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Série « Européennes 2024 »

L’avenir de l’Europe de la santé dans le prochain quinquennat européen

Lors de son discours du 25 avril sur l’Europe, le chef de l’Etat a vanté « l’unité stratégique » des Vingt-Sept, notamment pendant la crise Covid sur les enjeux de santé, domaine dans lequel l’Union ne disposait pourtant que de compétences limitées. Cette Europe de la santé est pourtant encore au milieu du gué. Or, au-delà de l’urgence sanitaire, les enjeux de souveraineté industrielle sur le médicament sont de fait à un tournant. Et d’autres défis, autour du cancer notamment, cherchent encore leur élan politique. Quelques pistes pour le prochain quinquennat européen.  

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Vers l’Europe de la santé ?

Les Européens parlent depuis la crise Covid d’« Union de la santé ». Mais quelles sont les initiatives justifiant l’idée que l’Europe serait désormais plus active pour la santé des Européens ? Au-delà de l’urgence sanitaire du Covid-19, que fait-elle exactement ? Que peut-elle encore faire d’utile pour aller plus loin ? C’est ce qu’explorait Anne Bucher, ancienne directrice générale pour la santé à la Commission européenne, dans un récent rapport en forme de bilan pour Terra Nova.

De fait, une récente enquête Eurobaromètre, réalisée en vue des élections européennes de juin, révèle que la santé est l’un des principaux sujets de préoccupation des électeurs. Les résultats montrent que 60 % des Européens s’intéressent aux prochaines élections, soit une augmentation de 11 % par rapport aux résultats du même sondage réalisé avant les dernières élections de 2019, et qu’ils sont également beaucoup plus susceptibles de voter. Les principaux enjeux identifiés par l’enquête sont la lutte contre la pauvreté (33 %), le soutien à la santé publique (32 %), le renforcement de l’économie (31 %), ainsi que la défense et la sécurité de l’UE (31 %). Absente de l’enquête du printemps 2019, la santé publique est donc devenue une priorité majeure depuis la pandémie de Covid-19. Par ailleurs, d’autres sondages Eurobaromètre ont révélé que, durant cette période, l’UE a bénéficié de niveaux de soutien populaire sans précédent.

Parmi les sujets suivants, lesquels devraient être abordés en priorité lors de la campagne électorale pour les prochaines élections du Parlement européen ? En premier lieu ? Et ensuite ? (EU 27) (%) (Max 4 réponses)

Malgré ces attentes, la politique européenne de santé reste peu visible dans la campagne électorale (notamment en France). Dans la santé, comme dans beaucoup de secteurs, l’Union a d’avantage la main quand il s’agit de performance économique, de questions de marché et d’innovations. Un premier exemple est la transformation numérique avec l’adoption in extremis, lors de la dernière plénière de l’actuel parlement, du Règlement sur l’espace européen des données de santé. La législature sortante aura ainsi établi un cadre harmonisé pour la collecte et l’utilisation des données de santé, indispensable pour progresser vers des modèles de soins intégrés et poser les bases d’une recherche médicale européenne qui réalisera le potentiel de l’intelligence artificielle. Le deuxième exemple est l’enjeu de souveraineté pour l’approvisionnement en médicaments dont la dimension européenne fait désormais consensus. C’est qu’avec la pandémie de Covid, les Européens ont pris conscience non seulement des défaillances de leur souveraineté en matière de santé, mais aussi de l’intérêt d’y remédier de manière intégrée et solidaire. Deux enjeux majeurs se sont notamment installés au cœur des préoccupations communes des Vingt-Sept : 

  • le risque de rupture d’approvisionnement en médicaments, vaccins et équipements médicaux ;
  • la nécessité de constituer des stocks dans le cadre de la préparation aux crises futures.

Mondialisées et fragmentées, les chaînes d’approvisionnement ont en effet montré toutes leurs vulnérabilités pendant la crise, exposant les États membres à des pénuries à la fois de médicaments originaux et de génériques, et révélant leur forte dépendance à des pays tiers.

Deuxième plus grand marché de produits pharmaceutiques au monde, l’Union européenne (UE) dispose d’un secteur pharmaceutique fort et compétitif, leader mondial dans la production de médicaments et contributeur majeur à l’économie avec quelque 800.000 emplois directs en Europe. Ce marché présente toutefois plusieurs paradoxes. D’abord, la production pharmaceutique dans l’UE s’est concentrée sur des produits complexes, qui nécessitent des infrastructures de haute technologie, une main-d’œuvre qualifiée et des processus sophistiqués. Mais d’un autre côté, près de 70 % des médicaments délivrés en Europe sont des génériques et 40% des médicaments commercialisés proviennent de pays tiers. La fragmentation de la production est majeure et concerne davantage les médicaments anciens dont le brevet a expiré ; 60 à 80% des principes actifs sont produits en Chine et en Inde.

En octobre 2023, la Commission a publié une communication stratégique sur les pénuries de médicaments qui fixe les ambitions : augmenter les capacités de production européennes, coordonner les efforts de relocalisation conduits par les Etats membres, sécuriser les  chaînes d’approvisionnement sur les médicaments les plus importants, et constituer des stocks, y compris avec des achats conjoints.

 

Révision de la législation pharmaceutique européenne

Ce sujet s’inscrit dans l’agenda crucial de la révision de la législation pharmaceutique européenne. La refonte de la législation générale de l’UE sur les médicaments à usage humain aura en effet été l’un des derniers dossiers majeurs à être adopté par l’exécutif de l’UE avant la fin de la 9e législature (2019–2024). Il s’agit de la plus grande réforme en la matière depuis plus de 20 ans. Elle apporte une réponse stratégique aux questions d’accès aux traitements, de besoins médicaux non-satisfaits et de pénuries de médicaments.

C’est début avril que les eurodéputés ont adopté leur position sur la proposition de réforme de la Commission (paquet d’avril 2023 comprenant une proposition de nouvelle directive et un nouveau règlement visant à mettre à jour la législation pharmaceutique existante). Le Conseil de l’UE doit désormais adopter sa position sur le texte afin que les trilogues puissent débuter avec la Commission européenne. La position du Parlement sur la directive et le règlement a été adoptée à une écrasante majorité (495 et 488 respectivement) : ceci suggère qu’il existe un réel soutien des différents partis que l’issue des élections européennes de juin prochain ne devrait pas déséquilibrer. « L’adoption du paquet pharmaceutique est une grande victoire pour l’Europe de la santé, pour notre autonomie stratégique en matière de médicaments, pour une Europe protectrice. Au cœur de ce texte, nous mettons la force de l’Union et la puissance de notre recherche et innovation pour intensifier le développement et la production durable de médicaments sûrs et accessibles pour tous » a déclaré l’eurodéputée Catherine Amalric, rapporteure pour le groupe Renew Europe sur la directive sur les médicaments.

 

Relocalisations

Hors situation de crise, la volonté de relocaliser la production de médicaments essentiels peine toutefois à passer à la phase opérationnelle. Elle combine deux logiques : au minimum, il s’agit de coordonner et prioriser les investissements nationaux de relocalisation des Etats membres, alors que les acteurs déplorent une timidité en la matière et des concurrences entre Etats. Plus essentiellement, l’ambition est que les Etats membres mettent en commun des moyens en faveur de la relocalisation : le projet important d’intérêt européen commun Santé (PIIEC Santé) lancé en mars 2022 par 16 Etats est l’outil le plus à même de concrétiser une stratégie européenne de relocalisation. Mais, à l’image du PIIEC Hydrogène dont Christphe Schramm faisait l’analyse en avril 2024 pour la Grande conversation, sa lenteur est largement déplorée, de même que la contrainte d’une forte composante d’innovation dans les projets soutenus, qui limite la capacité de le mobiliser en faveur de la relocalisation de médicaments matures, essentiels mais sans avancée technologique particulière.

Pour aller au-delà, plusieurs voies ont été proposées. Dix-neuf Etats membres ont adressé à la Commission un « Critical Medicines Act » en mai 2023 : ils réclament un mécanisme de solidarité entre Etats-membres, l’établissement d’une liste de médicaments critiques et un Acte sur les médicaments critiques incluant divers instruments, y compris des mesures en faveur de la reconstruction de capacités industrielles de production pour des médicaments matures essentiels..

Piste 1 : Poursuivre une stratégie de sécurisation globale des chaînes d’approvisionnnement pour les médicaments matures essentiels, y compris par des relocalisations de capacités industrielles de production.

En parallèle, du côté du Parlement européen, l’idée progresse d’un établissement pharmaceutique européen à but non lucratif, capable de produire des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur délaissés par les laboratoires pharmaceutiques, notamment en raison de leur ancienneté ou de leur plus faible rentabilité, sur le modèle de l’initiative américaine « Civica ». Le Parlement européen a défendu cette solution d’une production publique dans sa résolution sur les pénuries de médicaments en 2020. Mais certains États membres se sont d’ores et déjà déclarés défavorables à cette solution.

Piste 2 : Créer un établissement pharmaceutique européen à but non lucratif, capable de produire des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur délaissés par les laboratoires pharmaceutiques, notamment en raison de leur ancienneté ou de leur plus faible rentabilité.

Dans l’immédiat, les rumeurs de la vente de Biogaran, par son propriétaire Servier, à des repreneurs indiens agitent le Parlement. Biogaran est le leader de la production de médicaments génériques en France et emploie 8.600 personnes ; 50 % de la production de l’entreprise est effectuée sur le territoire français et 90 % en Europe. Devant la perspective de cette vente, l’eurodéputée Marie Toussaint, tête de liste française des écologistes, plaide pour « une souveraineté pharmaceutique européenne ». « Nous devons agir pour assurer notre sécurité sanitaire et tirer des leçons du passé lors de la crise du Covid que nous avons vécue, pour faire face à des pénuries éventuelles »a-t-elle déclaré sur X. « L’enjeu, ce n’est pas de savoir si on favorise la France ou la Roumanie, c’est comment est-ce qu’on recrée des capacités de production de médicaments en France et en Roumanie et en Pologne et au Portugal  », a-t-elle détaillé, se prononçant en faveur de « stocks stratégiques au niveau européen » et pour la création « d’un service public européen du médicament » capable de contrer la dépendance de l’UE aux substances actives importées de Chine et d’Inde. En parallèle, Valérie Hayer, tête de liste Renaissance aux élections européennes, a également dénoncé sur France Inter le 21 avril une décision du laboratoire Servier qu’elle juge « incompréhensible  » et « à rebours de l’Histoire ». Enfin, le ministre délégué à l’Industrie Roland Lescure a indiqué sur RMC qu’il ne souhaitait pas la vente par Servier de Biogaran : « Ce qui m’énerve le plus, c’est que cela fait des mois qu’on met en place une politique pro-active pour faire venir de grands laboratoires pharmaceutiques en France, Pfizer, Astra Zeneca, Novo Nordisk, ils viennent en France et c’est le moment que choisit le laboratoire Servier pour vendre (…). Ça, je le regrette ».

 

L’Alliance pour les médicaments critiques, une nouvelle étape

Le temps des regrets est-il donc déjà venu ? En amont de ces perspectives, que fait l’UE aujourd’hui ? Pour sécuriser l’approvisionnement des Européens, la crise Covid avait permis l’émergence d’un mécanisme informel de dialogue entre la Commission, les Etats membres et les industriels. Cette initiative est devenue l’Alliance pour les médicaments critiques installée en janvier 2024.

Alliance pour les médicaments critiques 

La mise en place de l’Alliance est l’une des actions clés visant à prévenir et à résoudre les pénuries de médicaments critiques. L’Alliance réunit toutes les parties prenantes concernées et doit renforcer la coopération entre la Commission, les gouvernements nationaux, les industriels et la société civile. Elle identifiera les défis, les priorités d’action et les solutions politiques possibles à la question des pénuries de médicaments critiques dans l’UE, dont une première liste comportant plus de deux cents spécialités a été publiée en décembre 2023. L’Alliance est un mécanisme consultatif qui servira également de réseau pour accélérer la mise en œuvre de l’action de l’UE dans ce domaine. 

Elle élaborera des recommandations et fournira des conseils à la Commission, aux États membres et aux autres décideurs de l’UE sur la manière de remédier aux pénuries de médicaments. S’appuyant sur la liste de l’Union des médicaments critiques publiée par l’Agence européenne des médicaments en décembre 2023, elle se concentrera sur les médicaments présentant le risque de pénurie le plus élevé et l’impact le plus important sur les systèmes de soins de santé et les patients.

L’Alliance vient de franchir un nouveau pas le 24 avril avec le lancement de deux groupes de travail, l’un consacré à la relocalisation de certaines productions en Europe, l’autre à la diversification des sources d’approvisionnement. Créée pour cinq ans, l’Alliance publiera ses premières recommandations d’ici la fin de l’année 2024. Pour la commissaire européenne à la Santé Stella Kyriakides, « avec cette alliance, qui rassemble 250 parties prenantes – des États membres, des associations ou encore des industriels – nous abordons la dimension industrielle des pénuries ». La France affiche qu’elle entend jouer un rôle clé dans cette initiative. Le ministre de l’Industrie, Roland Lescure s’est ainsi rendu à Bruxelles pour assister au début des travaux. Il y a présenté un Manifeste en faveur d’un plan d’investissement coordonné pour faciliter les relocalisations, déjà signé par huit autres pays[1] qui propose des mécanismes pour subventionner les projets de relocalisation dans le double objectif d’assurer une meilleure garantie d’approvisionnement  en médicaments et un approvisionnement plus « vert »

 

Surveillance des chaînes d’approvisionnement

Alternative à la relocalisation, le choix stratégique est déjà de privilégier la surveillance des chaînes d’approvisionnement, et pour cela de faire largement peser sur les industriels la responsabilité de prévenir les pénuries.

La révision en cours de la législation pharmaceutique doit organiser la surveillance du marché pour anticiper les tensions sur les produits. Au niveau européen, l’agence européenne du médicament (EMA) sera chargée de surveiller une liste de 200 médicaments critiques établie par la Commission en décembre 2023. Les Etats membres seront associés à cette surveillance des tensions au travers de leurs agences nationales des médicaments. Et les industriels auront l’obligation quant à eux de sécuriser leurs chaînes d’approvisionnements : disposer de plans de prévention des pénuries ; notifier aux agences nationales les risques de rupture d’approvisionnement ; et surtout, pour toute nouvelle demande d’Autorisation de mise sur le marché (AMM) auprès de l’EMA, déposer un plan de sécurisation des chaînes d’approvisionnement pour lequel l’EMA pourra exiger des modifications (par exemple, diversifier les fournisseurs d’un principe actif).

Piste 3 : Parachever la révision en cours de la législation pharmaceutique pour organiser la surveillance du marché et anticiper les tensions sur les produits.

Mieux anticiper les crises : l’enjeu des stocks

D’ores et déjà, les leçons du Covid se jouent peut-être dans la construction d’une capacité robuste de répondre aux crises sanitaires futures. Dans le paquet de mesures de l’Union de la santé née du Covid, la nouveauté la plus prometteuse est peut-être la création de la Health Emergency Response Authority (HERA) qui doit pérenniser le dispositif des vaccins Covid et l’étendre à l’ensemble des produits médicaux nécessaires en temps de crise. Ainsi, d’ores et déjà, dans l’urgence pour l’hiver 2023–24, l’HERA et l’Agence européenne du médicament (EMA) ont mis en place un plan pour éviter les pénuries d’antibiotiques avec un mécanisme de solidarité entre Etats membres.

L’agence HERA et les mécanismes de la protection civile (facilité RESCEU) permettent d’anticiper les crises par la constitution de stocks stratégiques (ou préachats) de vaccins, de médicaments et de fournitures médicales. Ces stocks communs peuvent être acquis par des mécanismes d’achats conjoints : possibles depuis 2012, ils étaient principalement utilisés jusque-là par des groupements de petits pays.

Parce qu’ils ont permis, durant la crise Covid, l’achat de fournitures médicales et de vaccins, ces mécanismes sont considérés avec davantage d’intérêt depuis le Covid par tous les pays. L’HERA a désormais la capacité d’en prendre l’initiative. Activés notamment pour l’achat de vaccins monkeypox à l’été 2022, ou de vaccins grippe aviaire à destination des travailleurs agricoles en charge de l’abattage d’élevages contaminés, ils restent toutefois complexes s’agissant des achats de médicaments : notamment pour les génériques et médicaments introduits avant qu’existe l’AMM européenne, car alors des spécifications différentes selon les Etats membres entravent les achats conjoints. On observe cependant des progrès récents de cette logique, dans le cadre de la protection civile avec l’achat de stocks pour les menaces CBRM (Chemical, Biological, Radiological and Nuclear), comme l’iode, en lien avec le conflit en Ukraine. Les mesures de précaution peuvent aussi prendre la forme de contractualisation d’un réseau de fabricants disposant de capacités de fabrication suffisantes pour répondre aux besoins en cas de crise, comme le réseau EU FAB pour la production de vaccins.

 

L’horizon des achats groupés

L’un des sujets sur lesquels des avancées sont souhaitées, c’est l’enjeu des achats groupés de médicaments. Une perspective importante dans la problématique aiguë de la soutenabilité des coûts de l’innovation. Le nombre croissant et le prix élevé de nouvelles molécules pèsent sur les décisions de remboursement. C’est par exemple singulièrement le cas dans le champ du cancer, où 152 nouveaux anticancéreux (immunothérapies, cellules Car-T, ARN-m) ont été approuvés par l’EMA entre 2004 et 2022. L’UE est marquée par des inégalités dans la mise à disposition et le remboursement des innovations thérapeutiques. Le délai entre l’approbation par l’EMA et la décision nationale de remboursement d’un médicament oncologique est de moins de 100 j. en Allemagne, mais de plus de 3 ans en Lituanie. De même, la proportion de molécules présentant un bénéfice élevé dans le cancer du sein et du poumon qui sont remboursées varie de 1 à 3 d’un pays à l’autre.

Si presque tous les pays disposent d’une agence nationale dédiée à l’évaluation et au remboursement des médicaments, les efforts d’harmonisation européenne restent timides (Règlement de 2021 en matière de Health Technology Assesment). Il reste à convaincre les gouvernements, par l’exemple de la réussite européenne sur l’achat conjoint de vaccins Covid, de l’efficience d’une négociation à 27 comparée aux accords bilatéraux actuellement en vigueur.

La possibilité d’évaluation européenne partagée devrait favoriser les procédures d’achats conjoints, pertinentes pour les traitements de niche, associés à des nouveaux marchés aux prix très élevés : de tels médicaments exigent de nouveaux mécanismes de formation des prix qui pourraient être testés dans des négociations communes avec un meilleur rapport de force avec les laboratoires et permettraient de collecter plus rapidement les données nécessaires pour l’évaluation de l’efficacité réelle des traitements.

Piste 4 : Mettre à profit la synergie entre la révision de la législation pharmaceutique, la possibilité d’une évaluation médico-économique européenne partagée et le recours aux procédures d’achats conjoints, pour promouvoir des négociations communes pour des traitements de niche.

Renforcer les normes environnementales du secteur pharmaceutique

Les arguments qui sont avancés en faveur de la relocalisation sont, outre des raisons de souveraineté, des raisons environnementales. Il faut rappeler ici l’impact des politiques de santé sur le climat et la biodiversité, comme l’ont analysé pour La Grande Conversation Vincent Bretin et Zeynep Or.

L’industrie pharmaceutique européenne a longtemps considéré les normes environnementales imposées par l’UE comme l’un des freins à sa compétitivité, et c’est là l’un des enjeux sur lesquels la nouvelle Alliance devra avancer.

On estime qu’il y aurait 40% d’écart de prix entre l’Europe et l’Asie, dont la moitié attribuable à la qualité environnementale de la production européenne. Pour lutter contre une concurrence ainsi biaisée dans un marché ouvert à des produits fabriqués avec une moindre qualité environnementale en Inde et en Chine, le pari promu par Roland Lescure est, en renforçant les normes, de réduire les écarts de prix. Dans une récente interview pour Euractiv, il plaide en la matière en faveur de clauses miroirs à terme. De fait, si l’un des objectifs de la proposition de la Commission pour la révision de la législation pharmaceutique européenne est bien que « les nouvelles règles doivent tenir compte de l’incidence environnementale de la production de médicaments, conformément aux objectifs du Pacte vert pour l’Europe », tout l’enjeu reste que, comme le rappelait l’eurodéputée Catherine Amalric pour la Grande conversation, les standards environnementaux deviennent un atout pour l’Europe.

Piste 5 : Renforcer les normes environnementales du secteur pharmaceutique, introduire des clauses miroirs dans les échanges commerciaux en la matière et faire des standards environnementaux européens un véritable atout.

Les crises sanitaires

La prévention et la préparation aux crises sanitaires reste une priorité politique. Le cadre sanitaire a été renforcé en réponse à la crise Covid et l’UE doit maintenant opérationnaliser des engagements politiques pour lesquels l’échelon européen est stratégique. L’antibiorésistance fait partie des risques les plus élevés d’infection massive qui pourrait frapper l’UE dans les années à venir. Sans un encadrement communautaire, les politiques nationales resteront sur des trajectoires divergentes avec un engagement modéré des pays les plus exposés. L’objectif que s’est fixé l’UE d’une réduction de 20% des consommations nationales d’antibiotiques d’ici 2030 devra faire l’objet d’un monitoring politique continu, permettant un meilleur benchmarking des politiques nationales. Pour les zoonoses et l’antibiorésistance, l’approche « One health » (approche intégrée qui considère comme « une seule santé » la santé humaine, animale et la préservation de l’environnement) s’impose. L’UE a un avantage comparatif pour promouvoir l’approche « One health » auprès des Etats-membres mais également sur le plan global. Elle peut s’appuyer sur ses compétences en matière de santé animale et politique environnementale comme envisagé pour la surveillance des eaux usées et de surfaces ou les restrictions à l’usage d’antibiotiques dans le secteur de l’élevage.

Au-delà du rôle croissant que l’HERA sera appelée à jouer pour la prévention et préparation aux crises sanitaires, l’UE doit faire de la lutte contre l’antibiorésistance et l’approche « One Health » des priorités communes.

Un champ décisif : le cancer et ses inégalités

Au décours de l’épidémie de Covid, l’UE s’est dotée d’un Plan européen pour vaincre le cancer. Dans l’UE, le cancer concerne tout le monde : une femme sur quatre et un homme sur trois devraient recevoir un diagnostic de cancer avant l’âge de 75 ans, et environ un Européen sur dix meurt d’un cancer avant cet âge.

Cette pathologie rend manifeste l’un des enjeux stratégiques les plus criants de l’Europe de la santé : celui des inégalités d’accès aux soins. Car pour les cinq diagnostics de cancer qui sont posés chaque minute, les chances de survie varient jusqu’à 25% entre les pays. En 2019, la mortalité́ par cancer variait de 229/100.000 habitants en Autriche, à 327 en Hongrie voisine. Globalement, alors que des taux d’incidence plus élevés sont enregistrés dans l’Ouest et le Nord de l’UE (plus de 640 nouveaux cas/100.000), on constate des taux de mortalité plus élevés dans l’Est (plus de 300 décès/100.000). Alors que l’accès à la radiothérapie est à l’origine de la guérison d’environ 40 % des cancers, un Européen sur quatre n’y accède pas selon ses besoins. Cela est lié à la fois au défaut de personnels qualifiés et au taux d’équipement, qui varie de 0.39/100.000 habitants en Roumanie à 1.25/100.000 au Danemark (pour un taux moyen de 0.78).

Le plan cancer a permis la création d’un outil remarquable : le registre des inégalités face au cancer, qui renseigne sur les différences nationales et régionales de risques de cancer, d’incidence et de mortalité. Le plan « vaincre le cancer » a porté de nombreuses actions pertinentes pour la protection de la santé du citoyen européen, mais en l’absence d’une perspective de long terme, de telles initiaitves politiques limitées, fragmentées ou discontinues dans le temps, ne permettent pas de créer une dynamique d’efficacité de l’action publique européenne.

La lutte contre le cancer faisait partie des revendications et des promesses exprimées durant la campagne des élections européennes de 2019. Elle n’est guère visible dans la campagne actuelle. Anne Bucher, dans son rapport pour Terra Nova, regrette cette absence de dynamique politique européenne sur les maladies chroniques. La leçon du Covid, si elle conduit logiquement à concentrer une partie de l’action sur les situations critiques, ne devrait pas éclipser les atouts majeurs que l’Europe pourrait acquérir face aux maladies chroniques. Comme le note Anne Bucher : « A l’heure où la différence entre maladies infectieuses et non-transmissibles est de moins en moins pertinente pour les politiques de santé, comme l’a rappelé la crise Covid dont les malades chroniques et les âgés ont été les premières victimes, il serait logique d’étendre l’épidémiologie et la surveillance européennes des maladies infectieuses aux maladies non-transmissibles. Cette extension pourrait prendre la forme d’une extension du mandat de l’ECDC, reflétant le mandat d’organisations internationales de santé comme l’OMS ou les Centers for disease control (CDC) africain ou américain ».

Piste 7 : Pérenniser le plan cancer et étendre le mandat de l’ECDC de la surveillance des maladies infectieuses aux maladies non-transmissibles.

Si la crise COVID a permis de prendre conscience de la pertinence du niveau européen dans les politiques de santé, elle n’a encore pleinement permis de catalyser une « Union européenne de la santé ». Si certains enjeux ont par le passé clairement bénéficié de l’échelle européenne, comme les maladies rares, d’autres en revanche le requièrent sans pourtant connaître la montée en charge qu’ils méritent, comme la lutte contre l’antibiorésistance. Les grandes innovations de la mandature écoulée ont eu lieu dans le domaine des produits médicaux avec l’établissement de l’HERA, le lancement de la révision de la législation pharmaceutique et la lutte contre les pénuries de médicaments : ce sont là des enjeux qui ont une dimension forte de politique industrielle. Mais il faut maintenant s’atteler à un projet plus vaste, sociétal et orienté vers la qualité de la vie et la lutte contre les inégalités. La campagne présente devrait être l’occasion de faire émerger un tel projet politique européen de la santé fort d’une idée simple qui est l’un des grands héritages de la crise Covid : les Européens sont beaucoup plus forts ensemble que séparément.


[1]  Pays-Bas, Hongrie, Grèce, Italie, Malte, Slovaquie, Chypre et Roumanie

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