ou de ralentissement, selon les besoins économiques, les politiques migratoires et les dynamiques géopolitiques. Ainsi, la part des immigrés a diminué entre 1931 (6,6 %) et 1946 (5,0 %), avant de croître fortement jusqu’au milieu des années 1970, portée par la reconstruction d’après-guerre et la croissance des Trente Glorieuses. À partir de 1975, le ralentissement économique et la mise en place de politiques restrictives, notamment après les chocs pétroliers, ont contribué à une stabilisation de cette part. Mais depuis le début des années 2000, les flux migratoires ont repris, et le nombre d’immigrés augmente désormais plus vite que la population totale. Aujourd’hui, la population étrangère (à ne pas confondre avec la population immigrée) en France représentait 8,2 % de la population en 2023, contre 6,5 % en 1975 et 4,4 % en 1946. 7,3 millions d’immigrés vivent en France, soit 10,7 % de la population totale et 2,5 millions d’immigrés, soit 34 % d’entre eux, ont acquis la nationalité française. Un autre changement majeur tient à la structure même de cette immigration. Entre les années 1940 et 1970, les flux étaient essentiellement masculins et motivés par des besoins de main-d’œuvre dans les secteurs industriels. Mais à partir de 1974, alors que l’immigration de travail est freinée, d’autres formes de migration se développent : regroupement familial, études, motifs humanitaires ou économiques plus variés. Cette évolution a entraîné une féminisation progressive des flux migratoires. En 2023, 52 % des immigrés vivant en France sont des femmes, contre 44 % en 1975. Ce glissement traduit la transformation de l’immigration historiquement choisie et encadrée par l’État, et orientée vers la production, en une immigration rendue possible par le droit – et inscrite dans un contexte de flux et mobilité mondiale croissante – selon l’évolution déjà évoquée.
Si on regarde le « stock » d’immigrés, que voit-on ? En 2023, 47,7 % des immigrés vivant en France sont nés en Afrique. 32,3 % sont nés en Europe. Les pays de naissance les plus fréquents des immigrés sont l’Algérie (12,2 %), le Maroc (11,7 %), le Portugal (7,9 %), la Tunisie (4,8 %), l’Italie (3,9 %), la Turquie (3,3 %) et l’Espagne (3,2 %). Près de la moitié des immigrés sont originaires d’un de ces sept pays (47 %). Et quand on étudie les flux, on constate qu’en 2022, dans un contexte de normalisation sanitaire et de guerre en Ukraine, 331 000 immigrés sont entrés en France, contre 272 000 en 2019 et 246 000 en 2021. 40 % des immigrés arrivés en France en 2022 sont nés en Europe et 35 % en Afrique. Les pays de naissance les plus fréquents pour les immigrés entrés en France en 2022 sont l’Ukraine (12,6 %), l’Algérie (6,4 %), le Maroc (6,2 %) et la Tunisie (4,4 %).
Bien que la part d’immigrés[15] en France ait augmenté de 3 points en vingt ans, elle reste, avec 10,5 %, inférieure à la moyenne des pays de l’OCDE. Même si les comparaisons sont difficiles en raison des définitions variées – l’OCDE inclut les personnes nées françaises à l’étranger, ce qui représente environ 2 % de la population –, en 2019, 12,8 % de la population française était née à l’étranger, un chiffre comparable aux États-Unis et au Royaume-Uni, mais inférieur au Canada et à l’Australie. Selon Eurostat, en 2021, la France, avec 12 % de résidents nés à l’étranger, se situe sous la moyenne européenne. Selon l’INSEE, entre 2011 et 2019, l’immigration a fortement augmenté en Allemagne (+36 %) et en Espagne (+98 %), modérément au Royaume-Uni (+24 %) et en France (+27 %)[16].
Si on regarde le sujet en prenant en compte les enfants d’immigrés, les immigrés et leurs enfants nés en France représentent ensemble 21 % de la population française selon les données de l’Insee. Cette proportion reste stable entre les générations, car dans les tranches d’âge où les immigrés sont plus nombreux, leurs enfants le sont moins, et vice-versa : les immigrés constituent 14 % et leurs enfants 10 % de la tranche d’âge 25–54 ans ; respectivement 4 % et 21 % des moins de 15 ans, ce qui est cohérent puisque les immigrés arrivent souvent à l’âge adulte. Les deux groupes sont le moins représentés chez les 55 ans et plus, totalisant 17,5 % sur deux générations.
Ces 22 % d’immigrés et d’enfants d’immigrés suggérés par les données de l’INSEE sont probablement légèrement plus nombreux. D’abord parce que de nombreux immigrés arrivés jeunes et résidant depuis longtemps en France se déclarent rétrospectivement Français de naissance et quittent ainsi la catégorie « immigrés ». Par ailleurs, une partie de l’immigration irrégulière, amplifiée par la crise migratoire et l’augmentation du nombre de déboutés du droit d’asile, échappe également au recensement – mais pas complètement, car le recensement ne demande pas le statut migratoire. On peut également estimer le nombre de sans-papiers par le nombre de bénéficiaires de l’Aide médicale d’État. En tenant compte de ces éléments, la proportion des immigrés et des enfants d’immigrés dans la population française atteint probablement 25 %.
25 %, un quart de la population française, ne seraient donc pas une « une chance pour la France » (Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, a déclaré à plusieurs reprises que « l’immigration n’est pas une chance pour la France »)[17]. A moins bien sûr que leur contribution à l’activité nationale soit essentielle. Ce que tout le monde oublie.
2. Les immigrés permettent l’ajustement du marché du travail
Qu’en est-il aujourd’hui de la situation des immigrés dans leur relation au travail ? Beaucoup de représentations fantaisistes circulent, aux deux bords de l’échiquier politique : si certains pensent que les immigrés ne travaillent pas et viennent en France profiter indûment des aides sociales, d’autres au contraire considèrent que les immigrés sont les nouveaux damnés de la Terre, qu’ils sont exploités en France et que ce quasi-esclavagisme doit cesser. Et l’extrême-droite rejoint parfois le discours de l’extrême-gauche sur l’exploitation indue du travail des immigrés, pour expliquer que la France peut se passer de leur travail et surtout de leur présence.
Alors, qui sont les immigrés ? Quelle est leur situation sociale ? Qu’en est-il de leur taux d’activité et de leur taux de chômage ? Dans quels secteurs travaillent-ils ? Sont-ils un poids pour la protection sociale ou contribuent-ils efficacement à son financement ? Et surtout, comment fonctionne le marché du travail ? Leur offre de travail correspond-elle à la demande ?
A. La demande d’emploi et les métiers en tension
1. Les métiers en tension, aujourd’hui
Pour analyser le marché du travail à l’aune de son rapport avec l’immigration, il faut s’intéresser aux métiers en tension, ceux-là même dont la situation peut justifier le recours à une force de travail qui n’est pas disponible sur le territoire au moment de l’expression des besoins. Deux situations sont possibles : soit l’immigration actuelle, qui s’est accentuée ces dernières années, répond à la demande nouvelle de ces métiers et il n’y pas de lien entre métiers en tensions et métiers traditionnellement occupés par des immigrés ; soit la corrélation est forte, l’ajustement du marché du travail imparfait et la tension sur certains métiers exprime au contraire un besoin de forces de travail supplémentaire non satisfait, ce qui expliquerait la surreprésentation des immigrés dans ces métiers.
France Travail, anciennement Pôle Emploi, analyse le marché du travail et identifie certains métiers comme étant en « tension », c’est-à-dire associés à des difficultés de recrutement notables[18]. Un métier est en tension quand il y a beaucoup plus de postes vacants et de besoins en recrutement que de candidats et de professionnels compétents sur le marché de l’emploi. Les entreprises sont alors confrontées à des difficultés pour recruter sur ces métiers. Les candidats recherchés peuvent dans ce cas être qualifiés de profils « pénuriques ».
En 2021[19], les trois premiers métiers en tension étaient les techniciens en mécanique et travail des métaux, les dessinateurs en électricité et en électronique et les régleurs. Ils étaient suivis par les ingénieurs et cadres techniques de l’industrie et les ingénieurs du bâtiment et des travaux publics, chefs de chantier et conducteurs de travaux. Dans le top 30 des métiers les plus en tension figuraient ensuite d’autres fonctions dans l’industrie et le BTP (agents de maîtrise, ouvriers qualifiés travaillant par enlèvement de métal ou de traitement thermique et de surface, tuyauteurs et chaudronniers, carrossiers, mécaniciens de véhicules et ouvriers qualifiés de la maintenance en mécanique) et d’autres du care (infirmiers).
En 2023[20], la liste est légèrement modifiée. Les trois métiers les plus en tension sont : les techniciens et agents de maîtrise des services financiers ou comptables ; les médecins ; les techniciens et agents de maîtrise en maintenance générale et mécanique industrielle. Parmi la liste pour 2023, figurent des métiers industriels (ouvriers en conduite d’équipement d’usinage ou les ouvriers en chaudronnerie et tôlerie), des professionnels du soin et de l’aide à la personne (aides-soignants, infirmiers…), les informaticiens, le personnel de restauration, les conducteurs routiers ou encore des agents de sécurité et de surveillance. France Travail publie en parallèle de ce classement, qui est élaboré à l’aide d’un indicateur synthétique, des données issues d’une enquête sur les besoins en main-d’œuvre. Chaque année, un questionnaire est adressé aux établissements afin de connaître leurs besoins en recrutement par secteur d’activité et par bassin d’emploi. Il est alors possible de savoir, parmi l’ensemble des projets de recrutement, quels sont les métiers pour lesquels les entreprises rencontrent effectivement des difficultés, en pourcentage des offres d’emploi exprimées.
Graphique 1
Difficultés de recrutement par secteur en 2024[21], en % parmi les projets de recrutements

Les métiers des services à la personne, du soin médical et de l’artisanat industriel sont les plus concernés par des besoins élevés de recrutement. Les aides à domicile et auxiliaires de vie enregistrent le taux le plus élevé (83,7 %), traduisant l’ampleur des tensions dans le secteur du care, renforcées par le vieillissement démographique. Les professions médicales (médecins, dentistes, vétérinaires, pharmaciens) suivent avec 81,6 %, démontrant l’urgence de renforcer les filières de formation et de recrutement dans la santé. Le secteur industriel (ouvriers travaillant le métal, techniciens de la réparation automobile) apparaît également sous forte pression, en lien avec les départs massifs à la retraite annoncés et les difficultés d’attractivité de ces métiers techniques. Enfin, les métiers de la construction et de l’électronique, tout en étant légèrement moins exposés, connaissent eux aussi des besoins de renouvellement substantiels.
Plus profondément, que disent ces données ? Deux éléments clés : les difficultés de recrutement se situent à la fois en haut et en bas de la hiérarchie des qualifications. Du côté des très qualifiés, avec les médecins, dentistes, pharmaciens, et du côté des moins qualifiés, des métiers qui demandent peu d’années d’études mais une grande technicité, qui s’acquiert avec l’expérience (soudeurs, chaudronniers, chauffagistes…).
Selon France Travail[22], l’Île-de-France, l’Auvergne-Rhône-Alpes, la Nouvelle-Aquitaine, l’Occitanie et la Provence-Alpes-Côte d’Azur sont les cinq régions les plus dynamiques en matière de recrutement. Cette géographie de l’emploi reflète ainsi une double polarisation du marché de l’emploi : d’une part, une forte demande pour des métiers très qualifiés dans les services, souvent liés aux secteurs technologiques, de la santé ou de la finance, très présents dans les métropoles ; d’autre part, une pénurie persistante dans les métiers peu qualifiés, notamment dans la logistique, la restauration, le bâtiment ou les soins à la personne, eux aussi très présents dans les métropoles où la concentration de population est forte.
Résumons : il y a une forte demande de travail aux deux extrémités de la hiérarchie du travail en France. Des métiers très qualifiés (médecins, informaticiens…) d’un côté, des métiers peu qualifiés mais techniques de l’autre. Avec une forte polarisation dans les métropoles.
2. Quid demain ?
Comment le marché du travail va-t-il évoluer[23] ? France Stratégie a fait le travail et a modélisé l’évolution des besoins en travail à l’horizon 2030. Le tableau est frappant : exactement la même polarisation que les métiers en tension actuels, avec une accélération et une amplification des besoins.
Graphique 2
Les métiers en plus forte expansion entre 2019 et 2030

Les besoins en informaticiens, professionnels de la santé, aides à domicile vont se renforcer. Le besoin de recrutement en agents d’entretien est considérable ainsi que les chauffeurs, aides-soignantes ou ouvriers qualifiés de la manutention.
Graphique 3
Les métiers comptant le plus de postes à pourvoir dans le scénario de référence entre 2019 et 2030

Si on considère le sujet d’un point de vue quantitatif, il manque potentiellement 300 000 agents d’entretien, 200 000 aides à domicile, 200 000 chauffeurs, 100 000 aides-soignants dans les années à venir. Qui va occuper ces emplois ? Le système de formation français sera incapable d’y pourvoir, comme le montre le tableau ci-dessous.
Graphique 4
Les déséquilibres potentiels des métiers ayant les besoins de recrutement les plus élevés

B. Les métiers des immigrés correspondent à la demande du marché du travail
Si on regarde maintenant les métiers des immigrés, on a un début de la réponse à la question.
1. Dans les métiers peu qualifiés, un rôle essentiel des travailleurs immigrés
Selon une étude de la Dares (2019)[24], les immigrés sont surreprésentés dans 35 familles professionnelles sur les 87 répertoriées par la nomenclature officielle. Bien qu’ils ne soient majoritaires dans aucune catégorie, près de la moitié des emplois où ils sont surreprésentés se concentrent dans seulement 13 familles professionnelles, principalement dans les services aux particuliers et dans le secteur du BTP. Quatre catégories professionnelles affichent une proportion particulièrement élevée d’immigrés : les employés de maison (39 %), les agents de sécurité (28 %), les ouvriers non qualifiés du gros œuvre du bâtiment et de l’extraction (27 %) ainsi que les ouvriers qualifiés du gros œuvre du bâtiment (25 %). On peut leur ajouter certains métiers de l’hôtellerie-restauration (22 % des cuisiniers en France sont des immigrés !), de l’alimentation, du transport (chauffeurs) et de la logistique (caristes) qui sont également fortement concernés. Notons également que 16 % des ouvriers qualifiés du textile et du cuir, travaillant donc pour l’industrie du luxe, sont immigrés.
En 2017, 17 % des agents d’entretien étaient des immigrés. En Île-de-France, plus de six sur dix des aides à domicile, aides ménagères et employés de maison (61,4 %) étaient des immigrés en 2018. Toujours en Île-de-France, les immigrés représentaient 60 % des ouvriers du gros œuvre du bâtiment en 2018.
Cette répartition montre clairement le rôle structurant des travailleurs immigrés dans l’équilibre du marché du travail français, particulièrement dans des secteurs fortement touchés par les tensions d’emploi. En occupant ces métiers difficiles à pourvoir, ils contribuent directement au bon fonctionnement et à la stabilité du marché de l’emploi en France.
2. Les médecins étrangers appelés au secours pour un « grand remplacement »
Mais leur rôle sur le marché du travail ne se limite pas à des professions peu ou moyennement qualifiées. 14 % des ingénieurs informatiques et 11 % des « employés et opérateurs » de l’informatique sont immigrés. La part des médecins exerçant avec un diplôme étranger a spectaculairement augmenté entre 2010 et 2024 (101 % !)[25]. Sans eux, le système de santé et particulièrement l’hôpital public ne tourneraient plus : 21 % des spécialistes chirurgicaux (même proportion de médecins diplômés au sein de l’Union européenne et hors de l’UE) et 17 % des spécialistes médicaux ont obtenu leur diplôme à l’étranger (10 % de ces spécialistes ont eu leur diplôme hors de l’UE)[26]. Les immigrés sont donc encore plus présents chez les médecins que dans le secteur de l’informatique. Mais un peu moins que dans l’Église catholique où 24 % des prêtres sont des immigrés.
Tableau 2

Les immigrés représentent 15 % des emplois d’ouvriers. Quand on rentre dans le détail, l’analyse de la répartition professionnelle des immigrés en France révèle une spécialisation notable selon leurs origines géographiques. Alors que les immigrés européens hors Portugal affichent une répartition professionnelle relativement similaire à celle des travailleurs sans ascendance migratoire directe, les immigrés portugais sont particulièrement concentrés dans certaines professions spécifiques. Ainsi, ils représentent 8 % des ouvriers du secteur du BTP, et jusqu’à 14 % des employés de maison. Leur présence est encore plus frappante à Paris, où ils constituent 58 % des concierges travaillant dans le parc immobilier privé.
Les immigrés maghrébins, eux, se retrouvent fréquemment dans les secteurs du gardiennage et de la sécurité, mais aussi dans l’informatique, grâce notamment à l’importance historique des formations scientifiques au Maghreb. Les immigrés subsahariens occupent majoritairement des métiers liés au soin à la personne (« métiers du care »), à la restauration, ainsi qu’à la sécurité. Les immigrés originaires d’Asie du Sud-Est, quant à eux, alternent entre des métiers du commerce, souvent dans le secteur textile et la restauration, et des emplois très qualifiés.
Cette spécialisation professionnelle s’explique par plusieurs facteurs. Le niveau de qualification initial joue un rôle essentiel : les immigrés très qualifiés peuvent accéder à des professions spécialisées (notamment en ingénierie informatique pour les natifs de Tunisie ou du Maroc), même si beaucoup d’entre eux restent surqualifiés pour leur emploi à cause d’une non-reconnaissance de leurs diplômes étrangers. Par ailleurs, les réseaux sociaux et communautaires facilitent souvent leur intégration dans des secteurs spécifiques, tandis que les discriminations liées à l’origine ou à la langue limitent parfois leurs perspectives professionnelles.
En France, la répartition socioprofessionnelle des travailleurs immigrés diffère sensiblement selon leur sexe, leur origine géographique et leur lien à la migration[27]. En 2021, les femmes immigrées, particulièrement celles nées hors de l’Union européenne (UE), occupent plus rarement des emplois qualifiés. Seulement 32 % d’entre elles sont cadres ou exercent une profession intermédiaire, contre 46 % des descendantes d’immigrés et 48 % des femmes sans ascendance migratoire directe. À l’opposé, elles sont fortement concentrées dans des emplois peu qualifiés : 42 % sont employées ou ouvrières peu qualifiées, un taux deux fois supérieur à celui des femmes sans ascendance migratoire directe (20 %). La très grande majorité des femmes immigrées travaillent dans le secteur tertiaire, notamment dans des activités spécifiques selon leur origine : les femmes immigrées africaines sont très présentes dans le secteur social (aides à domicile, assistantes maternelles), alors que celles issues de l’UE sont souvent employées de maison (notamment les immigrées d’origine portugaise).
Chez les hommes immigrés, les emplois occupés sont également souvent moins qualifiés. Ainsi, 39 % d’entre eux sont ouvriers, contre 31 % chez les descendants d’immigrés et 29 % pour les hommes sans ascendance migratoire[28]. À l’inverse, seuls 35 % des hommes immigrés occupent des emplois de cadres ou des professions intermédiaires, un taux inférieur à celui observé chez les descendants d’immigrés (45 %) et chez les hommes sans ascendance migratoire directe (48 %). On observe une spécialisation professionnelle selon l’origine : les immigrés européens, en particulier les Portugais, travaillent souvent dans la construction (28 % des Européens, 43 % des Portugais). Les immigrés non européens se concentrent davantage dans le secteur tertiaire, même s’ils y sont moins présents que le reste de la population masculine. De manière générale, les hommes comme les femmes immigrés sont davantage représentés dans l’hébergement-restauration ou dans les services aux entreprises, mais très faiblement dans l’administration publique.
En Île-de-France, un quart des travailleurs essentiels[29] du quotidien sont immigrés, un chiffre qui monte à 30 % pour ceux de la « première ligne », contre 20 % pour les « relais » et 19 % dans les services publics du quotidien. Leur part est particulièrement élevée chez les ouvriers (41 %), les employés (30 %) et les chefs d’entreprise/artisans (37 %), mais elle reste plus faible parmi les cadres (15 %) ou les professions intermédiaires (13 %). Dans certaines professions, la présence immigrée est très majoritaire : 76 % des agents de propreté et 54 % des aides à domicile ou aides ménagères sont immigrés.
C. Comment s’effectue l’ajustement du marché du travail
1. Une population immigrée qui vit au plus près des besoins du marché du travail
Les immigrés résident fréquemment dans les grandes agglomérations urbaines, en particulier en Île-de-France[30] : 20 %, soit un cinquième de la population parisienne, est immigrée, et 32 % de la population de Seine‐Saint‐Denis (contre 10 % de la population en France hors Mayotte). 37 % des immigrés habitent ainsi en Île-de-France. Dans le Rhône (agglomération lyonnaise) et dans les Bouches-du-Rhône (agglomération marseillaise), respectivement 13 % et 11 % de la population est immigrée. Depuis les années 1990, la part de la population immigrée augmente dans certains territoires ruraux, avec l’arrivée de retraités du nord de l’Europe, d’actifs européens venus travailler dans l’agriculture et le bâtiment et, plus récemment, de personnes du Moyen‐Orient, d’Asie et d’Afrique, souvent au titre de l’asile.
Dans les départements frontaliers, la part des immigrés est supérieure au niveau national : notamment dans le Bas‐Rhin et le Haut‐Rhin à la frontière allemande, dans l’Ain et la Haute‐Savoie à la frontière suisse, dans les Pyrénées-Orientales et en Haute‐Garonne à la frontière espagnole, dans les Alpes‐Maritimes à la frontière italienne et en Guyane, située entre le Brésil et le Surinam. À l’inverse, dans les départements du nord‐ouest et du centre de la France, la part d’immigrés est plus faible. Dans un département sur trois, le taux d’immigrés est inférieur à 5 %. De manière générale, la population immigrée est plus concentrée que l’ensemble de la population : la moitié de la population immigrée réside dans 13 départements, contre 23 pour la moitié de la population dans son ensemble.
À l’image des immigrés, la population des descendants d’immigrés est également plus concentrée que la population dans son ensemble : en moyenne sur 2020 et 2021, 12 départements regroupent la moitié des descendants d’immigrés. Comme les immigrés, ils résident plus fréquemment dans les grandes agglomérations et aux frontières, mais ils sont également plus représentés dans certains départements où les immigrés ne sont pas plus présents qu’en moyenne. Les descendants d’immigrés représentent 11 % de la population en France, mais 21 % en Moselle et 14 % dans l’Aude et la Drôme. Ils restent relativement peu nombreux dans l’ouest du pays.
La répartition territoriale de la population immigrée et descendante d’immigrés diffère selon l’origine migratoire : alors que les immigrés et descendants d’immigrés d’origine portugaise et africaine vivent principalement en Ile-de-France, les immigrés italiens et leurs descendants habitent fréquemment à proximité́ de la frontière italienne (région Provence-Alpes-Côte d’Azur), de même que les immigrés espagnols et leurs descendants à la frontière espagnole (région Occitanie). Les immigrés et descendants d’immigrés d’origine maghrébine sont davantage présents dans le sillon rhodanien et en région Provence-Alpes-Côte d’Azur.
Que retenir de cette rapide géographie de la présence immigrée en France ? La part d’immigrés est fortement concentrée géographiquement, principalement dans les grandes métropoles et les départements frontaliers. Cette répartition, bien plus marquée que celle de la population générale, reflète à la fois l’attractivité économique de certains territoires et l’héritage des différentes vagues migratoires. Les descendants d’immigrés suivent une logique de localisation similaire, bien qu’un peu plus étendue, témoignant de dynamiques d’ancrage sur le long terme. Cette métropolisation de la présence des immigrés correspond en partie à la demande d’emplois de l’économie française sachant que la population immigrée est mobile : elle vit souvent dans la proche périphérie des agglomérations et se déplace en journée pour travailler, ce qui permet d’améliorer l’adéquation entre l’offre et la demande de travail.
2. Un statut dans l’emploi marqué par la précarité et le déclassement
Les données de l’INSEE révèlent qu’en 2021, parmi les immigrés âgés de 15 à 64 ans vivant en France, 70 % sont actifs (en emploi ou au chômage)[31]. Ce taux d’activité est légèrement inférieur à celui observé chez les personnes sans ascendance migratoire directe (74 %), mais supérieur à celui des descendants d’immigrés (67 %). Derrière ces chiffres généraux, la situation est très contrastée selon les origines géographiques des immigrés.
Les immigrés européens affichent l’un des meilleurs taux d’insertion sur le marché du travail français : leur taux d’emploi atteint 67,2 %, avec un faible taux d’inactivité (27,6 %) et un taux de chômage de seulement 7,3 %, quasiment identique à la moyenne nationale (7,4 %). Au sein de ce groupe, les immigrés originaires d’Europe du Sud se distinguent particulièrement, avec un taux d’emploi supérieur à la moyenne européenne (69,4 %), notamment chez les immigrés portugais, dont 70,4 % occupent un emploi.
En revanche, la situation des immigrés originaires d’Afrique est nettement plus difficile. Le taux de chômage moyen chez les immigrés africains atteint environ le double de celui observé chez les immigrés européens (voir tableau ci-dessous).
Tableau 3
Nombre de chômeurs et taux de chômage selon la catégorie socioprofessionnelle et le diplôme en 2023[32]

Les immigrés du Maghreb présentent ainsi une insertion socio-économique plus compliquée, avec un taux d’emploi significativement plus faible (57,7 %) et un taux de chômage élevé à 14,1 %. Toutefois, les immigrés en provenance d’autres régions africaines (Afrique sahélienne, guinéenne ou centrale) connaissent une insertion légèrement meilleure, avec un taux d’emploi de 63,9 % et un taux de chômage de 12,5 %, bien qu’encore nettement supérieur à la moyenne nationale.
Cette situation est directement liée au niveau de qualification des travailleurs : plus ils sont diplômés, moins ils sont au chômage. Et les immigrés venus d’Afrique sont trois fois plus nombreux à n’avoir qu’un niveau brevet des collèges que la population non immigrée tout en comptant parmi eux 23,5 % de diplômés Bac+2, soit à peine moins que la population non immigrée (27,1 %).
Tableau 4
Niveau de diplôme des immigrés par origine géographique en 2023

Ce niveau de qualification explique leur disponibilité pour des métiers peu qualifiés dont a grandement besoin l’économie française ainsi que leur rôle majeur dans certaines professions très qualifiées (médecine, informatique…). Leur sur-chômage a aussi un rôle paradoxal : il favorise le déclassement qui est un moyen de subvenir à ses besoins économiques dans un contexte difficile. Pour l’économie française, c’est probablement profitable car cette situation permet un meilleur ajustement du marché du travail à peu de frais. Pour la justice sociale, c’est une autre histoire, d’autant que la progression des immigrés dans l’emploi est contrastée.
En France, les salariés immigrés ont en effet moins souvent accès aux promotions professionnelles que les autres salariés. Par exemple, entre 2019 et 2020, seulement 22 % des salariés immigrés ont eu une promotion, contre 34 % chez les salariés sans origine immigrée. Ils ont aussi plus souvent l’impression d’occuper un emploi inférieur à leur niveau de qualification réelle. A diplôme équivalent, les salariés immigrés sont systématiquement moins promus que leurs homologues sans ascendance migratoire directe, avec un écart constant autour de 10 points de pourcentage. Et plus le niveau de diplôme est élevé, plus le sentiment de déclassement est prononcé. Ainsi, plus d’un immigré titulaire d’un diplôme Bac+1 ou Bac+2 sur trois ressent un déclassement professionnel, contre seulement un quart pour les salariés non issus de l’immigration au même niveau de qualification. Ces écarts persistent également au niveau sectoriel. Même dans les secteurs où les salariés immigrés sont proportionnellement nombreux – comme les services aux ménages, l’hébergement, la restauration ou encore la construction – ils obtiennent moins souvent des promotions que les salariés sans ascendance migratoire.
Ces inégalités varient fortement selon l’origine géographique des immigrés. Les immigrés européens, notamment d’Espagne ou d’Italie, ont davantage de chances d’être promus (près de 40 %), contrairement aux immigrés originaires de Chine ou d’Afrique subsaharienne, dont moins de 20 % obtiennent une promotion. Ces écarts s’expliquent principalement par les différences d’âge, de niveau de diplôme et de type d’emploi occupé pour les immigrés européens.
Enfin, conséquence directe de ces situations, les immigrés – femmes et hommes – sont presque deux fois plus souvent en situation de sous-emploi (respectivement 15 % pour les femmes immigrées et 7 % pour les hommes immigrés) que les personnes sans ascendance migratoire directe (8 % et 4 % respectivement). Les descendants d’immigrés occupent, quant à eux, une position intermédiaire, légèrement meilleure que celle de leurs parents mais restant plus défavorable que celle de la population majoritaire.
3. Les métiers en tensions sont servis par les immigrés
En France, le marché du travail présente actuellement un déséquilibre structurel entre l’offre disponible de travailleurs et la demande des employeurs. Ce décalage est particulièrement visible aux deux extrémités du spectre professionnel : d’un côté, les emplois peu qualifiés en forte tension (agents d’entretien, aides à domicile, ouvriers non qualifiés), et de l’autre, des métiers très qualifiés et spécialisés (ingénieurs, professionnels de santé, métiers du numérique). À l’inverse, les professions intermédiaires semblent moins affectées, accentuant ainsi une polarisation du marché de l’emploi.
Dans ce contexte déséquilibré, les immigrés jouent un rôle majeur d’ajustement. Très implantés dans les grandes métropoles et dans les territoires frontaliers, où les tensions d’emploi sont fortes, ils répondent directement à des besoins critiques de main-d’œuvre. C’est particulièrement vrai dans les secteurs les plus en tension comme la restauration, les services à la personne, la construction ou encore la logistique.
Malgré cette contribution essentielle, les immigrés sont confrontés à une situation paradoxale, caractérisée par un taux de chômage significativement plus élevé que celui observé dans la population sans ascendance migratoire directe, alors même que leur taux d’activité n’est pas inférieur. Ainsi, alors que le taux de chômage moyen national se situe autour de 7,3 %, il atteint 15,4 % chez les ouvriers peu qualifiés. Cette réalité touche particulièrement les immigrés originaires d’Afrique et d’Asie, dont respectivement 38 % et 40 % ne dépassent pas le niveau brevet des collèges. Leur faible niveau de formation augmente mécaniquement leur vulnérabilité au chômage et les pousse à accepter des emplois difficiles, souvent précaires, mal rémunérés et sans véritables perspectives d’évolution professionnelle. Cette précarité professionnelle se traduit dans de nombreux indicateurs : les immigrés sont surreprésentés dans le temps partiel subi, travaillent en moyenne moins d’heures hebdomadaires, et sont fréquemment en situation de sous-emploi. Leurs contrats sont souvent temporaires (intérim ou CDD), et leur accès à des emplois stables, notamment dans la fonction publique, est particulièrement limité. Par ailleurs, les promotions professionnelles leur sont plus rarement accordées, ce qui renforce un sentiment de déclassement : beaucoup d’immigrés acceptent des emplois en dessous de leur niveau réel de compétences, en raison d’obstacles structurels tels que la non-reconnaissance de leurs diplômes ou un manque de mobilité professionnelle.
Que retenir ? Loin d’être une source de déséquilibre sur le marché du travail ou une concurrence à l’emploi pour les travailleurs natifs, les immigrés constituent un levier essentiel d’ajustement. Ils viennent combler une partie des besoins non satisfaits par l’offre locale, occupant souvent des emplois que le reste de la population ne parvient pas à ou ne souhaite pas remplir. La situation actuelle des immigrés sur le marché du travail français reflète ainsi moins une concurrence qu’une compensation nécessaire à un fonctionnement globalement inefficace du marché de l’emploi.
D. Étude de cas : le Covid et l’arrêt temporaire de l’immigration
Les immigrés occupent une place paradoxale dans l’emploi en France. Ils sont prépondérants dans les emplois « essentiels » et dans les métiers en tensions, mais aussi dans certains métiers qualifiés (médecine, informatique). Et, dans le même temps, les responsables politiques font de la baisse de l’immigration une priorité politique (extrême-droite ou droite) et ne parlent d’immigration que pour évoquer le besoin de contrôle (Emmanuel Macron) ou n’en parle jamais (Parti socialiste).
Pour mesurer leur impact sur le marché du travail, faisons un exercice simple. Prenons le cas d’école du Covid qui a marqué un coup d’arrêt brutal à l’immigration en 2020 et 2021 avec la baisse des mouvements de population et son impact sur le marché du travail.
1. Une baisse brutale de flux
Une étude du Conseil d’analyse économique[33] sur l’impact de la pandémie analyse le choc négatif exogène provoqué par la crise sanitaire et son impact sur les entreprises, notamment celles où la main-d’œuvre immigrée est très présente d’ordinaire. L’objectif de l’étude est de comprendre si ces secteurs ont rencontré, après la pandémie, des difficultés de fonctionnement plus importantes que ceux ayant moins recours aux travailleurs immigrés – afin de mieux appréhender la nécessité (ou non) de ces derniers.
L’étude rappelle d’abord l’ampleur du choc. Entre 2019 et 2020, la France a enregistré une baisse de 20,5 % des titres de séjour délivrés et une chute de près de 80 % des visas accordés. L’immigration strictement professionnelle a, quant à elle, reculé d’un tiers[34]. À l’échelle européenne et mondiale, la fermeture des frontières a amplifié ces tendances.
L’étude du Conseil d’analyse économique teste la relation entre la part d’immigrés dans la population active en 2018 et la proportion d’entreprises signalant des difficultés de recrutement en juillet-août 2021, par secteur. Cette approche permet d’évaluer l’impact du choc de la pandémie sur les tensions de recrutement dans les secteurs déjà fortement employeurs de travailleurs immigrés avant la crise.
2. Des conséquences tangibles
La première observation majeure est une corrélation positive (avec un coefficient de régression linéaire de 1,34, ce qui est statistiquement significatif) entre le recours aux travailleurs immigrés et les difficultés de recrutement pendant la crise. En d’autres termes, plus les secteurs étaient dépendants de cette main-d’œuvre (bâtiment, hôtellerie-restauration, transports, tourisme et informatique), plus ils ont peiné à recruter pendant la crise. Lorsque les difficultés financières potentielles de ces entreprises sont statistiquement contrôlées (ce qui signifie que l’on a neutralisé leur impact), cette corrélation positive se renforce (avec un coefficient de régression de 1,36), ce qui isole encore plus visiblement l’impact négatif du manque d’immigrés sur ces secteurs en tension.
L’étude révèle également que dans certains secteurs en tension, majoritairement occupés par des nationaux, les difficultés de recrutement persistent, sans que l’immigration soit une solution. Dans le secteur de la banque/assurance où les immigrés étaient peu nombreux, la pandémie a créé une tension très forte sur le marché du travail et l’immigration de travail n’a pas répondu à la demande. De fait, les travailleurs immigrés ne remplacent pas les nationaux, ils occupent des postes que ces derniers délaissent[35]. Il n’y a pas concurrence mais complémentarité[36]. Mais, ils ne sont pas la réponse à tous les problèmes de carence du marché du travail français.
Graphique 5
Difficultés de recrutement et part de travailleurs immigrés originaires d’Afrique par secteur, selon le niveau de qualification des emplois : métiers qualifié

Après avoir établi l’impact potentiel de l’arrêt brutal des flux migratoires sur le fonctionnement des entreprises, l’étude du Conseil d’analyse économique examine la répartition des travailleurs immigrés selon leur origine géographique (européenne, asiatique ou africaine) et son lien avec les tensions de recrutement. Certains secteurs affichent une forte concentration de travailleurs d’origine africaine, notamment l’hôtellerie-restauration, le bâtiment, les transports, le tourisme et l’informatique, où plus de 5 % des employés sont issus du continent africain. Les travailleurs d’origine asiatique sont principalement présents dans l’hôtellerie-restauration, tandis que ceux d’origine européenne se retrouvent davantage dans le bâtiment. Les restrictions de mobilité ayant été plus sévères pour les ressortissants non européens, les secteurs employant une main-d’œuvre majoritairement africaine ou asiatique ont été particulièrement affectés. Mais c’est le secteur du bâtiment qui, hors période de crise, présentait l’une des plus fortes parts d’immigrés d’origine européenne et africaine parmi la main-d’œuvre totale, qui a connu les difficultés de recrutement les plus marquées. Parmi les métiers peu qualifiés, les cuisiniers, ouvriers du BTP et employés de l’hôtellerie-restauration qui comportaient avant la crise plus d’un travailleur immigré sur cinq ont été les plus touchés par les difficultés de recrutement. Plus d’une entreprise sur quatre déclarait ainsi des tensions à l’été 2021 dans ces secteurs.
Graphique 6
Difficultés de recrutement et part de travailleurs immigrés originaires d’Afrique par secteurs, selon le niveau de qualification des emplois : métiers peu qualifiés

3. Conclusion
L’analyse confirme l’hypothèse selon laquelle la pandémie de Covid-19 et la réduction du recours aux travailleurs immigrés ont nettement accentué les difficultés de recrutement dans les secteurs les plus dépendants à l’égard de cette main-d’œuvre. Les résultats montrent clairement que les branches qui employaient beaucoup de travailleurs immigrés avant la crise sanitaire ont rencontré les plus grandes difficultés pendant et après la pandémie. Sans surprise, la chute brutale des flux migratoires et l’arrêt temporaire de l’immigration professionnelle ont exacerbé les pénuries existantes, amplifiant ainsi les tensions sur un marché du travail déjà fragilisé par la crise sanitaire. Ce que montre l’étude, c’est la rapidité de l’impact de la baisse de l’immigration sur les secteurs en tension : un an après le début du Covid, le besoin de travail venu de l’étranger était déjà évident et déséquilibrait plusieurs secteurs essentiels de l’économie française.
Cette comparaison avant/après révèle que le recul de l’immigration constitue un frein réel à la reprise économique. Elle met surtout en lumière une dynamique importante : celle de la complémentarité entre travailleurs immigrés et natifs, soulignant que l’immigration n’est pas une concurrence directe mais répond à des besoins précis et spécifiques du marché du travail. Les promoteurs de l’idée de « zéro immigration » ont-ils conscience de cette réalité ?
Par ailleurs, l’analyse souligne que si l’arrêt temporaire de l’immigration internationale a mis sous tension des secteurs qui dépendaient fortement des travailleurs étrangers, les immigrés déjà installés en France ont joué un rôle essentiel durant la crise, assurant la continuité des services indispensables. La pandémie a ainsi rendu plus visible une dépendance structurelle de l’économie française vis-à-vis d’une main-d’œuvre souvent invisible mais essentielle : les « travailleurs essentiels du quotidien ». Ces emplois, concentrés dans les secteurs de la santé, du nettoyage, de la grande distribution, de la logistique ou encore de la livraison, se sont révélés indispensables au fonctionnement du pays en temps de crise, tout en étant majoritairement occupés par des travailleurs immigrés, souvent des femmes, et généralement employés à bas salaire.
Cette période de pandémie a donc permis de révéler clairement la double réalité de la dépendance économique de la France envers les travailleurs immigrés : d’une part, leur absence aggrave significativement les difficultés économiques et les tensions de recrutement ; d’autre part, leur présence est cruciale, voire vitale, pour le maintien des services essentiels au quotidien.
E. Quand les immigrés financent la protection sociale, le cas de la Seine-Saint-Denis
Un autre élément mérite d’être évoqué ici : il s’agit de la contribution des immigrés au financement de la protection sociale, financement qui dépend essentiellement du travail. L’idée reçue selon laquelle les territoires les plus pauvres et à forte concentration d’immigration bénéficient largement de la solidarité nationale, mais y contribuent peu, est erronée[37].
La protection sociale en France, telle que définie par la DREES (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques), représente l’ensemble des transferts en espèces ou en nature destinés à prémunir les ménages contre les risques sociaux. Ces transferts constituent un élément central de la redistribution publique opérée par l’État. Les ressources de la protection sociale (en 2017[38], 780 milliards d’euros) se répartissaient en quatre grandes catégories :
Tableau 5
Les cotisations sociales | 60,9 % du financement total | 474,9 milliards d’euros |
Les impôts et taxes affectés | 24,2 % | 188,9 milliards d’euros, principalement la CSG et la CRDS |
Les contributions publiques | 12,3 % | 96,2 milliards d’euros |
Les autres produits financiers | 2,5 % | 19,8 milliards d’euros |
Le Haut Conseil du Financement de la Protection Sociale (HCFi-PS) a réalisé un rapport[39] en 2015 pour évaluer l’impact territorial de la protection sociale, en reconstruisant les flux de prestations et de prélèvements sociaux au niveau départemental et régional. Cette territorialisation des données n’avait jamais été effectuée auparavant, ce qui permet d’analyser de manière plus précise les contributions et les bénéfices des territoires à la solidarité nationale.[40]
1. Contribution au financement de la protection sociale
Une première analyse révèle que les départements les plus riches contribuent significativement plus à la protection sociale. Parmi les dix départements les plus contributeurs par habitant, on retrouve des départements comme Paris (25 300 € par habitant) ou le Rhône (11 800 € par habitant). Mais il n’y a pas de corrélation entre pauvreté et contribution au financement de la protection sociale. Par exemple, bien que la Seine-Saint-Denis soit le département le plus pauvre (avec un taux de pauvreté de 29 %, soit le double de la moyenne nationale), il est l’un des plus grands contributeurs au financement de la protection sociale, avec près de 9 300 € par habitant. En termes absolus, il contribue avec environ 14,4 milliards d’euros pour financer la protection sociale, un montant comparable à celui de départements plus riches comme les Yvelines. Pourquoi ? Parce que la Seine-Saint-Denis est dynamique sur le plan économique, qu’elle reçoit beaucoup d’investissements, que beaucoup de salariés viennent y travailler le jour, même s’ils n’y vivent pas (par exemple sur la base aéroportuaire de Roissy-Charles de Gaulle) ou dans les sièges sociaux de la Plaine Saint-Denis.
2. Les dépenses de protection sociale
Le rapport du HCFi-PS indique qu’il n’y a pas non plus de corrélation entre pauvreté et dépenses de protection sociale. En examinant la répartition départementale des dépenses de protection sociale, il apparaît qu’il n’y a pas de corrélation entre solidarité nationale et pauvreté. Le montant de prestations sociales par habitant le plus élevé, un peu plus de 12 100 euros par habitant, est ainsi observé dans le Var, dont le taux de pauvreté est légèrement supérieur à la moyenne nationale (15,7%, contre 14,9%). Avec le vingt-huitième taux de pauvreté le plus élevé de France métropolitaine, le département n’est ni exceptionnellement pauvre, ni particulièrement riche au regard de cet indicateur. Le département de la Seine-Saint-Denis est, lui, on l’a dit, le département le plus pauvre de France. Or, c’est aussi le département où le montant des prestations par habitant est le plus faible, avec près de 8 400 euros par habitant. Ce résultat est particulièrement contre-intuitif.
Un élément d’explication réside dans la répartition des âges dans le département le plus jeune de France, qui compte près de 1,8 fois plus de jeunes de moins de 20 ans que de personnes de 60 ans et plus. Par ailleurs, la part des retraités dans sa population est de 13,2%, soit près de six points en dessous de la moyenne nationale (19%). On constate que parmi les dix départements où l’on observe les montants les plus élevés de dépenses de protection sociale par habitant, huit ont une part de retraités dans la population supérieure à la moyenne nationale. Tel est, par exemple, le cas du Var (23,2 % de retraités dans la population, contre 19 %) ou de la Nièvre (26,7%). Ces données s’expliquent par la corrélation entre la part des retraités dans la population et les dépenses de protection sociale : les risques Santé et Vieillesse-Survie représentent 81 % du total des prestations de protection sociale en 2017.
3. Conclusion
L’analyse démontre que les départements pauvres à forte densité d’immigration, comme la Seine-Saint-Denis, malgré une grande pauvreté, sont paradoxalement parmi les plus grands contributeurs nets à la solidarité nationale : ils contribuent beaucoup tout en bénéficiant assez peu des prestations sociales. Ce constat remet en question l’idée reçue selon laquelle ces territoires profitent de la solidarité nationale sans y contribuer. En réalité, il existe des dynamiques complexes entre la structure démographique des territoires et les montants des contributions et des dépenses sociales. Les départements jeunes, avec une faible proportion de retraités, se retrouvent avec une solidarité nationale relativement faible, malgré des contributions élevées.
3. Une France sans immigration ?
On a vu que l’immigration permet au marché du travail de s’ajuster, que nombre de secteurs économiques seraient en très grande difficulté sans les travailleurs immigrés et que l’immigration contribue au financement de la protection sociale dont le coût est dû aux deux-tiers au financement des pensions et de la santé des retraités.
Regardons maintenant la réalité démographique. Combien les immigrés apportent de nouveaux habitants et de nouvelles naissances ? Quelle serait la population française sans eux, aujourd’hui, en 2040 et en 2070 ? Avec quelles conséquences sur la protection sociale et sur la population active ?
A. Sans immigration, la France perdrait des habitants aujourd’hui
1. Le solde migratoire annuel
En 2024[41], la population française a augmenté de 170 000 personnes environ. Cette croissance démographique résulte de deux composantes principales : le solde naturel et le solde migratoire. Le solde naturel, c’est-à-dire la différence entre les naissances et les décès, s’est élevé à +17 000 personnes. Cela correspond à 663 000 naissances contre 646 000 décès enregistrés cette année-là. À cela s’ajoute un solde migratoire de +152 000 personnes[42] environ, qui reflète la différence entre les entrées sur le territoire français et les sorties. En 2019[43], 272 000 immigrés (c’est-à-dire des personnes nées étrangères à l’étranger) sont entrés en France, ainsi que 60 000 non-immigrés (des personnes nées en France ou nées Françaises à l’étranger). En parallèle, 55 000 non-immigrés et 90 000 immigrés ont quitté le territoire. Le solde migratoire des seuls immigrés s’élève donc à +182 000 personnes, ce qui représente une contribution majeure — près de la moitié — à l’accroissement total de la population française cette année-là.
En 2017, le solde migratoire des immigrés avait été de +198 000 personnes, contribuant à 44 % de l’augmentation totale de la population cette année-là. En 2018, il était de +222 000 personnes. En 2020, il avait baissé pour atteindre environ +160 000 personnes, en partie à cause des restrictions liées à la pandémie de COVID-19. Pour 2021 et 2022, les données complètes sur le solde migratoire des immigrés ne sont pas encore disponibles. Cependant, en 2022, les entrées d’immigrés ont été estimées à 331 000 personnes.
2. Le solde naturel annuel et la contribution des femmes immigrées
L’installation durable des immigrés en France ne constitue pas leur seule contribution démographique : ils ont également des enfants nés sur le territoire. Leur fécondité est plus élevée que celle du reste de la population, un phénomène d’autant plus marquant que la natalité française connaît une baisse rapide. Bien que la France demeure l’un des pays les plus féconds d’Europe, son indicateur conjoncturel de fécondité, longtemps stable autour de 2 enfants par femme – proche du seuil de renouvellement des générations – a chuté depuis 2014 pour atteindre aujourd’hui 1,6 (notamment à cause de la baisse du nombre de femmes de 20 à 40 ans). En comparaison, cet indicateur s’élève à 2,3 enfants par femme pour les immigrées. Cette différence notable s’explique par la transition démographique inachevée dans certains pays d’origine ainsi que par l’« effet migration » : les immigrées ont tendance à avoir davantage d’enfants dans les premières années suivant leur installation avant d’adopter des comportements plus proches de la population générale du pays d’accueil. De plus, elles comptent proportionnellement plus de femmes en âge de procréer, les immigrées de plus de 50 ans étant moins nombreuses que les femmes nées en France du même âge.
Les femmes originaires d’Afrique affichent les taux de fécondité les plus élevés : 2,8 enfants en moyenne pour celles venant du Maghreb et 2,9 pour celles issues d’autres pays du continent. Les immigrées venues d’autres régions du monde présentent un indicateur plus proche de 2. Par ailleurs, quelle que soit leur origine, les femmes immigrées d’aujourd’hui ont en moyenne moins d’enfants que celles arrivées lors des décennies précédentes.
L’enquête TeO 2 (Trajectoires et Origines, 2019–2020)[44] portant sur des immigrés installés en France depuis plusieurs décennies illustre cette évolution. Ainsi, la descendance finale des femmes immigrées nées entre 1960 et 1974 – âgées de 45 à 60 ans lors de l’enquête – est de 2,3 enfants en moyenne. Celles arrivées en France avant 15 ans ont une fécondité légèrement inférieure, avec 2,2 enfants et, aux mêmes âges, les femmes ayant un seul parent immigré ont une descendance finale plus faible que les femmes sans ascendance migratoire (1,8 enfant contre 1,9). Le nombre d’enfants par femme parmi les immigrées reste inférieur à celui observé dans leur pays d’origine et varie selon leur situation au moment de la migration. Celles arrivées sans enfant ont une fécondité plus proche de la moyenne nationale. Le contexte français et ses normes influencent donc significativement la fécondité des immigrées. Une exception notable concerne les femmes originaires du Sahel, qui maintiennent une natalité élevée même lorsqu’elles migrent sans enfant.
Chez les générations suivantes, on observe un rapprochement avec les comportements de fécondité des femmes nées en France. Les descendantes d’immigrés forment des couples plus tardivement que leurs parents et ont leur premier enfant à un âge plus avancé, à l’exception des femmes d’origine turque. Cette convergence se traduit par une descendance finale plus faible. Ayant grandi en France, souvent au sein de fratries nombreuses, ces femmes adoptent la norme dominante de la famille à deux enfants, qu’elles reproduisent davantage que le modèle de leurs parents. Ainsi, si les familles immigrées comptent en moyenne plus d’enfants que celles n’ayant aucun lien avec l’immigration, celles dont un parent est enfant d’immigré tendent à s’aligner sur la tendance nationale.
À l’échelle nationale, la natalité a considérablement baissé depuis 2017 puisqu’en 7 ans, le nombre de naissances annuelles a baissé de 114 000 unités, comme le montre le graphique ci-après.
Graphique 7
Évolution des naissances en France (2017–2024)[45

Depuis 2017, la proportion de naissances en France issues d’au moins un parent immigré a connu une progression continue. Alors que cette proportion s’établissait à 23 % en 1998, elle atteint 32 % en 2022, selon les dernières données disponibles. Cette évolution témoigne du poids croissant des immigrés dans la dynamique démographique française. En 2022, sur un total de 726 000 naissances enregistrées en France, environ 232 000 concernaient des enfants nés d’au moins un parent immigré. En l’absence de données précises pour les années précédentes, on peut toutefois estimer ce chiffre pour chaque année depuis 2017 en appliquant la proportion de 32 %, à titre indicatif et avec toutes les précautions nécessaires. On obtient ainsi environ 245 000 naissances en 2017, 243 000 en 2018, 241 000 en 2019, 235 000 en 2020, et 236 000 en 2021. Au total, ce sont donc environ 1,43 million d’enfants qui seraient nés entre 2017 et 2022 d’au moins un parent immigré en France. N’oublions pas de préciser que ces enfants sont Français et que probablement plus d’un tiers des immigrés – leurs parents – le sont aussi (un tiers des immigrés en France ont été naturalisés).
Toutefois, l’influence globale de la fécondité des immigrées sur l’ensemble de la natalité française reste limitée. La raison en est fort simple : elles font plus d’enfants mais elles sont évidemment beaucoup moins nombreuses. Comme le rappelle l’INED dans une note de 2019[46], leur contribution à l’indicateur global de fécondité du pays ne s’élève qu’à 0,1 enfant, portant ainsi le taux de 1,8 à 1,9 enfant par femme.
Que retenir ? Tout simplement que l’immigration permet à la population française de continuer à augmenter. Pour certains, c’est le signe du « grand remplacement » en marche. Pour d’autres, c’est un élément de la vitalité nationale.
Que va-t-il se passer demain ?
B. Projeter les besoins d’immigration : une méthodologie
Pour projeter la population à horizon 2070 en France[47], l’INSEE a recours à la méthode dite des composantes. A partir des données estimées de population au 1er janvier 2021, l’institut a utilisé plusieurs hypothèses sur la fécondité, l’espérance de vie et le solde migratoire pour projeter les évolutions démographiques.
La population française à une date donnée est la somme de la population française l’année précédente à laquelle sont ajoutés le solde migratoire et les naissances tandis que les décès sont soustraits. Notons au passage que la population française va commencer à baisser dès 2027 selon les dernières précisions de l’INSEE, publiées fin mars 2025. Notons aussi que toutes les projections de l’INSEE sont calculées avec l’âge de départ à la retraite connu à la date de réalisation de l’étude.
Chaque année, pour chaque âge et sexe, le nombre de décès prévisible est calculé en multipliant la population moyenne de l’année par un quotient de mortalité spécifique. La population moyenne à chaque âge et sexe de l’année en cours est estimée par la population présente sur le territoire de cette sous-catégorie à laquelle est ajoutée le solde migratoire divisé par 2 de cette même sous-catégorie. L’ajustement par le solde migratoire est effectué afin de prendre en compte de manière plus réaliste les échanges avec l’extérieur. Quant au quotient de mortalité, il évalue la probabilité qu’a un individu d’un âge et d’un sexe donné de décéder : plus l’âge est élevé, plus cette probabilité sera forte. Le nombre total de décès est alors la somme de tous les décès par sous-catégories. Pour les nouveau-nés, le nombre de décès dépend des naissances et d’un quotient de mortalité spécifique qui permet d’intégrer la mortalité néonatale.
Le nombre de naissances dépend du nombre de femmes en âge de procréer (entre 15 et 50 ans), du solde migratoire, du nombre de femmes décédées par âge et d’un taux de fécondité spécifique à chaque âge.
Le solde migratoire, lui, est une variable exogène : elle ne suit pas de dynamique endogène et ne dépend pas de la population française aux dates précédentes, contrairement aux naissances et aux décès. La fixation de son niveau est discrétionnaire : elle varie d’un scénario à l’autre et peut être différente d’une année sur l’autre, selon l’appréciation du statisticien.[48]
Selon les scénarios retenus, les projections de population seront ainsi divergentes. Il est alors possible d’analyser la sensibilité du modèle de projection démographique à une variable en fixant les valeurs des deux autres hypothèses. Par exemple, en figeant les données pour la fécondité et l’espérance de vie, il est envisageable d’évaluer l’impact du solde migratoire sur la dynamique de population en faisant varier le chiffre retenu pour cette variable : 120 000 par an dans l’hypothèse haute, 20 000 par an dans l’hypothèse basse et 70 000 par an dans l’hypothèse centrale. Ce sont les hypothèses retenues par l’Insee sur la base d’un consensus d’acteurs. Elles sont résumées dans le tableau suivant.
Tableau 6
Synthèse des hypothèses de fécondité, d’espérance de vie et de solde migratoire selon le scénario retenu (source INSEE)
|
| Hypothèses | |||
|
| centrale | basse | haute | de travail |
Fécondité | Indice conjoncturel de fécondité | 1,80 à partir de 2023 | 1,60 à partir de 2030 | 2,00 à partir de 2030 | 1,50 à partir de 2030 |
Age moyen à la maternité | en hausse jusqu’à 33,0 ans en 2052 stable ensuite | ||||
Espérance de vie | Espérance de vie à la naissance des femmes | 90,0 ans en 2070 | 86,5 ans en 2070 | 93,5 ans en 2070 | Constante (égale à 2019) |
Espérance de vie à la naissance des hommes | 87,5 ans en 2070 | 84,0 ans en 2070 | 91,0 ans en 2070 | Constante (égale à 2019) | |
Migration | Valeur du solde migratoire | + 70 000 / an sur toute la période | + 20 000 / an sur toute la période | + 120 000 / an sur toute la période | solde migratoire nul à tous les âges |
Une fois le scénario sélectionné et la population totale française projetée pour chaque âge et chaque sexe jusqu’à 2070, la population active est estimée à partir des prévisions de taux d’activité par tranche d’âge de l’INSEE. La prévision des taux d’activité des 15–54 ans repose sur un modèle économétrique dit « logistique »[49]. Quant aux taux d’activité pour les personnes de 55 ans et plus, elles sont réalisées à l’aide du modèle Destinie 2, également construit par l’INSEE. Basée sur la méthode de la micro-simulation, cette approche génère des parcours de vie à partir d’un échantillon représentatif de la population française puis estime le moment où chaque individu liquide ses droits à la retraite.[50]
Entre 2021 et 2070, l’INSEE prévoit une augmentation progressive du taux d’activité des 15–64 ans. Cette hausse, estimée à 2,3 points, serait toutefois moins marquée que celle observée entre 2000 et 2021, qui était de 3,4 points.[51] Ces projections ont été réalisées sans prendre en compte la réforme des retraites de 2023. L’intégration de celle-ci, qui a conduit à une réestimation des taux d’activité par l’INSEE, est traitée ultérieurement dans le rapport.
Tableau 7
Taux d’activité projeté par tranche d’âge (2025–2070)
| Taux d’activité projeté | ||||
15–24 ans | 25–54 ans | 55 ans ou plus | 15–64 ans | 15 ans ou plus | |
2025 | 39,5 | 87,9 | 25,1 | 72,8 | 54,8 |
2030 | 40,0 | 87,9 | 25,2 | 73,3 | 54,0 |
2035 | 40,8 | 87,8 | 24,9 | 74,2 | 53,8 |
2040 | 40,8 | 87,8 | 25,3 | 75,4 | 53,9 |
2045 | 39,9 | 87,9 | 25,4 | 75,4 | 53,6 |
2050 | 39,7 | 88,0 | 24,8 | 75,3 | 53,1 |
2055 | 39,7 | 88,0 | 24,5 | 75,3 | 52,8 |
2060 | 39,9 | 87,9 | 24,8 | 75,3 | 52,6 |
2065 | 40,2 | 87,9 | 25,4 | 75,2 | 52,5 |
2070 | 40,3 | 87,9 | 25,5 | 75,3 | 52,1 |
A partir de la population active par tranche d’âge, il est possible de calculer le ratio de soutien démographique, c’est-à-dire le rapport entre le nombre de personnes actives et celles qui sont inactives. Dans ce cas, les inactifs englobent l’ensemble des retraités et des personnes de plus de 15 ans qui n’exercent aucune activité professionnelle ou ne recherchent pas d’emploi. L’enjeu est alors d’analyser les évolutions de ce ratio afin d’évaluer si le nombre d’actifs est suffisant pour financer le système de sécurité sociale.
Notons qu’il n’est pas possible à ce stade de modéliser l’impact des transformations technologiques sur le besoin de travail dans les prochaines décennies, sa productivité et sa répartition dans les différents secteurs de l’économie française. Les robots n’étant par ailleurs pas (encore ?) taxés, le remplacement des salariés par des systèmes automatisés pourrait faire baisser le besoin de travail (et donc d’immigration) mais fera baisser également les recettes fiscales pour le financement de la protection sociale.
Graphique 8
Ratio de soutien démographique en France depuis 1975

C. A horizon 2040, l’évolution de la fécondité jouera un rôle marginal pour répondre aux besoins de main-d’œuvre
A partir de la méthodologie développée précédemment, nous analysons les évolutions du ratio de soutien démographique en faisant varier les valeurs de l’indice conjoncturel de fécondité, d’espérance de vie à la naissance et du solde migratoire.
Le premier enseignement issu de l’analyse des scénarios projetés est que la fécondité ne jouera qu’un rôle marginal dans la dynamique de population active à horizon 2040. Dans le scénario où le solde migratoire est de 20 000 par an (avec une fécondité de 1,80 et une espérance de vie dite « centrale »), la population active projetée est de 30,347 millions à horizon 2040. Au contraire, lorsque la fécondité passe à 1,60 par an, toutes choses égales par ailleurs, la population active est de 30,342 millions. Pourquoi cette faible différence ? Tout simplement parce qu’en 2040, les enfants nés en 2020 et a fortiori en 2025 ne seront pas encore en âge de travailler.
Graphique 9
Historique et projections du ratio de soutien démographique dans le scénario où le solde migratoire est de 20 000 par an (fécondité et espérance de vie centrales

Nous avons élaboré un scénario sur le fondement des hypothèses de l’INSEE où le solde migratoire serait nul toutes les années pour tous les âges et où l’indice conjoncturel de fécondité s’établirait à 1,8 : très peu d’immigration donc (un solde migratoire nul ne signifie pas une immigration nulle mais seulement faible) et une natalité qui repartirait à la hausse. La combinaison de ces deux facteurs conduirait à une légère baisse de la population active qui passe de 30,5 millions en 2020 à 30,3 millions en 2040. Dans le même temps, le ratio de soutien démographique lui baisserait fortement à 1,12 contre 1,23 auparavant. Le solde migratoire a ainsi un impact assez direct sur la population active entre 2020 et 2040. La fécondité projetée joue, elle, un rôle moindre.
Graphique 10
Historique et projections du ratio de soutien démographique dans le scénario où le solde migratoire est nul chaque année (fécondité et espérance de vie centrales

Cette légère différence ne doit pas masquer le rôle déterminant joué par le solde migratoire dans la dynamique de croissance de la population active. En effet, dans le scénario où le solde migratoire est de 120 000 par an (hypothèse haute) et la fécondité de 1,8 (hypothèse centrale), la population active augmente. Alors qu’elle s’établit à 30,5 millions en 2020, elle pourrait atteindre 31,7 millions en 2040 dans ce scénario. Quant au ratio de soutien démographique, il se stabilise alors entre 1,14 et 1,15 entre 2030 et 2040, contre 1,12 dans les scénarios de solde migratoire bas (20 000 par an avec une fécondité de 1,6) et 1,13 lorsque celui-ci est nul (et la fécondité à 1,8).
Graphique 11
Historique et projections du ratio de soutien démographique dans le scénario où le solde migratoire est de 120 000 par an (fécondité et espérance de vie centrales)

Ainsi, si la taille de la population active augmente voire stagne jusqu’en 2040 dans l’ensemble des scénarios développés, le ratio de soutien démographique est en baisse quel que soit le taux de fécondité ou le solde migratoire. Ces dynamiques opposées s’expliquent principalement par l’absence d’impact du taux de fécondité sur la population active pendant 20 ans : les personnes nées dans les années 2020 n’entreront sur le marché de l’emploi qu’entre 2040 et 2050. Si, quel que soit le scénario retenu, le ratio de soutien démographique baisse entre 2020 et 2040, l’option qui permet de minimiser la dégradation de cet indicateur est celle où le solde migratoire est de 120 000 par an. Pourtant, même dans le scénario le plus volontariste de l’INSEE en termes de solde migratoire, le ratio de soutien démographique n’est pas maintenu.
D. A horizon 2070, seul le maintien d’un solde migratoire élevé pourra garantir une augmentation de la population active
En étendant au-delà de 2040 les dynamiques démographiques à l’œuvre dans les scénarios précédemment développés, les projections de population active montrent une baisse générale à l’horizon 2070.
Première hypothèse : combinée à un taux de fécondité de 1,8, la persistance jusqu’en 2070 d’un solde migratoire nul aurait pour conséquence une dynamique démographique très négative. La population totale atteindrait 60,3 millions en 2070 contre 66,9 millions en 2040. La population de plus de 15 ans s’établirait à 53,2 millions tandis que les plus de 64 ans seraient 20,7 millions. Ce mouvement se traduirait par une baisse de la population active qui n’atteindrait pas plus de 28 millions de personnes en 2070, contre 30,3 millions en 2040. Le ratio de soutien démographique serait bien sûr également affecté : de 1,23 en 2020, il passe à 1,13 en 2040 avant d’atteindre 1,05 en 2070. Avec ce scénario, en 2070, un inactif serait financé par un actif ou pour le dire autrement, un actif devrait faire vivre deux personnes : lui-même et un inactif.
Graphique 12
Projections de population active et de ratio de soutien démographique à horizon 2070 dans le scénario de travail de l’INSEE

Deuxième hypothèse : si la projection basée sur les données issues du scénario précédent conduit à une baisse de la population active à horizon 2070, ce serait également le cas pour celui reposant sur une hypothèse de solde migratoire bas (20 000 par an) et de taux de fécondité à 1,8. La population totale passerait dans ce cas de près de 68 millions en 2040 à 64 millions en 2070. La population de plus de 15 ans baisserait (de 57,5 millions en 2040 à 54,9 millions en 2070). Dans le même temps, la population de plus de 64 ans augmenterait légèrement (20 millions en 2070 contre 19 millions en 2040), tandis que la population active chuterait de 30,3 millions en 2040 à 27,7 millions en 2070. En conséquence, le ratio de soutien démographique se dégraderait encore plus rapidement que dans le scénario précédent.
Projections de population active et de ratio de soutien démographique à horizon 2070 dans le scénario de solde migratoire bas et de fécondité centrale de l’INSEE

Troisième hypothèse : avec une fécondité de 1,6 enfant par femme, tout en conservant le même solde migratoire à 20 000 par an, les projections de population active se dégraderaient encore plus, pour atteindre 26,1 millions en 2070. D’après les estimations, un différentiel de 0,2 point de fécondité pourrait conduire à un manque à gagner de près de 2,6 millions de personnes actives à horizon 2070. Le ratio de soutien démographique serait également en baisse : il s’établirait à 0,99 contre 1.02 dans le scénario précédent. Dans ce cas, les inactifs seraient plus nombreux que les actifs…
Projections de population active et de ratio de soutien démographique à horizon 2070 dans le scénario de solde migratoire et de fécondité bas de l’INSEE

Quatrième hypothèse : avec un solde migratoire de 120 000 personnes par an et une fécondité de 1,8 enfant par femme, la population active ne baisserait pas : elle s’établirait à 31,9 millions en 2070, contre 31,6 millions en 2040. L’écart par rapport au scénario où le solde migratoire est nul et la fécondité de 1,8 serait de près de 3,8 millions de personnes actives supplémentaires. Le ratio de soutien démographique se dégraderait néanmoins pour s’établir à 1,09. Dans ce scénario, 33 % de la population de plus de 15 ans aura plus de 64 ans. Comparativement, ce taux s’élève à 35% dans le scénario de solde migratoire bas avec fécondité de 1,8. Ainsi, pour augmenter la population active à horizon 2070 et contenir la dégradation du ratio de soutien démographique, avoir un solde migratoire élevé est nécessaire.
Graphique 15
Projections de population active et de ratio de soutien démographique à horizon 2070 dans le scénario de solde migratoire haut de l’INSEE avec fécondité centrale

Cinquième hypothèse : en considérant un taux de fécondité à 2, donc élevé, et un solde migratoire élevé, la population active augmenterait, portée par la croissance de la population totale en France. Le nombre d’actifs passerait de 31,7 millions à 33,6 millions entre 2045 et 2070. Dans le même temps, le ratio de soutien démographique serait constant sur la période 2050–2070 et s’établirait autour de 1,12.
Graphique 16
Projections de population active et de ratio de soutien démographique à horizon 2070 dans le scénario de fécondité haute et de solde migratoire haut de l’INSEE

E. 310 000 nouveaux immigrés par an à horizon 2040 et 2050 pour stabiliser la population et maintenir notre modèle social
Aucun des scénarios exposés jusqu’ici ne permet d’empêcher la dégradation du ratio de soutien démographique à long terme. Pour le maintenir à son niveau actuel et garantir la pérennité de notre modèle social, il faut donc aller plus loin. Sur quels leviers peut-on compter pour cela ? Contrairement au solde migratoire, le taux de fécondité est difficilement pilotable par les décideurs publics : aucun consensus scientifique n’existe quant à l’efficacité des politiques gouvernementales de fécondité. Projeter un taux de fécondité à 2 enfants par femme alors qu’il baisse tendanciellement depuis quinze ans semble donc être un vœu pieux. En conséquence, l’immigration est nécessaire pour combler la baisse tendancielle de la population active et du ratio de soutien démographique. Comme en Italie, comme en Allemagne, comme en Espagne. Mais un peu plus tardivement.
1. Le besoin d’immigration supplémentaire avant la réforme des retraites de 2023
Comme on l’a vu, un solde migratoire d’au moins 120 000 personnes par an permet de contenir la baisse de la population active et du ratio de soutien démographique mais pas d’empêcher leur inexorable dégradation.
L’INSEE ne propose pas d’hypothèse avec un solde migratoire supérieur à 120 000 personnes par an. Pour aller plus loin, nous avons donc modélisé le besoin de population active supplémentaire nécessaire pour maintenir le ratio de soutien démographique à son niveau de 2025, soit 1,19.
Avec un solde migratoire de 120 000 par an (hypothèse haute) et un taux de fécondité de 1,8 (hypothèse centrale), à horizon 2040, le nombre d’actifs est projeté à 31 652 612. Avec une population de plus de 15 ans de 59 212 169, le nombre d’inactifs de plus de 15 ans s’élève à 27 559 557 et le ratio de soutien démographique est de 1,15. Il manque ainsi 515 380 personnes actives entre 2025 et 2040 pour stabiliser le ratio de soutien. Le nombre de personnes actives supplémentaires nécessaires par an pour maintenir ce dernier à 1,19 est donc de 34 359. Cependant, il ne suffirait pas d’augmenter d’autant le solde migratoire pour obtenir le résultat recherché car, comme on l’a vu précédemment, la population active ne correspond pas exactement à la population totale. Si certaines personnes sont en effet en âge de travailler, elles n’occupent pas toutes un emploi, elles ne sont même pas toutes en recherche d’emploi (personnes au foyer, étudiants, personnes en incapacité de travailler, bénévoles et rentiers). Seule une portion de la population totale est active. En l’occurrence, le taux d’activité des 15–64 ans est estimé à 75,3% à horizon 2040, selon les projections de l’INSEE. En considérant que le taux d’activité de la population immigrée est le même que celui de la population française des 15–64 ans, le solde migratoire doit être augmenté de 45 629[52]. En y ajoutant le solde migratoire de 120 000, contenu dans les hypothèses de ce scénario, la nouvelle cible de solde migratoire s’établit à 165 629 par an.[53]
Ce chiffre ne nous dit pas cependant combien il faudrait accueillir de nouveaux immigrés car il s’agit là d’un solde, c’est-à-dire une différence entre des entrées et des sorties. Il faut donc faire des hypothèses sur le nombre des sorties si l’on veut avoir une idée du nombre d’entrées qu’il faut viser pour obtenir un solde de 165 629 personnes. Plus les sorties sont élevées, plus les entrées devront l’être aussi pour atteindre un même solde.
Ces mouvements concernent deux types de population : des immigrés bien sûr, mais aussi des non-immigrés. Les premiers sont des personnes nées étrangères à l’étranger. Les secondes sont des personnes nées françaises en France et des Français nés français à l’étranger. Entre 2006 et 2019, le solde des entrées et sorties des non-immigrés a été négatif, en moyenne de –93 000 par an. Cela signifie qu’il y a plus de Français qui s’expatrient qu’il n’y en a qui reviennent en France. L’année 2020 est particulière dans la mesure où les confinements successifs ont très certainement conduit à un rapatriement de nombreux Français installés à l’étranger et empêché le déplacement à l’étranger des étudiants. Ainsi la moyenne du solde migratoire des non-immigrés entre 2006 et 2020 s’élève à –83 000 par an.
Le solde migratoire des immigrés étant égal au solde migratoire total auquel on soustrait le solde migratoire des non-immigrés, il doit compenser ce résultat négatif si l’on veut atteindre un solde migratoire total de 165 629 personnes. En utilisant les données précédemment projetées et estimées, cela conduit à rechercher un solde migratoire des immigrés annuel de 258 629 (165 629 + 93 000).
Graphique 17
Historique des entrées et des sorties des immigrés et non-immigrés de 2006 à 2020[54]

Ce chiffre est stable, que ce soit à l’horizon 2040 ou 2050 : le solde migratoire des immigrés nécessaire pour maintenir le ratio de soutien démographique est situé entre 250 000 et 260 000 par an. Cela correspond à un solde migratoire total compris entre 155 000 et 165 000 par an, en comptant le solde migratoire négatif des non immigrés : il y a environ 90 000 départs nets de Français depuis la France chaque année. Autrement dit, pour obtenir un surcroît effectif de 155 000 à 165 000 personnes par an, il faut que le solde migratoire des immigrés soit d’environ 250 000 (car on sait que, dans le même temps, il y aura environ 90 000 français de moins sur le territoire national). Cependant, le solde migratoire des immigrés n’est lui-même encore qu’un solde entre des entrées et des sorties d’immigrés. En effet, chaque année, des immigrés quittent le territoire national tandis que d’autres y arrivent. En moyenne entre 2006 et 2019, chaque année, les sorties d’immigrés hors de France représentent près de 25% des entrées d’immigrés. En raisonnant en pourcentage, plutôt qu’en valeur absolue, le calcul permet d’intégrer l’effet volume : parmi les entrées une année donnée, certaines personnes partiront ultérieurement. Ainsi, plus il y a d’entrées, plus les sorties seront élevées. Il n’est donc pas pertinent de choisir une valeur fixe pour les sorties des immigrés. Avec ce raisonnement, un solde migratoire des immigrés de 258 629 signifie 86 210 sorties d’immigrés et donc approximativement 344 839 entrées d’immigrées par an jusqu’en 2040.
Tableau 8
Décomposition du solde migratoire par an nécessaire entre 2025 et 2040


2. La réforme des retraites de 2023 va-t-elle faire baisser le besoin en force de travail venue de l’immigration ?
La prise en compte de la réforme des retraites de 2023 a des conséquences sur les taux d’activité projetés par l’INSEE. Dans une note dédiée[55], l’INSEE utilise son modèle Destinie 2 pour simuler les nouveaux taux d’activité par tranche d’âge à la suite de l’application de la réforme Borne. L’impact de la réforme porte sur l’activité des 15–24 ans et des seniors dont l’âge est compris entre 55 et 69 ans. Si le taux d’activité des 15–24 ans est réestimé légèrement à la hausse (il passe de 40,6% à 41,1% à horizon 2040), celui des 60–64 ans est augmenté de 10 points de pourcentage (il passe de 57,7% à 69,7% à horizon 2040).
Tableau 9 – Comparaison des taux d’activité avant et après l’application de la réforme des retraites de 2023 (en %)
Après la réforme | Avant la réforme | Écart de taux d’activité | ||||||||||
15–24 ans | 55–59 ans | 60–64 ans | 65–69 ans | 15–24 ans | 55–59 ans | 60–64 ans | 65–69 ans | 15–24 ans | 55–59 ans | 60–64 ans | 65–69 ans | |
2020 | 37,5 | 79,0 | 37,1 | 8,5 | 37,5 | 79,0 | 37,1 | 8,5 | 0,0 | 0,0 | 0,0 | 0,0 |
2025 | 40,1 | 80,9 | 46,8 | 10,3 | 39,5 | 79,9 | 41,3 | 10,3 | 0,6 | 1,0 | 5,5 | 0,0 |
2030 | 40,5 | 81,8 | 61,2 | 11,8 | 40,0 | 80,2 | 47,4 | 11,0 | 0,5 | 1,6 | 13,8 | 0,8 |
2035 | 41,3 | 82,1 | 66,1 | 15,0 | 40,8 | 80,4 | 52,7 | 13,3 | 0,5 | 1,7 | 13,4 | 1,7 |
2040 | 41,3 | 82,4 | 69,7 | 15,7 | 40,8 | 80,6 | 57,7 | 14,7 | 0,5 | 1,8 | 12,0 | 1,0 |
2045 | 40,4 | 82,4 | 70,1 | 16,7 | 39,9 | 80,6 | 58,3 | 16,1 | 0,5 | 1,8 | 11,8 | 0,6 |
2050 | 40,2 | 82,4 | 70,1 | 16,9 | 39,7 | 80,6 | 58,4 | 16,4 | 0,5 | 1,8 | 11,7 | 0,5 |
2055 | 40,3 | 82,5 | 70,1 | 17,6 | 39,7 | 80,8 | 59,2 | 16,9 | 0,6 | 1,7 | 10,9 | 0,7 |
2060 | 40,4 | 82,6 | 70,8 | 17,7 | 39,9 | 80,9 | 60,0 | 16,9 | 0,5 | 1,7 | 10,8 | 0,8 |
2065 | 40,7 | 82,6 | 71,2 | 17,7 | 40,2 | 80,9 | 60,3 | 17,0 | 0,5 | 1,7 | 10,9 | 0,7 |
2070 | 40,9 | 82,6 | 71,3 | 17,8 | 40,3 | 80,9 | 60,5 | 17,0 | 0,6 | 1,7 | 10,8 | 0,8 |
En considérant les nouvelles projections de taux d’activité qui incluent la réforme des retraites de 2023 et le scénario de taux de fécondité à 1,6 (toujours avec un solde migratoire de 120 000 par an), le ratio de soutien démographique de 2025 est aujourd’hui de 1,215, du fait de l’augmentation de la population active : 31 millions de personnes en 2025.
À horizon 2040, le nouveau ratio de soutien démographique sera de 1,197 car la population active s’élèvera à 32,2 millions de personnes et la population de plus de 15 ans sera de 59,2 millions. Ce dernier chiffre – la population des plus de 15 ans – est inchangé par rapport au scénario sans réforme des retraites. Afin de préserver le ratio de soutien démographique à hauteur de 1,215, la population active supplémentaire nécessaire serait donc de 222 272. En utilisant le même raisonnement que précédemment, le solde migratoire annuel doit être augmenté de 19 318 car toute la population immigrée ne travaillera pas. Le solde migratoire devra alors atteindre 139 318, en intégrant l’hypothèse initiale du scénario de l’INSEE (120 000 de solde migratoire par an). Il en découle que le solde migratoire des immigrés annuel devra être de 232 318 (le solde migratoire des non-immigrés étant toujours de –93 000 par an).
Il faut alors ajouter les sorties d’immigrés, estimées suivant la méthode développée précédemment. On arrive donc à un total de 309 758 entrées d’immigrés par an.
Cette donnée est assez proche de la situation constatée en 2022 où 331 000 immigrés étaient entrés sur le territoire national. Cependant, l’année 2022 était assez exceptionnelle : entre 2006 et 2019, le nombre d’entrées d’immigrés en France était en moyenne de 233 000. A supposer que de nouvelles politiques soient mises en œuvre pour tirer à la hausse le taux d’activité des seniors, des jeunes décrocheurs ou encore des femmes, le besoin d’immigration mesuré en nombre d’entrées par an pourrait en somme être proche de ce que l’on observe aujourd’hui.
Tableau 10
Décomposition du solde migratoire par an nécessaire entre 2025 et 2040 en tenant compte de la réforme des retraites de 2023


3. Et si on travaillait jusqu’à 66 ans ?
Nous avons aussi voulu modéliser (de façon théorique) l’impact d’une réforme future du système de retraites qui porterait l’âge légal de liquidation des droits à 66 ans.
Nous avons fait une première hypothèse (A) d’augmentation graduelle de 0,35 point à partir de 2026 du taux d’activité des 60–64 ans et de 0,2 point à partir de 2026 du taux d’activité des 65–69 ans. Le résultat serait une hausse du taux d’activité des 60–64 ans de 5,3 points et de celle des 65–69 ans de 3 points.
Tableau 11
Taux d’activité des 60–64 ans et des 65–69 ans en fonction de la réforme retenue (en %)
Année | Réforme de 2023 | Hypothèse (A) de réforme à 66 ans avec application dès 2026 | Hypothèse (B) de réforme à 66 ans avec application dès 2026 – Impact très fort sur le taux d’activité[56] | |||
60–64 ans | 65–69 ans | 60–64 ans | 65–69 ans | 60–64 ans | 65–69 ans | |
2026 | 49,9 | 10,4 | 50,3 | 10,6 | 50,7 | 10,6 |
2027 | 53,1 | 10,5 | 53,8 | 10,9 | 54,7 | 10,9 |
2028 | 56,1 | 10,8 | 57,2 | 11,4 | 58,5 | 11,4 |
2029 | 58,9 | 11,2 | 60,3 | 12 | 62,1 | 12 |
2030 | 61,2 | 11,8 | 63 | 12,8 | 65,1 | 12,8 |
2031 | 62,8 | 12,6 | 64,9 | 13,8 | 67,5 | 13,8 |
2032 | 63,9 | 13,3 | 66,4 | 14,7 | 69,4 | 14,7 |
2033 | 64,9 | 13,9 | 67,7 | 15,5 | 71,2 | 15,5 |
2034 | 65,4 | 14,6 | 68,6 | 16,4 | 72,5 | 16,4 |
2035 | 66,1 | 15 | 69,6 | 17 | 74 | 17 |
2036 | 67,1 | 15,1 | 71 | 17,3 | 75,8 | 17,3 |
2037 | 68 | 15,4 | 72,2 | 17,8 | 77,5 | 17,8 |
2038 | 68,7 | 15,7 | 73,3 | 18,3 | 78,9 | 18,3 |
2039 | 69,2 | 15,7 | 74,1 | 18,5 | 80,2 | 18,5 |
2040 | 69,7 | 15,7 | 75 | 18,7 | 81,5 | 18,7 |
La conséquence, c’est que le besoin d’immigrés pour maintenir le ratio de soutien démographique baisserait légèrement (- 9 231 par an). Il atteindrait ainsi 110 769 environ. Ainsi (cf. les calculs précédents), les nouvelles entrées annuelles d’immigrés nécessaires pour maintenir le ratio seraient désormais de 271 693 (en ajoutant les 93 000 expatriations nettes et en corrigeant des sorties d’immigrés).
Nous avons enfin fait la même hypothèse en considérant (B) que le taux d’activité des 60–64 ans allait atteindre les plus hauts niveaux européens (81,5 %). Le nombre d’entrées annuelles d’immigrés pour maintenir le ratio de soutien serait alors de 242 631.
Que conclure de ces simulations ? Qu’une nouvelle réforme des retraites visant à repousser à nouveau l’âge légal réduirait le besoin en apport de travail venu de l’étranger. Mais ce dernier restera dans tous les cas de figure important. Les entrées annuelles d’immigrés seraient de 310 000 par an dans un scénario « central » (c’est-à-dire le plus probable) où seule la réforme des retraites de 2023 serait comptabilisée. Dans un scénario qui reposerait sur des hypothèses de réforme des retraites très fortes (réforme des retraites à 66 ans en 2026) et d’une hausse du taux d’activité des seniors sans précédent, les entrées nécessaires seraient encore de 242 631.
Rappelons qu’en 2019, 2021 et 2022, la moyenne des entrées annuelles a été de 283 000.
L’exemple des métiers du soin à l’horizon 2050 : Dans un contexte de vieillissement accéléré de la population française et d’augmentation soutenue des besoins en soins, la question des effectifs infirmiers se pose avec une acuité particulière. Avec près de 600 000 infirmiers et infirmières en emploi en 2021, la profession infirmière représente la première force de travail en santé, loin devant les médecins ou les aides-soignantes. Malgré une croissance des effectifs de +8 % entre 2013 et 2021, le métier demeure parmi les plus en tension du secteur sanitaire. Les projections réalisées par la DREES montrent qu’à politiques constantes, les effectifs infirmiers atteindraient 821 000 en 2050, soit une progression de 37 % en trente ans. Toutefois, cette hausse serait insuffisante pour répondre à l’augmentation anticipée de la demande de soins liée au vieillissement : les besoins en soins infirmiers croîtraient de 50 % sur la même période. Ainsi, pour maintenir en 2050 une couverture équivalente à celle de 2021, il faudrait compter non pas 821 000, mais environ 901 000 infirmiers et infirmières en emploi. Autrement dit, la France ferait face à un déficit structurel de 80 000 professionnels. Le principal levier d’ajustement identifié est l’augmentation du nombre de diplômés. Pour combler l’écart, il faudrait porter le flux annuel à 32 900 diplômées, contre 29 000 dans le scénario tendanciel. Cette solution se heurte toutefois à deux obstacles majeurs : d’une part, un taux d’abandon en formation en forte hausse (20 % en 2022), malgré des quotas de places en hausse (+23 % entre 2019 et 2025) ; d’autre part, une attractivité affaiblie du métier, notamment dans l’hôpital public, où seule une infirmière sur deux est encore en poste dix ans après son entrée dans la profession. Dans ce contexte, le recours accru aux infirmiers et infirmières venus de l’étranger apparaît comme un levier stratégique de court et moyen terme. Aujourd’hui, seules 400 infirmières formées à l’étranger viennent exercer chaque année en France, soit moins de 1,5 % du flux de renouvellement. Pour maintenir la densité standardisée de couverture des soins (indicateur corrigeant la structure par âge de la population), il faudrait multiplier ce flux par neuf, pour atteindre environ 3 600 installations par an. Ce levier présente de multiples avantages. Il n’est pas limité par la capacité de formation nationale, il permet une réponse relativement rapide aux tensions existantes, et il est déjà mobilisé dans d’autres pays européens confrontés à des défis similaires. Il suppose toutefois une politique volontariste et structurée : il convient d’assouplir les procédures d’équivalence de diplômes, d’accompagner l’installation professionnelle, de soutenir l’apprentissage du français et de garantir l’intégration sociale et territoriale de ces professionnels. Le recours aux infirmiers et infirmières venus de l’étranger ne doit pas être pensé comme une variable d’ajustement par défaut, mais comme une composante intégrée de la stratégie nationale de sécurisation des effectifs en santé. À cet effet, il est recommandé : – d’inscrire un objectif chiffré de recrutement de professionnels étrangers dans la planification sanitaire nationale ; – de mettre en place un dispositif interministériel dédié à la négociation d’accords bilatéraux ciblés avec les pays formateurs (Maghreb, Afrique subsaharienne, Amérique latine, Asie du Sud-Est) ; – de créer un guichet unique « France Infirmière Internationale » pour simplifier les démarches administratives ; – et d’adosser cette politique à une logique territoriale, en affectant les renforts aux zones sous-dotées. Face à un besoin de 80 000 infirmiers et infirmières supplémentaires d’ici 2050, l’enjeu n’est pas seulement quantitatif, mais systémique : garantir la continuité et l’équité de l’accès aux soins suppose de diversifier les leviers d’action. À côté de l’effort de formation, le recrutement de professionnels venus de l’étranger constitue une réponse concrète. A condition d’être pleinement assumée comme telle. Si on élargit aux métiers des services à la personne confronté à l’effet conjugué de deux dynamiques parallèles – la montée des besoins liée à l’augmentation du nombre de personnes âgées dépendantes, et le retrait massif d’une partie des professionnels actuellement en poste –, plus de 210 000 postes d’aides-soignants et d’aides à domicile devront être pourvus d’ici la fin de la décennie, alors même que près de la moitié des salariés du secteur partiront à la retraite au cours de cette même période. En 2022, un poste sur deux dans les services d’aide et d’accompagnement à domicile n’était pas pourvu. Et ce phénomène ne se limite pas au cas français puisque l’ensemble du continent européen est confronté à une transformation rapide de ses structures démographiques. D’ici dix ans, la population des plus de 75 ans augmentera de 30% en Europe, représentant 14% de la population totale. Dans le même temps, le nombre d’aidants familiaux disponibles pour chaque personne âgée passera de 3,6 à 2,7. À cette pénurie croissante de main-d’œuvre s’ajoute une caractéristique marquante de la structure du secteur : la très forte surreprésentation des femmes immigrées dans les services à la personne en France. En 2015, les femmes nées à l’étranger représentaient déjà près de 15% des effectifs du secteur, soit une part près de trois fois supérieure à celle qu’elles occupaient dans la population active générale. Cette concentration s’explique par une double logique de segmentation : d’un côté, les métiers du soin restent largement féminisés et peu valorisés ; de l’autre, les parcours migratoires se dirigent de plus en plus vers des secteurs faiblement qualifiés mais en forte demande, comme l’aide à domicile. Cette réalité traduit une dépendance croissante à une main-d’œuvre féminine et étrangère, souvent exposée à la précarité et à des conditions de travail difficiles. Face à cette conjoncture, la France ne pourra durablement répondre à ses besoins en personnels soignants et accompagnants sans inscrire la migration professionnelle comme un levier stratégique à part entière. |
F. Bientôt une concurrence entre pays européens pour attirer les immigrés
La France est loin d’être un cas isolé en Europe. Beaucoup de pays européens vont connaître voire connaissent déjà des situations analogues à celle qui nous attend. A dire vrai, le relatif dynamisme de la démographie française aura longtemps différé une échéance à laquelle nombre de nos voisins se sont déjà heurtés. Parmi les 27 pays de l’UE, 21 ont un solde naturel négatif. 6 à 7 pays perdent déjà de la population (Hongrie, Grèce, Bulgarie, Pologne, Slovaquie, Italie…). Et 15 ne doivent leur croissance démographique qu’à l’immigration.
Cette situation alimente des pénuries de main-d’œuvre. En 2022, le taux d’emploi dans l’UE a atteint 74,6% et le taux de chômage 6,2%. Deux records depuis la création de l’euro : le premier à la hausse, le second à la baisse. Du coup, fin 2023, le taux d’emplois vacants avait atteint 2.9% en zone euro (contre 1.8% en 2015) et plus de 4.5% en Allemagne, en Belgique ou aux Pays-Bas. Au sein de l’UE, 38 professions sont en forte demande de main-d’œuvre, notamment dans les secteurs santé, hôtellerie, construction et services, technologies de l’information et de la sécurité, ainsi que dans le champ des STIM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques).
Les besoins d’immigration de travail identifiés sont déjà très sensibles. Une étude de la Fondation Bertelsmann[58] indique que, sans immigration, la population active allemande pourrait diminuer de 46,4 millions actuellement à 41,9 millions en 2040, voire 35,1 millions en 2060. Pour compenser cette diminution, l’Allemagne devrait accueillir environ 288 000 travailleurs étrangers chaque année jusqu’en 2040, soit un solde net d’environ 460 000 nouveaux immigrés (où le taux d’emploi des immigrés est de 62 % en moyenne[59]).
La coalition CDU-SPD mise sur l’immigration de travail Depuis longtemps consciente de son équation démographique, l’Allemagne a clairement l’intention d’attirer une forte migration économique dans les années qui viennent. Et ce n’est pas seulement le projet des sociaux-démocrates : c’est également celui des conservateurs de la CDU emmenés par Friedrich Merz. Le contrat de coalition scellé au lendemain des récentes élections législatives en Allemagne entre la CDU et le SPD se prononce clairement en faveur d’une intensification de l’immigration de travail, en l’occurrence ici d’une immigration qualifiée : « L’Allemagne a besoin d’une immigration qualifiée. La démographie, en particulier dans les nouveaux Länder, pose des défis particulièrement importants au marché du travail. En collaboration avec les Länder, les communes et les partenaires sociaux, nous créerons des instruments appropriés pour soutenir cette immigration. » Pour cela, il est envisagé en particulier d’accélérer les procédures d’accueil et de faciliter la reconnaissance des qualifications professionnelles. Une agence numérique pour l’immigration de travailleurs qualifiés – « Work-and-stay-Agentur » – sera créée avec une plateforme informatique centrale servant d’interlocuteur unique pour les travailleurs qualifiés étrangers : « L’agence regroupera et accélèrera, entre autres, tous les processus de migration économique et de reconnaissance des diplômes professionnels et universitaires, et reliera les demandeurs avec les structures des Länder. » La coalition entend également améliorer la participation des employeurs et adapter la structure et l’organisation de l’Office central pour l’éducation des étrangers (ZAB). Elle veut également retenir les étudiants étrangers formés en Allemagne : « Nous voulons que les diplômés de pays tiers qui ont terminé une formation ou des études en Allemagne restent chez nous et travaillent ici ». L’intégration des travailleurs étrangers et leur citoyenneté économique et sociale ne sont nullement ignorées : « nous voulons protéger les droits des travailleurs et lutter systématiquement contre les abus ». Une offre de cours de langue professionnelle adaptée aux besoins et déployée à grande échelle doit être garantie à long terme. De même, les obstacles à l’emploi des réfugiés vont être supprimés et les interdictions de travail réduites à un maximum de trois mois : « Nous allons promouvoir durablement l’intégration rapide et durable des réfugiés sur le marché du travail en combinant expérience professionnelle antérieure, apprentissage de la langue en cours d’emploi et formation continue/qualification en cours d’emploi ». |
Le cas de l’Italie est particulièrement frappant. La population transalpine a perdu deux millions d’âmes depuis 2014, soit l’équivalent de la population de l’agglomération milanaise, et la main-d’œuvre nationale fond d’environ 200 000 personnes par an depuis près de 10 ans. Le phénomène va s’accentuer : un quart de la population a plus de 65 ans et 39 provinces sur 107 comptaient déjà plus de retraités que de travailleurs en 2024. Ce pays a élu une candidate d’extrême-droite qui promettait un blocus naval militaire en Méditerranée pour empêcher les migrants en provenance d’Afrique du Nord de mettre le pied sur les côtes italiennes. Mais, quelques mois après son élection, Giorgia Meloni a dû accéder aux demandes insistantes du patronat italien : les décrets connus sous le nom de décrets « flussi » ont permis d’ouvrir la porte à 452 000 travailleurs étrangers supplémentaires sur la période 2023–2025. Cet apparent paradoxe ne lui a d’ailleurs pas coûté un seul point de popularité.
Alors qu’un peu partout sur le continent européen, les mouvements populistes font croître l’hostilité à l’immigration, croissent à un rythme plus élevé encore les besoins de main-d’œuvre immigrée. De fait, plusieurs gouvernements s’organisent, souvent à bas bruit, pour structurer des filières de recrutement à l’étranger et/ou régulariser des populations sans papiers sur leur sol. En décembre 2023, le Parlement grec a ainsi adopté un amendement pour régulariser des travailleurs sans-papiers. Dans le même temps, la Grèce a passé des accords pour faire venir de la main-d’œuvre d’Egypte et du Bengladesh, notamment dans l’agriculture qui accuse un déficit de main-d’œuvre estimé à 180 000 travailleurs. En 2021, la Pologne a délivré plus de 500 000 permis de travail à des travailleurs étrangers, soit une progression de 24% par rapport à l’année précédente. En Belgique, le patronat réclame des régularisations massives dans la logistique, la construction, l’informatique… En Allemagne, alors même que de très nombreux réfugiés ont été admis depuis 2015, plusieurs lois ont été adoptées depuis 2021 pour faciliter les régularisations et la reconnaissance des diplômes hors-UE, abaisser les critères d’éligibilité aux visas de travail et mettre en place un système à points sur critères pour faciliter la recherche d’emploi.
Le gouvernement espagnol a clairement pris, de son côté, le contre-pied du discours anti-immigration, en adoptant, mardi 19 novembre 2024, une réforme réglementaire pour faciliter la régularisation des étrangers. « L’Espagne doit choisir ! Être un pays ouvert et prospère, ou un pays fermé et pauvre. Nous avons choisi la première option ». C’est avec ces mots forts que la ministre espagnole des Migrations, Elma Saiz, a résumé l’équation de son pays et le choix de son gouvernement. En pratique, cette réforme doit permettre de réduire les délais pour l’obtention des titres de séjour, un « renforcement » des droits des travailleurs migrants, moins de formalités administratives, et la durée du visa de recherche d’emploi va passer de trois mois à un an. La réforme pourrait aboutir à 300 000 régularisations chaque année d’ici 2027, contre un peu plus de 200 000 dossiers en attente aujourd’hui.
A l’autre extrémité du spectre idéologique, le cas de la Hongrie, pays le plus hostile à l’immigration de l’Union européenne, est particulièrement exemplaire. Ce pays de 9.6 millions d’habitants qui a déjà perdu plus d’1 million d’habitants depuis 1988 fait face à un manque de main-d’œuvre : 500 000 travailleurs supplémentaires sont nécessaires pour faire tourner ses usines ; rapporté à sa population, c’est comme si l’économie française avait besoin d’un surcroît immédiat de 3,5 millions de travailleurs. Ce manque de main-d’œuvre est si important que le gouvernement a assoupli la législation pour faire venir des travailleurs immigrés. Depuis 2018, le gouvernement de Viktor Orban a ainsi autorisé l’arrivée de dizaines de milliers de travailleurs originaires d’Asie, notamment du Vietnam et des Philippines, pour occuper des postes dans l’industrie manufacturière et la construction. Pour encadrer cette immigration de travail, les autorités hongroises ont mis en place des contrats temporaires, généralement d’une durée de deux ans, sans possibilité de prolongation. Cette politique vise à répondre aux besoins immédiats du marché du travail tout en évitant une installation durable de ces travailleurs sur le territoire hongrois. Le gouvernement évite d’utiliser le terme « immigrés » et préfère celui de « travailleurs invités », reflétant ainsi sa volonté de distinguer cette main-d’œuvre temporaire de l’immigration permanente, comme autrefois en Allemagne avec les Gastarbeiter.
Quelles sont en effet les alternatives ? La relance de la politique familiale ? Elle est nécessaire mais toutes les études montrent qu’elle ne sera pas suffisante et que la question dépasse de très loin la disponibilité de modes de garde ou la contribution financière que peut apporter l’État dès la première ou la deuxième naissance. Les modes de vie ont durablement changé : les femmes européennes ne se remettront pas à faire leur premier enfant avant 25 ans comme l’avaient fait leur grand-mère.
Depuis 2010, Viktor Orbán a engagé la Hongrie dans une politique familiale particulièrement volontariste, fondée sur un rejet explicite de l’immigration comme solution au déclin démographique. L’objectif affiché de cette stratégie est clair : enrayer la baisse continue de la natalité en soutenant massivement les familles hongroises. Pour cela, le gouvernement a mis en place un ensemble de mesures incitatives très généreuses. Les mères de quatre enfants ou plus bénéficient d’une exonération à vie de l’impôt sur le revenu, une mesure étendue depuis 2023 aux femmes de moins de 30 ans qui donnent naissance ou adoptent un enfant. Des prêts à taux zéro sont proposés aux couples mariés, avec la possibilité de voir tout ou partie de la dette annulée en fonction du nombre d’enfants (une proposition reprise par Marine Le Pen en France). Le gouvernement accorde également des subventions à l’achat de logements ou de véhicules adaptés aux familles nombreuses. Mais, les effets de cette politique familiale ambitieuse restent jusqu’à présent limités sur le plan démographique. En 2023, le nombre de naissances en Hongrie a atteint son niveau le plus bas depuis… 1949, malgré plus d’une décennie de soutien étatique massif. La décision de fonder une famille est influencée par une combinaison de facteurs bien plus larges que les seuls éléments financiers : la stabilité économique, la possibilité de concilier vie familiale et professionnelle, la confiance dans l’avenir à l’heure du changement climatique dénié par Orban, ou encore les représentations culturelles du rôle des femmes et de la parentalité. Par ailleurs, il ne suffit pas de faire des enfants : encore faut-il les retenir lorsqu’ils arrivent à l’âge adulte. Or les jeunes Hongrois ont une forte propension à l’émigration et vont ainsi redresser le ratio de soutien démographique d’autres pays, par exemple et notamment celui du Royaume-Uni. Autrement dit, il faut rester attractif sur le vaste marché international des migrations, y compris pour sa propre population. Car, oui, la concurrence est forte aussi sur le marché de l’attrait des immigrés.
Que ces choix soient politiquement assumés ou plus contournés, ils vont donc avoir une conséquence simple : ils vont rendre le marché européen de la migration de travail de plus en plus concurrentiel. A rebours du discours politique dominant, il faudra être suffisamment attractif sur le marché international des compétences et de la migration économique pour tirer notre épingle du jeu.
La situation sera d’autant plus critique qu’il faudra être suffisamment attractif non seulement pour faire venir des travailleurs mais aussi pour conserver notre population – natifs comme immigrés – dans une Union européenne où les personnes circulent librement. La diaspora française pourrait en effet s’accroître et compliquer plus encore l’équation si des dizaines de milliers de jeunes actifs venaient à considérer que l’herbe est plus verte ailleurs ou que l’on n’est moins stigmatisé à raison de ses origines ou de son apparence dans tel ou tel autre pays.
Conclusion : nous allons faire appel à l’immigration et les politiques migratoires doivent changer
Alors que les mouvements migratoires sont le plus souvent présentés comme des problèmes qui n’ont pour seul destin que d’être combattus, le travail présenté ici montre que la situation mérite d’être pour le moins nuancée. D’abord parce que la France a depuis très longtemps utilisé l’immigration pour pallier un manque de force de travail, de soldats et d’enfants, au temps de la déprise démographique post Première guerre mondiale par exemple. Ensuite, parce que les immigrés occupent aujourd’hui une place importante sur le marché du travail français. Si leur insertion est à l’évidence difficile (sur-chômage, manque de qualification), ils sont essentiels pour le fonctionnement de la France des services à la personne (hôtellerie-restauration, économie du soin), pour la construction et pour le fonctionnement général de l’économie (transport, logistique). Moins qu’avant ouvriers (c’est l’effet de la désindustrialisation), ils sont plus souvent employés. Leurs enfants progressent dans la hiérarchie sociale, à un rythme lent avec une différence marquée entre les garçons et les filles, notamment quand ils viennent d’Afrique du Nord et de l’Ouest. Fait nouveau depuis maintenant plusieurs années : ils sont essentiels dans certains secteurs très qualifiés, comme la médecine ou l’informatique. Le système de santé français, et particulièrement hospitalier, ne fonctionnerait pas sans immigrés qui viennent opportunément effectuer un « grand remplacement » de leurs collègues français formés en trop petit nombre. Et ce sera encore moins le cas avec le choc démographique qui a commencé et qui mêle une baisse très rapide de la fécondité et une hausse prévisible de la mortalité. Dès 2027, selon l’Institut national pour les études démographiques (INED), les décès seront plus nombreux que les naissances.
Depuis 1950, la mortalité en France a longtemps été étonnamment stable : 550 000 décès par an avec une population qui a augmenté de plus de 50 %. En 2023, le nombre de décès avait pourtant considérablement augmenté puisque le chiffre était de 640 000 décès. En 2030, on passera à 690 000, en 2035 à 740 000, en 2040 à 770 000 (avec un pic de 780 000 vers 2045).
Les immigrés sont d’ores et déjà essentiels pour assurer la croissance de la population française, par leur apport net et les naissances nouvelles issues d’au moins un parent immigré. Plus la situation démographique va se détériorer, plus leur apport sera décisif, pour équilibrer les comptes sociaux et répondre aux besoins de main-d’œuvre du pays.
Naturellement, il faudra activer simultanément d’autres leviers. La durée du travail va augmenter dans les vingt années à venir et l’âge de départ à la retraite reculer[60]. Un effort important va être fait pour encourager le travail des femmes (le taux d’emploi des femmes françaises est encore 10 points plus bas que celui des femmes des pays du Nord, 62 % vs 73 % en Suède) et peut-être qu’un investissement important sera porté en direction des jeunes décrocheurs qui sont une source de travail important. Mais quelle autre solution ? Autoriser le travail de nuit pour les enfants dès 14 ans comme discuté aujourd’hui en Floride[61] ?
« C’est la civilisation française que l’on assassine ! ». « Les immigrationnistes sont devenus fous… » On sait les cris d’orfraies que vont pousser les adversaires de l’immigration. Nulle naïveté de notre part. Ni volonté d’exploiter une main-d’œuvre servile à bas coûts. L’immigration va augmenter parce que les Français vont le demander, comme pendant les Trente Glorieuses. Ils y sont d’ailleurs beaucoup moins hostiles qu’on le dit, comme le montre l’enquête réalisée par le Credoc pour Terra Nova à l’occasion de la publication du présent rapport. Et, à la différence des Trente glorieuses, ce ne sont pas les grandes entreprises qui vont organiser l’immigration mais d’abord et avant tout le secteur des services, peu et très qualifiés. Et donc les Français eux-mêmes ainsi que les services publics.
Les risques sont importants. La situation de l’intégration est très dégradée pour 20 %[62] des enfants de l’immigration maghrébine et légèrement moins pour ceux venus d’Afrique subsaharienne. Face à cela, que faut-il faire ? Chercher des coupables comme le font en permanence la droite identitaire et l’extrême-droite ? Croire impossible l’intégration des immigrés, à raison notamment de leur religion ? Ou chercher des solutions réalistes et efficaces pour assurer une meilleure intégration en phase avec la promesse républicaine, répondre aux questions identitaires que se posent certains jeunes dans leur parcours d’intégration et lutter contre le rejet dont ils font trop souvent l’objet.
C’est la situation démographique qui conduit à cette question. Pas la droite ou la gauche. Juste le comportement des Français. A eux de savoir s’ils choisissent le repli et le déclin. Ou la croissance et la prospérité. Mais, pour réussir, il faudra travailler sur l’acceptabilité d’un tel phénomène. Car ce n’est pas parce que les Français et l’économie française va avoir besoin de plus de travail venu de l’extérieur et donc des immigrés que la population française va accepter ce phénomène (dû d’abord et avant tout au déclin démographique national). Nous sommes face à un choc politique majeur…
Mieux, parce que cette situation est partagée par l’ensemble des pays européens avec, pour la plupart d’entre eux, une situation démographique plus dégradée que la France, l’ensemble des pays européens vont se faire de plus en plus concurrence pour attirer des immigrés. Alors même que l’extrême-droite s’impose de plus en plus partout. Les gouvernements d’extrême-droite européens vont donc se livrer une bataille féroce pour attirer des immigrés. Subtil paradoxe.
De tout cela, forte qu’elle était d’un taux de fécondité jusqu’ici flatteur, la France ne se rend encore pas bien compte et elle risque de se réveiller très tard. Mais elle doit commencer à imaginer quelles seraient les conséquences d’une forte dégradation de son ratio de soutien démographique. Une telle dégradation serait problématique partout, mais singulièrement dans un pays attaché à un modèle social aussi généreux que coûteux. Le contrat social français en serait profondément altéré. Sous des hypothèses raisonnables d’évolution de la productivité et de la croissance, le système de retraites par répartition deviendrait rapidement impossible à financer. Des secteurs entiers de l’économie tourneraient au ralenti faute de bras et de cerveaux. L’épisode de la pandémie de Covid-19 qui a montré que cela pouvait aller assez vite n’est qu’un avant-goût de ce qui se produirait à grande échelle à l’horizon d’une ou deux décennies. Des secteurs comme la santé – déjà sous stress – et les services à la personne seraient durement affectés. Mais le bâtiment, l’hôtellerie-restauration ou l’informatique connaîtraient également un sérieux coup de froid.
Si l’on veut éviter ces enchaînements mortifères pour notre contrat social, il faudra donc continuer à accueillir des immigrés dans notre pays. Pas forcément davantage que ces dernières années, mais certainement mieux qu’aujourd’hui et en recherchant de manière plus explicite et plus organisée la satisfaction de nos besoins économiques. Cela suppose de revoir les différents canaux de notre politique migratoire, d’envisager des partenariats de formation avec des pays d’origine, de régulariser nombre de travailleurs sans papiers qui exercent actuellement dans des métiers en tension et de mieux intégrer la main-d’œuvre immigrée déjà présente sur notre sol…
La politique migratoire ne peut pas être du seul ressort du ministère de l’Intérieur qui n’a aujourd’hui qu’un seul objectif : ralentir les flux. Les abus sont nombreux (notamment les tentatives d’obtention de titres de séjours via la procédure de l’asile pour des personnes qui à l’évidence n’ont pas de raison d’être protégées), les immigrés sans papiers aussi, même si beaucoup travaillent dans des secteurs en tension. En ce sens, le ministère fait un travail de contrôle légitime et conforme à la loi. Mais le ministère du Travail et des affaires sociales doit à nouveau avoir voix au chapitre pour permettre l’ouverture d’une immigration de travail plus importante. Et le Quai d’Orsay est indispensable pour imaginer une politique de mobilité commune avec les pays émetteurs.
C’est une nouvelle politique d’immigration qu’il faut imaginer. C’est aussi un débat politique nouveau sur le sujet qui doit s’engager : il ne faut pas mentir aux Français. L’immigration va se poursuivre, à un rythme important. Parce que la demande des Français pour le travail des immigrés est bien là. Certains voudront diversifier les pays sources, c’est-à-dire augmenter l’immigration asiatique et baisser l’immigration venue du monde arabe et d’Afrique sub-saharienne. Reste donc à organiser la discussion publique beaucoup mieux qu’aujourd’hui, en intégrant les pays d’origine à la réflexion pour qu’ils reprennent ceux qui n’ont pas vocation à rester en France et que nous ne nous comportions pas en pilleur de talents formés à grands frais dans des pays beaucoup moins riches que nous. À organiser un débat public qui sorte de l’équation immigration = nuisance. À imaginer et mettre en œuvre une politique d’intégration aujourd’hui inexistante. À discuter aussi, et c’est essentiel, des valeurs communes et des voies et moyens de les transmettre aux nouveaux arrivants, sans croire comme aujourd’hui que « soyez comme nous » fait une politique. À se battre pour que les valeurs issues de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen restent toujours le fondement de nos politiques. Bref, se confronter au réel. Pour pouvoir l’orienter dans le bon sens. Ce sera le sujet d’un prochain rapport.
[1] Rapport 2023 de la CNCDH « La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie », juin 2024
[2] Conseil d’Analyse Economique, L’immigration qualifiée, un visa pour la croissance, novembre 2021 (page 5)
[3] En juillet 1974, dans un contexte de crise économique consécutive au choc pétrolier de 1973, la France décide officiellement de suspendre l’immigration de travail pour les ressortissants non communautaires (hors CEE). L’État suspend la délivrance des autorisations de travail, restreint l’immigration au regroupement familial et à l’asile.
[4] Eugénie Bastié, “Le lobby de la restauration n’a pas à décider de la politique migratoire de la France”, Le Figaro, 5 mars 2025
[5] Bilan démographique 2024, janvier 2025
[6] Aroyehun et al., Computational analysis of US congressional speeches reveals a shift from evidence to intuition, mars 2025
[7] Gerald Bronner, “La sincérité contre la vérité : comment les démocraties se fissurent”, L’Express, 30 avril 2025
[8] Gérard Noiriel, Le creuset français, Points Histoire, 2016 ; Patrick Weil, Qu’est-ce qu’un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, Gallimard, 2005
[9] Laurent Dornel, “L’appel à la main-d’œuvre étrangère et coloniale pendant la Grande Guerre : un tournant dans l’histoire de l’immigration ?”, Migrations et sociétés, 2014/6
[10] Claire Zalc, Dénaturalisés. Les retraits de nationalité sous Vichy, Seuil, 2016
[11] Emmanuel Blanchard, Histoire de l’immigration algérienne en France, La Découverte, 2018.
[12] Sylvain Laurens, Une politisation feutrée. Les hauts fonctionnaires et l’immigration en France (1962–1981), Belin, 2009.
[13] Campus France, La mobilité étudiante dans le monde, 2014
[14] François Héran, Avec l’immigration. Mesurer, débattre, agir, La Découverte, 2017.
[15] Selon la définition officielle française, un immigré est un étranger né à l’étranger venu en Francefv
[16] INSEE, Immigrés et descendants d’immigrés, Flux migratoires en France et dans les pays européens, mars 2023, International Migration statistics (consulté le 4 mai 2025)
[17] « L’immigration n’est pas une chance », « l’État de droit n’est pas intangible » : Retailleau s’attire les critiques de la gauche et de macronistes”, Le Figaro, 30 septembre 2024
[18] L’indicateur synthétique développé pour le mesurer prend en compte, dans une approche holistique : l’intensité d’embauche, le manque de main-d’œuvre disponible, la non-durabilité de l’emploi, le lien formation-emploi, les conditions de travail contraignantes, l’inadéquation géographique et la non-attractivité salariale.
[19] Les tensions sur le marché du travail en 2021, DARES et France Travail, septembre 2022
[20] Les tensions sur le marché du travail en 2023, DARES et France Travail, avril 2025
[21] Enquête Besoins de main-d’oeuvre, France Travail
[22] France Travail, Besoins en main-d’œuvre : 2,43 millions de postes à pourvoir en 2025 !
[23] France Stratégie, Les métiers en 2030, 2022
[24] Quels sont les métiers des immigrés ?, Dares, juillet 2021
[25] Dr François Arnault, Atlas de la démographique médicale en France 2024, Conseil national de l’ordre des médecins, octobre 2024
[26] 36 % de ces médecins spécialistes diplômés hors de l’Union européenne viennent d’Algérie (et 12 % de Tunisie, soit la même proportion, la Tunisie comptant trois fois moins d’habitants que l’Algérie).
[27] INSEE, Immigrés et descendants d’immigrés, Édition 2023
[28] INSEE, Caractéristiques des emplois 2021, mars 2023
[29] Les actifs immigrés en Île-de-France : leurs métiers, diplômes et origines en 2018, INSEE, octobre 2022
[30] Immigrés et descendants d’immigrés en 2021, INSEE, mars 2023
[31] INSEE, Inactivité, chômage et emploi des immigrés et des descendants d’immigrés par origine géographique, 2024
[32] INSEE, Emploi, chômage, revenus du travail, 2024
[33] Beuve J., Péron M. et Roux B. pour le Conseil d’analyse économique (2021) : « Immigration et difficultés de recrutement », Focus N°073‐2021, novembre
[34] Direction générale des étrangers en France (DGEF) (2020) : Statistiques annuelles en matière d’immigration, d’asile et d’acquisition de la nationalité française, Les chiffres clefs, DGEF, Département des statistiques, des études et de la documentation, 12 juin 2020.
[35] Auriol E. et H. Rapoport, L’immigration qualifiée : un visa pour la croissance, Conseil d’Analyse Economique, novembre 2021.
[36] Orrenius P.M. et M. Zavodny, “Tied to the Business Cycle: How Immigrants Fare in Good and Bad Economic Times”, Migration Policy Institute, novembre 2009
[37] Voir pour le détail Hakim El Karoui, « Les quartiers pauvres ont un avenir », Institut Montaigne, 2020
[38] Les ressources de la protection sociale (en 2023, 956,8 milliards d’euros) se répartissent en quatre grandes catégories : 1. Les cotisations sociales (52,6% du financement total) : 503,6 milliards d’euros, comprenant celles des salariés et non-salariés ; 2. Les impôts et taxes affectés (30,2 %) : 289,2 milliards d’euros, principalement la CSG et la CRDS ; 3. Les contributions publiques (13,2 %) : 126 milliards d’euros ; 4. Les ressources diverses (1,5 %) : 13,9 milliards d’euros. Nous présentons ici les chiffres de 2017 parce que l’étude du Haut conseil du financement de la protection sociale n’a pas été mise à jour… Mais les ordres de grandeur n’ont pas dû beaucoup évoluer.
[39] Rapport sur l’impact de la protection sociale et de son financement sur la distribution territoriale des revenus, Haut Conseil du financement de la protection sociale, novembre 2015
[40] Arnaud Brennetot, “La redistribution géographique des revenus, un outil de cohésion territoriale sous la menace du populisme fiscal”, La Grande Conversation, février 2025
[41] Tableau de bord de l’économie française, INSEE
[42] Le chiffre exact n’est pas encore publié, l’INSEE utilise donc la dernière donnée disponible – celle de 2022 – comme estimation préliminaire.
[43] Dernière année pour laquelle toutes les données sont connues précisément
[44] Trajectoires et Origines 2 : enquête sur la diversité des populations en France, INSEE, 202120 2021
[45] Le trait rouge dans le graphique (Linear) trace la tendance en valeur absolue sur l’ensemble de la période.
[46] Sabrina Volant, Gilles Pison, François Héran, La France a la plus forte fécondité d’Europe. Est-ce dû aux immigrées ?, INED, 2019
[47] Projections de population 2021–2070, INSEE, 2021
[48] Projections de population pour la France – Méthodes et hypothèse, INSEE, 2021
[49] Voir Bechichi N., Fabre M., Olivia T., Projections de la population active à l’horizon 2080, Documents de travail n° 2022–06, Insee,
[50] Les biographies du modèle Destinie II : rebasage et projection, INSEE, février 2014
[51] Emploi, chômage, revenus du travail, INSEE, 2022
[52] Le taux d’activité pour une tranche d’âge est défini comme la population active de cette tranche d’âge divisée par la population totale de cette tranche d’âge. On a ainsi 75,3% = 34 359/45 629.
[53] Il faut alors ajouter le solde migratoire de 120 000 contenu dans la dynamique démographique initiale
[54] Flux migratoires, INSEE, avril 2024
[55] Une actualisation des projections de population active tenant compte de la réforme des retraites de 2023, INSEE, juin 2023
[56] Dans ce cas, le taux d’activité des 55–64 ans converge vers celui observé en Suède en 2021.
[57] https://www.drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2024–12/ER1319_0.pdf
[58] Bertelsmann Stiftung, “Ohne Zuwanderung geht die Zahl der Arbeitskräfte in Deutschland bis 2040 deutlich zurück”, 26 novembre 2024.
[59] Le taux d’emploi varie suivant les métiers : il est plutôt de 90 % par exemple pour les informaticiens indiens ou les soignants philippins.
[60] L’INSEE modélise ses prévisions sur la base de l’âge de départ à la retraite moyen connu à la date de réalisation de leur travail (elle ne fait donc pas de projection dans le temps sur des modifications possibles) à venir.
[61] “En manque de main-d’oeuvre à cause de sa chasse aux immigrés, la Floride envisage le travail de nuit pour les enfants”, Libération, 26 mars 2025.
[62] Voir Hakim El Karoui, “L’intégration des enfants d’immigrés : succès silencieux, échecs criant” in https://www.desideespour2027.fr/post/think-tank