Fin de vie : quelle est la question ?

Fin de vie : quelle est la question ?
Publié le 7 octobre 2022
Une Convention citoyenne se réunira dans les mois qui viennent pour débattre d'une éventuelle évolution de la loi sur la fin de vie. Sur un sujet aussi difficile, il est crucial que le débat soit organisé de manière à assurer une délibération collective rigoureuse. C'est pourquoi la formulation de la question qui sera soumise aux citoyens est essentielle.

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Le Président de la République a annoncé le 13 septembre le projet d’une concertation sur la fin de vie qui prendra la forme d’une Convention citoyenne, pilotée par le Conseil économique, social et environnemental (CESE). Après un tirage au sort lancé en octobre, 150 citoyens seront invités, d’après le communiqué de presse du CESE, à se demander si le cadre de l’accompagnement de la fin de vie est adapté aux différentes situations individuelles ou si d’éventuels changements devraient être introduits. Ils devront rendre au Gouvernement le résultat de leur délibération en mars 2023.

Mais à quelle question les citoyens seront-ils précisément invités à répondre ? C’est un choix décisif de la Convention citoyenne puisqu’il déterminera la reprise politique qui sera faite de leurs travaux (en vue par exemple du vote d’une nouvelle loi ou de la convocation d’un référendum). Or, l’objet d’une Convention citoyenne est bien de formuler un avis qui puisse donner lieu à une décision politique. C’est bien ce qui distingue le format délibératif d’une simple consultation ou d’un sondage. L’exercice manquerait son objectif si le commanditaire politique (le Gouvernement) était amené à modifier les termes de la question au moment de reprendre à son compte le travail collectif des citoyens. Si la question est trop large et qu’elle se contente d’inviter à aller « au-delà » des dispositions actuelles, elle risque de laisser le sujet dans une confusion peu propice à la montée en qualité du débat public. Si, à l’inverse, la question est trop étroite, elle risque d’orienter le débat et de préempter son issue, au risque de frustrer ou de radicaliser une partie des acteurs déjà très engagés dans le débat (professionnels, associations etc.). Ainsi, des citoyens tirés au sort ne devraient pas être chargés de faire un état de lieux de la fin de vie en France, ni un bilan de la loi actuelle. Ces éléments de contexte doivent être apportés par les auditions de la Convention. En revanche, une convention citoyenne peut se révéler utile pour montrer le point de consensus atteignable aujourd’hui si l’on veut changer la loi.

Le cadre actuel est donné par loi Claeys-Leonetti de 2016 qui permet « une sédation profonde et continue jusqu’au décès de personnes souffrant d’une affection grave et incurable, dont le pronostic vital est engagé à court terme et subissant une souffrance réfractaire aux traitements ». Dans la mesure où cette formulation de la loi était volontairement prudente et restrictive, il ne fait pas de doute qu’elle ne permet pas de couvrir l’ensemble des situations individuelles de fin de vie. Il existe même un consensus pour constater un manque de prise en charge et d’accompagnement digne de ce nom pour les personnes en fin de vie en France aujourd’hui. Une divergence apparaît cependant dès lors qu’il s’agit de savoir comment mieux répondre aux situations laissées de côté par le cadre juridique actuel. Cette divergence est suffisamment profonde et complexe pour justifier un riche travail délibératif tel que peut le permettre une convention citoyenne.  

Le dernier avis du Conseil consultatif national d’éthique sur les situations de fin de vie (avis 139) rendu public le 13 septembre dernier témoigne à la fois du consensus sur le constat et des divergences sur les évolutions souhaitables. Il constitue un éclairage essentiel pour accompagner la consultation citoyenne. Il montre que trois grandes orientations du débat sont en effet aujourd’hui possibles, avec de multiples variantes dans les applications concrètes qui concernent toujours (c’est une difficulté du débat) des situations singulières. Soit on reste dans le cadre de la loi actuelle mais en développant l’information du public, la formation des professionnels et l’accès aux soins palliatifs. Soit on ouvre la possibilité, comme le fait cet avis, d’une autorisation de ce qu’il appelle le « suicide assisté ». Soit on ouvre le débat sur l’euthanasie c’est-à-dire sur un acte médical donnant la mort, au-delà des situations où le patient obtient les moyens de mettre lui-même fin à ses jours. Dans ces deux derniers cas, la loi doit être modifiée pour élargir le registre des gestes d’accompagnement, mais toujours uniquement lorsque le patient le demande.

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La formulation de la question soumise à la Convention citoyenne ouvrira ou fermera ces grandes orientations. Le choix même des termes utilisés dans la formulation de la question aura en effet un poids significatif car parler de « fin de vie », d’« accompagnement », d’« euthanasie », de « suicide », ou encore de « mort choisie », c’est déjà accepter ou valider des terminologies préemptées ou promues par différentes sensibilités qui s’opposent sur le sujet. Le terme consacré d’« aide active à mourir », tel qu’il est utilisé dans l’avis du CCNE, regroupe deux pratiques en réalité distinctes : le « suicide assisté » (le malade demande à être aidé à mourir et s’administre lui-même le produit létal) et l’euthanasie (le malade demande à être aidé à mourir et c’est un tiers qui administre le produit). Des formulations qui peuvent sembler presque équivalentes pour un public non-informé peuvent induire des choix tout à fait opposés : parler de « choisir sa mort » ou d’une « mort apaisée », par exemple, c’est prendre parti dans une controverse déjà ancienne opposant les partisans de l’euthanasie à ceux prônant le développement des soins palliatifs. A l’inverse, un terme comme la « dignité » recueille un consensus apparent sans qu’on mesure bien les désaccords qu’il peut masquer dans la mesure où le sens ultime d’une vie « dignement vécue » renvoie à des représentations personnelles profondes, éthiques, spirituelles ou philosophiques, qui résistent aux compromis. De même, la notion de « devoir de non-abandon » introduite par le CCNE dans son dernier avis pour tenir compte des « évolutions sociétales et médicales » ne paraît pas fondamentalement déterminante. En elle-même, en effet, cette notion ne tranche pas le débat entre soins palliatifs et aide active à mourir car l’accompagnement peut s’entendre aussi bien comme une prise en charge de la douleur que comme le respect de la liberté revendiquée par le patient de « disposer de soi-même » et d’y être aidé.

 Il faut donc formuler une question qui fasse sens pour le grand public, sans verser dans un exercice abstrait (« qu’est-ce qu’une fin de vie digne ? » ou « peut-on disposer de soi-même ? ») et ouvrir un débat qui a pour objectif une traduction législative concrète sans en réduire initialement la portée par un cadrage trop large (« comment faire évoluer la loi Claeys-Leonetti ? ») ou trop étroit (« faut-il autoriser le suicide assisté ? »). On peut dès lors se demander quel sera le rôle du dernier rapport du CCNE qui en appelle d’ailleurs dans sa conclusion à la mise en place d’une Convention citoyenne. Faut-il le considérer comme une mise en état du dossier avant l’appropriation par les citoyens du panel délibératif ? Et dans ce cas, l’orientation qu’il propose, qui consiste dans une évolution mesurée et prudente de la loi, donne-t-il le cadre de la future délibération en écartant peu ou prou l’aide active au-delà du seul « suicide » assisté ?

Le rapport du CCNE commence par un état des lieux et le rappel des principes progressivement introduits dans la loi : le droit au refus de traitement et de l’obstination déraisonnable, les directives anticipées, le recueil de l’avis d’une personne de confiance, la procédure collégiale pour l’arrêt des traitements… Il formule aussi le constat que le cadre législatif actuel n’a pas permis de répondre à l’ensemble des situations de fin de vie. Est-ce une question de pratique ou de texte ? Les avis sont divisés. Pour les uns, c’est parce que la culture des soins palliatifs reste trop méconnue et que la priorité est de la développer, et surtout de généraliser pour tous ceux qui en ont besoin l’accès à des équipes aujourd’hui bien trop rares et surchargées. Pour les autres, la loi actuelle n’est à vrai dire suffisante que lorsque le pronostic vital est engagé à court terme. Si l’on élargissait par exemple cet horizon temporel, limité actuellement au court terme (de quelques heures à quelques jours), à un délai de six mois, on alignerait le droit français sur les législations du droit au suicide de certains Etats américains (Oregon, Washington, Vermont, Californie, Colorado, New Jersey) et de la Nouvelle Zélande. L’avis du CCNE considère au bout du compte que l’ouverture du suicide assisté serait de nature à concilier le devoir de solidarité (ne pas abandonner les personnes en situation de souffrance) et le respect de l’autonomie des personnes (accepter les revendications personnelles de choisir sa fin de vie). Il considère en outre qu’il est éthiquement possible d’encadrer une telle évolution en vérifiant et en renforçant l’application du droit actuel sur la qualité de la prise en charge des patients, notamment de leur écoute et de la prise en compte de la douleur physique et psychique, sur les directives anticipées, la personne de confiance, la décision collégiale etc. Quant à l’euthanasie, cet avis ne l’évoque, brièvement, que pour les personnes qui ne sont plus physiquement aptes à se donner elles-mêmes la mort, et il écarte de fait de sa réflexion celles qui souhaitent qu’on les aide à mourir sans vouloir pour autant en assumer elles-mêmes le geste. Le rapport du CCNE réclame son inscription dans la continuité des rapports précédents, tout en proposant une évolution de la réflexion, qui n’a néanmoins pas convaincu une minorité significative de ses membres exprimant sa « réserve quant à la possibilité même d’accompagner une éventuelle évolution législative » et sa préférence pour un élargissement de l’accès aux soins palliatifs dans le cadre légal actuel.

Au moment où la Première ministre doit décider de la question à poser aux citoyens dans la lettre de mission qu’elle leur adressera, l’avis du CCNE laisse une grande incertitude sur la possibilité aujourd’hui de chercher un consensus informé sur l’ensemble des questions soulevées par les situations de fin de vie et les demandes d’aide active à mourir. S’agira-t-il simplement de constater, une fois de plus, les avancées et les insuffisances de la loi Claeys-Leonetti ? De promouvoir et de systématiser la culture palliative ? De permettre le suicide assisté ? De dépénaliser l’euthanasie ? Alors que les pratiques médicales sont loin d’appliquer pleinement ce que permet la loi et que les termes mêmes du débat restent très largement méconnus du grand public, la première difficulté de la mise en place de la Convention citoyenne apparaît de poser une question qui évite de canaliser le débat dans une issue prévisible mais vague (faut-il faire évoluer la loi actuelle ?) ou de l’enliser dans un flou sémantique (accompagnement, bonne mort…) ou trop techniques (douleur réfractaire, pronostic vital…) dont l’appropriation précise par les citoyens sera le premier enjeu de leurs travaux.

C’est pourquoi nous suggérons deux pistes de formulation. Il est possible de soumettre aux citoyens une question générale si elle est précédée d’un exposé des motifs qui en précise explicitement les enjeux et pourra préciser la substance du contrat entre le commanditaire politique et les membres de la convention. On peut aussi viser une formulation technique appelant une réponse précise.

Dans le premier cas, l’exposé des motifs devrait formuler les points de perplexité ou d’incertitude du Gouvernement et justifier le besoin de trouver un nouveau point de consensus dans la société. Il pourrait rappeler les éléments suivants : la loi de 2006 fixe les conditions actuelles de prise en charge de la fin de vie ; un nombre significatif de situations douloureuses restent cependant exclues des conditions énumérées par la loi ; des demandes de prise en charge de personnes en fin de vie restent donc sans réponse ; plusieurs pistes existent pour leur répondre, soit, sans faire évoluer la loi, par une meilleure prise en charge dans le cadre des soins palliatifs, soit, en modifiant le cadre légal actuel, par des formes d’aide active à mourir ; aucune option ne s’imposant d’elle-même à ce stade sur ce sujet particulièrement sensible, il faut construire un nouveau consensus social impliquant le corps médical. C’est pourquoi nous demandons aux citoyens de nous dire, selon eux et à la lumière de ces enjeux, « jusqu’où doit aller l’accompagnement en fin de vie ? ». Ou, toujours après l’exposé des motifs, de façon plus directe : « Faut-il introduire dans la loi la possibilité d’une aide active à mourir pour les personnes en fin de vie qui en font la demande ? »

La deuxième option consiste à viser directement la formulation même de ce qui pourrait changer dans la loi, par exemple sous la forme suivante : « Faut-il introduire dans la loi la possibilité d’une aide active à mourir pour les personnes en fin de vie qui en font la demande, y compris avant que leur pronostic vital ne soit engagé à court terme ? ».  

Dans tous les cas, il est crucial que le cadrage de l’exercice délibératif qui sera demandé au panel citoyen soit rigoureux, à la fois pertinent aux plans éthique et médical, approprié aux besoins des malades et de leurs familles, et judicieux dans sa portée politique ; la qualité du débat public des prochains mois en dépend. 

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Mélanie Heard

Responsable du pôle Santé de Terra Nova

Marc-Olivier Padis