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Revue de presse

Cannabis: l’ébauche d’un plant

Un rapport publié ce mardi par le think tank Terra Nova propose la création d’une autorité de régulation, comme cela s’est fait avec les jeux en ligne, et préconise une dépénalisation.
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Et si c’était la bonne idée ? Celle qui trouve le point d’équilibre entre une dépénalisation totale du cannabis aux conséquences incertaines et le maintien du statu quo où se conjugue une répression maximum avec une consommation qui l’est tout autant. Ce mardi, Terra Nova, un think-tank proche du Parti socialiste, met en avant un modèle original pour tenter de répondre aux défis que représente, en termes de santé publique et d’ordre public, la consommation de cannabis en France. Terra Nova s’appuie sur ce qui s’est fait récemment en matière de jeux en ligne, avec la création d’une autorité de régulation qui gérerait production et consommation de cannabis, tout en fixant des règles générales. « On a un regard et une analyse pragmatiques de la situation, des enjeux, des défis, sans faire de l’angélisme »,  explique à Libération Christian Ben Lakhdar, l’un des auteurs de l’étude (1).

Les données de départ

En France, on consomme massivement du « cannabis, et de plus en plus ». Selon le baromètre de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé, 700 000 Français âgés de 15 à 75 ans fument quotidiennement, en augmentation de 17 % depuis 2010. 1,4 million en font un usage régulier, en fumant au moins dix joints par mois. Enfin, 4,6 millions de Français ont connu au minimum un épisode de consommation de cannabis en 2014.

Nous sommes face à un phénomène de masse, qui place la France en tête des pays européens. Mais sans véritable réponse sanitaire : les campagnes de prévention menées en « population générale » - c’est-à-dire à destination de tous les publics – se sont révélées inefficaces. « Mal calibrées et mal ciblées, elles n’ont eu qu’un impact modeste, voire potentiellement contre-productif pour faire reculer le nombre de consommateurs »,  notent Christian Ben Lakhdar et Jean-Michel Costes. De plus, « l’illégalité du cannabis n’a pas incité les pouvoirs publics à chercher à développer un discours de santé public et préventif ». De façon plus inquiétante, on observe des usagers de cannabis de plus en plus jeunes. « Les premières expérimentations de cannabis sont observées dès la classe de 4e : 11 % des élèves de ce niveau disent avoir fumé au moins une fois. »

La répression dans l’impasse

Ces dix dernières années, les interpellations pour possession ou usage de cannabis ont plus que doublé. Certes, le nombre d’usagers a augmenté sur la même période, mais pas dans les mêmes proportions. « La résurgence de la guerre à la drogue et l’instauration d’une politique du chiffre ont frappé de plein fouet les usagers,  note Terra Nova.L’inefficacité de cette politique est pourtant patente. La répression n’arrive pas à enrayer la consommation de cannabis. » On assiste à une lutte policière en surchauffe mais aux résultats illusoires d’autant que, avec Internet, un nouvel acteur est apparu. « Le marché en ligne des drogues illicites devient de plus en plus étendu. Les internautes commandent sur les sites, se font livrer à domicile : en dix ans, le nombre de saisies de drogues par colis postaux a augmenté de 300 %. »

Le modèle des paris en ligne

Dans les années 2000 en France, plus d’un million de joueurs allaient sur des sites illégaux pour assouvir leur passion. Ce qui n’était pas sans danger, en termes d’addition. Sous la pression de la Commission européenne, la France a légalisé en 2010 les jeux d’argent et de hasard en ligne en optant pour un modèle original, ni naïf ni opaque. Depuis, ça marche pas trop mal. Le dispositif mis en place est centré autour de la création de l’Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel), dont une des fonctions est « la mise en place de moyens de prévention et de réduction des risques du jeu pathologique ». Cette autorité donne des accréditations, fixe les règles, surveille le marché. Et depuis cinq ans qu’elle existe, le bilan est plutôt positif. Aujourd’hui, on estime que près de 2 millions de Français s’adonnent à cette pratique. Certes, on a assisté à « une certaine progression des pratiques de jeu des Français », pour autant, « la prévalence des joueurs excessifs est restée stable ». Et surtout, les deux effets espérés par le changement de cadre légal ont été vérifiés : « La majorité des pratiques de jeu d’argent sur Internet se sont déplacées sur l’offre légale et les pratiques sur l’offre légale génèrent, à type d’activité comparable, moins de problèmes que les pratiques résiduelles sur l’offre illégale. »

Pour une Autorité de régulation du cannabis

Selon Terra Nova, il y a d’évidentes similitudes entre les jeux d’argent et de hasard et le cannabis, entre les réseaux clandestins d’un côté et les risques d’addictions pour les usagers de l’autre. Alors pourquoi ne pas créer une structure, à l’image de l’Arjel, qui permettrait de dessiner les grandes missions de ce que pourrait être une Autorité de régulation du cannabis en France. Dans le projet de Terra Nova, l’Autorité de régulation du cannabis (Arca) n’aurait pas vocation à collecter les recettes fiscales issues du cannabis, « celles-ci pourraient faire l’objet d’un vote au sein de la loi de finances de la Sécurité sociale ». La production pour fournir les usagers « pourrait soit se faire par des agriculteurs français autorisés par des licences du ministère de l’Agriculture, soit par des entreprises étrangères ». Enfin, « la vente de cannabis serait confiée à des détaillants ayant demandé un agrément à l’Arca. […] De la même manière que pour la production, la vente respecterait une charte établissant les modalités de vente, de prévention et de réduction des risques à engager auprès des acheteurs ». Quid de l’autoculture individuelle, largement implantée sur le territoire français ?« Elle pourrait être autorisée en France sous réserve que l’individu n’en fasse évidemment pas commerce », souligne l’étude.

Ce projet dessine un dispositif intéressant, réalisable, qui a le mérite de sortir des grandes déclarations de principe mais reste ferme sur les questions de santé publique. « Tout cela est à affiner, mais ce modèle permettrait un meilleur contrôle du marché du cannabis par comparaison à la situation catastrophique en termes de santé et de sécurité publiques que nous connaissons aujourd’hui. Sans oublier que ce sont plusieurs centaines de millions d’euros qui sont dépensés en pure perte pour la seule répression », concluent les chercheurs.

(1) « Contrôler le marché légalisé du cannabis en France, l’exemple fondateur de l’Artel », par Christian Ben Lakhdar et Jean-Michel Costes.

Eric Favereau

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