Pour construire un monde commun : l’urgence d’une politique d’intégration
Ce rapport de Terra Nova formule plusieurs propositions qui, toutes, s’inscrivent dans l’objectif plus général de bâtir une politique publique de l’intégration ambitieuse, à même de contribuer à la cohésion de notre société.
La nécessité d’une politique d’intégration a rarement été aussi urgente et pressante qu’aujourd’hui. De nombreux facteurs y concourent. Tout d’abord, il faut prendre en compte l’évidence d’un renforcement durable des flux migratoires, notamment sous l’effet conjugué d’un contexte géopolitique troublé et du facteur climatique. Mais l’enjeu de l’intégration est trop souvent lu à l’aune exclusive de la problématique de la migration, quand il est loin de s’y résumer. Enfin, le débat public autour de ces thèmes, déjà difficile, est rendu quasi impossible par l’extrême tension généré par le contexte sécuritaire consécutif aux attentats commis sur notre sol, qui a facilité des amalgames que d’aucuns s’employaient à entretenir de longue date. Aujourd’hui, la question de l’intégration a du mal à exister dans le débat public, et quand elle est abordée, c’est malheureusement d’une façon qui ne permet un traitement ni équilibré, ni serein, de ses enjeux.
Or, poser cette question de la politique d’intégration, c’est interroger directement ce qui contribue à bâtir la cohésion de la société française, ce qui permet à chacun de ses membres de se projeter dans un avenir commun. Paradoxalement, alors qu’elle s’est longtemps enorgueillie de son « creuset » d’intégration, et qu’elle soit de très longue date une terre d’immigration, la France est en réalité dépourvue d’une politique publique nationale d’intégration. Le thème de l’intégration n’émerge ainsi réellement qu’à la fin des années 1980, et la tentative de structuration qui a alors lieu reste sans lendemain. Depuis lors, et malgré des efforts épisodiques, la politique d’intégration est inféodée à la politique de contrôle des flux migratoires, et accessoire par rapport à la politique de la Ville.
Il s’ensuit des mesures inadaptées, insuffisantes, reposant sur des moyens financiers réduits et centrés sur les seuls étrangers primo-arrivants. L’urgence qui a prévalu dans les réponses apportées à la crise migratoire qui s’est ouverte en 2014 a contribué à accentuer ces déséquilibres.
Le bât blesse, pourtant, comme l’ont démontré tant les travaux de l’INED que ceux de l’OCDE, sur lesquels ce travail s’appuie. Ces travaux convergents soulignent les résultats très insuffisants de la France en matière d’intégration de ses immigrés, mais aussi de leurs descendants. Les marges de progrès sont importantes, même si l’intégration progresse malgré tout de génération en génération. En effet d’autres signaux sont très alarmants, tels que les très fortes inégalités scolaires et dans l’emploi selon l’origine, les discriminations encore très présentes, ou encore le sentiment destructeur d’un « déni de francité ».
Dès lors, ce rapport propose de retenir une approche large de la politique d’intégration, qui ne soit pas cantonnée aux seules premières années sur le territoire des primo-arrivants : les résultats mis en avant, en France comme à l’étranger, démontrent que les enjeux de l’intégration s’étendent sur plusieurs générations. Nous proposons, comme le Haut Conseil à l’Intégration s’y est longtemps évertué, de comprendre l’intégration comme un processus social engageant réciproquement la société d’accueil et la personne venue d’ailleurs. Cette définition, ouverte, permet de souligner que l’identité de nos sociétés n’est pas figée et, au contraire, s’enrichit continuellement des apports des uns et des autres. Elle ne suppose aucune incompatibilité de principe, mais permet également de poser un cadre : l’intégration ne peut être réussie que par des efforts mutuels.
Pour y parvenir, le rapport formule plusieurs propositions qui, toutes, s’inscrivent dans l’objectif plus général de bâtir une politique publique de l’intégration ambitieuse, à la hauteur des enjeux, à même de contribuer à la cohésion de notre société. La politique d’intégration devrait concerner les primo-arrivants, mais également une partie des immigrés présents de longue date ainsi qu’une partie de leurs descendants. L’objectif de la politique d’intégration pourrait se formuler ainsi : donner les moyens à ces publics d’accéder à une participation pleine et entière à la vie sociale, ainsi qu’à une autonomie personnelle au sein de notre pays, et leur garantir les mêmes chances de réussite qu’au reste de la population.
Nos propositions sont de plusieurs ordres :
- institutionnel : il faut ériger la politique d’intégration en politique autonome, s’appuyant sur un périmètre ministériel ad hoc, pour lui permettre d’exister et de mobiliser des moyens adaptés.
- sociétal : cette politique suppose un effort partagé par l’ensemble des acteurs, dans lequel la société civile et les collectivités territoriales doivent trouver leur place.
- technique : les objectifs de la politique d’intégration doivent irriguer l’ensemble des politiques sectorielles, par exemple dans le domaine de la maîtrise du français, de l’accès aux droits sanitaires et sociaux, de l’éducation et de l’emploi.
- et surtout politique : le portage du sujet de l’intégration est une condition nécessaire à l’existence de cette politique.
Finalement, nous appelons de nos vœux une politique d’intégration qui soit un véritable projet de société, à même de construire du commun et ainsi de faire vivre pleinement les valeurs de solidarité et de fraternité de la République.