Jean-Luc Mélenchon et le Covid : le grand écart idéologique

Jean-Luc Mélenchon et le Covid : le grand écart idéologique
Publié le 12 mai 2022
Jean-Luc Mélenchon a abondamment contesté les mesures sanitaires prises pour lutter contre le Covid. Au-delà d’attaques fluctuantes, ses prises de position expriment une idéologie inattendue où les contraintes collectives et les libertés individuelles font d’étranges chassés-croisés.

En clôture de la convention fondatrice de la NUPES le 7 mai, Jean-Luc Mélenchon a consacré un temps de son discours au Covid. Une initiative à saluer, dans une période électorale où la tendance aura plutôt été à passer sous silence les enjeux passés, présents et futurs de la pandémie. Mais quelle est la vision de santé publique qu’il a donc proposée pour la nouvelle union ?

« La Covid-19 c’était le hors d’œuvre. Il y aura d’autres pandémies, parce que le modèle dominant de l’agriculture mondiale est celui de la destruction des espaces naturels et donc de la transmission des virus qui se trouvent parmi la biodiversité animale sur les animaux domestiques et d’eux aux êtres humains. (…) Nous aurons d’autres cas de zoonoses, et donc d’autres pandémies. Et donc nous sommes obligés de commencer à nous organiser pour 1) empêcher les pandémies – donc fermer les fermes-usines ; et 2) nous devons nous préparer à, lorsqu’elles éclatent, être capables d’organiser la société autrement qu’en mettant en prison chez soi toute la population (applaudissements). Si vous n’y réfléchissez pas, si ça ne vous intéresse pas, si vous attendez que ça arrive en disant « ça nous fera vendre des masques. Et pourquoi pas du gel … ». … Le capitalisme de notre époque est incapable de se corriger tout simplement parce qu’il profite des turpitudes qu’il déclenche. Mais nous, qui ne sommes que la société des êtres humains et qui ne défendons rien d’autre que l’intérêt général humain, nous regardons ces choses d’un autre œil. Il faut organiser, il faut préparer ». 

Si l’évocation de la prévention des zoonoses est sans doute opportune, il faut aussi retenir de cette rapide proposition la critique acerbe et applaudie formulée contre le confinement : « mettre en prison chez soi toute la population  ». A l’heure où des récits s’écrivent déjà de ce qu’aura représenté la gestion sanitaire de la pandémie dans notre pays, cette position n’a rien d’anodin. Elle traduit un militantisme systématique, depuis mars 2020, des leaders de LFI contre la logique solidaire de la santé publique, en relayant au besoin fausses informations et vrais mensonges.

Contresens et fausses informations

L’opposition de Jean-Luc Mélenchon à la stratégie de l’exécutif face au Covid s’est nourrie d’une série de contre-vérités et n’a pas hésité à relayer des fake news.

Ainsi, dès avril 2020 sur l’hydroxycholoroquine : déplorant la « diabolisation » de Didier Raoult dans un tweet d’avril 2020, Jean-Luc Mélenchon s’était dit prêt, après avoir eu « un contact courtois, agréable et rationnel avec un homme qui ne critiquait personne, n’en voulait à personne et mettait sur la table des arguments », à bénéficier du supposé traitement s’il était malade.

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Ainsi, de même, en mai 2020 au moment du déconfinement, sur l’application Stop Covid (devenue TousAntiCovid) : à l’Assemblée nationale, Jean-Luc Mélenchon reprend une fausse information qui circule sur internet, selon laquelle l’application accèderait au GPS et au répertoire du téléphone de son utilisateur, et proclame, citant à la lettre un message en vogue à l’époque sur les réseaux sociaux : « Je ne prendrai pas l’application Covid-19, et je bénéficie de ce privilège d’être à la tribune pour dire à tous ceux qui m’ont dans leur annuaire, leur agenda, leurs contacts, de retirer mon nom immédiatement si jamais eux prennent pour eux cette application ».

De même enfin, tout au long de l’année 2021, sur le vaccin.

Alors même qu’en 2009 face à la grippe A(H1N1), Jean-Luc Mélenchon avait clairement fustigé la « mode dans les médias pour entretenir le scepticisme » et pris fermement position en faveur de la vaccination arguant que « devant les campagnes de santé publique, on fait d’abord la campagne  et on discute après, pas l’inverse », face au Covid en novembre 2020 il a bien au contraire d’abord refusé de recommander publiquement la vaccination, disant : « de quel droit je vais dire ‘faites ci, faites ça’ ? moi je suis un homme politique, je m’occupe de comment on conduit un pays, et pour le reste j’ai des opinions ». Une position qui s’est prolongée en décembre par un scepticisme assumé sur les vaccins ARNm, avec la fameuse phrase sur les surgelés (« ce vaccin qui dépend d’une telle chaîne du froid, il m’inquiète ») et surtout sur « le procédé qui n’est pas celui qu’on connaissait jusqu’à présent », concluant : « on croise tous les doigts pour que ce soit la bonne idée, mais en attendant on n’en est pas sûrs, alors ce vaccin ne me rassure pas » avant de mettre carrément en cause les fondements scientifiques de la stratégie vaccinale : « depuis quand on met un vaccin seulement sur la base de communiqués de l’AFP ? ».

Fin 2021, c’est en particulier sur les enjeux spécifiques aux Antilles que cette opposition au vaccin s’est cristallisée. Lors d’un déplacement aux Antilles en décembre lié aux émeutes locales contre l’obligation vaccinale des soignants, Jean-Luc Mélenchon fustigeait les « méthodes brutales » de l’exécutif, voulant se montrer en phase avec la défiance exprimée par les manifestants : « ici les gens ne se laissent pas mater ! ». Mais plus encore, ce sont surtout ses propos fallacieux sur la chaîne guadeloupéenne Canal 10 concernant de potentiels effets secondaires de la vaccination liés à la contamination au chlordécone qui doivent choquer : « des médecins m’ont expliqué le rapport entre la contamination au chlordécone de la population et les risques que pouvaient comporter des inflammations nouvelles, qu’elles soient injectées ou pas. (…) Il y a une volonté délibérée de l’Etat qui consiste à dire que tout ça ce sont des populations folkloriques sur lesquelles on a un regard paternaliste ». En réponse, sur le plateau d’Elysée 2022, Anne-Sophie Lapix lui reprochera en février 2022 de ne pas inciter les habitants des Antilles à se faire vacciner (à l’époque, la Guadeloupe comptait seulement 42% de plus de 12 ans vaccinés versus plus de 90% sur l’ensemble de la France) et de diffuser une rumeur qui est en réalité discréditée par l’absence de données dans la littérature internationale sur une déficience immunitaire spécifique liée à la contamination au chlordécone. Une passe d’armes devenue virale et marquée par une certaine agressivité du leader LFI : « Donc il aurait fallu que je dise ‘Mme Lapix m’a dit de vous dire que c’est pas bien, les enfants, vous ne savez pas ce que vous faites’? Écoutez Madame, ce n’est pas comme ça qu’on fait. Faites votre boulot, je fais le mien ».

Enfin, le vaccin aura aussi offert à Jean-Luc Mélenchon une tribune géopolitique qui n’est pas sans rappeler les positions similaires de Marine Le Pen : on pense à l’hommage aux vaccins chinois, russe, et même cubain, de Jean-Luc Mélenchon dans un fil twitter d’avril 2021 incriminant pêle-mêle « la cupidité de Big Pharma », la préférence française pour les vaccins anglo-saxons purement attribuable à des « raisons idéologiques », et enfin la « paperasse européenne : ras-le-bol ! ». Rappelons que l’efficacité du vaccin russe n’est pas reconnue à l’heure actuelle en France, celle du vaccin chinois ayant été admise fin 2021 pour accéder au passe vaccinal sous réserve d’une 3e dose ARNm.

Et la série des contresens du leader de LFI sur la vaccination pourrait encore être prolongée. Le ministre de la santé Olivier Véran ne s’est d’ailleurs pas privé de la détailler à l’envi, répondant par ce qu’il a lui-même appelé un « florilège » à la charge tous azimuts que Jean-Luc Mélenchon conduisait contre le passe vaccinal à l’Assemblée nationale le 3 janvier 2022 :

« Olivier Véran : Vous avez comparé le vaccin à ARN messager à des surgelés vendus dans des supermarchés – de quoi renforcer la confiance des Français ! (Huées sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Vous avez parlé de ce « machin » Pfizer que jamais, ô grand jamais, vous ne recevriez – or je crois savoir que vous avez reçu votre troisième dose de vaccin Pfizer… (Sourires et applaudissements sur quelques bancs du groupe Dem. – Vives protestations sur les bancs du groupe FI.) (…) Vous avez mis en cause la qualité d’études cliniques validées dans le monde entier. Vous avez parlé de l’opacité des laboratoires, qui n’auraient pas publié leurs données auprès des agences internationales – ce qui est faux. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et Dem.) Vous avez menti en affirmant que Doctolib, société privée, gérerait les centres de vaccination : en réalité, elle n’est chargée que des prises de rendez-vous. Vous avez menti en affirmant que les sociétés comme Doctolib conserveraient les données des Français et les exploiteraient à des fins commerciales : c’est faux, et la loi prévoit exactement le contraire.
Vous avez appelé tour à tour à utiliser – pourquoi pas ? – des vaccins russe ou chinois qui, s’ils existent, sont sans doute les deux derniers à ne pas avoir fait l’objet d’un dépôt transparent de demande d’autorisation devant les instances sanitaires internationales. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et Dem.) Vous avez affirmé au début de la crise que, si vous étiez malade, sans hésiter, vous prendriez de la chloroquine. Le feriez-vous aujourd’hui ? Et lorsque vous êtes allé en Guadeloupe, en pleine vague épidémique, c’était pour soutenir les soignants qui refusaient de se faire vacciner. (…) On m’a appris un proverbe selon lequel l’erreur est humaine, et persévérer est diabolique – à moins que votre intention et celle de votre groupe ne soit pas sanitaire… ». 

L‘opposition au passe et la question de la vaccination des mineurs

Sur le passe sanitaire puis le passe vaccinal, l’opposition des députés LFI a été systématique. Considérés par Jean-Luc Mélenchon comme « 100% inefficace », le passe sanitaire, puis surtout le passe vaccinal, ont été critiqués en arguant de l’impuissance du vaccin à éviter les contaminations. Certes, la critique portée admet toujours dûment la protection contre les formes graves et l’intérêt individuel de la vaccination. Mais en niant l’intérêt de la vaccination pour freiner la circulation virale, l’argument devient fallacieux, et nourrit de fait sans nuances les positions antivax. Ainsi de Jean-Luc Mélenchon affirmant, au perchoir de l’Assemblée nationale en janvier 2022 : « Aujourd’hui, 91 % des personnes éligibles sont vaccinées[chiffre gouvernemental qui, notons-le au passage, omet d’intégrer au dénominateur des éligibles la population des enfants de 5–11 ans sans que cela éveille de critique de LFI], et vous en faites un titre de gloire. Admettons. Mais à quoi cela sert-il, si, comme le dit M. Véran, le nouveau variant occasionne 500 000 contaminations par jour ? ». Une telle posture est dangereuse et nourrit directement l’argumentaire antivax. L’intérêt de la vaccination pour freiner la circulation virale des variants Delta puis, surtout, Omicron, s’est certes avéré bien moindre qu’espéré ; mais les valeurs admises d’efficacité contre l’infection, de l’ordre de 50%, valident encore sa portée collective, et interdisent de le réduire à une pure prophylaxie individuelle – sauf à ignorer les fondements mêmes de la logique solidaire de la santé publique.

Dans la même logique, LFI s’est opposée de façon méthodique à la vaccination des mineurs. Son combat contre l’inclusion des 12–17 ans dans le passe sanitaire l’a en effet conduite à diffuser des contresens sur la balance bénéfice-risques de la vaccination des adolescents. A l’Assemblée tribune de Mediapart, signée notamment François Alla, Barbara Stiegler, mais aussi Henri Bergeron, Olivier Borraz ou Patrick Castel, dénonçant « un rapport bénéfice-risque très limité voire défavorable » et donc une «  décision brutale, qui transgresse à la fois les principes fondamentaux de notre éthique médicale et ceux de la santé publique » – alors que « la valeur d’une société se mesure à la manière dont elle traite ses enfants ». Une telle mise en cause de la décision publique et de son caractère evidence-based a de quoi surprendre, d’abord parce qu’elle ignore purement et simplement le risque de formes graves chez les mineurs : plus de 20.000 familles en France ont traversé l’épreuve d’une hospitalisation de leur enfant pour Covid depuis mars 2020. Ensuite parce qu’elle met en cause le travail d’évaluation de la balance bénéfices-risques qui a bien été appréciée comme favorable par le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale dès fin avril 2021, l’Agence européenne du médicament en mai, et la HAS en juin, en mesurant dûment le signal de pharmacovigilance sur les myocadrites tout en s’appuyant sur des données d’essais cliniques que les données en vie réelle sur la protection des mineurs face au risque d’hospitalisation ont, depuis, largement confirmé, comme en témoigne une récente publication du New England Journal of Medicine.

La contestation des mesures sanitaires : un vertige théorique

Les positions prises par Jean-Luc Mélenchon sur la gestion du Covid dépassent en réalité largement la critique du bien-fondé de telle ou telle mesure, ou la diffusion plus ou moins tacticienne d’informations erronées. La position de LFI est en définitive hostile à l’égard de l’usage de la coercition en matière de santé publique pour contraindre les comportements privés. C’est ainsi que Jean-Luc Mélenchon a pu combattre systématiquement la gestion sanitaire de l’exécutif, au nom de la défense des libertés, accusant par exemple l’exécutif, dès le 4 novembre 2020 à l’Assemblée, de « construire un régime autoritaire de type particulier », et de « suspendre les libertés fondamentales, le sourire aux lèvres ».

Pour ceux qui ont voté à l’unanimité, en mars 2020, contre le projet de loi d’urgence, la critique en vient toujours à porter sur le caractère à la fois inutile et illégitime de la restriction des libertés dans la gestion de la pandémie, à y déceler une dérive autoritariste de l’Etat, et à corréler cette dérive avec des options qualifiées de néo-libérales. Ainsi de Mathilde Panot le 13 juillet 2022 à l’Assemblée affirmant : « Avec vous pour le vaccin comme pour le reste, c’est à la matraque. Par contre, jackpot pour Big Pharma. En quoi briser nos libertés aide à lutter contre l’épidémie ? ».

Le leader de la NUPES s’est livré dès novembre 2020, dans un essai circonstancié publié sur son blog et intitulé « Emmanuel Macron à la dérive autoritaire », à un effort de théorisation systématique de sa critique de la gestion française de la pandémie. Tout son effort est de combiner les valeurs collectivistes de la protection du bien commun, auxquelles il revendique son attachement, avec une défense systématique des libertés individuelles et un refus sans nuance de la coercition en santé publique.

Incontestablement, un certain nombre d’options préconisées par Jean-Luc Mélenchon correspondaient au corpus théorique du collectivisme et plaidaient pour un Etat fort au service du bien commun. C’est dans cet esprit qu’il a pris parfois position au cours de la crise en faveur d’une intervention renforcée de l’Etat, par exemple pour la réquisition des moyens de production textile pour les masques en 2020, ou pour l’investissement en matière de qualité de l’air dans les écoles en 2021. « Pendant la crise sanitaire, la planification, le collectivisme, la solidarité constituaient les moyens pour nous protéger tout en restant un peuple libre », écrit-il dans son essai de novembre 2020. L’une de ses critiques récurrentes porte ainsi sur l’insuffisante mobilisation et même l’« échec » de l’Etat en matière de traçage et d’isolement des malades : deux mesures classiques de santé publique qui, quand elles sont mises en œuvre de façon plus déterminée qu’elles ne l’ont été en France, c’est-à-dire adossées à l’obligation comme dans de nombreux pays, sont un modèle de l’interventionnisme de l’Etat en santé publique.

Dans son essai, Jean-Luc Mélencon en appelle à plusieurs reprises aux mérites de l’intelligence collective et de la mobilisation des communautés en santé publique. Bien entendu, il a raison d’affirmer que « la crise sanitaire se résoudra par l’intelligence collective et par l’implication et la participation du plus grand nombre dans l’élaboration des solutions » (Assemblée nationale, janvier 2022). Et à cet égard il nous reste incontestablement à tirer les leçons de ce qu’aurait permis une meilleure mobilisation de tous les outils d’intelligence collective du risque, une meilleure mobilisation des savoir-faire en promotion de la santé et des leviers d’empowerment pour mieux mobiliser les communautés, au premier rang desquels sans doute l’école, et tout particulièrement sur les enjeux de qualité de l’air intérieur où l’investissement de l’Etat continue de faire désespérément défaut.

Mais en prolongeant, sans solution de continuité, ces appels à l’intelligence collective par une critique en règle du recours aux outils coercitifs, le leader de la NUPES se trouve en réalité pris dans un paradoxe idéologique face à la gestion de la pandémie. Plaidant apparemment pour une vision ambitieuse de la santé publique, fondée en raison, adossée aux prérogatives de l’Etat et à la prééminence du bien commun, il se trouve finalement défendre une gestion individualiste et in fine quasi libertarienne de l’épidémie dans laquelle l’opposition entre santé et liberté serait le contresens à combattre. Justifiant des positions diamétralement opposées, la cascade idéologique a lieu parfois dans une seule et même phrase.

Les observateurs et théoriciens normatifs de la santé publique (par exemple Lawrence Gostin) savent bien qu’il arrive que la vigilance légitime en faveur du contrôle démocratique des pouvoirs d’urgence de la santé publique en temps de crise rejoigne finalement les valeurs du libertarisme et rende aveugle aux exigences du bien commun et aux vertus indispensables de l’action collective et solidaire. Quelle est la légitimité de l’Etat à contraindre les comportements privés au profit de l’intérêt général ? Cette question normative fonde l’action publique en matière de santé, qu’il s’agisse bien entendu de la lutte contre les maladies infectieuses, mais aussi de la prévention des maladies chroniques, des addictions, de la qualité de l’eau ou de l’air, de la nutrition, de la sécurité routière etc. L’une des définitions possibles de la santé publique est précisément de considérer qu’elle s’occupe de la part de détermination de notre santé qui échappe irréductiblement à la somme des volontés individuelles de prendre soin de soi, aussi bénévolentes puissent-elle devenir sous l’effet des stratégies d’information et d’éducation ou d’empowerment. Le souci de chacun de se protéger des maladies contribue bien de façon décisive à l’état de santé global d’une population ; mais cela ne peut suffire à garantir à tous l’environnement de santé favorable auquel il a droit, et une part des environnements de santé requiert malgré tout une action collective organisée par l’Etat, au besoin appuyé par la contrainte exercée sur les intérêts privés au nom de l’intérêt général. Défendre alors, encore et toujours, la prévention contre la coercition, invoquer à longueur de débats comme le font systématiquement Mathilde Panot et Jean-Luc Mélenchon que « l’OMS recommande de convaincre au lieu de contraindre », c’est finalement faire prévaloir les intérêts individuels sur les bénéfices pour l’intérêt général que seule permet une action collective organisée qui devra imposer des comportements solidaires face au risque, quand la poursuite par chacun de sa bonne santé ne suffit pas à protéger la santé de tous. Et la lutte contre la contagion en est bien sûr historiquement le modèle. Toute la question normative étant de caractériser les critères et la méthode sous lesquels les maux de la coercition sont proportionnels aux biens pour la santé – une balance difficile que LFI contourne au lieu de l’affronter. 

Condamner plutôt par principe le recours à la coercition en matière de santé, c’est bien cela le choix que fait Jean-Luc Mélenchon en affirmant carrément par exemple à l’Assemblée nationale en janvier dernier : « Une société totalitaire et autoritaire, voilà ce que c’est ! Ne croyez pas que vous renforcerez la sûreté sanitaire en réduisant les libertés. Les restrictions de liberté ont toujours été l’illusion de ceux qui croient efficace de décider de tout, tout de suite et sans discussion. Au contraire, la liberté est la meilleure des protections ; elle est la meilleure incitation à l’intelligence collective ». On a là le bel argumentaire libertarien : la régulation des comportements est à la fois inepte et illégitime – puisque toutes les bonnes choses vont ensemble ! A quoi vient à l’occasion s’ajouter l’argument, cher à Albert Hirschman, de la « contre-productivité » (perversity) des régulations, comme dans la critique de Jean-Luc Mélenchon à l’égard de l’application Stop Covid ou du passe sanitaire, dont il aime à dire qu’ils créent « un sentiment de fausse sécurité » et contribuent donc implicitement à la diffusion du virus qu’ils prétendent combattre.

Si Jean-Luc Mélenchon parvient à combiner son attachement à l’Etat défenseur du bien commun avec une défense inconditionnelle des libertés individuelles, c’est au prix d’une prémisse qu’il théorise ainsi dans son essai de novembre 2020 : « D’aucuns pensaient l’État d’essence autoritaire. On voit à présent qu’à son affaissement correspond une implacable réduction du champ des libertés publiques. Sous nos yeux, la légitimité de l’État républicain s’écroule. Sommes-nous plus libres ? En aucun cas. Un autoritarisme quasi-totalitaire s’y substitue ». Et s’il reconnaît qu’Emmanuel Macron « est un libéral » et que « les militants libéraux ont parfois été aux côtés des collectivistes pour défendre les grandes libertés publiques », ce n’est que pour déplorer que « ce temps est révolu » : « Le néolibéralisme a fait passer ce camp-là de l’autre côté de la barricade où se défend la liberté. Désormais, non seulement le libéralisme n’implique pas de garantie pour les libertés, mais il est également une menace implacable pour elles ».

S’agissant du Covid, la pente autoritaire et néolibérale du régime s’illustre selon lui par les pouvoirs exorbitants et même « l’autonomisation insupportable » accordés à la police dans le cadre du confinement. Un confinement qui aurait été évitable avec, en définitive, un Etat plus fort : d’une part avec un service public hospitalier plus robuste (« des lits de réanimation disponibles en quantité suffisante ») et d’autre part avec une santé publique plus efficace en matière de traçage, de quarantaine et d’isolement. La succession des arguments fonctionne en somme comme une mise en abyme de paradoxes imbriqués : un Etat liberticide parce qu’il est libéral ; un Etat dont la faiblesse met en danger le bien commun, mais dont la force anéantit les libertés ; une « société de surveillance » instaurée avec StopCovid et la « progression constante d’un appareil de contrôle », à la faveur même de stratégies de traçage et d’isolement paradoxalement trop irrésolues ; et finalement un « défaut de planification » qui n’a d’autre origine que le plan cynique, méthodique et délibéré de « traiter la situation sanitaire sous l’angle unique de la réduction des libertés ».

Car c’est bien là le socle de la charge mélenchoniste contre la gestion du Covid : l’idée d’une instrumentalisation brutale et délibérée, par Emmanuel Macron, de la crise au service de l’autoritarisme que lui inspire son néolibéralisme. « La crise sanitaire a été utilisée par ce régime comme un moyen d’accélérer la pente autoritaire. C’est l’application de la « stratégie du choc ». (…) Dès lors, l’évolution de la période est celle du passage de l’autoritaire au totalitaire ». Le corollaire est donc limpide : le risque sanitaire ne justifiait pas, par lui-même, les mesures prises. Le choix d’une telle lecture, c’est le choix du déni et de la minimisation, non celui de la protection des plus fragiles et des victimes.

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Mélanie Heard

Responsable du pôle Santé de Terra Nova