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Note

Journée du 29 mars : restaurer la confiance en la justice

Appelés à se mobiliser pour une journée de grève et de manifestation sans précédent le 29 mars, les professionnels de la justice poursuivent le mouvement de contestation initié en février, et réclament un « plan d’urgence pour la justice », révélant la profondeur de la crise qui la traverse. Dans une note sur les moyens de la justice, Agnès Martinel montre, en s’appuyant sur le dernier rapport de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ), que la situation du système judiciaire s’est aggravée. Outre l’enjeu des moyens, c’est aussi la confiance placée dans les services de lutte contre la récidive, d’aménagement et de suivi des peines qui est remise en question. Selon Pascal Montfort, toute politique de l’aménagement de peine responsable doit d’abord passer par une politique de moyens. Clarifier les allocations budgétaires et les outils de gestion, redéfinir les conditions de travail des agents sont les conditions d’une confiance restaurée.
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Depuis 2007, on ne compte plus les incidents qui ont opposé le pouvoir exécutif, et en premier lieu le Président de la République, aux professionnels de la justice, parquetiers, juges du siège, magistrats chargés de l’application des peines ou professionnels chargés du suivi et de la réinsertion des condamnés. La question de la récidive, spécifiquement pour des crimes graves, est le plus souvent à l’origine et au centre des polémiques. Aujourd’hui, outre les questions de moyens, c’est la confiance placée dans ces services et leur mobilisation même qui sont en cause.

Encadrer la sortie de prison en favorisant l’insertion sociale et professionnelle a pourtant des effets non discutés sur la récidive : cela doit être un objectif majeur de toute politique pénale. Les chiffres montrent que plus on accompagne les délinquants et les criminels à la sortie de prison, moins les condamnés ont affaire une nouvelle fois à la justice.

Le paysage est il est vrai complexe : au 1 er janvier 2010, l’administration pénitentiaire était chargée du suivi de près de 235 000 personnes (+26 % depuis 2000), dont 61 000 détenus et 174 000 personnes en milieu ouvert. Relèvent du milieu ouvert et de la compétence des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) les personnes condamnées qui n’ont jamais été écrouées (bénéficiaires de mesures alternatives à l’incarcération) ou qui ont bénéficié d’une « levée d’écrou » (libération conditionnelle). Le milieu ouvert occupe une place de plus en plus importante dans le monde pénitentiaire (71,85% de la population pénale au 1 er janvier 2010 et 186 600 mesures pour 174 000 personnes concernées). Toutefois, les « sorties sèches » (sorties de prison sans avoir bénéficié d’aménagement de peine) sont encore majoritaires, avec ce paradoxe que les condamnés concernés, parce qu’ils ne remplissent pas les conditions d’un aménagement de peine, du fait de leur profil criminologique, se trouvent amenés vers le mode de sortie de prison le moins préparé, ce qui induit le plus grand risque de récidive.

La loi pénitentiaire votée en novembre 2009 a transformé de fond en comble les logiques d’aménagement des peines de prison, avec des intentions auxquelles on pouvait souscrire : le principe n’est désormais plus la prison mais l’aménagement de peine.

En changeant de logique pénale, le parlement a voulu sortir de la logique du tout pénitentiaire et a enjoint à la société de prendre des risques supplémentaires de façon encadrée sur le court terme pour accroître les chances de réinsertion des délinquants et donc, à terme, pour pacifier davantage la société en limitant les atteintes aux biens et à la personne.

Malheureusement, cette logique semble aujourd’hui délaissée en faveur de discours tendant à capitaliser sur l’émotion, y compris en cherchant et en désignant des responsables au sein du monde judiciaire.

Augmentation de la pression, baisse des moyens, mise en cause par le politique : le résultat est une « crise de la justice » sans précédent. Cette crise était annoncée par le Parlement et par la Cour des comptes et elle était parfaitement évitable. Il faut aujourd’hui rechercher les moyens d’en sortir.

1 – Une crise annoncée : les vices de conception de la loi pénitentiaire

La loi pénitentiaire votée le 24 novembre 2009 s’inscrit dans une logique de conciliation de la protection de la société, de la sanction du condamné et des intérêts de la victime. L’objectif premier du texte est donc la réinsertion de la personne détenue « afin de lui permettre de mener une vie responsable et de prévenir la commission de nouvelles infractions. » Ainsi, la loi garantit d’abord aux détenus un certain nombre de droits fondamentaux. Elle renforce ensuite le principe selon lequel les peines sont aménagées lorsque la personnalité ou la situation du condamné le permettent. Enfin, conçue aussi pour lutter contre la surpopulation carcérale, la loi pénitentiaire donne au juge de l’application des peines la possibilité d’aménager les peines de prison inférieures à deux ans, et permet de façon systématique un placement sous surveillance électronique pour les quatre derniers mois d’emprisonnement. Le juge d’application des peines doit donc éviter à tout prix une sortie dite sèche, c’est-à-dire sans aménagement, qui présente statistiquement plus de risque en terme de récidive.

Ce texte, incontestable du point de vue des objectifs et des principes, impliquait cependant la mise en œuvre des moyens nécessaires à son application. Or, c’est là que le bât blesse, le dispositif budgétaire n’a pas été à la hauteur des enjeux.

1.1 – L’insuffisance des moyens prévus par le gouvernement

Les aménagements de peine, qui constituent une solution pour réguler la population carcérale, ont connu une forte croissance (+94,2 % depuis 2002, augmentation qui s’explique pour l’essentiel par le quintuplement des aménagements de peine sous écrou – placement sous surveillance électronique mobile, semi-liberté, placement à l’extérieur).

Dans l’étude d’impact de la loi pénitentiaire en 2009 [1] , le gouvernement indiquait qu’environ 200 000 personnes étaient suivies en milieu ouvert et fermé, par 2 700 travailleurs sociaux (dont 2 500 sont en charge de suivi de dossiers), soit environ 80 dossiers par travailleur social.

Le gouvernement constatait qu’au regard de la politique mise en place visant à l’augmentation du nombre d’aménagements de peine, notamment de l’augmentation à 2 ans du reliquat de peine maximal pour être admissible à un aménagement de peine sous écrou, ab initio ou en fin de peine, on peut estimer que le nombre de personnes devant être suivies par les travailleurs sera porté au minimum à 210 000 par an.

Les conclusions de l’étude d’impact méritent d’être citées : « afin de faciliter la mise en œuvre des aménagements de peine, il apparaîtrait nécessaire de passer de 80 à 60 dossiers par conseiller d’insertion et de probation, ce qui nécessiterait la création de 1 000 postes de CIP pour un coût salarial total de 32 844 000 euros, outre le coût d’investissement ».

Or, le projet de loi de finances pour 2011 soumis au Parlement ne prévoyait pas d’efforts spécifiques et notables pour l’aménagement de peine. A titre d’exemple, le concours ouvert pour recruter des conseillers d’insertion et de probation, c’est-à-dire des travailleurs sociaux, était organisé sur la base de 75 postes, aucun poste n’étant ouvert pour les postes de directeur d’insertion et probation.

Une politique de moyens doit donc être la première pierre d’une politique de l’aménagement de peine responsable, et donc la première phase du scénario de sortie de crise. Au 1 er janvier 2011, ces services doivent gérer plus de 235 000 peines. La loi a en effet accru les missions confiées aux SPIP. Les moyens budgétaires prévus par le gouvernement ne permettaient cependant pas de faire face à ces nouvelles missions. Restait donc à savoir ce que le Parlement allait faire de ce projet. Mais loin de provoquer une rupture avec la logique financière du projet, le Parlement a entériné les risques.

1.2 – Le Parlement a entériné des prises de risques en termes de récidive

Les commissions des lois de l’Assemblée nationale et du Sénat étaient informées des risques et des paradoxes de la loi pénitentiaire et l’ont votée en toute connaissance de cause.

Dans le rapport rédigé pour la commission des lois de l’Assemblée nationale, le député et ancien juge Jean-Paul GARRAUD [2] rappelle le « nécessaire renforcement des moyens des services pénitentiaires d’insertion et de probation ». Il indique que la mission d’information de la commission des Lois de l’Assemblée nationale sur l’exécution des décisions de justice pénale avait préconisé dans son premier rapport de décembre 2007 [3] un renforcement des moyens alloués aux travailleurs sociaux du service d’insertion et de probation (SPIP) visant à l’augmentation des effectifs de 25 % en cinq ans. Il notait que d’importants recrutements avaient été réalisés entre 2002 et 2007 pour renforcer les SPIP, mais qu’ils demeuraient encore largement insuffisants. Le total des effectifs d’insertion et de probation est ainsi passé de 2 101 à 3 050 agents, tous grades confondus, représentant 2 885 équivalents temps plein travaillé (ETPT). Le rapport indique néanmoins que cette augmentation, qui était tout à fait indispensable, n’a pas permis aux SPIP de disposer de davantage de temps pour le suivi de chaque mesure qui leur était confiée, ni à chaque agent des SPIP de voir le nombre de mesures dont il est saisi baisser significativement.

Les parlementaires en 2009 constatent que depuis 2005, l’augmentation du nombre de mesures de milieu ouvert, passé de 125 000 en 2005 à 146 000 en 2007, les moyens consacrés à la préparation des projets d’insertion et d’aménagement de peine en milieu fermé, l’exécution d’un nombre considérable de mesures en attente, ainsi que les nouvelles tâches confiées aux SPIP ont absorbé l’essentiel des nouveaux moyens qui leur ont été alloués, sans permettre d’améliorer ni les conditions de travail des agents ni la qualité du suivi mis en place.

Dès 2009, le Parlement est informé que la norme tacite assez communément répandue fixe à une fourchette de 80 à 100 le nombre de mesures que peut suivre un travailleur social, mais qu’il existe un grand nombre de SPIP au sein desquels chaque agent a la charge de suivre un nombre de mesures compris entre 100 et 200, et ce « au détriment de l’intensité et de la qualité du suivi ». Une étude réalisée dans l’Indre en 2005 estimait ainsi que, compte tenu du nombre de dossiers confiés à chaque agent et des autres tâches diverses (comptes rendus, réunions…), le temps disponible pour le suivi de chaque mesure était de 8 heures par an, soit un temps beaucoup trop faible pour assurer un suivi de qualité. D’autres SPIP ont fait le choix de privilégier la qualité du suivi en appliquant cette norme de 80 à 100 dossiers par agent, au détriment du taux et des délais d’exécution des mesures, puisque ce choix aboutit à la constitution de stocks et à la mise en attente de mesures.

Avant même l’entrée en application de la loi pénitentiaire en 2009, alors qu’il fallait alors assumer le suivi de 200 000 peines, le rapporteur estimait que la situation obligeait les travailleurs sociaux à choisir entre qualité du suivi et rapidité de sa mise en place [4] .

Le projet de loi pénitentiaire vient encore accroître les missions dévolues aux SPIP. Devant les députés, le professeur et ancien juge constitutionnel Jacques-Henri Robert a tiré la sonnette d’alarme en indiquant qu’élargir « les possibilités de conversion et d’aménagement de peine au profit de nouveaux condamnés suppose qu’un personnel nombreux, qualifié et surtout bien motivé s’occupe d’eux à l’extérieur de la prison ». Selon lui, sans d’importants efforts pour réorganiser les services et rehausser l’opinion que les agents de l’administration pénitentiaire ont d’eux-mêmes, « la loi pénitentiaire ne sera qu’une grâce collective déguisée ».

Les rapports des commissions des lois du Sénat et de l’Assemblée nationale concluent nettement que les aménagements de peine proposés aux détenus doivent avoir un contenu socio-éducatif : un simple placement sous bracelet électronique sans accompagnement ou des aménagements octroyés sans réel effort de réinsertion ne permettront pas de prévenir efficacement la récidive.

En outre, la commission des lois du Sénat [5] reprend expressément les avertissements de l’étude d’impact du gouvernement par la loi pénitentiaire. Le Sénat juge ainsi nécessaire de réduire de 80 à 60 le nombre des dossiers suivis par chaque conseiller d’insertion et de probation, ce qui supposerait la création de 1 000 postes supplémentaires pour un coût salarial total de 32,8 millions d’euros, sans compter les dépenses d’investissement.

La loi pénitentiaire ne prévoit aucune disposition budgétaire. Il apparaît clairement qu’une politique d’octroi de moyens adaptés aurait été de nature à diminuer les risques sur les atteintes aux personnes et aurait permis de répondre à un des objectifs prioritaires de la loi pénitentiaire.

En tout état de cause, l’évaluation des besoins à 32,8 millions d’euros faite par l’étude d’impact de 2009 est un chiffre dérisoire pour assumer des objectifs politiques responsables en matière d’aménagement de peine. La mise en place de moyens doit être la première pierre d’une politique de l’aménagement de peine responsable et donc la première phase du scénario de sortie de crise. En outre, la réalisation des objectifs que le législateur s’était fixés, appelait certes des moyens, mais aussi une gestion administrative rigoureuse. Or, tel n’a pas été le cas. Il convient donc aujourd’hui de clarifier les allocations budgétaires et les outils de gestion.

2 – Une nécessaire clarification des allocations budgétaires et des outils de gestion

Pour sortir de cette crise, la mise en œuvre de moyens nouveaux est indispensable. Le message adressé aux professionnels de la justice serait fort et bien perçu. Mais les difficultés rencontrées dans le contrôle des services d’insertion et de probation supposent d’aller au-delà, par une clarification des allocations budgétaires et des moyens de gestion.

2.1 – Le budget du Service pénitentiaire d’insertion et de probation : un objet non identifié

Le rapport de la Cour des comptes consacré au « service public pénitentiaire : prévenir la récidive, gérer la vie carcérale » de juillet 2010 indique que le total des crédits consacrés à l’activité des services d’insertion et de probation est inclus dans le programme 107 « Administration pénitentiaire » et que le chiffrage présente un « caractère estimatif » [6] .

Compte tenu des estimations actuelles, le total des crédits consacrés à l’activité des SPIP se serait donc établi en 2008 à environ 190 M€, soit près de 8 % du total des crédits consommés au cours de cet exercice sur le programme 107 « Administration pénitentiaire », sur un montant de 2,4 Milliards d’Euros.

Ce constat n’est pas nouveau. En 2006, dans un rapport sur les conditions de la réinsertion socioprofessionnelle des détenus en France, le Conseil économique, social et environnemental soulignait que la part du budget de l’Administration pénitentiaire consacré à la réinsertion des détenus était faible (11% en 2005) et que cette part était également insuffisante au regard des objectifs que cette Administration s’était elle-même fixés dans le cadre de la LOLF. Le Conseil note que parmi les sept objectifs fixés, cinq concernent directement ou indirectement la réinsertion des détenus.

Il est évident que ces constats traduisent la place encore très faible qu’occupe l’activité d’insertion et de probation dans le budget de fonctionnement du service public pénitentiaire. Le communiqué de presse de la Cour des comptes parle de budget « négligeable ». Il apparaît que l’objectif constitutionnel de sincérité de la loi de finances est ici battu en brèche, alors même que l’affichage politique valorise ce budget comme le seul programme du ministère de la justice qui dispose d’une augmentation dans la loi de finances 2011. En somme, il est possible de douter que le budget de cette année prévoie des moyens supplémentaires pour l’insertion et la probation.

Pour remédier à ces difficultés, la Cour des comptes indiquait dès juillet 2010 que, compte tenu du caractère estimatif de ce chiffrage, il serait souhaitable que la Direction de l’administration pénitentiaire isole dans ses documents budgétaires la part des crédits consacrés à l’activité des SPIP. Cette clarification doit passer par le développement d’une comptabilité analytique des coûts et par la ventilation des dépenses de personnel entre les différents services de l’administration pénitentiaire [7] .

En outre, l’analyse des dépenses de fonctionnement des SPIP montre qu’elles pèsent fortement dans leur budget d’ensemble, ce qui limite d’autant les moyens d’intervention : à l’exception des départements où les crédits de la politique de la ville abondent les dotations disponibles, les dépenses de fonctionnement (hors dépenses de personnel) s’établissaient en 2007 à près de 50% du budget total consacré aux SPIP. Les gestionnaires doivent donc optimiser l’allocation des moyens, notamment en limitant les frais immobiliers et de déplacements pour concentrer les moyens budgétaires sur le traitement individualisé apporté aux délinquants. De la même manière, les gestionnaires doivent disposer d’outils comptables pour mettre fin à la différence de moyens qui existe entre les différents services d’insertion et de probation.

Au surplus, la performance des SPIP en matière d’aménagements de peine doit aussi s’apprécier au regard de leurs délais d’examen pour produire une proposition. Sans que l’administration centrale ait pu fournir de données précises, celles tirées des rapports d’activité de certains SPIP permettent de se faire une idée de la situation. Dans les Yvelines par exemple, 10% des procédures 723–15 [8] n’ont donné lieu à aucune proposition d’aménagement de peine, en raison des délais de traitement du SPIP.

La sortie de crise passe par la création d’un programme ou d’une action budgétaire spécifique dans la LOLF pour le service pénitentiaire d’insertion et de probation avec des objectifs et des critères d’efficacité propres.

2.2 – Restaurer la confiance avec les professionnels

La mobilisation médiatique des professionnels de la justice, qui est historique, révèle une crise de confiance grave. Un sondage récent souligne que 61% des personnes interrogées soutiennent le mouvement [9] .

Le nombre de dossiers suivis par un conseiller d’insertion et de probation varie, selon les services, de 60 à 180, selon le rapport de la Cour des comptes [10] , qui décrit des « ressources humaines précaires et tendues ». En comparaison, les spécialistes canadiens du suivi de la délinquance disposent de 20 à 30 dossiers pour prévoir des projets de réinsertion sociale et de suivi.

Compte tenu des récents rapports qui tendent à éclairer l’affaire de Pornic [11] , il apparaît qu’un bilan complet de la situation des services pénitentiaires d’insertion et probation doit être mené pour sortir de la crise et permettre aux professionnels qui assument des fonctions très délicates de disposer de toute la confiance dont ils ont besoin.

L’examen des conditions de travail par le biais de l’outil statistique et de la sociologie indique que les conditions de gestion du personnel et de l’action sont centrales dans la réalisation des nouveaux objectifs assignés par la loi pénitentiaire. Sans conditions de travail acceptables, le traitement du suivi des condamnés ne sera pas effectué de manière optimale, entrainant des risques pour les concitoyens.

La Cour des comptes constate à cet effet que les professionnels de l’insertion et de la probation présentent le profil suivant : ils sont jeunes, souvent diplômés de Bac +2 à Bac +5 et, lors de leur entrée en fonction, ils ne bénéficient pas d’un dispositif d’encadrement suffisant (on compte un responsable pour 9,4 personnels). Les pré-affectations se concentrent dans des SPIP situés dans le quart Nord Est de la France, principalement en Ile-de-France et dans le département du Nord. A titre d’exemple, sur les 48 travailleurs sociaux en poste en 2009 à l’antenne de Fleury-Mérogis, 15 seulement avaient plus de deux ans d’expérience, de sorte qu’ils sont souvent seuls à gérer des dossiers difficiles : multirécidivistes, criminels, problématiques psychiatriques ou addictives.

Les professionnels de l’insertion et de la probation sont fragilisés : il faut redéfinir de façon réaliste les conditions de travail. Cela passe par une redéfinition du cadre décisionnel et des objectifs.

La création des services pénitentiaires d’insertion et de probation est récente et l’identité professionnelle de leurs conseillers est en construction. Cette création résulte d’une volonté d’autonomisation des services pénitentiaires par rapport à l’autorité judiciaire [12] . La phase de « judiciarisation de l’aménagement de peine » initiée dans les années 1990 a suivi la phase d’ « humanisation de la peine » [13] initiée dans les années 1970. En milieu ouvert, ce sont désormais les directeurs des services pénitentiaires d’insertion et de probation, et non les juges d’application des peines, qui définissent les modalités de mise en œuvre des mesures qui leur sont confiées [14] .

Dans le cadre des orientations nationales et par voie de directive, les directeurs des SPIP, qui sont soumis hiérarchiquement au ministre de la Justice, définissent ainsi avec la participation des personnels des services pénitentiaires d’insertion et de probation les principes clés d’organisation et de fonctionnement du service, les objectifs fixés et les méthodes d’intervention dans les différents champs de compétence. Comme le précise une circulaire de la direction de l’administration pénitentiaire de mars 2008, il appartient au directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation de définir et de formaliser en concertation avec les équipes des modalités de suivi différencié choisies en fonction de l’analyse de la population suivie et des moyens disponibles.

Les choix des priorités du suivi des condamnés ayant bénéficié d’un aménagement de peine sont ainsi définis par l’administration qui doit informer le juge d’application des peines des modalités du contrôle de la probation et de l’insertion. Cette articulation n’est pas sans poser des difficultés. Dans l’affaire de Pornic, le rapport de l’inspection générale des services judiciaires a montré que les modalités de circulation des informations entre l’administration, le juge et le procureur n’ont pas été optimales, notamment du fait de l’absence de transmission régulière de l’état détaillé de l’exécution des mesures confiées [15] . En somme, les juges d’application n’ont pas été suffisamment informés par l’administration de la réalité des moyens humains et matériels engagés pour appliquer leurs décisions.

Il est donc impératif de permettre au juge de disposer en temps réel des moyens mis en œuvre par l’administration pénitentiaire pour exécuter ses décisions et de lui permettre d’émettre un avis sur cet état de fait. A défaut, son pouvoir juridique sera ineffectif et sa mission vaine.

Un cadre réglementaire est nécessaire. Un décret doit préciser les modalités de concertation entre les autorités judiciaires et administratives, et les modalités d’exercice de l’obligation d’information du juge de l’application à la charge du directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation.

Concernant les objectifs d’insertion et de probation proprement dits, des bonnes pratiques professionnelles existent et ont été expérimentées par l’administration pénitentiaire.

L’exemple de la direction du service pénitentiaire d’insertion et de probation du Val de Marne pourrait être généralisé par le biais d’une réglementation : en partenariat avec les juges d’application des peines du Tribunal de grande instance de Créteil, les travailleurs sociaux adaptent l’intensité du suivi en fonction du passé du délinquant, de la nature des faits et du comportement adopté par le condamné lors des premiers entretiens. Le suivi administratif s’applique pour les condamnés qui présentent des garanties de réinsertion confirmées, le contrôle se limitant à un recueil des documents attestant que la personne se soumet au suivi ; le suivi intensif s’applique à des personnes qui présentent des parcours de délinquance plus prononcés et qui ne répondent pas systématiquement aux rendez vous et aux prescriptions propres à l’aménagement des peines ; le suivi individualisé s’applique aux personnes qui sortent de peines très longues, ou qui sont excessivement désinsérées. En somme, la logique de ce suivi prend en considération la situation et l’historique pénal de la personne, pour lui allouer des moyens de fonctionnement et de personnel adaptés.

Pour restaurer la confiance, il est urgent de mettre en place un dispositif de suivi différencié pour permettre aux agents de faire des choix, et ce, en toute légalité, mettant ainsi un terme à l’hypocrisie déjà dénoncée par les parlementaires et la Cour des comptes, ainsi que par les inspections internes au Ministère de la Justice.

De la même manière, pour rassurer les magistrats dans leurs pratiques, notamment celle de l’aménagement des peines, une clarification de la position du ministère sur l’interprétation à donner aux notions de faute personnelle et de faute de service s’avère indispensable. La responsabilité des magistrats peut être engagée sur le fondement de l’article 11 de la loi organique qui permet depuis la dernière révision constitutionnelle de 2008 de mettre en cause la responsabilité d’un magistrat devant le Conseil supérieur de la Magistrature. La position du ministère doit être claire pour permettre aux magistrats de se positionner professionnellement en connaissance de cause concernant leur responsabilité juridique.

Une circulaire ou un décret sur l’étendue de la protection fonctionnelle s’avère ainsi indispensable à bref délai pour dissiper les craintes légitimes. La confiance et la sérénité du travail des professionnels du Ministère de la Justice est à ce prix.

Conclusion

Au delà de ces améliorations, il semble que c’est toute la philosophie des politiques menées qui devrait être analysée. Les politiques publiques de prévention de la récidive peuvent-elles continuer à être mises en œuvre dans ce climat d’opposition permanente entre le pouvoir exécutif, l’autorité judiciaire et l’Administration ? La mise en cause de la responsabilité des professionnels, qu’ils soient magistrats ou conseillers d’insertion et de probation, dans un contexte de pénurie accrue par la révision générale des politiques publiques, ne peut que conduire à une impasse. L’exemple canadien nous démontre que d’autres choix sont possibles, qui permettent un travail en commun des professionnels de la délinquance et des politiques afin de trouver les solutions utiles et raisonnables à la problématique de la récidive. Au Canada, en effet, l’évaluation des capacités du détenu et de sa dangerosité détermine l’affectation en établissement et conditionne son parcours d’insertion. Dans ce cadre, ont été développés quatre programmes de réinsertion pour prévenir la récidive : programmes d’acquisition des compétences psycho-sociales, programme de prévention de la violence, programme contrepoint et programme pour délinquants sexuels.

Sans parler de modèle à transposer, ces politiques peuvent être source d’inspiration. Un tel sujet de société requiert en effet un travail en commun de tous les acteurs pour des politiques publiques cohérentes. La question va au-delà du bien-être des professionnels qui est une condition nécessaire mais non suffisante. Elle touche à la problématique de la cohésion de nos politiques de prévention contre la délinquance. Le véritable enjeu est l’efficacité.

  1. Etude d’impact du texte sur la loi pénitentiaire établi par le gouvernement. Annexe 2, p. 270.

  2. Rapport de la commission des lois de l’Assemblée nationale fait par Monsieur Jean-Paul GARRAUD, député UMP, p. 40–41.

  3. Rapport de M. Étienne BLANC, au nom de la mission d’information sur l’exécution des décisions de justice pénale.

  4. Des rapports internes au Ministère de la justice signalaient une situation problématique concernant les moyens de fonctionnement. S’agissant des frais de déplacement, l’Inspection générale des services judiciaires a estimé en 2006 que les SPIP étaient « sous dotés en véhicules de service, ce qui oblige les travailleurs sociaux à utiliser le leur pour réaliser les déplacements fréquents imposés par leur fonction. »

  5. Rapport de la commission des lois du Sénat sur la loi pénitentiaire, p. 58.

  6. Le rapporteur de la Cour de compte indique qu’en décembre 2009, la Direction de l’administration pénitentiaire en charge du suivi du service d’insertion et de probation a estimé le budget à un montant de 148,743 M€, au titre de l’exercice 2007, mais n’apporte aucune précision quant à la déclinaison de ce montant.

  7. Un programme de gestion installé en janvier 2011 au Ministère de la justice devrait être en mesure d’établir une réalité comptable plus sincère, mais aucune communication écrite n’a été faite sur ce point de manière publique.

  8. L’article 723–15 du code de procédure pénale permet au condamné à une peine d’emprisonnement de moins de 2 ans, qui n’a pas fait l’objet d’un emprisonnement tout de suite après l’audience suite à un mandat de dépôt, de déposer une requête devant le juge pour demander un aménagement de peine : modifier l’emprisonnement en amende par jour de prison, en travail d’intérêt général, ou en une période avec un dispositif de surveillance électronique.

  9. Rapport du Conseil supérieur de la Magistrature 2009.

  10. Le ratio de personnes suivies par un conseiller en France était ainsi de l’ordre de 84 en 2009, contre 80 environ en 2006.

  11. Le rapport de l’inspection générale des services judiciaires de février 2011 pointe l’absentéisme chronique de travailleurs sociaux du SPIP nantais. L’absentéisme dans la fonction publique peut être révélateur de dysfonctionnements professionnels (Cf. Rapport IGSJ Février 2011 n°13/2011).

  12. Décret n° 99–276 du 13 avril 1999 portant création des services pénitentiaires d’insertion et de probation.

  13. Intervention de Robert Badinter au colloque organisé au Sénat sur l’aménagement de peine en 2009 par l’Association nationale des juges de l’application des peines.

  14. Circulaire en date du 19 mars 2008 relative aux missions et aux méthodes des SPIP, direction de l’administration pénitentiaire, sous-direction des personnes placées sous main de justice.

  15. Rapport IGSJ, février 2011, n°13/2011, p. 20.

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