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Revue de presse

« L’exemplarité des professionnels est cruciale pour l’adhésion des patients à la vaccination anti-Covid »

Le rôle des professionnels du soin dans la pédagogie de la vaccination auprès des patients semble reconnu, mais l’importance qu’ils soient eux-mêmes vaccinés est laissée dans l’ombre, regrettent quatre spécialistes de la santé publique dans une tribune au « Monde », estimant que la question de l’obligation mériterait d’être posée.
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Tribune. La mise à disposition d’un vaccin anti-Covid efficace, sûr et accepté ne suffira pas à assurer le tournant salvateur que chacun attend dans la crise sanitaire liée au Covid-19. La vaccination ne produira son effet que si l’immunité collective recherchée, qui associe la part de la population immunisée naturellement (évaluée actuellement en France à 10 %) et celle qui bénéficierait d’une immunité bloquant – on l’espère – la contamination induite par un vaccin, atteint entre 60 % et 80 %. Or les intentions déclarées aujourd’hui par les Français, le scepticisme de quelques experts médiatisés et les taux de vaccination très insuffisants pour des vaccinations non obligatoires (hépatite B, papillomavirus, grippe…) rendent un tel horizon plus qu’aléatoire.


Cette inquiétude motive chez les autorités politiques et scientifiques des appels réitérés à la « transparence », levier crucial de la confiance. On entend par « transparence » la nécessité, pour les autorités sanitaires et politiques de veiller à la « publicité », c’est-à-dire au caractère public « sans filtre », de différentes considérations qui entourent le processus d’évaluation : données relatives à l’efficacité et à la sûreté des vaccins ; processus d’évaluation des industriels, composition des comités d’experts et de leurs éventuels liens ou conflits d’intérêts.

Logiques vaccinales
Mais la transparence, c’est aussi une décision intelligible, des arguments bien articulés et des critères des choix stratégiques explicites. Or, dans la situation présente, la transparence est soumise à une contrainte forte : celle de l’incertitude des connaissances scientifiques. L’enjeu est de s’assurer que la stratégie arrêtée soit intelligible en dépit des angles morts de la connaissance.
Vacciner une population, c’est poursuivre plusieurs objectifs : vacciner des individus pour qu’ils soient protégés contre les formes graves de la maladie (logique médicale dont l’illustration est le BCG contre la tuberculose) ; vacciner une population pour supprimer les transmissions et éradiquer la circulation du virus (logique de santé publique à l’instar de la lutte contre la variole) ; vacciner une société pour préserver les conditions de son fonctionnement (logique socio-économique comme la vaccination des personnels de santé contre l’hépatite B ou la grippe).
La logique médicale de protection personnelle face à la maladie implique un cadre normatif donné, centré sur l’individu, son désir d’autoprotection et, nécessairement, son libre arbitre ; la logique de santé publique, elle, convoque un cadre radicalement différent, fondé sur l’altruisme et la solidarité, dans une logique de protection collective qui légitime dans notre pays le recours aux vaccinations obligatoires. C’est la logique qui prévaut pour l’obligation de vaccination des professionnels de santé (quatre vaccins obligatoires) ou des enfants de moins de 2 ans (onze vaccins obligatoires).
Or, aujourd’hui, si la capacité des vaccins disponibles à protéger les individus de la maladie Covid-19 est démontrée, en revanche il n’est pas acquis qu’être vacciné empêche de transmettre le virus. Quelles priorisations des publics à vacciner faut-il alors instaurer ?


L’enjeu des contaminations nosocomiales
Un public spécifique concentre l’attention et motive des interrogations : celui des personnels travaillant dans les secteurs sanitaire et médico-social. Qu’ils soient soignants ou agents d’accueil, de nettoyage ou de sécurité, ils sont particulièrement exposés au risque d’être infectés mais aussi à celui d’être des vecteurs de contamination pour les patients dont ils s’occupent (risque nosocomial) tandis que leur travail s’intègre dans le cadre des « professions essentielles ».
Dans le scénario annoncé par les autorités le 3 décembre, qui confère la priorité aux résidents des Ehpad, la vaccination ne sera pas prioritaire pour les soignants, sauf pour ceux qui, dans ces établissements, seraient eux-mêmes vulnérables du fait de leur âge ou de comorbidités. Décision qui rompt avec l’avis du conseil scientifique du 9 juillet 2020.
Certains pays placent pourtant au premier rang la vaccination des professionnels de santé. C’est notamment le cas des Etats-Unis, où les CDC [Centers for Disease Control and Prevention] recommandent d’accorder une priorité simultanée à tous les professionnels (21 millions) et aux résidents des maisons de retraite, ou de l’Allemagne, qui installe des centres de vaccination pour les soignants.
L’enjeu des contaminations nosocomiales au Covid est connexe mais majeur : Santé publique France recensait, au 15 novembre, 1 780 cas de Covid-19 nosocomiaux, c’est-à-dire survenus au cours ou au décours d’une prise en charge dans un établissement de santé, sans que la source de la contamination ait été établie.


Pédagogie, gratuité, appui des soignants
Que sait-on des leviers que le programme de vaccination actionnera pour favoriser l’adhésion ? Les annonces récentes en prévoient trois principaux : l’incitation par la pédagogie (le président de la République ayant exclu l’obligation) ; la simplification du parcours vaccinal (gratuité) ; l’appui des soignants, dont l’effort d’information et de conviction est souhaité.
Pour l’heure, si le rôle central des professionnels dans la pédagogie de la vaccination auprès des patients semble effectivement en haut de l’agenda, en revanche l’importance qu’ils soient eux-mêmes vaccinés est laissée dans l’ombre.
Ecarter l’obligation vaccinale pour les soignants n’est légitime que si la finalité altruiste de la vaccination est exclue
C’est pourtant un levier reconnu pour l’efficacité d’un programme de vaccination. D’abord parce qu’ils sont de potentiels vecteurs de transmission auprès de leurs patients. Ensuite parce que leur exemplarité en la matière est cruciale pour l’adhésion vaccinale des patients, c’est bien démontré, en particulier pour la grippe. Enfin, parce qu’ils sont notoirement trop peu vaccinés – notamment contre la grippe. Ces caractéristiques font que, pour eux, et comme c’est en débat depuis des années pour la vaccination antigrippale, la question de l’obligation mériterait d’être à nouveau posée.

Principe de non-nuisance
Le corollaire de la valence altruiste de la vaccination, c’est le principe dit de non-nuisance ou « harm principle », auquel nos démocraties libérales adhèrent depuis John Stuart Mill (1806–1873). Si être vacciné empêche de contaminer autrui, alors ne pas être vacciné, dans ce cas, c’est constituer un risque inacceptable pour son entourage. Inversement, il n’est légitime d’écarter absolument une obligation vaccinale pour les soignants que si l’on tient pour acquis que la finalité altruiste de la vaccination est exclue. La décision en la matière n’est donc intelligible qu’au prix d’une transparence sans faille sur le sort politique que l’on réserve à l’incertitude scientifique sur cette valence altruiste de la vaccination anti-Covid.
La notion d’un équilibre à rechercher entre libertés individuelles et santé publique est aujourd’hui le prélude obligé des commentaires sur les dispositions prises par le gouvernement. Mais ces décisions ne peuvent pas être intelligibles si elles passent sous silence, sans s’en expliquer, que le principe de non-nuisance, familier à chacun, est l’horizon naturel d’une réflexion stratégique sur la vaccination, avec son corollaire de dilemmes sur la priorisation, l’obligation et le ciblage qui doivent être éclairés et partagés.


François Bourdillon, médecin de santé publique ; Mélanie Heard, enseignante-chercheuse en science politique au Centre de recherches interdisciplinaires de l’Université de Paris et coordinatrice du pôle santé du think tank Terra Nova ; Gilles Pialoux, médecin infectiologue à l’hôpital Tenon (AP-HP), Paris ; Patrick Zylberman, historien de la santé, et professeur émérite à l’Ecole des hautes études en santé publique.

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