Pour une autre stratégie de lutte contre le Covid à l’école
Les connaissances scientifiques accumulées depuis près d’un an ne laissent plus aucun doute : 1) les enfants sont des vecteurs de transmission de l’épidémie, et 2) l’école est impliquée dans sa diffusion.
Les données de prévalence britanniques montrent que les classes d’âge scolaire ont les plus forts taux de prévalence. Dans notre pays, à partir des seules données de dépistage, les points hebdomadaires de Santé Publique France révèlent une tendance à la hausse du taux d’incidence chez les 0–9 ans et les 10–19 ans. Les données du CDC américain et de l’enquête française ComCor montrent par ailleurs que les enfants font entrer le virus dans les foyers : en France, le risque d’être infecté est 30% plus élevé lorsque les enfants sont scolarisés en maternelle, au collège ou au lycée, et 40% plus élevé si les enfants sont en crèche. Une enquête rétrospective sur 27.000 foyers à Wuhan en Chine confirme que la susceptibilité des enfants est avérée et que leur capacité à transmettre le virus est importante.
Dans un tel contexte, sans grande surprise, la fermeture des écoles est créditée d’une importante efficacité sanitaire. L’étude de référence en la matière arrive à la conclusion que, sur les différents types d’interventions observées dans plus de 200 pays depuis le début de la pandémie, la « fermeture des lieux d’éducation » est la deuxième la plus efficace. Une autre étude conduite dans 131 pays conclut, elle aussi, que la fermeture / réouverture des écoles apparaît comme l’une des interventions ayant le plus fort impact sur le R0. De même, selon une étude américaine la fermeture des écoles réduirait de 60% tant les nouveaux cas d’infection que la mortalité Covid.
Pour autant, il ne faut pas sous-estimer les conséquences néfastes de la fermeture des établissements scolaires. Elles concernent d’abord les pertes d’apprentissage, particulièrement pénalisantes pour ceux qui avaient déjà du retard. Elles concernent également le développement des inégalités : les élèves les plus fragiles vivent souvent dans des foyers où les parents sont rarement en situation d’apporter un soutien scolaire de substitution et où ils ne disposent parfois ni d’un ordinateur ni d’un espace de travail dédié. Elles concernent aussi la santé psychique des enfants : leur désocialisation, l’isolement qui en résulte, la surconsommation d’écrans… sont autant de facteurs susceptibles d’affecter l’équilibre psychique des plus jeunes. Elles concernent enfin l’économie : au-delà des effets de long terme sur la qualité du capital humain, l’impact économique le plus immédiat résulte de l’impossibilité de travailler pour les (ou l’un des deux) parents quand les enfants sont trop jeunes pour être laissés seuls à la maison. En particulier chez les parents dont l’activité se prête difficilement au télétravail, la fermeture des écoles se traduit par des restrictions d’activité ou des situations de chômage partiel qui entrainent une baisse de la main d’œuvre disponible, une pression à la baisse sur la consommation, des charges supplémentaires pour les finances publiques…
Si réels soient-ils, les inconvénients liés à la fermeture des écoles et à l’enseignement à distance ne doivent pas conduire à un déni de la réalité sanitaire, surtout compte tenu des risques liés à la diffusion de variants plus contagieux, susceptibles d’aggraver à brève échéance la situation épidémiologique. C’est pourquoi la stratégie de lutte contre l’épidémie à l’école ne peut consister à faire de l’institution scolaire un sanctuaire sacré justifiant de multiples dérogations aux exigences de prévention et de contrôle qui prévalent dans le reste de la vie sociale et économique. Il faut au contraire tenir l’équilibre entre des impératifs également désirables mais partiellement incompatibles. Or ce n’est pas exactement le cas aujourd’hui, ni dans les discours, ni dans les faits.
La présente note formule de nombreuses propositions pour sortir de cette situation sans pour autant devoir fermer les établissements scolaires. On peut même penser que c’est en renforçant les pratiques de prévention et de contrôle au sein de l’école que l’on se donnera toutes les chances de freiner l’épidémie et de ne pas se trouver à nouveau devant la nécessité de fermer les établissements scolaires.
Ce n’est pas seulement affaire de protocole – même si le protocole scolaire actuellement en vigueur devra être sérieusement amendé. C’est aussi affaire de mobilisation de la communauté éducative dans son ensemble. Reconnaître le rôle de l’école dans la dynamique de l’épidémie, c’est aussi se mettre en situation de donner à l’école le rôle spécifique qu’elle mérite dans l’effort national pour combattre le virus. L’impératif est désormais d’utiliser les outils, bien maîtrisés par ailleurs, de la santé publique de terrain pour donner aux enfants et aux enseignants des clés pour comprendre les risques inhérents à la vie scolaire et assurer la promotion des bons comportements. Cette stratégie globale doit mobiliser des compétences de communication en santé pour que l’école s’engage contre le virus, et d’épidémiologie de terrain pour concevoir un dispositif de surveillance active et réactive spécifique au milieu scolaire.