L’échec de la gouvernance mondiale de la santé publique : une analyse médico-légale
L’analyse de la gouvernance mondiale dans différents domaines politiques a mis en lumière six dimensions importantes. On retrouve deux d’entre elles clairement dans la santé publique : un diagnostic du problème et une expertise communs, notamment dans la réponse scientifique et institutionnelle. C’est moins le cas pour les principes d’action communs, et les mécanismes de notification et de communication transparents. Enfin, pour les deux dernières dimensions, l’absence d’un processus collectif d’évaluation et d’ajustement des instruments ainsi que le manque de confiance qui a entravé l’action de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ont été très problématiques.
La décision importante qui a été prise d’explorer la possibilité d’un nouveau traité sur les pandémies doit être évaluée au regard de la réforme de la gouvernance mondiale de la sécurité sanitaire, notamment de quatre propositions qui sont à l’ordre du jour. Les deux premières concernent le renforcement de l’OMS afin d’en faire une autorité de normalisation et de surveillance forte et indépendante en matière de préparation, de prévention et d’intervention, ainsi que la rationalisation et la consolidation des institutions et initiatives existantes afin d’améliorer la fourniture de produits médicaux essentiels dans le monde.
Un organe de type G20 devrait être créé pour assurer le leadership et garantir une approche « pangouvernementale » qui repositionne la gouvernance mondiale de la santé dans l’ordre mondial et la place au même niveau que l’interdépendance économique ou la stabilité financière en termes de gouvernance, de soutien institutionnel et de ressources. Enfin, il faudrait mettre en place un financement adéquat par le biais d’un fonds autonome pour remédier aux défaillances que la crise de la COVID-19 a révélées en matière de préparation des systèmes de santé nationaux, de surveillance pour la détection et l’endiguement de pénuries et d’allocations erronées des produits médicaux essentiels.
1. Introduction
L’épidémie de COVID-19 a mis à rude épreuve les systèmes de santé publique, les écosystèmes de recherche et d’innovation, les politiques économiques, les entités régionales telles que l’Union européenne et les dispositifs de gouvernance mondiale. Deux ans après son apparition, il est possible de faire un premier bilan des résultats positifs et négatifs. Au nombre des succès figurent sans aucun doute la coopération scientifique mondiale pour identifier le virus et ses variants, la découverte et le développement des vaccins, le soutien économique mis en place dans les pays avancés et, en particulier, la réponse coopérative de l’UE au choc. Mais les échecs ont également été importants. Ils portent sur le manque de préparation, une absence de réaction aux premières alertes, la rétention des équipements spécialisés et le nationalisme en matière de vaccins. L’émergence du variant Omicron en novembre 2021 a brutalement rappelé le coût global élevé de la persistance, au niveau mondial, d’un accès extrêmement inégal aux vaccins et aux traitements.
Cet article cherche à établir les raisons des échecs de l’action collective mondiale. Comme le montrent des recherches antérieures (Barrett et Hoel, 2007), récemment rappelées par, notamment Brown et Susskind (2020), et quantifiées par Argawal et Gopinath (2021), la santé publique est un bien commun mondial, qui constitue un terrain favorable à l’action collective : les incitations à coopérer sont fortes ; les pratiques de coopération sont ancrées dans l’histoire ; il existe une communauté scientifique solide et, enfin et surtout, l’action collective peut s’appuyer sur une institution multilatérale établie de longue date, dotée d’un mandat solide, d’un bilan éprouvé et des outils nécessaires – du moins en principe – pour lutter contre les pandémies. Et pourtant, la réponse initiale à l’émergence du virus a été dramatiquement lente, et la fragmentation plutôt que la cohérence et la coordination a prévalu en début de pandémie. L’institution qui aurait dû favoriser la coopération s’est elle-même transformée en champ de bataille.
Les échecs observés en matière de prévention, d’alerte, d’endiguement et de distribution équitable et efficace des vaccins soulèvent d’importantes questions analytiques et politiques qui méritent d’être examinées. Il est important pour l’avenir de comprendre si les rivalités géopolitiques, les politiques nationales, les préoccupations en matière de souveraineté, l’égoïsme injustifié, l’affaiblissement des institutions ou d’autres facteurs ont supplanté les incitations à coopérer. Les leçons de cette analyse dépassent le domaine de la santé publique et sont en fait d’une pertinence plus large pour la gouvernance mondiale.
Nous analysons d’abord où et comment la coopération internationale a fait défaut depuis le début de la pandémie. Notre objectif ici n’est pas normatif, mais descriptif. Nous n’essayons pas de plaider en faveur de l’action collective, mais de déterminer pourquoi elle a échoué. Et nous nous concentrons exclusivement sur la dimension internationale plutôt que sur les réponses nationales à la crise.
Nous nous appuyons sur un cadre d’analyse élaboré dans le contexte d’un projet plus large sur l’évolution de l’action collective mondiale (Papaconstantinou et Pisani-Ferry, 2021). Il permet de placer la gouvernance mondiale de la santé dans son contexte et d’évaluer ses forces et faiblesses relatives. Il permet également d’identifier les difficultés qui ont joué un rôle prépondérant dans l’élaboration de la réponse de la communauté mondiale à la pandémie.
Dans la section 2, nous entamons l’analyse en définissant son champ d’application : nous nous concentrons sur la santé publique et plus particulièrement sur les différents aspects de la prévention et du contrôle de la pandémie pendant la crise du COVID-19. La section 3 dresse la carte des réponses à la pandémie en résumant le calendrier des décisions prises et tente une première évaluation de la manière dont les principales institutions dans ce domaine ont réagi. La section 4 présente le cadre analytique plus large qui nous permet de situer ces réponses dans le contexte de la discussion sur les difficultés et l’évolution de la gouvernance mondiale dans différents domaines politiques. La section 5 tente d’expliquer la réponse politique pendant la pandémie à la lumière de ce cadre plus large. La section 6 tire les conclusions et formule des recommandations politiques.
2. Champ d’application : Prévention et contrôle des pandémies
Il faut en premier lieu définir le champ de l’analyse. La santé est un domaine plus large que la santé publique et plus large que la sécurité sanitaire, qui elle-même est plus large que la prévention et le contrôle des pandémies. L’analyse se concentre sur la crise du COVID-19 et plus précisément, sur cinq phases distinctes de la prévention et du contrôle de la pandémie, phases qui partiellement se recoupent et se succèdent.
La première est la phase préalable (phase 0) ; elle comprend la préparation à la pandémie et les politiques en place visant à mieux préparer les sociétés à faire face aux pandémies, à les contenir et à les gérer rapidement une fois qu’elles se produisent. Elle couvre la période précédant l’apparition du virus et de la contagion au début de 2020.
La deuxième phase est la phase 1 de l’épidémie proprement dite : la période pendant laquelle les autorités nationales et internationales ont tenté de contenir la transmission du virus en diffusant des alertes et en instaurant des interdictions de voyager et des quarantaines. On peut considérer que la phase 1 se déroule entre les premières alertes et la reconnaissance officielle de la pandémie le 11 mars 2020.
La phase 2 concerne la réponse et le confinement. Il s’agit de la réponse de crise immédiate à une pandémie en développement. Elle comprend la production et la distribution d’équipements de protection individuelle (EPI), de produits médicaux et de médicaments. Elle implique également le renforcement de la capacité des systèmes de santé à faire face aux infections et aux hospitalisations. Elle s’est développée au cours du premier semestre de 2020, couvrant la première vague ; les dispositifs déployés au cours de cette période, notamment les mesures de surveillance, le dépistage et le partage d’informations, sont encore en place aujourd’hui.
La phase suivante (phase 3 : protéger) inaugure l’ère de la recherche et de la découverte de vaccins. Elle comprend des financements publics (comme ceux des États-Unis et de l’UE) et, bien sûr, des efforts divers et décentralisés pour développer, tester et produire des vaccins et des traitements. Elle a commencé en janvier 2020 et elle a duré jusqu’à l’approbation du vaccin par les autorités sanitaires.
Enfin, la phase 4 concerne la sortie. C’est la phase dans laquelle nous nous trouvons encore aujourd’hui. Si de nombreux éléments des phases précédentes restent au cœur de l’effort international (partage d’informations, confinements et restrictions aux voyages, financement des traitements et des vaccins), l’accent est désormais mis sur le déploiement des vaccins à l’échelle mondiale, leur accès à un plus grand nombre de pays et le développement de traitements plus efficaces. Le tableau 1 résume ces différentes phases.
Tableau 1 : Une réponse en plusieurs étapes
Période | Objectif | Instruments | |
Phase 0 : Préparation à la pandémie | Jusqu’en décembre 2019 | Augmenter la résilience sociale et préparer les systèmes de santé et de réponse aux urgences | Evaluation des systèmes nationaux, plans d’urgence, stress tests |
Phase 1 : Réagir à l’apparition du virus | Janvier-Mars 2020 | Contenir la transmission du virus | Mécanismes d’alerte, interdictions de voyages et quarantaines, track and tracing, dépistage et distribution d’équipements de protection personnels |
Phase 2 : Répondre et contenir | Premier semestre 2020 | Minimiser l’incidence et la mortalité due au virus | Développement, production et distribution de produits médicaux, renforcement des capacités des systèmes de santé |
Phase 3 : Protéger | De Janvier 2020 à l’autorisation des vaccins par les autorités de santé | Développer des vaccins efficaces | Financement de la R&D, politiques d’achat qui favorisent l’augmentation des capacités de production |
Phase 4 : La sortie | A partir de janvier 2021 | Maximiser l’immunité et éviter l’émergence de variants plus dangereux | Distribution de médicaments et de vaccins |
Source : Auteurs
Chacune de ces phases faisait intervenir une action nationale, mais aussi mondiale ou régionale. C’est ce deuxième aspect, prétendument coopératif, qui nous intéresse.
3. Un panorama de la réponse au Covid-19
Le tableau 2 résume l’évaluation de la réponse globale à chacune des cinq phases de la pandémie.
Tableau 2 : Principales caractéristiques de la réponse globale à la pandémie
Résultats | Faiblesses | |
Phase 0 : Préparation à la pandémie | Renforcement de la gouvernance de l’Organisation Mondiale de la Santé | Déni et négligence des risques potentiels |
Phase 1 : Réagir à l’apparition du virus | Coopération scientifique immédiate Séquençage rapide du virus | Réponse tardive et non-coordonnée à l’épidémie (échec de la surveillance, absence de soutien mutuel) |
Phase 2 : Répondre et contenir | Augmenter le dépistage et mesures de distanciation sociale à grande échelle (également réponse économique) | Concurrence pour les produits en pénurie et lenteur du développement des tests |
Phase 3 : Protéger | Développement des vaccins à une vitesse exceptionnelle | Diplomatie vaccinale conflictuelle |
Phase 4 : La sortie | Montée en régime de la production de vaccins | Echec de la vaccination des pays pauvres |
Source : Auteurs
La phase zéro a été caractérisée par le déni et la négligence. Les risques liés aux nouveaux pathogènes et aux pandémies ont été constamment sous-estimés, bien que la communauté scientifique ait cherché à plusieurs reprises à alerter les décideurs sur le risque croissant d’apparition de nouveaux pathogènes et la probabilité de pandémies (figure 1). Chaque épisode épidémique a entraîné un cycle de « panique et de négligence » (Bucher, 2021), tandis que le sous-investissement dans la prévention et la préparation aux pandémies est resté omniprésent. Dans les pays à revenu faible et intermédiaire, c’était le résultat de priorités sanitaires concurrentes, tandis que les pays à revenu élevé oubliaient les maladies infectieuses et continuaient à considérer les maladies non transmissibles comme les principaux défis pour leurs systèmes de santé.
Figure 1 : Augmentation mondiale des épidémies de maladies infectieuses humaines
Source: Smith et al, (2014)
Ce n’est pas faute d’un manque d’orientations ou d’obligations internationales en matière de gestion des urgences sanitaires, y compris les pandémies. Le Règlement sanitaire international (RSI) attribue un rôle central à l’Organisation Mondiale de la Santé en matière de surveillance, d’évaluation des risques et de coordination au niveau international. Le RSI, qui est juridiquement contraignant, a été révisé en 2005 et a introduit des obligations pour les pays membres de l’OMS, notamment pour la notification des événements de santé publique et la mise en place de capacités principales pour faire face aux épidémies. Le RSI a également créé un nouvel instrument de coordination des crises en donnant à l’OMS le droit de déclarer une « urgence de santé publique de portée internationale » (PHEIC), à laquelle les États ont l’obligation légale de répondre rapidement. Cet instrument a été utilisé six fois depuis sa création en 2007, y compris pour le COVID-19 en 2020.
Cependant, l’OMS n’est pas dotée de pouvoirs d’exécution ni de mécanismes de contrôle appropriés. Peu avant le déclenchement de la pandémie, des évaluations ont confirmé le sous-investissement dans la sécurité sanitaire mondiale, en particulier, mais pas exclusivement, dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Une étude de 2019 basée sur les évaluations externes conjointes (JEE) de la préparation aux urgences sanitaires menées sous l’égide de l’OMS a conclu : « Premièrement, aucun pays n’est entièrement préparé à gérer les épidémies. Deuxièmement, le nombre de lacunes en matière de préparation, et la liste des actions à entreprendre pour les combler, sont gigantesques : plus de 7000 tâches prioritaires exigent une action. Troisièmement, les JEE ont correctement diagnostiqué les lacunes en matière de préparation, mais peu de ces lacunes ont été comblées » (Shahpar et al, 2019).
Des avertissements ont été lancés. Comme l’ont noté Clarke et Johnson-Sirleaf (2020), entre 2007 et 2019, au moins 11 groupes et commissions de haut niveau ont formulé des recommandations spécifiques pour améliorer la préparation mondiale à une pandémie. Nombre d’entre eux ont conclu que l’OMS devait jouer un rôle plus important en tant qu’organisation de coordination et qu’il est crucial de garantir son financement. Pourtant, Clarke et Johnson-Sirleaf (2020) ont noté que « malgré les messages cohérents selon lesquels des changements importants étaient nécessaires pour assurer une protection mondiale contre les menaces de pandémie, la majorité des recommandations n’ont jamais été mises en œuvre ».
Au cours de la phase 1, le contraste était frappant entre la rapidité et la qualité de la coopération scientifique et la prise de décision tardive. Clarke et Johnson-Sirleaf (2020) l’expriment sans détour : « La chronologie des premiers événements montre deux mondes fonctionnant à des vitesses très différentes. L’un est le monde de l’information rapide et du partage des données. (…) L’autre, celui du rythme lent et délibéré avec lequel l’information est traitée dans le cadre du RSI (2005), avec ses exigences de confidentialité, de vérification étape par étape et les critères requis pour la déclaration d’un PHEIC, qui mettent davantage l’accent sur les actions qui ne doivent pas être prises, plutôt que sur celles qui doivent l’être ».
Les résultats scientifiques dans le cas du Covid-19 ont en effet été diffusés avec une rapidité remarquable. Après l’annonce officielle de la découverte du virus le 9 janvier 2020, les données de séquençage chinoises ont été partagées dès les 11 et 12 janvier avec des institutions sanitaires étrangères, qui les ont reproduites en quelques jours. Le test PCR (réaction en chaîne par polymérase) pour le COVID-19 a été développé tout aussi rapidement.
En revanche, la déclaration d’un PHEIC n’a été faite que le 30 janvier, un mois après que Taïwan eut exprimé son inquiétude concernant les cas survenus à Wuhan et demandé à l’OMS des informations sur une nouvelle « pneumonie atypique ». Alors que le virus se propageait d’un pays à l’autre, la surveillance des cas restait fragmentaire et les décès déclarés sous-estimaient la mortalité réelle. Le COVID-19 n’a été déclaré pandémie que le 11 mars 2020.
En conséquence, les pays ont réagi de manière non coordonnée avec une série de mesures d’urgence, allant de l’interdiction de voyager à la fermeture d’activités économiques. Informés par de précédents événements de santé publique tels que le SRAS, les pays asiatiques ont rapidement mis en place des mesures de confinement. Les pays occidentaux, qui n’avaient pas d’expérience récente des maladies infectieuses graves, ont eu du mal à déployer des mesures de surveillance et de confinement. Les pays à faible revenu ont été rapidement débordés, car les systèmes de santé étaient déjà sous pression et manquaient d’équipements essentiels.
La phase 2 a vu la mise en place d’une réponse coordonnée globale réelle, mais beaucoup moins déterminée dans le domaine de la santé que pour répondre au choc économique lié au COVID-19. Un cadre général a été élaboré très tôt ; en avril 2020, les Nations Unies ont proposé une stratégie de réponse pour le COVID-19. Celle-ci reposait sur cinq piliers : la santé (protection des services et des systèmes de santé) ; la protection sociale et les services de base (protection des personnes) ; la réponse économique (protection des emplois et des petites entreprises) ; la réponse macroéconomique et la collaboration multilatérale ; et la cohésion sociale (Nations Unies, 2020).
Au total, la communauté internationale a engagé environ 250 milliards de dollars pour le COVID-19. La majeure partie de cette aide a été canalisée en dehors du secteur de la santé, vers l’économie au sens large. Le Fonds Monétaire International (FMI) a engagé 100 milliards de dollars pour la stabilité macro-économique. Les donateurs de l’aide au développement multilatérale et bilatérale et des organisations privées ont fourni 130 milliards de dollars réduire les coûts sociaux et économiques de la pandémie (OCDE, 2020). L’aide liée à la santé s’est élevée à 20 milliards de dollars, dont une petite partie seulement a transité par l’OMS.
À un niveau plus politique, l’engagement du G20 a marqué un renforcement de la coopération internationale. Lors de sa réunion du 15 avril 2020, le G20 a adopté un plan d’action exhaustif. Cela a ouvert la voie à la mise en place de l’accélérateur ACT-A afin d’unir les forces pour fournir des vaccins, des traitements et des diagnostics à l’échelle mondiale (« Une collaboration renforcée et un financement accru sont nécessaires de toute urgence pour soutenir la recherche et le développement accélérés de diagnostics, de traitements et de vaccins. Nous travaillerons en étroite collaboration avec les ministres de la santé du G20 et avec les ministres du commerce et de l’investissement pour soutenir la disponibilité de produits médicaux et pharmaceutiques essentiels »). Cependant, alors que la réponse globale a été mise en place au plan économique et social, la solidarité en faveur d’initiatives de santé publique ne s’est pas concrétisée.
Ces échecs sont bien documentés dans des rapports tels que IPPPR (2020a). Dans la phase 2 de la réponse, l’objectif était de contenir le nombre d’infections et de minimiser les pertes humaines par le développement, la production et la distribution de produits médicaux. Pourtant, les avertissements de l’OMS concernant de graves pénuries mondiales (résultant de la constitution de stocks limités, de la rétention des stocks, des achats de panique, du protectionnisme, des restrictions de fret, des barrières commerciales, de la dépendance à l’égard d’un petit nombre de pays fournisseurs et de l’absence de financement immédiat des achats) et les augmentations de prix associées n’ont pas été suivis d’une action conjointe. Les pénuries ont touché en particulier les pays à revenu faible ou intermédiaire.
Des défaillances similaires ont affecté les diagnostics. Si un test PCR était disponible dès les premières semaines de l’épidémie, son utilisation massive a été freinée par les pénuries d’équipements et de matériel de laboratoire. Des tests plus simples d’utilisation et plus abordables, comme les tests antigéniques rapides et les autotests, ont mis des mois à apparaître. L’industrie des dispositifs médicaux a été très innovante dès les premiers mois de la pandémie et avait mis au point près de 200 kits de test en avril 2021. Mais les lacunes réglementaires ont fait que seuls trois tests antigéniques rapides – la catégorie la plus facile à utiliser – ont été inscrits sur la liste d’urgence de l’OMS. Cela a créé un écart énorme entre les pays à revenu élevé capables de réaliser une moyenne de 533 tests pour 100 000 personnes chaque jour à la mi-mars (2021), contre 36 tests pour 100 000 personnes dans les pays à revenu intermédiaire et 5,5 tests pour 100 000 dans les pays à faible revenu (IPPPR, 2020b).
La phase 3 a été caractérisée par le développement exceptionnel du vaccin. Ce qui a été appelé « l’accumulation la plus importante et la plus rapide de la recherche scientifique dans l’histoire de l’humanité » (IPPPR, 2020b) relevait d’un type différent d’action collective. Le vaccin est essentiellement le résultat d’une collaboration entre communautés scientifiques et des nouveaux moyens liés au partage des données et de l’information qui ont permis d’accélérer l’investigation scientifique et la recherche. Le séquençage rapide du virus a été immédiatement suivi d’un effort massif des chercheurs et des grandes institutions publiques. Le résultat a été le développement en un an de vaccins qui aurait normalement pris plusieurs années (Veugelers, 2021).
Ce résultat provient de la combinaison de l’intensification de la recherche dans le monde entier et de l’injection massive de fonds publics dans les pays clés. Au premier semestre 2020, l’OMS a identifié plus de 300 projets de recherche travaillant sur les vaccins COVID-19. La Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (CEPI), un partenariat mondial pour la recherche et le développement de vaccins contre les maladies infectieuses émergentes, qui a été créée en 2017, a contribué à créer un environnement de recherche favorable. Mais c’est le financement américain qui a changé la donne : dès février 2020, les États-Unis ont activé leur plan de lutte contre la pandémie avec l’opération Warp Speed, dotée d’un budget exceptionnel de plus de 10 milliards de dollars. Elle a soutenu neuf projets de vaccins, chacun bénéficiant d’une subvention inconditionnelle d’un à deux milliards de dollars, pour la recherche, le développement et l’investissement dans les capacités de production. À l’été 2020, plusieurs vaccins étaient en cours d’essais cliniques, dans un contexte de concurrence intense entre les laboratoires pharmaceutiques et entre les pays, avec des projets de vaccins avancés en Chine, en Russie, aux États-Unis et en Europe.
Au printemps 2020, la perspective de la mise sur le marché imminente de vaccins a marqué un tournant, avec des tensions géopolitiques croissantes et l’émergence d’un nationalisme vaccinal. En janvier 2021, huit vaccins étaient disponibles : quatre chinois et un russe, initialement non-inscrits sur la liste d’utilisation d’urgence de l’OMS, et trois vaccins (d’AstraZeneca, BioNTech/Pfizer et Moderna) autorisés dans les pays développés et reconnus au niveau international. Très rapidement, les vaccins innovants à ARNm (BioNTech/Pfizer et Moderna) se sont révélés les plus efficaces et sont devenus la référence sur le marché. La production de vaccins est rapidement devenue le principal goulot d’étranglement. Les pays développés ont assuré la grande majorité de la production grâce à des accords d’achat anticipé. La combinaison de ces achats anticipés, de mesures équivalentes à des interdictions d’exportation, notamment aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Inde, et de prix élevés a eu pour conséquence qu’une grande partie de la population mondiale n’a pas eu accès aux vaccins. Les pays à revenu faible ou intermédiaire ont dû choisir entre de longs délais de livraison de vaccins efficaces ou l’achat de vaccins chinois ou russes de moindre qualité.
Pour contrer le nationalisme en matière de vaccins, l’OMS et ses partenaires ont mis en place un organisme de financement spécial appelé ACT-A (Access to COVID-19 Tools Accelerator). COVAX, le pilier dédié aux vaccins au sein d’ACT-A, a été créé pour organiser les accords conjoints d’achat anticipé pour les pays à revenu faible ou intermédiaire. Mais ACT-A a eu du mal à la fois à lever des fonds auprès des donateurs internationaux et à conclure des contrats avec les entreprises pharmaceutiques. À partir de l’été 2020, la vaccination, qui était initialement une réussite de la recherche internationale, s’est transformée en une expérience de coopération désastreuse caractérisée par un manque de solidarité. Il en est résulté une chaîne de décisions sous-optimales conduisant à des taux de vaccination très différenciés. Au début de l’année 2022, les inégalités dans l’accès aux vaccins ne s’étaient pas résorbées (figure 2).
Figure 2 : Taux de vaccination par niveau de revenu, 2021
Source : https://ourworldindata.org/covid-vaccinations
La phase 4 de « sortie » est focalisée sur les problèmes liés à la distribution des vaccins. Au moment de la rédaction du présent rapport, la production de vaccins ne semble plus être un problème. Les informations consolidées provenant des fournisseurs et des contrats indiquent un niveau de production de 13 milliards de doses en 2021, dont 3 milliards de doses de vaccin ARNm. En 2022, elle pourrait atteindre 41 milliards de doses, dont 7 milliards de doses d’ARNm. Cela représenterait suffisamment de vaccins et de doses de rappel pour la population mondiale (figure 3). Le financement d’ACT-A est moins contraignant pour les vaccins et les besoins financiers concernent principalement les autres catégories. Les goulets d’étranglement se situent en aval et semblent être de deux ordres : les problèmes d’approvisionnement, de distribution et de logistique, ainsi que l’adoption des vaccins, avec une hésitation probablement plus forte dans les pays à faible revenu.
Figure 3 : Production de vaccins en 2021 et perspectives pour 2022 et 2023
Source: UNICEF Covid-19 Vaccine market Dashboard available at : https://www.unicef.org/supply/covid-19-vaccine-market-dashboard
À l’automne 2021, le manque de financement n’était plus la contrainte déterminante de l’accès à la vaccination. ACT-A était toujours à court de budget mais avait donné la priorité à la vaccination sur les diagnostics, les traitements et le renforcement des systèmes de santé publique (Figure 4).
Figure 4 : Allocation du financement d’ACT-A en 2021
Source: WHO available at : https://www.who.int/publications/m/item/access-to-covid-19-tools-tracker - Data updated on 13/1/2022
Pour l’Afrique, qui a les taux de vaccination les plus bas, c’est la double peine. Tout d’abord, les engagements financiers se sont révélés insuffisants pour atteindre les objectifs fixés par l’OMS, à savoir vacciner 40 % de la population d’ici fin 2021, et il est peu probable que l’objectif d’atteindre 70 % d’ici mi-2022 soit atteint. En outre, les engagements ne se traduisent pas par des livraisons. À l’automne 2021, le premier goulet d’étranglement se situait en amont et résultait d’une combinaison de facteurs : retards de production du côté des producteurs, lenteur et imprévisibilité des envois de vaccins donnés par les pays développés (par rapport aux engagements), et problèmes d’organisation au sein du COVAX.
Seul l’échec de l’action collective explique les difficultés en matière d’approvisionnement en vaccins au niveau mondial (figure 5). En mai 2021, le FMI a estimé qu’il en coûterait 50 milliards de dollars au monde pour atteindre les objectifs de vaccination (Agarwhal et Gopinath, 2021). En ne répondant pas à l’appel du FMI, les pays développés ont en effet choisi la circulation persistante du virus parmi les populations non vaccinées, au risque de voir apparaître des mutations plus virulentes. L’émergence d’Omicron est la conséquence de la fracture vaccinale et met en péril les gains que la communauté sanitaire a réalisés contre le virus en fournissant des vaccins efficaces très innovants au début de la pandémie.
L’histoire globale est donc faite de réussites remarquables et d’échecs notables. S’agit-il d’une question d’incitations à la coopération, de l’effet d’une méfiance omniprésente à l’égard des institutions, des canaux de financement et des gouvernements partenaires, ou de la conséquence d’une rivalité géopolitique ?
4. Une grille d’analyse pour mesurer les échecs et les succès de l’action collective mondiale
Dans un article récent, Papaconstantinou et Pisani-Ferry (2021) ont examiné neuf domaines politiques pour évaluer les caractéristiques auxquelles on peut attribuer le succès ou l’échec de l’action collective mondiale. Leur conclusion est que le résultat observé ne peut être expliqué de manière satisfaisante ni par l’approche économique pure qui se concentre sur la nature du jeu sous-jacent et l’incitation à coopérer qui en résulte, ni par l’approche juridique pure qui part d’une évaluation de l’impact des règles internationales et de l’autorité formelle de l’institution ou des institutions internationales responsables.
Contrairement à ce que la logique économique pourrait suggérer, il est difficile d’expliquer les échecs ou les succès de la gouvernance mondiale par la seule nature du jeu sous-jacent dans lequel différentes stratégies des divers joueurs ne conduisent pas à un résultat coopératif et créent un problème pour l’action collective. Des incitations fortes (climat, migration, fiscalité) ou faibles (santé, filets de sécurité financière, concurrence) à adopter un comportement de passager clandestin peuvent être trouvées dans les neuf domaines examinés. Mais le degré objectif de difficulté à coopérer n’explique pas toujours le résultat et ne reflète ni le degré d’incitation, ni la force de la contrainte.
Il semble, par exemple, évident que tous les pays devraient pouvoir compter sur un seul filet de sécurité financier mondial. Pourtant, c’est de moins en moins le cas : un nombre croissant de pays ont choisi de s’auto-assurer (en accumulant des réserves de change) ou de recourir à des filets de sécurité régionaux. Inversement, un régime de concurrence mondial peut sembler impossible à mettre en place sans un accord improbable conférant à un organisme supranational le pouvoir de bloquer les fusions ; pourtant, les décisions extraterritoriales prises par des autorités de concurrence indépendantes sont proches de ce résultat.
Un autre exemple éloquent est celui de la lutte contre le changement climatique. S’il est indéniable que l’action a été trop longtemps retardée parce que les solutions aux défis sont colossales, la grande flexibilité des mécanismes de l’accord de Paris a déclenché un mouvement encore insuffisant, mais réel, de réactions des acteurs gouvernementaux et privés. Ainsi La difficulté de l’action collective ne se résume pas à celle du jeu sous-jacent.
Du point de vue des sciences juridiques et politiques, ce qui importe plutôt, c’est la force de l’ensemble des règles et des institutions qui régissent l’action collective. Les facteurs de succès sont un traité international, un ensemble de lois qui obligent les États à se comporter conformément à une norme commune, et une institution établie capable d’exercer une surveillance. L’analyse indique toutefois que les résultats ne peuvent être attribués à la force du système juridique et institutionnel. La réglementation bancaire en est un bon exemple : des normes sont établies au niveau international (par le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire), mais leur application n’est pas obligatoire. Les gouvernements sont libres de les mettre en œuvre ou non. Les incitations proviennent de la pression des pairs et du marché ; elles sont renforcées par un processus de contrôle minutieux. A l’inverse, les difficultés de la coordination internationale précisément dans les domaines (commerce et finance internationale) où elle est le mieux armée juridiquement et institutionnellement, indiquent qu’un ordre juridique n’est pas nécessairement propice à la coopération.
Le tableau 3 résume une lecture des données de Papaconstantinou et Pisani-Ferry (2021). Les codes de couleur indiquent leur évaluation subjective du résultat (vert : positif ; brun : intermédiaire ; rouge : déficient). Il est clair que la combinaison de la logique économique et de la logique juridique/institutionnelle ne suffit pas à rendre compte des résultats.
Tableau 3 : Évaluation résumée dans tous les domaines politiques
Cadre legal/institutionnel : faible | Cadre legal/institutionnel : fort | |
Incitations à coopérer : faibles | Fiscalité Action pour le climat | |
Incitations à coopérer : fortes | Régulation bancaire Concurrence Réseaux numériques | Commerce Flux des capitaux Santé publique |
Source: Papaconstantinou and Pisani-Ferry (2021)
Six dimensions ont été identifiées pour expliquer le succès ou l’échec dans les différents domaines d’action: un diagnostic commun du problème que l’action collective doit traiter ; une expertise commune ; des principes d’action communs impliquant des obligations de « ne pas faire » et des engagements cohérents ; des mécanismes de notification et de communication transparents ; un processus d’évaluation globale et d’ajustement des instruments ; et des institutions de confiance.
Le diagnostic commun porte sur la définition du problème auquel l’action collective doit s’attaquer. Par exemple, cette définition est désormais établie sans ambiguïté dans le cas de la lutte contre le changement climatique (mais il n’en a pas toujours été ainsi). Elle est en revanche floue dans le cas des migrations ou de l’infrastructure numérique, sur lesquels les désaccords commencent dès l’identification du défi.
L’expertise commune a trait au processus qui génère et met à jour une base de connaissances communes. Malgré tous les désaccords sur le rythme des réductions des émissions de gaz à effet de serre ou sur le partage des efforts, la plupart des gouvernements s’appuient sur l’expertise du Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) pour rassembler les preuves, évaluer les risques futurs et les efforts nécessaires. Cela nécessite des intermédiaires capables d’établir des liens entre le débat scientifique et la décision politique. Ce rôle peut être confié à une institution dotée d’un personnel indépendant (comme le FMI dans le domaine de l’économie internationale). L’expérience du GIEC montre que ce n’est pas indispensable. Toutefois, sans une expertise commune, le débat, s’il a lieu, demeure exclusivement transactionnel.
Les principes d’action communs fournissent la grammaire de base de l’interaction. Le commerce international a longtemps été protégé de l’escalade des conflits par le fait que des principes fondamentaux étaient énoncés dans l’Accord Général sur les Tarifs Douaniers et le Commerce. Les pays pouvaient être en désaccord et se battre entre eux sur des questions sectorielles, tout en respectant les mêmes règles. Le plaidoyer ouvert par Donald Trump en faveur des guerres commerciales et son mépris pour les principes établis ont détruit ce capital. À l’inverse, la force de la coopération entre les banques centrales ou les autorités de la concurrence résulte de leur forte adhésion à des principes communs (tels que l’évitement des politiques du chacun pour soi dans la détermination du taux de change ou le recours à la doctrine des « effets » dans l’application du principe d’extraterritorialité de la politique de concurrence
Des mécanismes de notification et de communication transparents sont essentiels pour évaluer si les partenaires respectent ou non les principes communs et mettent en œuvre les plans d’action définis conjointement. De tels mécanismes jouent un rôle clé dans le domaine du contrôle bancaire. Ils font partie intégrante de l’engagement pris par les États lorsqu’ils adhèrent au FMI. Leur mise en place a permis de dégager un consensus sur les avancées en matière de coordination fiscale internationale. À l’inverse, ils sont totalement absents dans des domaines comme les migrations ou les infrastructures numériques.
Un processus d’évaluation des résultats fournit la boucle de rétroaction nécessaire qui permet d’évaluer si l’action menée permet effectivement d’atteindre le résultat souhaité. Cela fait défaut, par exemple, dans le cas du commerce, où la perception d’une déconnexion croissante entre les choix politiques et l’objectif déclaré de prospérité a largement contribué à saper le soutien à l’ouverture. Au contraire, l’un des points forts du processus de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques est que les promesses (mais, il est vrai, pas encore les politiques réelles) sont au moins instantanément agrégées et comparées avec les scénarios de réduction nette à zéro. Ce type de processus récursif est indispensable dans les domaines où les règles ne sont pas contraignantes et où les institutions sont faibles.
La valeur d’une institution de confiance réside dans le fait qu’en étant agiles, les institutions sont capables de s’adapter à des circonstances changeantes. Les défis évoluent et de nouveaux problèmes apparaissent. Les règles qui étaient parfaitement adaptées dans un contexte ne conviennent pas lorsqu’elles sont confrontées à un nouvel environnement. Cela s’applique clairement aux pandémies. Celles-ci partagent des caractéristiques communes, mais chacune présente également une certaine nouveauté, ce qui nécessite une adaptation. Il en va de même pour la finance internationale : le FMI a été créé pour gérer l’interdépendance des taux de change fixes entre un groupe d’économies occidentales financièrement autarciques. Il a dû s’adapter à un monde fondamentalement différent.
5. Gouvernance de la santé publique : le bilan en perspective
Le bilan présenté dans la section 3 met en évidence les succès et les échecs de l’action collective au cours des phases successives de la pandémie. La question qui se pose maintenant est de savoir ce qui, dans la structure du jeu sous-jacent, l’infrastructure juridique, le cadre institutionnel ou d’autres facteurs affectant le comportement des joueurs, peut expliquer ce résultat.
Les arguments en faveur d’une action collective mondiale pour la prévention et le contrôle des pandémies sont évidents : les virus ne connaissent pas de frontières. La communauté mondiale doit donc gérer les externalités des épidémies de pathogènes. Il est dans l’intérêt des pays à revenu élevé de soutenir la lutte contre les pandémies dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Ce soutien doit être rapide, fort et durable pour éviter la contamination et la mutation des agents pathogènes en variants plus virulents. En pratique, la gouvernance mondiale devrait mettre en place des mécanismes financiers pour aider les pays à revenu faible et intermédiaire à renforcer les capacités essentielles à leurs systèmes de santé pour pouvoir prévenir, détecter et contenir les épidémies et traiter les infections. Cela va au-delà de la logique de l’aide au développement, qui répond à des objectifs de solidarité et de réduction de la pauvreté.
En outre, la prévention et la préparation aux pandémies mobilisent des fonctions qui sont des biens publics, comme la recherche ou le développement de produits et la fabrication de traitements et de vaccins (Brown et Susskind, 2020). La fourniture de ces biens profite au monde entier et, en l’absence de gouvernance mondiale, il existe un risque de parasitisme ou de sous-provisionnement. Dans le domaine de la recherche sur les maladies infectieuses, par exemple, le paysage est dominé par les États-Unis, qui fournissent 60 % de la recherche (Policy Cure Research, 2020). L’expérience des vaccins COVID-19 montre également que les premiers vaccins autorisés au niveau mondial sont issus de projets qui ont bénéficié de subventions importantes et inconditionnelles de la part de la Biomedical Advanced Research and Development Authority américaine. Ce soutien a été accordé à parts égales aux entreprises américaines et européennes, alors que le soutien apporté par l’UE, par exemple, était faible.
Mais la tendance dominante est le sous-financement : l’OMS n’a jamais reçu les ressources nécessaires pour organiser, ni même coordonner, la fourniture de biens publics mondiaux. Elle dispose d’un budget d’environ 2,5 milliards de dollars par an. Tout programme supplémentaire est financé par des contributions volontaires, qui sont affectées à des programmes ou des objectifs spécifiques et rendent le financement irrégulier et imprévisible. Des organisations philanthropiques spécifiques ont partiellement compensé ces lacunes : la Fondation Bill et Melinda Gates (5 milliards de dollars), le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme (GFATM), et GAVI (l’Alliance mondiale pour les vaccins et les vaccinations) pour la vaccination. La gouvernance de la recherche repose sur un système très souple dirigé par l’OMS. La Coalition for Epidemic Preparedness Innovations (CEPI), créée en 2016, a changé la donne : elle a doublé le budget de recherche sur les maladies infectieuses et a été opérationnelle à temps pour organiser le développement des vaccins COVID-19. Dans l’ensemble, la prévention et la préparation aux pandémies manquent d’une structure de gouvernance appropriée et d’un financement adéquat.
Un point de départ naturel pour comprendre ce qui a mal tourné est donc d’examiner plus précisément la nature du jeu sous-jacent. Le jeu diffère en effet d’une phase à l’autre, comme le résume le Tableau 5, où les zones ombrées de chaque phase indiquent la nature du jeu en cours, comme expliqué ci-dessous.
Tableau 5 : Caractéristiques du jeu sous-jacent à chaque étape de la réponse à la pandémie
Problème/aggregation structure | Weakest link (Lien le plus faible) | Summation w/ threshold (Agrégation avec seuil) | Summation (Agrégation) | Best-shot (Meilleur tir) |
Phase 0 : Préparation à la pandémie | ||||
Phase 1 : Réagir à l’apparition du virus | ||||
Phase 2 : Répondre et contenir | ||||
Phase 3 : Protéger | ||||
Phase 4 : La sortie |
Source : Auteurs
Une prévention adéquate des maladies pandémiques nécessite un nombre maximal de pays pour atteindre un niveau minimal de préparation. Comme il existe une incertitude ex ante sur le lieu d’émergence d’une pandémie, la protection globale augmente avec le nombre de pays couverts. Mais dans chacun d’eux, il existe un seuil, en termes de vigilance, de diagnostic précoce, de collecte d’informations et d’autres facteurs, en dessous duquel l’action est inefficace. Cette structure de jeu correspond à ce que l’on appelle une technologie de sommation avec agrégation par seuil (Bucholz et Sandler, 2021).
Le résultat de la phase 1, en revanche, ne dépend pas de la sommation des efforts individuels. Le confinement et l’éradication éventuelle d’une maladie contagieuse dépendent de l’efficacité des actions menées partout où la maladie est apparue. L’endiguement du virus COVID-19 aurait nécessité une action rapide et efficace en Chine, mais aussi dans tous les pays où il avait commencé à se propager. L’absence d’action dans l’un de ces pays aurait fait échouer l’action partout ailleurs. Cette structure de jeu, connue sous le nom de jeu du maillon le plus faible, est particulièrement vulnérable aux échecs de l’action collective. Son caractère est bien illustré par la devise « la chaîne a la force de son maillon le plus faible ».
Dans la phase 2 – au moment de l’épidémie – il n’y avait plus de véritable jeu à proprement parler. Comme pratiquement tous les pays tentaient de faire face au même danger, les interactions entre eux jouaient un rôle secondaire. Il y a certainement eu une compétition pour les produits rares, notamment les masques, les EPI, les ventilateurs et les tests, dans laquelle certains pays ont surenchéri sur leurs partenaires et pratiqué la rétention des stocks. Ce comportement était regrettable, surtout pour les pays à faible revenu, qui se sont retrouvés privés de ressources d’une importance cruciale. Mais il a davantage affecté la répartition des cas et des décès que le résultat global.
Le jeu de la phase 3 était totalement différent. Il ne s’agissait plus alors de protéger tout le monde pour protéger chaque individu, mais de rassembler suffisamment de forces financières et individuelles pour développer et produire des vaccins. Cela aurait pu être le résultat d’un effort collectif organisé sous les auspices de l’OMS. Mais l’intérêt individuel pouvait aussi pousser n’importe quel pays suffisamment grand et suffisamment développé scientifiquement à le faire par lui-même. C’est en fait ce qui s’est passé avec l’opération Warp Speed, l’initiative du gouvernement américain qui, avec des initiatives européennes de moindre envergure, a abouti au développement et à la production accélérée de vaccins à ARNm. Le jeu était ce que les théoriciens appellent un « best shot game » (meilleur tir), où le résultat est déterminé par celui qui fait le meilleur effort. Sans surprise, ce sont les États-Unis qui ont joué ce rôle, au profit des autres pays.
La meilleure caractérisation de la dernière phase (dans laquelle nous nous trouvons au moment où nous écrivons ces lignes) est un jeu d’addition avec seuil. Les experts sanitaires ne considèrent plus que le virus peut être éradiqué, mais ils soulignent la nécessité d’un contrôle collectif. Plus les pays atteignent un niveau minimal de vaccination, de dépistage et de traitement, plus les risques que de nouveaux variants se répandent et échappent au contrôle sont faibles. Ainsi, l’objectif de la stratégie de vaccination de l’OMS (Organisation mondiale de la santé, 2021) était de vacciner 40 % de la population dans tous les pays à la fin de 2021 et d’atteindre 70 % dans tous les pays à la mi-2022 (le premier objectif n’a pas été atteint et le second ne le sera probablement pas).
Les approches de la théorie des jeux contribuent donc à caractériser les défis de l’action collective dans les différentes phases de la pandémie. Mais elles ne suffisent pas à expliquer pourquoi la coordination des efforts a été si difficile à réaliser tout au long de la pandémie.
En ce qui concerne les aspects verticaux, le tableau 6 applique à la santé publique les six dimensions identifiées dans la section précédente. Lors de la pandémie, les deux premières, à savoir la mise en commun du diagnostic et de l’expertise, étaient clairement présents, comme en témoigne notamment la réponse scientifique et institutionnelle. Ce fut moins le cas pour les deux ingrédients suivants, à savoir les principes d’action communs et les mécanismes de notification transparents. Pour ces derniers, le bilan est mitigé, comme le montrent les difficultés à s’entendre sur des mesures communes et à rendre compte avec précision des différents éléments de la gestion de la pandémie. Enfin, les deux dernières dimensions posent d’importants problèmes : il n’existe pas de processus agréé d’évaluation des résultats pour adapter les instruments, tandis que les problèmes de confiance continuent d’entraver le travail de l’OMS.
Tableau 6 : Application des six dimensions à la santé publique
Les six dimensions | Résultat pour la santé publique |
Un diagnostic commun du problème qui mérite une action collective | |
Expertise partagée | |
Des principes d’action communs : obligations de “ne pas faire” et engagements cohérents | |
Mécanismes de notification transparents | |
Un processus d’évaluation globale des résultats et d’ajustement des instruments | |
Une (ou des) institution(s) de confiance |
Source : Papaconstantinou et Pisani-Ferry (2021)
Par ailleurs, l’action collective en matière de préparation et de réponse aux pandémies se heurte également un certain nombre d’obstacles complémentaires :
● L’importance de la souveraineté. La santé publique est au cœur d’une question de souveraineté. La responsabilité d’un État à l’égard de la santé de ses citoyens ne peut être facilement partagée. Malgré l’argument de l’externalité, il s’est avéré par exemple très difficile pour certains gouvernements nationaux d’exporter des vaccins avant de garantir un approvisionnement suffisant pour leurs propres citoyens.
● Le coût budgétaire. Maintenir la santé publique face à une pandémie, tout en assurant des systèmes de santé résilients et une préparation adéquate, est coûteux. Les pressions budgétaires favorisent les comportements non coopératifs et compliquent l’action collective.
● L’ampleur de l’approche requise. Par nature, la préparation et la réponse aux pandémies recoupent les domaines politiques et les départements gouvernementaux. Comme pour des problèmes similaires relatifs aux biens publics, tels que l’atténuation du changement climatique, cela nécessite une approche « pangouvernementale », ce qui complique à son tour l’action collective.
● La nature de la coopération internationale. Les autorités de santé publique sont sous le contrôle des gouvernements. Contrairement à d’autres domaines politiques, la coopération entre les pays ne peut pas s’appuyer sur le fonctionnement d’un réseau de régulateurs indépendants partageant des normes et des principes communs, comme dans le cas des banques centrales.
● Fragmentation. Le paysage institutionnel en matière de santé est fragmenté. L’OMS jouit d’une forte légitimité, mais elle n’a jamais eu la maîtrise des circuits financiers. Les organismes spécialisés comme le CEPI et GAVI sont de petite taille et n’ont pas la capacité de grandir. Les institutions de Bretton Woods auraient cette capacité mais ne jouissent pas de la confiance.
6. Conclusion et orientations politiques
Le système actuel de gouvernance de la santé publique mondiale n’est manifestement pas équipé pour faire face aux implications des nouvelles (et éventuellement récurrentes) urgences pandémiques (Brilliant et al, 2021). Quelle est la probabilité que la crise du COVID-19 apporte des changements et remédie à ses lacunes ?
La session extraordinaire de l’Assemblée mondiale de la santé (AMS) de novembre 2021 a donné lieu à une évolution très positive. À cette occasion, il a été décidé de lancer le processus de rédaction et de négociation d’un accord, d’un traité ou d’une convention internationale sur la préparation aux pandémies, qui devra être achevé à temps pour la réunion de l’AMS de 2024. Il s’agit d’une occasion unique d’établir un cadre juridiquement contraignant pour gérer la sécurité sanitaire mondiale en tant que bien public mondial. Si elle aboutit, il s’agira de la deuxième convention placée sous les auspices de l’OMS, après la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT) de 2004.
Dans ses remarques finales à la session spéciale de l’Assemblée mondiale de la santé, le directeur général de l’OMS, le Dr Tedros A. Ghebreyesus, a déclaré : « Nous nous réjouissons de cette décision qui nous apporte l’espoir dont nous avons besoin. Bien sûr, le chemin à parcourir est encore long. Il y a encore des divergences d’opinion sur ce que pourrait ou devrait contenir un nouvel accord. »
Il est difficile de prévoir l’issue de ce processus et de savoir s’il parviendra à combler les lacunes et à surmonter les goulets d’étranglement de la gouvernance mondiale que nous avons identifiés. Nous proposons dans ces conclusions quelques considérations pour une réflexion plus approfondie.
Nous pensons que cette nouvelle convention pourrait contribuer à renforcer l’OMS. Mais une convention de l’OMS pourrait ne pas régler plusieurs questions qui nécessitent un accord au-delà de la communauté sanitaire mondiale. Les domaines suivants pourraient nécessiter de nouveaux modèles de gouvernance : (i) confier à l’OMS de nouvelles responsabilités, comme le transfert de la compétence ACT-A sur les contre-mesures médicales ; (ii) mettre en œuvre la nécessaire « approche pangouvernementale » ; et (iii) faire de l’OMS l’autorité financière chargée de financer la sécurité sanitaire mondiale.
Une OMS plus forte
Un bien public mondial nécessite un système institutionnel fiable, doté de pouvoirs supranationaux et de ressources adéquates. L’initiative de l’AMS pourrait prendre des mesures importantes pour renforcer le leadership de l’OMS. L’IPPPR et le Groupe indépendant de haut niveau du G20 (G20 HLIP) ont tous deux formulé des recommandations dans ce sens. La nouvelle convention pourrait remplacer l’actuel processus volontaire d’examen par les pairs des plans nationaux de préparation par des audits réguliers transparents réalisés par l’OMS, comme c’est le cas dans d’autres domaines tels que la stabilité financière. En effet, des évaluations standardisées de la stabilité financière comprenant pour chaque pays une évaluation des risques potentiels, une évaluation des cadres politiques nationaux de stabilité financière et une évaluation de la capacité des autorités à gérer et résoudre une crise sont régulièrement réalisées par le FMI. En 2010, elles ont été rendues obligatoires pour les 25 pays qui abritent des institutions financières d’importance systémique. La même logique devrait s’appliquer dans le domaine de la santé publique.
L’OMS devrait également obtenir des pouvoirs d’investigation renforcés en cas d’épidémies. Comme le montre l’expérience, le fait de se fier aux informations fournies volontairement par les États membres peut faire perdre un temps précieux au moment critique où l’endiguement est encore possible. L’OMS doit également rester l’autorité unique de coordination de la surveillance et l’institution unique chargée de déclarer une urgence de santé publique de portée internationale. Ces changements feraient de l’OMS une autorité indépendante de normalisation et de surveillance en matière de préparation, de prévention et d’intervention. Un nouveau traité sur les pandémies conférerait à l’OMS la légitimité nécessaire pour agir au nom de la santé publique mondiale et la doterait des compétences extraordinaires requises pour contrer des menaces extraordinaires. Ce sont des responsabilités et des compétences qui ne peuvent être divisées.
La responsabilité des contre-mesures médicales mondiales
La création d’ACT-A dans les premiers mois de la pandémie a constitué un effort de solidarité mondiale sans précédent pour fournir des contre-mesures médicales. Mais l’expérience a montré qu’un mandat politique du G20 assorti d’un certain financement n’était pas suffisant pour mettre en place une réponse mondiale appropriée. Si les acteurs de la santé mondiale méritent notre gratitude pour avoir construit une coalition de volontaires au milieu d’une pandémie, ils ont dû lutter à chaque étape : collecter des fonds, conclure des contrats d’approvisionnement, organiser la logistique et s’assurer que les programmes atteignaient leurs bénéficiaires finaux dans les pays à faible revenu. Les coûts de transaction ont empêché l’efficacité collective. Cette difficulté reflète un paysage fragmenté où les responsabilités sont partagées entre l’OMS et d’autres institutions, et où l’OMS ne dispose d’aucun avantage comparatif. Des organisations comme le CEPI, l’UNICEF, Unitaid, GAVI, GFATM et la Fondation Bill & Melinda Gates fournissent des services ciblés, axés sur des maladies ou des programmes spécifiques comme la vaccination.
Cela ne veut pas dire que tout doit être centralisé et standardisé. Les coalitions de volontaires sont appelées à demeurer. Mais pour être mieux préparé aux futures épidémies, le monde a besoin d’un ACT-A permanent ou, du moins, d’un centre de coordination permanent, qui travaillerait avec les différents partenaires ou régions, en temps de paix comme en temps de crise. Ce mécanisme devrait être adapté aux différentes tâches : recherche, partage des technologies et renforcement des capacités en matière de fournitures médicales, ainsi que leur achat et leur distribution. Il faut pour cela rationaliser et consolider les institutions et les initiatives existantes ; l’OMS, avec ses antécédents financiers et opérationnels limités, n’est pas nécessairement le meilleur candidat pour coordonner les fonctions d’ACT-A.
Une approche « pangouvernementale »
La crise du COVID-19 a montré que la sécurité sanitaire mondiale exige de repositionner la gouvernance mondiale de la santé dans l’ordre mondial et de la mettre au même niveau que l’interdépendance économique ou la stabilité financière en termes de gouvernance, de soutien institutionnel et de ressources. L’expérience a également démontré que les ministres de la santé ne peuvent à eux seuls faire face à la gestion d’une pandémie. Les mesures de confinement, les interdictions de voyager, les contrôles aux frontières, la vaccination de masse (et les incitations qui y sont associées) et l’introduction de certificats de vaccination ne sont pas des décisions qu’ils peuvent prendre seuls. Ces décisions impliquent nécessairement des compromis de premier ordre entre la préservation de la liberté individuelle et la garantie de la sécurité collective, ou entre le sauvetage de vies humaines et la sauvegarde d’emplois, pour ne citer que deux exemples. Les dirigeants politiques et les parlements sont nécessairement impliqués, comme ils le sont dans le financement de la recherche de pointe pour la mise au point de vaccins ou de traitements ciblés, et dans les achats qui s’ensuivent.
Il est donc nécessaire d’adopter une « approche gouvernementale globale » qui traite simultanément les nombreux aspects des menaces de pandémie, dans les pays et au niveau mondial. Au niveau mondial, une coordination entre l’OMS et d’autres agences mondiales est nécessaire. Elle devrait inclure l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, l’Organisation mondiale de la santé animale, le Programme des Nations Unies Pour l’Environnement, la Banque Mondiale, le FMI, le Bureau des Nations Unies pour la Coordination de l’Aide Humanitaire, l’Organisation Mondiale du Commerce et d’autres organisations régionales, qui sont des partenaires indispensables dans la lutte contre les pandémies.
La future convention de l’OMS ne serait pas en mesure d’organiser cette coordination en raison des implications qu’elle aurait pour les organisations sœurs en termes de ressources et de mandats. Toutes les propositions actuellement discutées dans les forums internationaux tels que l’IPPPR et le G20-HLIP se concentrent sur un organisme mondial où l’OMS jouerait un rôle majeur, mais qui intégrerait un éventail plus large d’acteurs. Cet organisme central donnerait une impulsion politique et coordonnerait les parties concernées par la prévention et la réponse à la pandémie. Ces propositions comprennent la création d’un Conseil mondial de la menace sanitaire sous l’égide de l’ONU au niveau des chefs d’État, ou d’un Conseil mondial de la menace sanitaire sous l’égide du G20 élargi, dans lequel les ministres des finances et de la santé siégeraient ensemble. Toutes les propositions ont en commun un renforcement parallèle de l’OMS, mais aucune ne considère la gouvernance centrée sur l’OMS comme la voie à suivre.
Un financement adéquat
Avec une meilleure gouvernance et un meilleur leadership, la communauté mondiale de la santé sera en meilleure position pour résoudre les problèmes de financement. Le COVID-19 a révélé des lacunes à tous les niveaux : dans la préparation des systèmes de santé nationaux, la surveillance tant pour la détection que pour l’endiguement des épidémies, les pénuries et les erreurs d’affectation des fournitures médicales essentielles. Aucun pays ne devrait à nouveau connaître des pénuries de masques et d’oxygène au plus fort d’une pandémie. L’émergence du variant Omicron est un rappel sévère du coût de l’absence de vaccination des pays à faible revenu. Tous les pays ont intérêt à faire le nécessaire le plus tôt possible. Le HLIP du G20 a estimé que la prévention et la préparation à une pandémie coûteraient au monde 15 milliards de dollars par an.
Dans les années 1990, des efforts conjoints ont conduit à la création du Fonds pour l’environnement mondial. Il s’agit d’un véhicule permettant de mobiliser et de distribuer des fonds entre les agences afin de réaliser les engagements pris dans le cadre des conventions internationales sur l’environnement et le changement climatique. Les menaces qui pèsent sur la sécurité sanitaire mondiale ressemblent à bien des égards aux catastrophes environnementales et, pour concevoir un mécanisme de prévention et de préparation aux pandémies, les responsables de la sécurité sanitaire mondiale devraient s’inspirer de ce qui a fonctionné dans le domaine de l’environnement et le reproduire.
En résumé, à la lumière de l’expérience du COVID-19, la feuille de route pour le traité devrait contribuer à réformer l’OMS pour en faire une autorité normative et de surveillance forte et indépendante. Mais une réflexion plus approfondie est nécessaire pour les autres piliers de la gouvernance mondiale : des schémas ou structures de coopération spécifiques pour les aspects opérationnels liés aux fournitures médicales essentielles ; un organe de type G20 pour assurer le leadership et garantir une approche « pangouvernementale » au niveau mondial ; et, enfin, un fonds autonome.
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