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Note

Conforter le service public hospitalier, restaurer la confiance

L’hôpital souffre toujours, malgré les mesures d’urgence prise après le premier confinement. Crise de moyens, de management et d’organisation. Mais il s’agit avant tout d’une crise de la mission de l’hôpital public. Quel est son rôle aujourd’hui ? Le lien avec les territoires offre une perspective générale aux acteurs du monde hospitalier, en partenariat avec l’ensemble des acteurs de santé à la même échelle territoriale.
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La crise de la Covid a mis en évidence l’extraordinaire capacité de réaction et d’adaptation de l’hôpital public comme des professionnels de santé libéraux en ville, grâce à la compétence et la grande conscience professionnelle des hospitaliers et de l’ensemble des acteurs de la santé qui ont travaillé pendant cette période, dans des conditions particulièrement difficiles. Les Français soutiennent massivement l’hôpital public mais notre système hospitalier a trop longtemps été sous une pression financière très forte ; il est désormais à bout de souffle. Les hospitaliers dénoncent cette situation depuis plusieurs années. Au-delà de ce constat et de la nécessité d’investir lourdement à court terme, l’objectif de la présente note est de proposer des mesures pour conforter les missions de l’hôpital public et esquisser une véritable refondation du service public de la santé. Bien évidemment, la crise de l’hôpital et la crise de la médecine ambulatoire sont étroitement imbriquées, l’une nourrissant l’autre.

Un effort massif est nécessaire à court terme pour conforter l’hôpital public et restaurer son attractivité pour les professionnels de santé : investir, embaucher, former, revaloriser les métiers de la santé, réformer le mode d’allocation des ressources. Au-delà, des changements structurels porteurs d’économies, déjà identifiés, sont nécessaires. Ils doivent être engagés résolument en sachant toutefois que leurs effets concrets sont à moyen terme. Il faut poursuivre la réorganisation du système de santé à partir des territoires en faisant de la médecine de ville le véritable pivot du système de santé, coordonner les parcours de soins des malades chroniques et la prise en charge des personnes âgées en y associant les acteurs du médico-social, les élus et les associations et, enfin, impliquer les hôpitaux dans les actions de prévention à développer.

La restructuration nécessaire de l’offre de soins ne peut résulter du seul impératif d’équilibre financier au risque d’accroitre encore les inégalités d’accès à la santé. Des moyens supplémentaires et une réorientation de la politique de santé portée par les pouvoirs publics sont indispensables et doivent s’inscrire dans la durée. Cependant, rien ne sera possible sans la promotion d’une authentique démocratie sanitaire impliquant les différents acteurs de la santé et du soin quels que soient leurs statuts et modes d’exercices. Les usagers et les élus locaux doivent être reconnus dans ce cadre comme des partenaires à part entière.

Le Ségur de la santé a fait suite à une lente dégradation de notre système de santé et tout particulièrement de l’hôpital public soumis à un impératif de rentabilité dans une logique concurrentielle mais contrainte par l’enveloppe fixée chaque année par la loi de financement de la sécurité sociale. Le respect de l’objectif national des dépenses d’assurance maladie (ONDAM), fixé systématiquement en dessous du tendanciel de dépenses, n’a été obtenu qu’en modulant à la baisse les tarifications à l’activité (T2A) et en imposant des économies a priori. Les ajustements nécessaires ont donc été obtenus par la pression sur les effectifs la stagnation des salaires, l’intensification du travail[1].

On en connait les conséquences :

  • Une capacité d’investissement obérée par un surendettement croissant (la dette est passé de 10 à 30 milliards d’euros entre 2005 et 2018) ;
  • Une diminution considérable de la capacité en lits (soit 100 000 lits entre 1993 et 2018 dont 31 000 en psychiatrie), les projets d’investissement et les plans de retour à l’équilibre étant gagés le plus souvent par des réductions capacitaires et d’effectifs de personnels soignants au détriment d’une juste appréciation des besoins de santé de la population. La difficulté croissante de trouver des lits d’aval est une des composantes de la crise des urgences hospitalières avec la pénurie de médecins libéraux (problématique des déserts médicaux) ;
  • Une gestion des activités et des ressources à flux tendus (course à la productivité, dégradation des conditions de travail) ;
  • Une logique de regroupement des moyens et de polyvalence dictée par les impératifs de rentabilité au détriment du collectif de soins ;
  • Des rémunérations des soignants et des médecins peu attractives avec pour conséquence un turnover croissant, la difficulté de pourvoir les postes vacants et l’épuisement des personnels.

Dès avant la Covid, les hospitaliers ont revendiqué la fin du tout T2A, la revalorisation de leurs rémunérations, des créations de postes et une vraie reconnaissance du service public hospitalier.

Le Ségur de la santé concrétise effectivement le « quoiqu’il en coûte » promis par le Président à l’issue de la 1ère vague de la Covid. Cependant, son bilan est en demi-teinte.

Il est utile de rappeler ici les principales mesures retenues :

  • Des hausses importantes de rémunération pour les soignants et les médecins (8,4 mds €) ;
  • La relance de l’investissement sanitaire et médico-social soit 19 milliards d’euros sur 10 ans dont 13 financés par prélèvement sur la caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) et 6 financés par l’Union européenne dans le cadre du plan France relance ;
  • La suppression du Comité interministériel de la Performance et de la Modernisation de l’offre de soins hospitaliers (COPERMO) qui liait systématiquement la validation d’investissements importants (supérieurs à 50 Ms €) à des réductions de capacité en lits et d’effectifs ;
  • La confirmation d’un financement mixte : réduction de la T2A limitée à 50% des recettes, dotations forfaitaires en fonction de missions ou d’objectifs de santé public (urgences, psychiatrie, soins de suite, hôpitaux de proximité, expérimentations de financement au parcours, enseignement, recherche) ;
  • La réforme annoncée de l’ONDAM pour mieux prendre en compte les objectifs de santé publique et donner davantage de marges de manœuvre aux agences régionales de santé (ARS) ;
  • Le renforcement de l’échelon départemental des ARS ;
  • 15000 postes financés (dont 7500 postes existants mais vacants et 7500 créations) ;
  • 4000 lits de réanimation mobilisables à la demande ;
  • L’assouplissement des règles de fonctionnement interne des hôpitaux (organisation interne, désignation des chefs de service, etc…) ;
  • Des mesures visant à mieux coordonner les acteurs du soin dans les territoires : accès aux soins non programmés, prise en charge spécifique des personnes âgées en lien avec la ville et le médico-social, etc…

La mise en œuvre de ces engagements demandera du temps et sera soumise aux aléas de la crise sanitaire et aux incertitudes de la présidentielle quant aux choix à venir en matière de financement de notre système de protection sociale. Si les avancées concernant les rémunérations sont réelles, les dispositions concernant les effectifs sont très en deçà des besoins (le collectif inter hôpitaux réclamait la création de 100 000 postes de soignants !). Les mesures relatives au financement (qui, le plus souvent, confirment des annonces antérieures) ou au fonctionnement interne des hôpitaux restent à concrétiser.

En se prolongeant, la crise de la Covid brouille la lisibilité de ces engagements avec la persistance de tensions extrêmes sur les organisations (sous effectifs, absentéisme, difficultés de recrutement, goulot d’étranglement des formations des médecins et des paramédicaux). Le risque d’un « retour au monde d’avant » est réel si le mouvement de restructuration de l’offre hospitalière était relancé à court terme avec pour seul objectif d’absorber budgétairement le « surcoût » du Ségur durant le quinquennat 2022–2027. Il est donc nécessaire d’aller plus loin dès maintenant pour rétablir la confiance du monde hospitalier : annoncer dans le cadre de la stratégie nationale de santé, une politique hospitalière qui permette de positionner l’hôpital (CHU ou CH) sur son territoire, réaffirmer ses missions et consolider le service public hospitalier. Cette politique devra comporter des mesures à court terme et des mesures à moyen terme. Il est important que ces mesures soient mises en perspective dans une vision générale de santé publique.

Propositions à mettre en œuvre dans les deux prochaines années

  1. Prononcer dès 2022 un moratoire sur les fermetures de lits afin de se donner te temps nécessaire pour mener à bien une concertation à l’échelle de chaque région pour définir dans une perspective pluriannuelle les besoins en lits (hospitalisation de plus de 24 h et de moins de 24 h) et par disciplines en fonction des données démographiques et épidémiologiques, de l’évolution des prises en charges et des effectifs nécessaires ;
  2. Créer en deux ans 50 000 postes de soignants dans les services et établissements en tension (la fédération hospitalière de France (FHF) demande la création dès 2022 de 25000 postes) ;
  3. Poursuivre les délégations coordonnées de tâches au profit des paramédicaux ;
  4. Renforcer les actions visant à fluidifier les carrières entre exercice hospitalier et exercice en ville (favoriser l’exercice mixte) et, concernant les médecins, utiliser plus largement les dispositifs déjà existants permettant de changer de spécialité en cours de carrière ;
  5. Mener à bien la refonte des grilles salariales déjà engagée ;
  6. Revoir le découpage actuel des groupements hospitaliers de territoire (GHT) afin de mieux prendre en compte les problématiques de santé à l’échelle des bassins de vie et faciliter les interactions nécessaires avec les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) dans le cadre de projets partagés ville/hôpital ;
  7. Faire le bilan des projets déjà réalisés ou en cours impliquant des hôpitaux et des professionnels du soin en ville, promouvoir les projets les plus innovants ;
  8. Mieux écouter les patients et leurs proches (locaux dédiés à l’accueil, formation de professionnels de santé à la médiation sociale et culturelle).

Propositions à moyen terme (2 à 5 ans)

  1. Réformer l’ONDAM dans le cadre d’une programmation financière pluriannuelle à partir d’objectifs de santé publique déclinés au niveau des territoires de santé, les agences régionales de santé (ARS) veillant à la cohérence entre projet national de santé, schéma régional, projets de santé territoriaux et contrats locaux de santé associant médecine de ville, hôpital et secteur médico-social. Cela implique de donner aux ARS de vraies marges de manœuvre financières et de renforcer leurs échelons départementaux et territoriaux en termes d’expertise (épidémiologie et santé publique, gestion de projets, partenariats avec les CPTS, les élus et les associations). Ce positionnement nouveau des ARS s’inscrit dans une logique non pas de décentralisation mais de déconcentration ce qui nécessite aussi de redéfinir leurs relations avec une administration centrale recentrée sur l’élaboration de la politique sanitaire et sociale, l’évaluation de sa mise en œuvre et la prospective ;
  2. Inciter les ARS à développer des partenariats avec les facultés de médecine et l’école des hautes études en santé publique (EHESP) ainsi que certains hôpitaux dotés de ressources en santé publique et en épidémiologie pour mener des projets de recherche en santé publique appliqués aux territoires dont ils ont la charge (appels à projet) ;
  3.  Planifier dans le cadre de concertations régionales sous l’égide des ARS les besoins en formation initiale et continue (médecins et paramédicaux) ;
  4. Réinterroger les critères réglementaires concernant les effectifs nécessaires dans les services de soins ;
  5. Donner une plus grande latitude aux hôpitaux pour définir leur organisation interne dans le respect des principes de responsabilité et de management participatif, afin notamment de permettre aux soignants de se recentrer sur le soin ;
  6. Rééquilibrer la gouvernance des hôpitaux en renforçant significativement la présence des représentants des usagers et des élus au sein des instances (des représentants formés et indemnisés) ;
  7. Engager une remise à plat progressive des carrières et des rémunérations à l’hôpital dans le cadre d’une concertation nationale ;
  8. Remédier au cloisonnement entre le sanitaire, le social et le médico-social en définissant dans le cadre de projet territoriaux de santé les missions des différents acteurs avec un double objectif :
  • Assurer un continuum dans la prise en charge des personnes âgées (médecins traitants, paramédicaux, professionnels du social, hôpitaux de proximité, établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), associations, élus) afin de favoriser le maintien à domicile et d’éviter ou, du moins, freiner l’entrée dans la grande dépendance ;
  • Garantir un bon niveau de médicalisation des EHPAD recentrés sur la prise en charge de la grande dépendance.
  1. Impliquer les hôpitaux dans les missions de prévention.

Les enjeux sont bien connus : face au développement des maladies chroniques, au vieillissement démographique et aux inégalités croissantes en termes d’espérance de vie, il faut intégrer toutes les dimensions du soin, développer les préventions primaires et secondaires en coordonnant l’ensemble des acteurs y compris la médecine du travail, la médecine scolaire et la PMI.

La prévention est historiquement le parent pauvre du système de santé en France, contrairement à la plupart des autres pays européens. Les sommes consacrées à la prévention sont limitées (près de 6 milliards d’euros en 2018 à rapprocher des quelques 230 milliards consacrés au soin). Les hôpitaux sont peu présents. Les CHU et le réseau des instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) contribuent cependant à la formation à la prévention en santé des professionnels de la santé dans le cadre de leur formation initiale. L’essentiel des actions de prévention est assuré en dehors de l’hôpital (Santé Publique France, les services de santé au travail, la santé scolaire, la protection maternelle et infantile (PMI), les municipalités, les associations …). Certains professionnels de santé libéraux ont initié des actions innovantes en matière de prévention et de promotion de la santé. Cependant, leur mode de rémunération, encore pour l’essentiel à l’acte, est incontestablement un facteur limitant.

Les établissements hospitaliers ne peuvent prétendre se substituer aux intervenants actuels en matière de prévention. Cependant, ils pourraient contribuer à une nouvelle dynamique en développant avec les acteurs locaux (professionnels de santé et du médico-social, CPTS, associations de patients, etc…) et les mutuelles l’éducation thérapeutique des malades chroniques dans le cadre de prises en charge coordonnées. Les hôpitaux de proximité pourraient être également des relais efficaces au niveau des territoires en mobilisant leurs ressources au profit des acteurs de terrain (professionnels de santé libéraux, professionnels du social, CPTS, institutions scolaires, collectivités territoriales, centres de santé, associations, entreprises) dans le cadre de programmes pluriannuels de prévention élaborés avec ces derniers à l’échelle des territoires de santé. Le déploiement sur le terrain par les ARS d’une stratégie territoriale de prévention pourrait s’appuyer également sur l’expertise en santé publique des CHU et de certains hôpitaux de référence.

L’expérience de la pandémie Covid montre tout l’intérêt d’une organisation en réseau des acteurs de la prévention avec le concours des hôpitaux de proximité pour porter les règles de prévention, gérer efficacement les crises sanitaires au plus près des populations, « aller vers » les publics vulnérables.

Pour remédier aux carences actuelles de la médecine scolaire, les personnels de santé de l’Education nationale pourraient être rattachés aux établissements hospitaliers de proximité disposant de services de pédiatrie (logique de sectorisation) permettant ainsi un alignement des carrières sur celles de leurs collègues hospitaliers et une mobilisation plus efficace des ressources. Au demeurant, c’est cette logique qui a prévalu lorsque la médecine pénitentiaire a été rattachée aux hôpitaux. Ce serait un signal politique fort concernant un secteur trop longtemps négligé par les pouvoirs publics. Quoi qu’il en soit, une telle réforme ne pourrait être engagée qu’au terme d’une concertation impliquant l’ensemble des parties prenantes.

La promotion à l’Hôpital d’un management participatif respectueux des individus et des communautés de travail est essentielle pour rétablir la confiance comme l’ont montré les drames qui ont défrayés la chronique dans certains établissements avant même la crise de la Covid. Cela passe par un dialogue social renouvelé et l’instauration d’accords locaux sur certains sujets tels que la qualité de vie au travail ou la formation. Ces différents points nécessitent une réflexion approfondie qui dépasse le seul cadre de la présente note.


[1] Si les effectifs soignants ont progressé de 3.4% entre 2009 et 2018, la production de soins a augmenté en volume de près de 19 %. Dans le même intervalle de temps, le salaire moyen des soignants a baissé de 1% (gel du point d’indice, hausse des cotisations CNRACL) alors que dans le secteur privé, il augmentait de 3,4%. Voir Pierre-Louis Bras, « Comment le Covid transforme le débat sur les dépenses de santé », Terra Nova, mars 2021.

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