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Note

Sécurité, inspirations canadiennes

Terra Nova, en partenariat avec le gouvernement canadien et l’ambassade du Canada à Paris, vient d’organiser une mission d’études au Canada. Une dizaine d’élus et d’experts y ont participé, visitant Montreal, Ottawa et Vancouver, avec comme objectif le benchmark des meilleures politiques publiques canadiennes. La politique de sécurité est l’une d’elles : la délinquance baisse de manière structurelle, 86% des Canadiens ont confiance dans leurs forces de sécurité. Dans cette note, Jean-Jacques Urvoas et Dominique Raimbourg, députés et membres de la mission, reviennent sur les clés du succès canadien.
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A l’inverse de la tendance observée de façon constante en France depuis 2002, au Canada, les agressions contre les personnes connaissent une diminution continue année après année. Plus globalement, après voir enregistré des hausses ininterrompues durant les années 60, 70 et 80, le taux de criminalité y régresse depuis vingt ans . Ainsi estime-t-on que le crime – entendu selon l’acceptation canadienne du terme, c’est-à-dire l’ensemble de la délinquance -, a baissé environ d’un tiers depuis le début des années 90.

Convaincus que cet appréciable résultat ne devait probablement rien au hasard, il nous a semblé utile, à la veille des élections de 2012, de tenter de comprendre les politiques publiques engagées dans ce pays par les gouvernements fédéraux, provinciaux et municipaux. Ce fut l’objet d’un voyage d’une semaine d’Ottawa à Vancouver, du 28 février au 5 mars 2011, pour le compte de la fondation Terra Nova et à l’invitation de l’ambassade du Canada en France.

La brièveté du séjour interdit naturellement toute affirmation péremptoire ; aussi se bornera-t-on à formuler quelques observations dignes selon nous d’intérêt.

Une organisation qui encourage la comparaison

Au Canada, la mission de sécurité relève de la responsabilité des trois ordres de gouvernement : le fédéral, le provincial et le municipal. Alors que le pouvoir fédéral assume une compétence en matière de droit criminel en vertu de la loi constitutionnelle, chaque province ou territoire dispose pour sa part de ses propres services de police.

L’exercice de la police fédérale est assuré par la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) qui dépend du ministère de la Sécurité publique. A l’origine « Police à Cheval du Nord-Ouest » en 1873, elle a pris sa forme actuelle en 1919. Au Québec et en Ontario, elle se contente de veiller à l’application des lois fédérales. Elle y mène les enquêtes liées à la sécurité nationale et à la criminalité interprovinciale et transfrontalière. Dans les autres provinces, elle se voit déléguer, par des mandats conclus avec les gouvernements et plus de 190 conseils municipaux, l’exercice de la police provinciale et très souvent de la police municipale, voire celle de trois aéroports. Elle compte aujourd’hui environ 30 000 agents dont 20 000 gendarmes au sens propre (qui ne sont pas à la différence de notre pays des militaires), 4 000 personnels administratifs. Depuis 1996, elle a entrepris de régionaliser son modèle d’organisation, entraînant la création de quatre régions : Pacifique, Nord-Ouest, Centre et Atlantique.

Au Québec et dans l’Ontario existent des polices régionales. Dans le premier cas, il s’agit de la Sûreté du Québec, qui est la seule organisation policière dont le ressort s’étend à l’ensemble du territoire de la province où elle fait appliquer le code criminel et les lois provinciales. Elle assure parallèlement par contrat la fonction de police municipale dans de nombreuses communes . Elle compte près de 5 460 policiers, 1 740 civils soit un total de 7 200 agents pour un territoire de 1,5 millions de km² peuplé de 7,7 millions d’habitants. En Ontario, plus de 5 900 agents en uniforme aidés de 1 852 employés civils et de 833 agents auxiliaires protègent au sein de la Police provinciale (OPP – Ontario Provincial Police) une population forte de près de 13 millions de personnes.

Enfin, de nombreuses communes (dont une quarantaine au Québec) disposent d’un service de police municipale chargé de l’application du code criminel et des règlements municipaux sur leur territoire. Le plus important est celui de la ville de Montréal (Service de Police de la Ville de Montréal – SPVM) qui emploie plus de 5 000 agents pour une population de 1,6 million d’habitants. A Vancouver, la police municipale (Vancouver Police Department) compte 1 720 agents pour 600 000 habitants.

Cette architecture permet, voire incite à une réelle concurrence institutionnelle. S’il n’y a pas de compétition sur un même territoire, en revanche, au moment de la signature des contrats, les organes provinciaux n’hésitent pas à proposer leurs services aux villes susceptibles de créer leur propre police en respectant les normes minimales. Evidemment les différents niveaux de collectivités procèdent à un examen attentif du rapport qualité /prix. D’où une pratique intensive de l’évaluation pour convaincre le « client ». Ainsi 30 % seulement de la capacité opérationnelles de la GRC est lié à son activité fédérale, l’essentiel dépendant des « ententes » passés avec les municipalités de toutes tailles ou huit des provinces canadiennes. Ces « ententes » sont de véritables contrats signés pour une durée de vingt années et qui génèrent 58 % des ressources financières de la gendarmerie royale.

Des effectifs policiers en constante augmentation

Au cours des dix dernières années, les effectifs policiers ont augmenté de façon soutenue rompant ainsi avec une période de déclin tout au long des années 90. Ainsi en 2009, on comptait un peu plus de 67 000 policiers actifs, ce qui donne un taux de 199 policiers pour 100 000 habitants, ce qui est bien moins que notre pays où le ratio est de 337 (350 pour la Belgique, 246 pour le Royaume uni et 270 pour les Etats-Unis).

De même, le nombre des employés civils, relevant de ce que l’on appellerait en France les « corps de soutien », progresse à un rythme supérieur de plus de deux fois à celui des policiers. En 2009, ils étaient près de 27 000, c’est-à-dire un ratio d’un employé civil pour 2,5 policiers. Par comparaison, notre police nationale est notoirement sous-administrée, ce qui contraint à détourner des tâches spécifiquement policières un grand nombre de fonctionnaires censés s’y consacrer. Certes, l’ampleur du phénomène est difficile à évaluer, mais en 1999 la Cour des comptes avait estimé qu’au minimum 5 000 agents étaient concernés, alors que le ministère de l’Intérieur en évoquait plus volontiers 10 000. Une chose est sûre : avec un taux de personnels administratifs dans les effectifs totaux proche de 10 %, la France est non seulement loin des proportions atteintes au Canada mais aussi de ses principaux voisins européens où les ratios sont de l’ordre de 30 %.

Parallèlement, le budget consacré aux politiques de sécurité progresse. Ainsi, au plan fédéral, il s’élève à 2 814 millions de $ canadiens en 2010–2011 pour la gendarmerie royale, soit une hausse de 6,3 % par rapport aux années précédentes.

En sus, les gendarmes peuvent s’appuyer, surtout dans les pays anglophones, sur près de 75 000 bénévoles. Ce dispositif est désigné sous le nom de « soutien de la communauté ». Une telle notion ne doit pas provoquer de méprise. La « communauté » dont il est ici question renvoie au terme anglais « community » et signifie soit « société civile », soit « quartier », soit « environnement ». Le sens diffère donc de celui que nous lui donnons en France –regroupement sur des bases nationales, ethniques ou religieuses –, même s’il leur arrive parfois de coïncider, notamment lorsque le quartier ou l’environnement en question ne sont composés que d’étrangers de même origine.

Il est vrai que le champ d’intervention du policier est plus étendu qu’en France. Les Canadiens considèrent en effet que les forces de sécurité ne sauraient limiter leur action à la lutte contre la criminalité. La démarche préventive est une exigence à laquelle ils attribuent une importance égale. Or elle implique que la police ne se contente pas de réagir à des incidents individuels. Elle doit au contraire s’efforcer d’établir des liens entre des événements qui apparaissent sporadiques et isolés, les regroupements opérés permettant d’identifier des problèmes que l’on s’emploie à résoudre de façon permanente en établissant une politique générale d’intervention. C’est, par exemple, le credo du service de police de la ville de Montréal affecté au poste du quartier de St Michel, réputé difficile, est de considèrer que sa mission n’est qu’un des nombreux aspects d’une politique de rénovation de ce territoire, fondée sur la mise en place d’un partenariat institutionnel et d’un processus de concertation avec les habitants visant notamment à dégager parmi ces derniers des leaders représentatifs et positifs.

Des policiers très bien rémunérés

Ainsi, un membre de la police provinciale du Québec (la Sûreté du Québec) entame sa carrière à 65 000 $ canadiens, soit environ 52 000 € par an, contre 40 000 $ pour un professeur des écoles primaires et un salaire moyen de 35 000 $. Ce choix d’une rémunération conséquente conduit les services à externaliser vers le privé tout ce qui ne nécessite pas la compétence d’un policier. Ainsi la protection du quartier général de la police provinciale du Québec est-elle assurée par une société privée.

Dès lors, comme dans notre pays, ces entreprises de sécurité privée connaissent une croissance phénoménale. Pour la seule province du Québec, le chiffre d’affaires de ce secteur d’activité a triplé en vingt ans et, en excluant les services de sécurité internes des sociétés, on l’évalue aujourd’hui à 1,5 milliard de dollars pour un total de 30 000 emplois.

La prégnance de la culture de l’évaluation

Cette culture qui se conjugue avec une invitation à l’ajustement permanent est partout reine. Notamment dans les grandes villes (Montréal, Toronto, Vancouver et Ottawa), l’approche canadienne des enjeux de sécurité est avant tout partenariale. Le pouvoir fédéral élabore en effet sa stratégie en concertation avec les autorités provinciales, policières, scolaires tout comme avec les organisations non gouvernementales et associatives. Des universitaires sont associés à la réflexion et des chercheurs indépendants travaillent à l’évaluation des mesures prises. Par exemple, dans les villes de Montréal et de Vancouver, la police, décentralisée par quartier, travaille avec les établissements scolaires (des sections jeunesse ont été créées dans les commissariats), consulte les associations de citoyens et de commerçants. Régulièrement de vastes études sont conduites pour évaluer les effets des programmes et permettent de mettre en valeur ceux qui se révèlent les plus aboutis.

Une volonté de résoudre les problèmes

Dans les années 80, des réformes ont été conduites sur l’ensemble du continent nord-américain dont l’éclectisme est la principale caractéristique. Au Canada cependant, la plupart des innovations se sont articulées autour de deux concepts : la police de communauté et la police de résolution des problèmes. Tous deux partagent des points communs : élargissement du mandat de la police qui doit traiter tout autant de la prévention des incivilités que de celle du crime, établissement de contacts avec le milieu environnant, ce qui entraîne inévitablement une approche très locale des enjeux… Mais ils divergent aussi par certains aspects. Plus que les caractéristiques de la police de communauté, dont il sera difficile de s’inspirer dans notre pays, ce sont celles de la police de résolution des problèmes qui devraient inspirer nos réflexions.

En France, le gouvernement actuel a élevé la culture du chiffre au rang de principe intangible, si bien que le nombre d’interpellations compte plus que l’amélioration effective des conditions de vie des citoyens. Les policiers sont ainsi victimes du « syndrome de la primauté des moyens sur la fin » .

A l’inverse, la police de résolution des problèmes repose sur l’application d’une procédure générale, à savoir la séquence déterminée d’étapes à travers laquelle un problème est d’abord défini, analysé et enfin traité par l’adoption d’une série de mesures dont les effets, sont, en termes de parcours, rigoureusement analysés. Les policiers canadiens s’attachent ainsi à démontrer qu’une intervention qui n’est pas précisément ciblée n’a que peu de chances de réussir. L’accent est donc bien plus mis sur les causes que sur les symptômes. Ce n’est donc pas un hasard, si en moyenne les « patrouilleurs » passent moins de 10 % de leur temps sur des affaires criminelles, le 90 % restant est divisé entre la dimension préventive, l’administration et la réponse à des appels de nature non-criminelle.

L’habitude de contractualisation

Que ce soit au plan municipal, provincial ou fédéral, les services de police bâtissent des cadres d’orientation. Ces derniers sont élaborés sans intervention des pouvoirs politiques. La propension des ministres français à se précipiter devant les caméras de télévision dans les villes où se produisent des drames surprend les Canadiens qui considèrent qu’une telle mission incombe aux professionnels. Ainsi, par exemple, au plan fédéral existe une « stratégie nationale pour la prévention du crime », administrée par le Centre national de prévention du crime – un organisme relevant du ministère fédéral de la sécurité publique –, et gérée conjointement avec les provinces et les territoires . Il s’agit d’un programme qui allie des mesures de prévention, d’éducation et de répression, mené en partenariat avec les « collectivités clientes » concernées. De la même façon, la GRC élabore un « plan annuel de rendement » (PAR) qui sert à donner une orientation aux détachements implantés dans les municipalités par l’établissement de priorités et d’objectifs en matière de services policiers.

Pour sa part, la Sûreté du Québec a élaboré en 2006 un « Plan stratégique 2007–2012 » en trois parties, sous la seule responsabilité du directeur général de l’institution. La première de ces parties présente sa mission, sa vision et ses valeurs. Elle dévoile également les services qu’elle offre, ses clientèles et ses principaux partenaires. La deuxième partie examine les facteurs et les tendances qui affecteront l’institution dans les cinq années concernées. Puis la troisième expose les grands enjeux qui ont été pris en compte pour procéder aux choix stratégiques et décrit l’approche institutionnelle qui sera adoptée pour concrétiser la vision. Elle détaille ainsi les orientations, les axes d’intervention et les objectifs qui guideront les actions du personnel ainsi que les cibles et les indicateurs nécessaires pour mesurer les résultats. Concrètement, par exemple, l’une des finalités du Plan est de « rehausser le degré de sécurité des citoyens dans leur milieu de vie » et il retient comme indicateur l’augmentation du « pourcentage de citoyens qui affirment se sentir en sécurité dans leur milieu de vie à un niveau supérieur à 80 % ».

Les caractéristiques relevées ne forment évidemment pas un modèle. Elles soulignent pourtant a contrario les failles de notre propre organisation. Ainsi dans notre pays, la sécurité, qui avait toujours été un lieu d’union sacrée dans notre République, est devenue un facteur de discorde nationale. D’un côté, des citoyens qui ne se reconnaissent plus dans ceux chargés de les protéger, pour qui le seul policier apprécié est celui des séries télévisées, juste, humain, super-équipé… De l’autre, des policiers et des gendarmes démoralisés qui ne se retrouvent plus dans le sens des actions qu’on leur impose de conduire et qui sont pris en étau entre mépris, montée des violences et restrictions drastiques de leurs moyens de fonctionnement.

A l’inverse, outre Atlantique 86 % des 5 700 Canadiens interrogés au hasard dans toutes les provinces et territoires du pays répondaient en juin 2010 avoir « confiance envers la gendarmerie royale du Canada », et ils étaient autant à témoigner de leur satisfaction « à l’égard de la contribution de la gendarmerie visant à assurer la sécurité des foyers et des collectivités ». Comment alors ne pas établir un lien entre l’efficacité d’une police et la confiance qu’elle inspire à ceux qu’elle doit protéger ? C’est en effet le bon sens. On ne protège pas une Nation malgré elle. La lutte doit être menée contre la délinquance mais avec les citoyens. Le Canada n’est certes pas la France mais cette réserve n’interdit pas de s’inspirer des expériences qui donnent satisfaction.

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