Aller au contenu de la page
Note

Réforme du CSM : l’indépendance de la justice n’est pas au rendez-vous

Le nouveau Conseil supérieur de la magistrature, issu de la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, s’est réuni pour la première fois le 3 février dernier, dans un contexte houleux de remise en cause des magistrats par le chef de l’État. Destiné à répondre à une attente d’approfondissement des garanties d’indépendance de la justice, le CSM nouveau ne se libère de l’emprise de l’exécutif qu’en apparence, et n’est guère à l’abri, dans sa composition et le mode de désignation de ses membres, d’une sujétion politique. Il se heurte par ailleurs aux problèmes de son autonomie budgétaire et des limites de son pouvoir consultatif. Dans ces conditions, il paraît difficile pour le CSM d’assurer sa mission de garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire.
Publié le 

SYNTHESE 
 

C’est dans un contexte de crise que le nouveau Conseil supérieur de la magistrature (CSM) commence son existence plus de deux ans après la réforme constitutionnelle qui l’a créé. Depuis une semaine en effet, les magistrats sont en grève, une grève très suivie dans plus de cent cinquante tribunaux de grande instance. La réaction est forte, à la mesure des propos du chef de l’Etat, qui a désigné les magistrats comme étant responsables du meurtre d’une jeune fille à Nantes. L’individu mis en examen dans cette affaire, déjà condamné, se trouvait au moment des faits sous le coup d’une mesure de sursis mise à l’épreuve qui n’avait pas été mise à exécution. Un budget insuffisant, des moyens sollicités mais jamais accordés : les juges ont renvoyé la responsabilité à l’Etat, qui n’a pas voulu entendre.

Dans ce climat difficile, le CSM nouveau a réussi cependant à se prononcer, rappelant que les sanctions disciplinaires des magistrats ne peuvent résulter que de la mise en œuvre de procédures conduites devant lui, et décidant que sa première visite de juridiction serait consacrée au tribunal de grande instance de Nantes. Une telle intervention de sa part était loin d’être évidente. Si, selon la volonté du constituant, ce nouveau CSM est destiné à répondre à une attente d’approfondissement des garanties d’indépendance de la justice, il est permis en vérité de se demander si cet objectif est à sa portée.

La réforme en effet apparaît comme un rendez-vous manqué. Conformément aux préconisations du rapport Balladur, le président de la République ne préside plus le CSM. Mais la sortie de l’exécutif est loin d’être une réalité. Le garde des Sceaux continue de participer aux séances.Par ailleurs, si le CSM est davantage ouvert sur la société civile avec des personnalités extérieures en nombre supérieur aux magistrats, le mode de désignation de celles-ci, qui s’inspire de celui des membres du Conseil constitutionnel, ne garantit en rien une représentation pluraliste à l’abri des dérives partisanes. On est loin, pour ce qui concerne la désignation des personnalités extérieures, de certains modèles européens, où l’élection par le Parlement à une majorité qualifiée permet d’assurer un réel pluralisme.

Par ailleurs, la question de l’autonomie budgétaire n’est pas aujourd’hui réglée : les modalités de celle-ci restent à concrétiser. Le pouvoir de nomination connaît des avancées timides, les magistrats du parquet étant désormais tous nommés après avis simple de la formation parquet. L’instauration pour ces magistrats d’un avis conforme, qui est la règle pour les magistrats du siège, aurait pu permettre un alignement des carrières, tout en trouvant une issue à la question de l’indépendance du Ministère Public, plus que jamais d’actualité. Par ailleurs, le pouvoir consultatif est limité, la nouvelle « formation plénière » du CSM se trouvant privée de la faculté, instaurée par la pratique des précédents CSM, d’émettre des avis spontanés en cas d’atteinte à l’indépendance de la magistrature.Enfin, seule innovation importante, tout justiciable pourra désormais, à l’occasion d’une procédure le concernant, saisir le CSM d’une plainte à l’encontre d’un magistrat si son comportement est constitutif d’une faute disciplinaire. En dehors de cette disposition réellement novatrice, mais dont il faudra apprécier les effets pratiques, la réforme a comme un goût d’inachevé.
 

NOTE 

Organe constitutionnel chargé d’assister le président de la République, garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire, le Conseil supérieur de la Magistrature (CSM), qui intervient dans les nominations et la discipline des magistrats, a fait l’objet d’une réforme par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008. Cette réforme, intervenue après la crise de l’institution judiciaire consécutive à l’affaire d’Outreau, s’affiche comme inspirée par le souhait de rétablir la confiance entre la justice et les citoyens.

Apparu pour la première fois en France avec la loi du 30 août 1883 relative à l’organisation judiciaire, le Conseil supérieur de la Magistrature a connu une consécration constitutionnelle avec la IVe République. Son organisation était alors très spécifique. La Constitution de 1946 l’avait ainsi placé sous la présidence du président de la République et la vice-présidence du garde des Sceaux. Il comprenait six personnalités élues pour six ans par l’Assemblée Nationale à la majorité des deux tiers, quatre magistrats élus par leurs pairs, et deux membres désignés par le Président de la République en dehors du Parlement et de la magistrature. L’article 84 de la Constitution disposait que le président de la République nommait les magistrats du siège sur présentation du Conseil. Il avait également confié à ce dernier « la discipline des magistrats, leur indépendance et l’administration des tribunaux judiciaires ».

La Constitution de 1958 fait du président de la République le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Les constituants, refusant le terme de « pouvoir judiciaire », dessinent un organe chargé d’assister le président de la République dans sa mission. Le CSM propose les nominations des magistrats de la Cour de cassation et les premiers présidents de cours d’appel. Il donne un avis simple sur les propositions du ministre de la Justice pour les nominations des autres magistrats du siège. Il n’exerce aucune mission en ce qui concerne les magistrats du parquet. Le CSM ne comprend que des membres désignés par le Chef de l’Etat. Cette situation va s’avérer peu à peu inadaptée, ce mode de désignation faisant peser un réel soupçon sur l’indépendance des membres du Conseil et altérant l’autorité de celui-ci.

En 1993, une réforme donne au CSM, dont le président de la République demeure le président et le ministre de la justice le vice-président, des attributions élargies et de nouvelles garanties d’indépendance. La formation compétente pour les magistrats du parquet est instituée, le CSM comprenant désormais deux formations, l’une pour le siège, l’autre pour le parquet. Chaque formation est désormais composée de six magistrats élus par différents collèges, de trois personnalités désignées respectivement par le président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat. A l’égard des magistrats du siège, les attributions sont renforcées, le pouvoir de proposition est désormais étendu aux présidents des tribunaux de grande instance. En outre, à l’avis simple, qui était la règle pour les autres nominations, est substitué l’avis conforme. Une nomination ne peut intervenir, dès lors, que si l’avis est favorable. S’agissant du parquet, est instauré l’avis simple pour toutes les nominations, sauf pour les Procureurs généraux nommés en conseil des ministres.

La révision constitutionnelle de 2008 allait être l’occasion de discuter à nouveau de cet organe constitutionnel. Le comité Balladur chargé des travaux préparatoires préconise que le président de la République ne préside plus le CSM. Mais il ne va pas plus loin, la désignation du nouveau président relevant de la nomination par le Chef de l’Etat.

S’inscrivant dans la logique de ces préconisations, la loi constitutionnelle adoptée le 23 juillet 2008 a ainsi profondément modifié la composition du Conseil supérieur de la magistrature. A cette rénovation, s’ajoute une innovation majeure mettant en œuvre les préconisations de la Commission d’enquête parlementaire constituée sur l’affaire d’Outreau : l’instauration d’un système de plaintes des justiciables à l’encontre de magistrats. Désormais, les justiciables auront la possibilité de saisir directement le CSM s’ils estiment que le comportement d’un magistrat dans l’exercice de ses fonctions peut constituer une faute disciplinaire.

Cette nouvelle architecture parachevée par la décision du Conseil constitutionnel du 19 juillet 2010 et la loi organique du 22 juillet 2010, satisfait-elle toutefois à l’objectif énoncé par le constituant qui est de  répondre à la demande d’approfondissement des garanties d’indépendance de la justice ? Fait-elle du CSM, selon la formule de J. Gicquel, la « clef de voûte de l’indépendance de l’autorité judiciaires » ? Rien n’est moins sûr.
        
La composition et le mode de désignation de ses membres, qui laissent encore trop de place à l’exécutif, ne mettent pas le nouveau CSM à l’abri d’une sujétion politique qui, pour ce qui est de la dernière mandature du précédent CSM, a bien souvent été suspectée. Or, l’institution judiciaire plus que toute autre, en raison du principe constitutionnel de l’indépendance, doit pouvoir compter sur une impartialité réelle dans les nominations des juges et des procureurs. Par ailleurs, le constituant et le législateur organique, par le maintien d’attributions très réduites, continuent de faire du CSM une instance qui n’apparaît pas à la hauteur des enjeux. Seule la nouvelle possibilité pour les justiciables de saisir directement le Conseil supérieur de la magistrature représente une avancée dans l’extension des compétences du CSM. La mise en œuvre d’un contrôle démocratique de la déontologie des magistrats est un enjeu déterminant pour la restauration de la confiance des citoyens dans la justice. Encore faudra-t-il que la réforme n’ouvre pas la voie à des mises en cause illégitimes des magistrats et n’aboutisse à paralyser ou déstabiliser l’action judiciaire, mais garantisse un examen impartial des plaintes, dans un délai raisonnable. 
 
Pour de nombreux commentateurs, cette réforme est un rendez-vous manqué et ne va pas jusqu’au bout de sa logique. S’il s’agissait d’ouvrir la justice sur la société, tout en la rendant plus indépendante, on peut prédire que l’objectif sera loin d’être atteint. Cette rénovation du CSM se présente en réalité comme « une vraie fausse réforme ». Malgré sa nouvelle composition, le CSM rénové n’est pas débarrassé de l’emprise du pouvoir exécutif. L’abrogation de la disposition ancienne qui confiait au président de la République la présidence de l’institution traduit en réalité une fausse sortie de l’exécutif (I). En outre, les attributions conférées au CSM, dans un contexte de défiance grandissante des politiques à l’égard de la justice, révèlent une fausse extension de ses pouvoirs (II).

    
1 – LA FAUSSE SORTIE DE L’EXECUTIF

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, parachevée par la loi organique du 23 juillet 2010,  apporte des modifications marquantes à la composition du Conseil supérieur de la magistrature :

     – Elle met fin à la présidence du CSM par le Président de la République. La présidence des formations est désormais assurée par le premier président de la Cour de cassation pour les magistrats du siège, et par le procureur général pour ceux du parquet ; 
     – Elle met fin à la vice-présidence de droit du ministre de la justice. Celui-ci n’est plus membre du CSM, mais peut participer aux séances de ses formations, sauf en matière disciplinaire ;

     – Elle ouvre davantage la composition du CSM sur la société civile, en ajoutant à six membres élus issus de la magistrature et au conseiller d’Etat, un avocat et six personnalités qualifiées – au lieu de trois auparavant – n’appartenant ni au Parlement, ni à l’ordre judiciaire, ni à l’ordre administratif ;

     – Elle institutionnalise la formation plénière ;

     – Elle crée des commissions d’admission des requêtes.

1.1 – UNE COMPOSITION DU CSM ENCORE SOUS L’EMPRISE DE L’EXECUTIF
 

Si la réforme a prévu le retrait du président de la République, l’article 64 de la Constitution demeure curieusement inchangé en ce qu’il prévoit que le président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Une telle disposition ne va pas sans poser difficulté. Le chef de l’exécutif peut-il être le garant de l’indépendance de la justice ? Comme l’écrit le professeur Carcassonne, « autant proclamer que le loup est garant de la sécurité de la bergerie » . Cette curiosité constitutionnelle serait sans incidence si la pratique du pouvoir exécutif s’inscrivait dans une réelle démarche de protection de l’indépendance des magistrats. Or, tel n’est plus le cas aujourd’hui. Depuis 2007, les attaques du président de la République contre l’autorité judiciaire ne cessent de se multiplier. Chaque fait divers est le prétexte d’une mise en cause des juges. A cela s’ajoute un contrôle renforcé sur les parquets, révélé à son paroxysme dans l’affaire Bettencourt. Dans une architecture institutionnelle soucieuse de préserver la séparation des pouvoirs, c’est le CSM qui devrait garantir l’indépendance de l’institution judiciaire.

Par ailleurs, la présence du pouvoir exécutif au sein du CSM ne disparaît pas, puisque l’article 65 prévoit que le ministre de la Justice peut assister aux séances des formations du CSM, sauf lorsque les formations statuent en matière disciplinaire. Il est probable que le ministre de la Justice ne se privera pas de cette possibilité qui concerne le vaste domaine des nominations, donc du déroulement de la carrière des magistrats, en particulier pour les nominations du parquet. 
 
Le constituant a souhaité, par une nouvelle composition, rééquilibrer l’'institution pour l’ouvrir davantage à la société civile. C’est ainsi que, pour les nominations, l’effectif de chaque formation compétente est porté de douze à quinze, avec sept magistrats et huit personnalités extérieures. Le nouveau CSM « laïcisé » écarte l’exigence minimale de parité posée par la Charte européenne sur le statut des juges, adoptée le 10 juillet 1998 par le Conseil de l’Europe, alors que dans tous les pays européens dotés d’un CSM, les magistrats y sont soit majoritaires, soit en parité comme en Belgique et en Slovaquie. La France devient le seul pays dans lequel les non magistrats sont majoritaires dans cette institution. On peut regretter que la réforme n’ait pas retenu l’idée d’une parité entre magistrats et non magistrats préconisée par la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau. 
    
C’est avec le souci affiché de mettre un terme aux reproches de corporatisme régulièrement adressés au CSM que le constituant a augmenté la proportion de membres n’appartenant pas à la magistrature. Six personnalités sont donc nommées par le pouvoir politique : deux par le président de la République, deux par le président de l’Assemblée Nationale, et deux par celui du Sénat, selon une nouvelle procédure exigeant qu’à chaque fois, un homme et une femme soient désignés. On ne peut que se réjouir de la féminisation des personnalités extérieures et de la présence d’un avocat qui se justifie par sa connaissance du monde judiciaire et sa qualité de représentant du justiciable. Pour autant, ces désignations n’offrent aucune garantie en termes de représentation pluraliste nécessaire à l’équilibre démocratique, le fait majoritaire rendant équivoque ce système. L’avis des commissions parlementaires, selon la procédure prévue par l’article 13 de la Constitution, n’offre aucune garantie contre les dérives partisanes liées aux majorités parlementaires existantes. On peut regretter que les réformateurs ne se soient pas inspirés des modèles voisins, notamment l’Espagne, qui prévoient la désignation, par un vote parlementaire à la majorité qualifiée, des personnalités extérieures. Une telle inspiration aurait renforcé la légitimité du CSM.
 

1.2 – UNE AUTONOMIE IMPARFAITE DU CSM

Au-delà de la composition, l’organisation même du CSM suscite de nombreuses interrogations.

Une «  fausse » formation plénière 
        
Si l’article 65 alinéa 8 de la Constitution consacre l’existence d’une réunion plénière des formations spécialisées qui résultait depuis 1994 de la pratique des CSM successifs, ce texte ne va pas jusqu’au bout de sa logique. La nouvelle formation plénière obéit à des règles de composition baroques, puisqu’elle ne rassemble pas la totalité des membres des deux formations spécialisées. Il ne s’agit donc pas à proprement parler d’une formation plénière. Ainsi, elle comprend quinze membres, dont les six personnalités extérieures, l’avocat, le conseiller d’Etat et six magistrats (trois du siège et trois du parquet). Elle est présidée par le premier président de la Cour de cassation, suppléé le cas échéant par le procureur général. La pratique antérieure confiait cette responsabilité par élection, chaque année, à l’une des personnalités extérieures. La reconnaissance de la formation plénière s’accompagne d’une volonté de limiter la place des magistrats dans sa composition. En effet, pour maintenir une majorité de non magistrats, le constituant a imaginé une procédure complexe de sélection des magistrats qui en feront partie. Certains magistrats y siégeront en alternance, d’autres n’y participeront jamais, comme les élus des collèges siège et parquet de la Cour de cassation.

De plus, nous le verrons plus avant, le texte constitutionnel bride cette formation en ce qui concerne la garantie de l’indépendance de la justice. 
 

Une parité théorique en matière disciplinaire

S’agissant de la formation disciplinaire, le constituant a rétabli en théorie une composition paritaire du CSM. Pour que chaque formation, lorsqu’elle exerce des compétences disciplinaires, comporte un nombre égal de magistrats et de non magistrats, l’article 65 de la Constitution prévoit que la formation du siège soit complétée par le magistrat du siège membre de la formation du parquet, et la formation du parquet par le magistrat du parquet membre de la formation du siège. Le Sénat et l’Assemblée nationale, lors du vote de la loi organique, avaient estimé qu’en application de l’article 65, la parité entre les membres magistrats et les membres non magistrats pour la composition des formations en matière disciplinaire constituait une condition essentielle de l’indépendance de la justice, conforme aux standards européens qui invitent le législateur national à prévoir une composition comportant au moins une moitié de magistrats pour l’organe chargé de leur discipline.

La loi organique de 2010 avait donc prévu un article afin de « garantir par une procédure systématique, en matière disciplinaire, la parité entre membres magistrats et membres non magistrats ». Toute absence d’un membre magistrat devait conduire au retrait d’un membre non magistrat et vice versa. Toutefois, faisant fi des normes européennes, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 19 juillet 2010, a censuré cet article, estimant que le constituant n’avait nullement imposé un fonctionnement paritaire du CSM en matière disciplinaire, et que la circonstance qu’un membre ne siège pas ne pouvait conduire à priver les autres membres du droit de siéger au prétexte de restaurer la parité. 

Ce dispositif relève d’une exception française : dans aucun des conseils de justice européens, la formation disciplinaire ne comporte une minorité de magistrats. Dans tous les Etats européens, en effet, le souci de ne pas placer les magistrats en situation de minorité dans les organes disciplinaires est lié à la nécessité de garantir l’indépendance de la justice. Ces observations avaient été d’ailleurs formulées par de nombreux sénateurs lors des débats parlementaires. Ils avaient fait valoir que si l’exigence de parité pouvait être abandonnée s’agissant des nominations de magistrats, elle ne pouvait l’être en ce qui concerne l’exercice du pouvoir disciplinaire. C’est ainsi qu’ils avaient fait voter la disposition sur le retrait du membre non magistrat, qui a été ensuite écartée par le juge constitutionnel.

Une autonomie budgétaire à concrétiser

Le législateur organique a voulu en finir avec le rattachement du CSM au programme budgétaire « Justice judiciaire » de la mission Justice, afin qu’il n’ait pas à solliciter régulièrement auprès de la direction des services judiciaires des dotations exceptionnelles pour couvrir ses dépenses de fonctionnement, situation qui faisait peser un soupçon fort sur l’indépendance du CSM. En effet, cette direction est à la fois responsable du programme « Justice judiciaire » et chargée de présenter au CSM des propositions de nomination ou des saisines disciplinaires.

A donc été inséré à la loi organique sur le CSM un nouvel article 12 qui dispose : « l’autonomie budgétaire du CSM est assurée dans les conditions déterminées par une loi de finances ». Le principe de l’autonomie budgétaire a été donc fixé dans la loi organique relative au CSM, renvoyant les modalités de cette autonomie à une loi de finances. Un tel dispositif n’est manifestement pas assez précis et ne garantit pas vraiment cette autonomie budgétaire alors que, s’agissant d’un organe institué par la Constitution, les garanties d’autonomie auraient justifié que le CSM trouve sa place dans la mission « Pouvoirs publics » ou dans la mission « Conseil et contrôle de l’État ».

Lorsque l’on sait que le garde des Sceaux s’est opposé fermement à l’autonomie budgétaire du CSM, il est à redouter que la définition par une loi de finances des conditions de cette autonomie se fasse longtemps attendre. Or, tant que le CSM n’aura pas acquis son autonomie budgétaire à l’instar des conseils de justice européens, il ne pourra être considéré, selon l’expression consacrée, comme « la clef de voûte de l’indépendance de l’autorité judiciaire ».  

2 – UNE FAUSSE  EXTENSION DES ATTRIBUTIONS
 

La révision constitutionnelle consacre pour l’essentiel les attributions de la formation du siège du CSM, telles qu’elles résultaient de la précédente, issue de la loi constitutionnelle du 27 juillet 1993.  Les pouvoirs de la formation du parquet sont quelque peu améliorés. Le CSM voit son rôle consacré en matière de déontologie. La grande nouveauté est la saisine directe du Conseil par les justiciables.
         
Mais, et c’est là où une certaine régression s’annonce, le pouvoir consultatif du CSM dans sa mission d’assistance au président de la République garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire, est désormais bridé.

2.    1 – DES AVANCEES TIMIDES DANS L’EXTENSION DU POUVOIR DE NOMINATION 
 

L’article 65, alinéa 4, reproduit à l’identique la disposition précédente relative aux nominations des magistrats du siège. En revanche, l’alinéa suivant entérine une relative extension des attributions de la formation de parquet.

La formation du siège propose les nominations des magistrats à la Cour de cassation, premier président, présidents de chambre, conseillers, conseillers référendaires et auditeurs. Elle propose aussi celles des premiers présidents de cour d’appel et des présidents de tribunal de grande instance. Pour tous les autres emplois, 95 % des magistrats du siège continuent d’être nommés ou promus sur proposition du garde des Sceaux. L’exécutif conserve une influence importante.

De surcroît, si la nomination des magistrats du siège est subordonnée à un avis conforme du CSM, celui-ci, lorsqu’il refuse la proposition du ministre, ne peut pas y substituer un autre candidat. Le pouvoir de proposition appartient toujours au ministre qui n’est pas tenu de se ranger aux raisons du CSM. Le CSM ne gagne donc aucune marge de manœuvre vis-à-vis de l’exécutif.

Toutes les propositions de nomination des magistrats du parquet, y compris celles de procureurs généraux, seront dorénavant soumises à l’avis, simple, de la formation du parquet. Si la formation du parquet bénéficie d’une extension de compétence, celle-ci demeure très limitée et bien loin de garantir efficacement l’indépendance des membres du Ministère public. Alors que les  procureurs généraux près la Cour de cassation et de chacune des cours d’appel étaient  jusqu’alors nommés en conseil des ministres, à l’exemple des préfets et des recteurs, ces postes seront désormais soumis, comme l’ensemble des autres postes du Ministère public, à la procédure d’avis. Toutefois, comme sous l’empire de la loi de 1993, l’avis du CSM ne lie pas le garde des Sceaux qui peut passer outre. Le constituant de 2008 n’a pas repris le projet de loi constitutionnelle, adopté par les deux assemblées au cours de la législature 1997–2002, qui avait prévu la nomination des magistrats du parquet après avis conforme du CSM, et qui n’a jamais été soumis au vote du Congrès.

Si l’actuel garde des Sceaux a indiqué qu’il ne passerait pas outre les avis du CSM en ce qui concerne la nomination des hauts parquetiers, il est bien le premier depuis mai 2002 à vouloir adopter une telle pratique. Des cas emblématiques démontrent que l’exécutif nomme des procureurs contre l’avis du CSM. Les péripéties de la nomination à la Cour de cassation de Marc Robert, procureur général à Riom, après un « vrai-faux » avis rendu par le CSM, récemment censuré par le Conseil d’Etat, témoignent des difficultés liées à la procédure de nomination des magistrats du parquet. 
 
Affichée comme visant à accroître les garanties d’indépendance de la justice, la réforme constitutionnelle aurait pu consister à attribuer au CSM le pouvoir de proposition pour toutes les nominations de magistrats, siège et parquet, et à ce que lui soit donc rattachée la Direction des services judiciaires du Ministère de la Justice. Mais la révision constitutionnelle a fait le choix de ne pas rompre le « cordon ombilical » qui lie les membres du Ministère public à l’exécutif, au risque de voir la France s’écarter des normes européennes. La Cour européenne des droits de l’homme a en effet récemment rappelé que le procureur de la République n’est pas une « autorité judiciaire » au sens que la jurisprudence de la Cour donne à cette notion, puisqu’il lui manque en particulier l’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif pour pouvoir être ainsi qualifié (arrêt Medvedyev du 29 mars 2010 confirmé par l’arrêt Moulin du 23 novembre 2010). 

Le Conseil rénové, dans sa nouvelle composition, devra faire la démonstration par ses décisions de nomination qu’il est un organe indépendant, soucieux de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Le Conseil constitutionnel l’a affirmé de manière solennelle : « L’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature concourt à l’indépendance de l’autorité judiciaire. » Le nouveau CSM devra faire vivre ce principe dans l’avenir par des nominations irréprochables. 
 

2. 2 – UN POUVOIR DISCIPLINAIRE PLUS OUVERT : LA SAISINE DU CSM PAR LES JUSTICIABLES 
 

Le nouvel article 65, alinéa 6 conserve à la formation du siège sa qualité de conseil de discipline. Le CSM est ici une autorité juridictionnelle relevant du pourvoi en cassation devant le Conseil d’État. S’agissant des magistrats du parquet, la formation du CSM compétente se borne comme précédemment à émettre un avis. Elle n’est ici qu’une instance consultative, puisque le garde des Sceaux demeure l’autorité compétente pour prononcer la sanction.

Cependant, la grande innovation de la réforme est l’instauration d’une possibilité pour tout justiciable de saisir le CSM d’une plainte à l’encontre d’un magistrat. Alors que jusqu’à présent, la saisine du CSM en matière disciplinaire était réservée au Ministre de la Justice et, depuis 2001, aux premiers présidents de cours d’appel et aux procureurs généraux, l’innovation la plus importante de la révision constitutionnelle réside dans la possibilité qu’aura désormais le justiciable de saisir le Conseil supérieur.

La loi organique a inséré un article 50–3 dans l’ordonnance du 22 décembre 1958 sur le statut de la magistrature fixant les conditions de recevabilité des plaintes soumises à l’examen des commissions d’admission des requêtes constituées au sein des formations siège et parquet du CSM, afin d’assurer la protection de l’indépendance et de l’impartialité du magistrat visé par la plainte. La saisine est limitée au cas où une faute disciplinaire est susceptible d’avoir été commise par le magistrat dans l’exercice de ses fonctions et ne peut être exercée que par le justiciable qui estime devoir se plaindre du comportement d’un magistrat à l’occasion d’une procédure le concernant. La saisine du CSM ne constitue pas une cause de récusation du magistrat visé. La plainte ne peut être dirigée contre un magistrat s’il demeure saisi de la procédure, afin d’assurer la protection de son indépendance et de son impartialité : le législateur a souhaité ainsi éviter que la saisine du CSM ne porte atteinte à la bonne administration de la justice.

Par ailleurs, le texte de la loi organique élargit la définition de la faute disciplinaire du magistrat qu’il fait pénétrer sur le terrain de l’acte juridictionnel, en consacrant la formulation retenue par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 1er mars 2007. Ainsi, « constitue un des manquements aux devoirs de son état la violation grave et délibérée par un magistrat d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, constatée par une décision de justice devenue définitive ». C’est dans les strictes limites de la définition ainsi élargie de la faute disciplinaire que les plaintes enregistrées pourront, si elles sont fondées, donner lieu à saisine disciplinaire du Conseil.

Cet aspect de la réforme en constitue l’élément le plus novateur. Les réformes préparées par le gouvernement Jospin avaient envisagé l’instauration de commissions des plaintes. La question de la responsabilité des magistrats a ensuite été une des interrogations majeures à l’occasion de l’affaire d’Outreau. « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration » (article 15 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen). A ce titre, les magistrats, qui rendent la justice au nom du peuple français, doivent rendre compte. La réforme peut être comprise comme s’inscrivant dans cette perspective. De plus, la nouvelle procédure de plaintes des justiciables pourra renforcer la vigilance déontologique au sein de l’institution judiciaire. Mais il faudra néanmoins qu’elle ne soit pas détournée de son objectif : un tel dispositif ne peut avoir pour effet de remettre en cause le contenu d’une décision judiciaire, qui ne peut être contesté que par les voies de recours (opposition, appel et pourvoi en cassation). Le système canadien, qui est en quelque sorte pionnier dans le traitement des plaintes des justiciables, repose sur une distinction rigoureuse entre ce qui relève du comportement d’un juge, que peut valablement viser une plainte, et sa décision juridictionnelle, qui relève de l’exercice des voies de recours. De plus, la nouvelle procédure ne doit pas se prêter à des manœuvres tendant à déstabiliser un magistrat. C’est dire que ce volet de la réforme devra être évalué dans la durée.

2.3 – UN POUVOIR CONSULTATIF RESTREINT ET CONTROLE 
 

Alors qu’elle n’était pas expressément reconnue par les textes, la faculté pour le CSM d’émettre des avis sur des questions touchant à l’indépendance de la justice a découlé de sa mission d’assistance au Président de la République dans son rôle de garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. 

Plusieurs Présidents de la République ont saisi le Conseil supérieur de demandes d’avis à propos de situations dans lesquelles cette indépendance était ou risquait d’être mise à mal. En outre, depuis la réforme de 1993, les CSM qui se sont succédés ont, à diverses reprises, pris l’initiative d’adresser spontanément au Président de la République des avis qu’ils estimaient devoir formuler dans l’intérêt de l’indépendance de la justice. Plusieurs avis ont notamment été émis à partir de 2002 en réaction à de vives critiques portées par Nicolas Sarkozy, en tant que ministre de l’Intérieur, contre l’institution judiciaire. Ainsi, le CSM a émis un avis lors des attaques portées en 2007 par Nicolas Sarkozy contre les juges des enfants de Bobigny qu’il jugeait trop laxistes. On comprend aisément que cette pratique ait politiquement déplu.

Faut-il voir dans les dispositions nouvelles de l’article 65 de la Constitution une volonté du constituant de mettre fin à cette pratique ? La lecture du texte ne laisse transparaître aucune ambiguïté. Le texte précise que la formation plénière se réunit pour « répondre aux demandes d’avis formulées par le Président de la République » et se prononcer « sur les questions relatives à la déontologie des magistrats ainsi que sur toute question relative au fonctionnement de la justice dont le saisit le ministre de la justice ». La formation plénière, en même temps que son existence est consacrée, voit ses facultés d’expression spontanée supprimées. Le constituant a donc souhaité d’une certaine manière « museler » une institution qui s’était montrée peu complaisante avec l’exécutif. Le Conseil constitutionnel, loin de préserver, même a minima, la pratique ancienne, lui a donné le coup de grâce.

 Alors que le législateur organique avait interprété le nouvel article 65 comme permettant la saisine d’office du CSM sur les questions relatives à la déontologie des magistrats, et que le garde des Sceaux lui-même avait admis, lors des débats parlementaires, cette possibilité d’auto-saisine sur ces sujets de principe, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 19 juillet 2010 a censuré la disposition de l’article 17 de la loi organique qui reconnaissait au CSM le pouvoir de se prononcer d’office sur les questions relatives à la déontologie des magistrats.

Faut-il en conclure que le nouveau CSM ne peut pas avoir d’expression spontanée sur l’ensemble des questions fondamentales concernant la justice ? Pourra-t-il se contenter de ne donner son avis que si l’exécutif le lui demande, alors que cet exécutif est, d’un point de vue systémique, mais aussi en pratique, une source potentielle d’atteinte à cette indépendance ? En présence d’un texte excluant tout avis sans saisine par le président de la République ou le ministre de la justice, le nouveau CSM pourra-t-il passer outre et s’autosaisir en présence d’atteintes à l’indépendance ? L’histoire se répétant, il faut espérer que, si survenaient des atteintes à l’indépendance, le CSM nouvelle mouture serait amené à faire connaître son point de vue comme ses prédécesseurs. Le 9 février dernier, à la suite des attaques portées par le président de la République contre les magistrats ayant eu à connaître de la situation de la personne mise en examen dans l’affaire du décès tragique de Laetitia Perrais, le CSM a contourné la difficulté : chaque formation (siège et parquet) a pris un communiqué rappelant que les sanctions disciplinaires des magistrats ne peuvent résulter que de la mise en œuvre de procédures conduites devant lui, et décidant que sa première visite de juridiction serait consacrée au tribunal de grande instance de Nantes.

Par ailleurs, dans quel cadre le rapport annuel d’activité du CSM sera-t-il désormais élaboré ? Alors que l’usage s’était instauré avant la réforme de confier la rédaction de ce rapport à la formation plénière qui se voyait également chargée de l’organisation des missions d’information dans les juridictions, des relations publiques et de la communication du Conseil, cette formation sera-t-elle à l’avenir privée de toutes ces attributions ? Contrairement aux précédents rapports d’activité qui ne manquaient pas de formuler des propositions de réforme, le rapport annuel du nouveau CSM devra-t-il, à l’avenir, être expurgé de toute proposition à caractère prospectif ?

On peut noter enfin que le constituant a pérennisé la mission d’élaboration et de publication d’un recueil des obligations déontologiques des magistrats, confiée au Conseil par une loi organique du 5 mars 2007, et d’ailleurs menée à bien en 2010. Mais dans quelle mesure l’exercice de cette mission, impliquant la mise à jour du recueil, pourra-t-il se concilier avec l’interdiction d’expression spontanée de la formation plénière sur les questions déontologiques ?

CONCLUSION    
 

Ce CSM rénové n’est en définitive, sur l’essentiel, guère annonciateur de progrès. Les approximations et ambiguïtés sur sa composition s’accompagnent d’une définition toujours restrictive de ses attributions, ainsi que l’illustre le statut de la formation plénière, et d’incertitudes quant à la réalité de son autonomie, notamment budgétaire.

La comparaison avec les systèmes étrangers ne fait que renforcer le malaise. En France, contrairement à plusieurs de ses homologues européens (Italie, Espagne, Portugal…), le Conseil supérieur de la magistrature ne gère pas directement le corps judiciaire et ne reçoit aucune des attributions complémentaires qu’exercent les nouveaux Conseils dans le domaine de l’administration de la justice. Il ne s’est vu confier aucune compétence pour s’exprimer sur les réformes affectant l’indépendance de la justice ou pour superviser la  formation initiale et continue des magistrats.

Pourtant la création, en mai 2004 à Rome, du Réseau européen des Conseils de Justice, réunissant les différents organes qui, au sein des Etats membres de l’Union européenne et des Etats candidats, contribuent à garantir, séparément des pouvoirs exécutif et législatif, l’indépendance de la justice, était porteuse d’espoir et aurait pu faire évoluer le système français vers une plus grande reconnaissance du pouvoir judiciaire comme un pouvoir de la démocratie. En effet, les comparaisons que permet la participation à ce réseau révèlent les carences du CSM français. Mais ces carences, la dernière réforme ne les a que marginalement, sinon cosmétiquement, corrigées.

Site Internet fabriqué avec  et  éco-conçu pour diminuer son empreinte environnementale.
Angle Web, Écoconception de site Internet en Savoie