Vaccination des adolescents contre le papillomavirus : le retard français cause 2000 décès par an

Vaccination des adolescents contre le papillomavirus : le retard français cause 2000 décès par an
Publié le 1 février 2023

Un virus à transmission sexuelle qui cause 6000 cas de cancer par an : les infections à papillomavirus humain sont parmi les infections sexuellement transmissibles les plus fréquentes. Depuis 2007, une vaccination efficace et sûre est recommandée en France pour toutes les adolescentes ainsi que, depuis 2021, tous les adolescents. A l’occasion de la journée mondiale contre le cancer, ce samedi 4 février, plusieurs pays pourront se prévaloir d’avoir, grâce au vaccin, éradiqué l’infection HPV et les cas de cancer qui en découlent. En France, nous en sommes très loin, avec l’une des plus mauvaises couvertures vaccinales d’Europe. La volonté politique est-elle présente pour inverser cette tendance ? Plusieurs scénarios sont disponibles pour protéger enfin nos adolescents, mais tout converge pour démontrer l’efficacité incontournable – et donc l’urgence – de proposer un programme de vaccination en milieu scolaire.

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« C’est un vaccin qui permettra d’éradiquer le cancer du col de l’utérus ! ». Par ces mots, le 24 novembre dernier, en séance plénière à l’Assemblée nationale, le ministre de la santé et de la prévention, François Braun, s’est emparé d’une urgence de santé publique dans notre pays : l’échec de la vaccination des adolescentes et des adolescents contre le papillomavirus humain (HPV). Cette vaste famille de virus transmissibles par voie sexuelle est responsable d’infections dont la majorité sont bénignes, mais certaines souches provoquent des lésions précancéreuses des muqueuses qui peuvent évoluer en cancer et sont responsables de 2.000 décès évitables par an dans notre pays.

Plus de 6.000 cas de cancer et environ 2.000 décès par an causés par une infection évitable par la vaccination

Les infections à HPV sont des infections sexuellement transmissibles parmi les plus fréquentes, contractées généralement (dans environ 60% des cas) au tout début de la vie sexuelle, même sans pénétration. La plupart des hommes et des femmes ayant une activité sexuelle seront infectés à un moment de leur vie. Ces virus sont responsables, chez la femme comme chez l’homme, de verrues anogénitales, de papillomatoses respiratoires récurrentes, de lésions pré-cancéreuses et de cancers. Si les infections à HPV disparaissent généralement en quelques mois, une petite proportion peut persister et évoluer vers un cancer.

Il existe près de 200 types de HPV dont certains sont à haut risque oncogène.

Chaque année en France, les papillomavirus sont responsables de plus de 6000 cas de cancers qui surviennent pour les ¾ chez les femmes et pour ¼ chez les hommes.

Ils sont responsables chez les femmes de près de 5.000 nouveaux cas de cancers par an dont : environ 3.000 cancers du col de l’utérus, 1.000 cancers de l’anus, 200 cancers de la vulve et du vagin, et 400 cancers de la sphère ORL.

S’ajoutent à ces cancers des lésions pré-cancéreuses : 30.000 du col de l’utérus, et environ 3.000 de la vulve, du vagin et de l’anus.

Chez l’homme, ils sont responsables d’environ 1.750 nouveaux cas par an dont : plus de 1.000 cancers de la sphère ORL (oropharynx), environ 100 cancers du pénis, et près de 400 cas de cancers de l’anus. Les taux d’incidence sont plus élevés chez les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes (HSH), en particulier chez ceux qui sont séropositifs au VIH ; ces derniers présentant un risque 100 fois plus élevé par rapport aux hommes en population générale.

Source : InCASanté publique France

En France, la vaccination est recommandée depuis 2007 chez les adolescentes âgées de 11 à 14 ans. Depuis le 1er janvier 2021, les recommandations s’appliquent également à tous les garçons sur la même tranche d’âge (11 à 14 ans puis rattrapage jusqu’à 19 ans).

Cette décision d’élargissement aux garçons repose sur deux arguments : la protection des garçons eux-mêmes contre les risques de lésions qui les concernent (cancers ORL, anus, etc.) et la réduction globale de la circulation virale dans la population qui entre dans la vie sexuelle, la couverture vaccinale des garçons permettant de protéger également les filles, ce qui rend cette vaccination plus juste. Pour celles et ceux qui ne l’auraient pas fait avant 14 ans, un schéma de rattrapage est proposé aux adolescents de 15 à 19 ans.

Pratiquée avant le début de la vie sexuelle, l’efficacité de la vaccination pour empêcher l’infection par les HPV inclus dans le vaccin est proche de 100%. Il existe deux vaccins concurrents sur le marché : le vaccin nonavalent Gardasil® (Merck) et le vaccin bivalent Cervarix® (GSK). La formulation nonavalente (neuf génotypes viraux couverts), est recommandée en France pour toutes les vaccinations (hors celles initiées avec le vaccin quadrivalent) depuis 2018.

Remboursement et reste à charge

La vaccination anti-HPV est remboursée à 65% par l’Assurance maladie, depuis 2007 pour les filles et 2021 pour les garçons. Le schéma vaccinal est de deux doses espacées de 6 à 13 mois avant 15 ans, et de 3 doses entre 15 et 19 ans. Chaque injection coûte 115,84 euros, soit un reste à charge pour les familles de 40 euros par dose, généralement pris en charge par la mutuelle.

A plusieurs égards, cette vaccination a un statut tout particulier dans le calendrier vaccinal français. Elle est tout d’abord la seule vaccination initiée à l’adolescence, avec toutes les complexités associées à la mise en place d’un parcours de prévention pour cette catégorie de la population très peu en contact avec le système de santé. Elle est ensuite la vaccination ayant connu les plus profonds changements ces dernières années (place des vaccins, âges de vaccination, récent élargissement aux garçons, professionnels habilités à vacciner, etc.). Enfin, cette vaccination constitue une stratégie de prévention primaire chez les jeunes, mais elle doit demeurer associée, pour ce qui concerne la prévention secondaire du cancer du col de l’utérus, à la stratégie actuelle de dépistage organisé (frottis, test HPV)  pour toutes les femmes.

La prévention des maladies et cancers liés aux HPV s’appuie sur deux stratégies complémentaires :
  • une politique de prévention primaire : la vaccination des filles et des garçons entre 11 et 14 ans avec un rattrapage possible jusqu’à 19 ans. Cette vaccination peut être réalisée chez un médecin ou une sage-femme ; le pharmacien et l’infirmier devenant de nouveaux acteurs à la faveur de deux recommandations récentes de la Haute autorité de santé (2022)
  • une politique de prévention secondaire : le dépistage du cancer du col de l’utérus entre 25 et 65 ans avec une fréquence du dépistage variant selon l’âge (tout particulièrement, intervalle de 5 ans entre 30 et 65 ans) et pouvant être réalisé chez un médecin généraliste, un gynécologue ou une sage-femme. Il n’existe pas de dépistage pour les autres cancers liés aux HPV

Une urgence de santé publique

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Comme le titrait un récent communiqué alarmiste de l’Académie de médecine, la France est extrêmement en retard en termes de couverture vaccinale. En 2020, en Europe, la couverture vaccinale dépassait 50% dans 20 pays et 75% dans 11 pays dont le Portugal, l’Espagne et le Royaume-Uni. En France (en 27e position), elle ne parvenait qu’à 28% (essentiellement chez des filles ; 29% pour une seule dose à 15 ans et seulement 24% pour un schéma vaccinal complet à deux doses à 16 ans).

Source : Ngoc-Ha Nguyen-Huu et al., “Human papillomavirus vaccination coverage, policies, and practical implementation across Europe”, Vaccine, 38(6), 2020

Aujourd’hui, les jeunes Français sont parmi les Européens les moins bien vaccinés, tant chez les filles (37% de couverture vaccinale) que chez les garçons (6%) : un niveau très éloigné des objectifs fixés par la Stratégie nationale de santé sexuelle et le Plan cancer (soit 60% chez les adolescentes âgées de 11 à 19 ans en 2023 et 80 % à horizon 2030).

Le retard accumulé depuis quinze ans est susceptible d’entraîner des conséquences majeures d’un point de vue de santé publique. Les pays qui ont mis en place des politiques efficaces de vaccination obtiennent des résultats tangibles en termes de réduction de circulation du virus et de réduction des lésions pré-cancéreuses du col de l’utérus. Une étude publiée en Suède indiquait que le risque de développer un cancer du col de l’utérus était réduit de l’ordre de 90% chez les jeunes femmes vaccinées avant 17 ans par rapport à des jeunes femmes non vaccinées. Cet impact de la vaccination, associé au dépistage du cancer de l’utérus, ouvre la voie à l’élimination de ces cancers dans plusieurs pays dans les dix prochaines années (Royaume-Uni, Australie, Suède, Canada, etc.), approche encouragée par l’Organisation Mondiale de la Santé et la Commission Européenne.

Vaccination HPV, sécurité et fake news

Dans les familles, l’un des freins à la vaccination des adolescents contre les infections liées aux HPV est lié à la crainte d’effets indésirables. Pourtant, le profil de tolérance des vaccins est satisfaisant et repose sur une surveillance de plus de 10 ans de commercialisation avec plus de 300 millions de doses distribuées dans le monde. La large utilisation de ces vaccins au niveau international, ainsi que les études menées dans de nombreux pays, ont confirmé le profil de sécurité des vaccins contre les HPV et n’ont pas mis en évidence d’éléments remettant en cause leur balance bénéfices-risques. A la demande de l’OMS, le Comité consultatif pour la sécurité des vaccins (GACVS) a étudié en profondeur toutes les études réalisées sur les vaccins contre les HPV, incluses les données de pharmacovigilance et conclu en juin 2017 que ces vaccins étaient « extrêmement sûrs et fiables ».

En France, cette vaccination a pâti sans doute de nombreuses controverses entre 2011 et 2015, largement relayées par les médias nationaux, attribuant notamment aux vaccins HPV la survenue de pathologies auto-immunes. A plusieurs reprises, les autorités de santé nationales avaient pourtant confirmé qu’il n’existait pas de données permettant de remettre en cause la sécurité de ces produits, une première fois en 2011 (Haut Conseil de santé publique) puis en 2015 avec la publication de résultats d’une vaste étude pharmaco-épidémiologique menée par l’ANSM et l’Assurance maladie.

Menée sur plus de 2 millions de jeunes filles, l’étude confirmait que la vaccination n’entraîne pas de sur-risque de maladies auto-immunes et de sclérose en plaque. Les signaux identifiés dans cette étude, tels que le risque de syndrome de Guillain-Barré (SGB) ou de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), ont été investigués et n’ont pas été corroborés par les études comparables menées dans plusieurs pays.

Tout récemment, un documentaire intitulé « Des vaccins et des hommes » diffusé par Arte le 18 octobre 2022 a relayé des positions fantaisistes sur les risques liés à cette vaccination, omettant au passage d’en rappeler les bénéfices. Pour Alain Fischer, auteur d’un papier de « debunk » des théories antivax de ce documentaire, mais aussi d’une tribune sur la vaccination HPV dans l’Express, « comment réagir face à ce flot de fausses nouvelles souvent portées par des médecins sans compétence dans le domaine, relayées par des hommes politiques et des médias ? Vu l’enjeu – prévenir 90% de 6000 cancers et 2000 décès chaque année – il convient d’entreprendre une action publique d’envergure : lancer des campagnes d’information ciblant, d’une part, les médecins généralistes, pédiatres, gynécologues et, d’autre part, les parents et les adolescents, notamment dans le cadre des interventions des comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté des établissements d’enseignement secondaire ».

Le rattrapage du retard accumulé en France dans la couverture vaccinale HPV des adolescents est une urgence de santé publique. De récentes positions prises par le ministre de la santé et de la prévention, François Braun, laissent espérer que l’enjeu pourrait monter en haut de l’agenda. Lors de l’annonce de la gratuité du préservatif pour les jeunes, en décembre, le Président de la République a lui aussi annoncé vouloir aller « beaucoup plus loin, beaucoup plus fort » sur la vaccination anti-HPV.

Dans ce contexte, plusieurs scénarios s’offrent aux pouvoirs publics.

Scénario 1 : statu quo ?

Certes, la vaccination HPV est aujourd’hui bien identifiée comme une priorité de santé publique : elle est inscrite parmi les actions clés de la Stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021–2030. Ce plan prévoit « l’organisation d’un programme national de vaccination ciblant les enfants de 11 ans […] Les modalités opérationnelles seront définies en lien avec des dispositifs existants tels que l’examen obligatoire 11–13 ans et sur la base des résultats des expérimentations actuellement engagées dans les territoires ». Afin de mieux lutter contre les cancers liés aux HPV, cette stratégie vise une couverture vaccinale de 80% d’ici 2030. Mais en décembre 2022, le premier comité de suivi de ce plan, sous l’égide de la première ministre, a préféré rester carrément silencieux sur l’échec de la vaccination HPV, le dossier de presse ne mentionnant le cancer du col qu’au titre du dépistage.

Atteindre une couverture de 80% chez les jeunes filles et jeunes garçons en 2030, objectif affiché des pouvoirs publics, semble proprement inaccessible sans opérer de changements majeurs.

De fait, la vaccination HPV fait partie des vaccinations suscitant le plus d’hésitations chez les parents. Les médecins généralistes considèrent qu’il s’agit de la vaccination la plus difficile à proposer, devant d’autres vaccinations en difficulté en France (hépatite B, grippe). Même si cette vaccination est installée de longue date dans le calendrier vaccinal, les parents sont en demande forte d’information sur ce vaccin, notamment sur sa sécurité, et une recommandation de leur médecin. Faute de politique vaccinale proactive, cette vaccination est en outre une vaccination parmi les plus inégalitaires en France, avec des différences de couverture marquées entre zones géographiques (16% de couverture vaccinale en Seine-Saint-Denis contre 53% en Seine-Maritime).

Scénario 2 : miser sur des stratégies proactives chez les médecins de ville

En France, la vaccination des enfants et adolescents repose très largement sur la vaccination par la médecine de ville et en premier lieu le médecin généraliste. Ce dernier est le référent clé en matière de vaccination : 97 % des parents déclarent suivre toujours ou souvent les recommandations de leur médecin.

Ainsi, un certain nombre de leviers pourraient être activés dans des temps très courts pour renforcer la vaccination en médecine de ville et dynamiser la couverture vaccinale : mise en place de campagnes d’information et de sensibilisation s’inscrivant dans le temps via différents canaux (médias traditionnels, réseaux sociaux), invitations systématiques de la part de l’Assurance maladie. En parallèle, il conviendrait d’organiser une proposition proactive de rendez-vous de bilan vaccinal et de vaccination par les médecins généralistes : mise à disposition du statut vaccinal de l’ensemble de leur patientèle (sur le modèle de la vaccination COVID-19 ou des dépistages), prises de contact proactives par téléphone ou e-mail des parents n’ayant pas fait vacciner leurs enfants. Une telle approche nécessiterait l’attribution de moyens financiers supplémentaires ou de ressources humaines nouvelles (par exemple en s’appuyant sur les nouveaux assistants médicaux).

Il est vrai que cette stratégie qui consiste à miser sur la médecine de ville est déjà partiellement investie par les pouvoirs publics. A compter de 2023, de nouveaux professionnels seront habilités à prescrire et administrer des vaccins HPV, tout particulièrement les pharmaciens d’officine. Les pharmaciens jouent depuis quelques années un rôle majeur dans le champ des vaccinations grippe puis COVID-19 et l’ouverture de leurs compétences à d’autres vaccinations, dont HPV, est une bonne nouvelle. La réussite de ce nouveau parcours vaccinal passe par une communication importante des pouvoirs publics sur cette nouvelle voie possible de vaccination et la mise en place de sessions de formation continue. Que ce soit pour les pharmaciens ou les médecins, il conviendrait également d’étudier la faisabilité de diffuser largement des sessions de formation sur le mode de communication auprès des parents : il a ainsi été démontré qu’une recommandation directive de la part d’un professionnel augmentait l’intention de vaccination par rapport à une proposition facultative.

La réussite pleine et entière nécessitera aussi la mise en place d’actions « d’aller-vers » vers les adolescents les plus éloignées du système de santé : rappelons que quatre enfants sur dix de moins de 15 ans n’ont pas de médecin traitant.

Reste que cette stratégie axée sur la ville peut s’inspirer de modèles étrangers concluants. En Europe, le Portugal a parfaitement réussi la vaccination HPV par les professionnels de santé en ville : en 2021, la couverture vaccinale chez les jeunes filles atteignait 94%, la plus élevée du continent. Le succès de la vaccination HPV au Portugal repose sur des centres de santé en ville, assurant les vaccinations et le bon suivi du calendrier vaccinal (organisation des vaccinations par ces centres, relance des parents par téléphone ou email, enregistrement des vaccinations réalisées dans le carnet de vaccination).

Scénario 3 : une vaccination obligatoire ?

Un scénario alternatif consisterait à opter, à l’autre extrême, pour l’obligation, sur le modèle des onze vaccinations obligatoires du nourrisson, c’est-à-dire sous la forme d’une condition obligatoire pour la scolarisation. Dans Le Parisien du 12 novembre dernier, François Braun, interrogé sur l’opportunité de rendre la vaccination anti-HPV obligatoire, répondait : « J’aimerais qu’elle soit généralisée, car c’est un enjeu majeur de santé publique. Mais faisons les choses dans l’ordre ».

La pertinence de l’obligation vaccinale dans le cadre de la lutte contre les maladies infectieuses fait partie des sujets bien balisés en santé publique. Le Covid, et notamment l’obligation vaccinale pesant sur les soignants, ont réactivé le sujet dans le débat public. La notion d’un équilibre à rechercher entre libertés individuelles et santé publique est devenue le prélude obligé des commentaires sur les dispositions prises par le Gouvernement, ce dont on ne peut que se féliciter. Avec les débats sur l’obligation de port du masque, d’isolement, ou encore de vaccination obligatoire pour les soignants, le caractère contraignant des outils de lutte contre les maladies infectiseuses a souvent été décrit comme exorbitant, dérogatoire et exceptionnel, alors même que les situations où la protection de la santé des uns emporte la limitation de la liberté des autres, du fait d’un risque de dommage à la fois probable et conséquent, sont parfaitement comprises et emportent la confiance et l’adhésion de chacun au quotidien : sécurité routière, interdiction de fumer dans les lieux publics, règles d’hygiène pesant sur les commerces alimentaires, etc.

En matière d’obligation vaccinale, la référence incontournable est l’arrêt fondateur de la Cour suprême américaine « Jacobson v. Massachussets » de 1905. Cet arrêt a statué sur la légitimité de l’obligation vaccinale sur la base de plusieurs critères : l’utilité (l’objectif poursuivi est valable du point de vue de l’intérêt général) ; la nécessité (l’obligation n’est légitime que si l’individu qui la subit représente une menace réelle pour la collectivité) ; la proportionnalité de l’obligation en regard des alternatives moins restrictives envisageables (adéquation et économie des moyens) ; et enfin l’équité (l’obligation est ciblée sur un groupe qui présente effectivement des caractéristiques spécifiques en termes de risque pour autrui). C’est sur ces critères, pour partie, qu’avait été justifiée l’extension des vaccinations obligatoires du nourrisson en 2018.

S’agissant de l’infection HPV, le sujet n’a guère été discuté dans notre pays, mais il a fait l’objet d’une forte polémique aux Etats-Unis en 2006/2007, plusieurs états ayant envisagé de faire de la vaccination anti-HPV un critère conditionnel de scolarisation en 6e (c’est aujourd’hui le cas dans quatre états : Rhode Island, District of Columbia, Hawaii, Virginie ; le Michigan ayant fait machine arrière très vite). Comme l’expliquait à l’époque dans le New England Journal of Medicine le spécialiste des enjeux d’équilibre entre libertés individuelles et bien commun en santé publique James Colgrove, professeur à Columbia : « De nombreuses preuves démontrent que l’obligation vaccinale en milieu scolaire est un moyen efficace et efficient d’augmenter les taux de couverture vaccinale. Il est presque certain qu’en imposant la vaccination HPV, on obtiendra une protection plus étendue contre la maladie que les politiques qui reposent exclusivement sur la persuasion et l’éducation. Selon les défenseurs de la vaccination, cette efficacité constitue une justification claire ». Mais d’un autre côté, ajoutait-il : « Les analyses éthiques et épidémiologiques sont essentielles à la décision de rendre obligatoire le vaccin HPV, tout comme le sont les raisonnements d’opportunité politique. Tout nouveau vaccin qu’un État ajoute à sa liste d’obligations doit être jugé dans le contexte de plus en plus long et complexe de vaccins que les enfants reçoivent maintenant, et de la possibilité que des obligations supplémentaires puissent enflammer les arguments anti-vax et les oppositions, qu’elles soient religieuses, philosophiques ou idéologiques. Bien que les questions de religion et de sexualité des adolescents aient dominé le débat, la décision d’exiger la vaccination HPV soulève de vastes questions sur l’acceptabilité des mesures de santé publique obligatoires, la portée de l’autonomie parentale et le rôle de l’action politique dans la mise en œuvre des mesures de santé préventive ».

En France, Les Républicains ont déposé une proposition de loi en 2018 visant à rendre la vaccination anti-HPV obligatoire ; non discuté, le texte, signé, notamment, par Agnès Firmin Le Bodo, l’actuelle ministre déléguée aux professions de santé, faisait valoir dans son exposé des motifs que, « Compte‑tenu des résultats obtenus dans les pays pratiquant une vaccination quasi systématique et mixte, il apparaît indispensable d’ajouter la vaccination contre le papillomavirus humain dans le calendrier vaccinal obligatoire ».

Scénario 4 : l’offre systématique à l’école, la voie du succès

C’est qu’en réalité, en amont de l’obligation vaccinale visée par ce texte, l’objectif de systématicité peut être aussi poursuivi dans un scénario alternatif moins coûteux pour les libertés, et qui a fait la preuve de son efficacité : la vaccination organisée en milieu scolaire avec proposition systématique. Dans ces programmes que la santé publique appelle « organisés », l’offre vaccinale est faite à tous les enfants, en milieu scolaire. A l’inverse, la stratégie vaccinale française n’est pas « organisée » au sens de la santé publique, puisqu’elle demeure à la main du médecin, qui peut ou non proposer le vaccin en consultation – et encore, pour les seuls adolescents qui consultent. Les programmes de santé publique dits « organisés » peuvent être « opt-in », c’est-à-dire que l’offre est faite à tous et les familles volontaires s’inscrivent, ou bien « opt-out », lorsque la vaccination est pratiquée par défaut sauf opposition explicite des parents. Dans les deux cas, et à la différence de l’obligation qui de fait y déroge, le principe du consentement parental est respecté.

Un papier important publié en 2020 dans la très prestigieuse revue Vaccine a exploré les différentes stratégies de vaccination anti-HPV dans la zone Europe de l’OMS, en cherchant à les corréler avec les taux de couverture vaccinale des jeunes. Les conclusions sont sans appel : « Deux types de programmes ont pu être distingués : des programmes structurés où les groupes cibles se voyaient systématiquement proposer la vaccination, et des programmes opportunistes où la vaccination était proposée individuellement, à la discrétion du médecin, lors de consultations motivées par d’autres causes. Les dix pays qui remontent une couverture vaccinale élevée (i.e. >71%) ont implémenté un programme organisé. C’est aussi le cas dans six des sept pays qui ont une couverture moyenne (entre 51% et 70%) : Danemark, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, et certains cantons suisses. Dans les quatre pays à couverture vaccinale, la vaccination bénéficie d’un programme structuré en Wallonie, Lettonie, et Slovénie, alors que l’Allemagne a un programme opportuniste. Enfin, dans les quatre pays avec une couverture vaccinale très faible, le programme vaccinal était opportuniste excepté en Bulgarie où le choix d’un programme organisé est encore récent ».

Les auteurs concluent à la supériorité d’un programme organisé en milieu scolaire pour assurer la couverture vaccinale des jeunes. Ils soulignent en particulier, s’agissant de la France, la complexité pratique qu’impose aux familles un programme de type opportuniste : « en France, soulignent-ils, les parents doivent prendre rendez-vous avec le médecin pour avoir la prescription, puis aller chercher le vaccin en pharmacie, et reprendre un rendez-vous pour l’injection ».

La vaccination organisée à l’école est un outil bien connu de santé publique, que l’on rattache souvent aux campagnes de vaccination anti-polio par exemple mais aussi, plus récemment, aux polémiques qui ont entouré la vaccination contre l’hépatite B dans les années 1990.

Un programme de vaccination scolaire présente l’avantage de toucher tous les élèves d’une cohorte de la même manière, quel que soit leur milieu social. Elle permet également de renforcer l’éducation et la littératie en santé des élèves. Elle peut s’appliquer en temps de crise comme hors crise.

Il faut toujours distinguer l’offre de vaccination à l’école, qui est une mesure de facilitation de l’accès, de la scolarisation sous condition de vaccin, ou obligation vaccinale pédiatrique. Dans les programmes de mise à disposition de la vaccination à l’école, la finalité est de faciliter l’accès tout en maintenant un principe de consentement des familles sur la base du volontariat (en distinguant opt-in et opt-out). Dans la littérature, le rationnel stratégique qui supporte les programmes vaccinaux en milieu scolaire comporte trois finalités : accélérer l’introduction d’un nouveau vaccin dans la population cible, augmenter la couverture vaccinale, et contrôler la circulation virale dans la population.

Sans même qu’elle soit associée à quelque obligation que ce soit, l’ouverture d’un accès au vaccin au sein des établissements scolaires est une mesure efficace pour favoriser l’adhésion des familles et garantir un haut niveau de couverture vaccinale chez les enfants et les adolescents. Commençant dans certains pays avec la vaccination contre la poliomyélite dans les années 1950, des générations d’enfants ont été vaccinées par le biais de programmes scolaires. De nombreux pays à revenu élevé ont récemment élargi leurs programmes de vaccination des enfants pour intégrer de nouvelles vaccinations telles que le vaccin antigrippal intranasal annuel pour les enfants en bonne santé, ou la vaccination anti-HPV pour les adolescents et adolescentes.

Le cas de la vaccination anti-HPV a apporté en la matière depuis 15 ans des données concluantes, en particulier en Australie et au Royaume-Uni qui ont porté des programmes d’accès scolaire à cette vaccination et connaissent des taux de couverture vaccinale très élevés (de l’ordre de 80%). Les facteurs d’adhésion à ces programmes implantés en milieu scolaire sont désormais mieux connus, et comprennent en particulier l’implication des personnels de l’établissement, la fluidité de l’organisation logistique, et la qualité des outils déployés pour informer les familles et pour recueillir le consentement des parents. Mais globalement, il est démontré que le simple fait que l’école endosse la campagne vaccinale est en soi un facteur de confiance et d’adhésion des familles.

En France, les positions d’experts n’ont pas manqué, depuis l’introduction du vaccin, pour recommander la vaccination organisée à l’école. En 2010, le Comité technique des vaccinations « note par exemple que les pays européens ayant obtenu une couverture vaccinale égale ou supérieure à 80 % (Royaume Uni, Portugal) ont mis en place la vaccination dans les structures de soins publiques ou en milieu scolaire ». En 2012, c’est au tour du Haut conseil de la santé publique qui « rappelle que l’obtention d’une couverture vaccinale élevée représente un objectif prioritaire tant pour la protection des jeunes filles que pour l’induction d’une immunité de groupe » et « souligne par ailleurs que ces niveaux de couverture vaccinale élevés sont obtenus dans les pays (Royaume-Uni, Australie) qui vaccinent dans les écoles ». Et le même conseil réitère sa position en 2014 : « les pays qui, à l’image de l’Australie et du Royaume-Uni, disposent aujourd’hui d’une couverture vaccinale élevée (proche de 80 %) ont développé un programme de vaccination des jeunes filles à l’école » et « l’intérêt de la vaccination en termes de santé publique reste conditionné au passage d’une vaccination « opportuniste » à une vaccination organisée  ». Il faut souligner par ailleurs que le Plan cancer 2014–2019 prévoyait de promouvoir des études sur l’acceptabilité de la vaccination des jeunes filles (les garçons n’étaient pas encore éligibles) en milieu scolaire. Enfin, en 2018, la Cour des comptes dans son rapport annuel dressait un constat sévère de la politique vaccinale et recommandait d’y « impliquer activement la médecine scolaire ».

La vaccination anti-HPV en milieu scolaire est donc le scénario à privilégier si la volonté exprimée par le Gouvernement d’accélérer la vaccination anti-HPV des adolescentes et adolescents français pour combler notre retard et espérer, à l’instar des autres pays, éradiquer le cancer du col pour éviter 3000 nouveaux cas par an et 2000 décès. Les arguments qui plaident en ce sens sont robustes et simples : le débat public pourrait s’en emparer en maîtrisant les risques incontournables de rumeurs antivax. La surinterprétation de l’hésitation vaccinale, aux premiers temps de la vaccination du Covid, et l’adhésion bien plus forte qu’espérée qu’elle a finalement remportée, devraient rester dans tous les esprits pour prendre la décision, enfin, d’aller de l’avant. L’autre sujet, pratique, concerne évidemment l’organisation logistique de telles campagnes dans les écoles, avec un coût en termes de personnels dédiés à l’injection. Là encore, l’élargissement des personnels vaccinateurs, leçon majeure du Covid, montre clairement la voie pour avancer.

La mise en place d’un programme de vaccination scolaire est naturellement un processus de moyen terme pour être efficace et pour toucher toutes les cohortes concernées. Si c’est le choix d’action publique dont la littérature démontre qu’il est le plus pertinent, il ne dispense pas pour autant d’avancer dès maintenant sur les leviers d’acceptabilité de la vaccination et sur la mobilisation de la médecine de villedans un calendrier de court terme. Les leçons du programme australien, par exemple, sont claires : l’acceptabilité d’un programme scolaire est largement facilitée lorsque la pédagogie a été bien réalisée en amont et qu’il a été préparé (campagnes de sensibilisation, d’information des parents). L’organisation d’une offre de vaccination renforcée pour les adolescents à tous les points de contact avec le système de soins est aussi un préalable indispensable pour élargir la visibilité de cette vaccination et la perception partagée de sa légitimité. Plus largement, la volonté politique d’éradiquer des décès évitables est le préalable incontournable : on en devinait les prémisses dans quelques positions publiques récentes, mais on attend toujours le passage aux actes.

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Mélanie Heard

Responsable du pôle Santé de Terra Nova