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Étude

Il y a urgence à réguler le football

A la veille de la dernière journée du Championnat de France, marqué cette année par la victoire d’un Paris Saint-Germain sous contrôle qatari, Terra Nova revient sur la nécessité de réguler le football, deux ans après son rapport « Changer ou disparaître : quel avenir pour le football ? »
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1 – Les règles spécifiques du marché du foot et des moyens quasiment illimités sont à l’origine d’une inflation des transferts

Depuis l’arrêt Bosman en 1995, qui a favorisé une plus grande mobilité des joueurs, le marché des transferts a été le reflet des excès de l’économie du football professionnel.

Le principe est simple : lorsqu’un club de football souhaite recruter un sportif qui est encore sous contrat, il se doit de payer une indemnité de transfert au club vendeur. En retour, au-delà des recettes marketing et des revenus liés aux performances sportives espérées, le club acheteur pourra à nouveau revendre le joueur. Il percevra alors une indemnité de transfert. Par conséquent, tant que le marché des transferts est à la hausse et que les clubs peuvent augmenter le prix de vente par rapport au prix d’achat, ces derniers réalisent des plus-values.

Cette hausse peut donc être entretenue artificiellement par les clubs. Les plus-values réalisées par les clubs sur le marché des transferts leur permettent alors de payer des salaires et d’acheter de nouveaux joueurs. Entre 1995 et 2002, le marché des transferts se caractérisait par ce type d’économie hautement spéculative liée à une logique financière qui déboucha sur la constitution d’une bulle. La crise économique de certains gros marchés a concouru à son explosion en 2001–2002.

Cependant, cette même année 2001 fut parallèlement marquée par une refonte du système des transferts par la FIFA. À la suite de plaintes et après plus de deux ans de négociations avec les parties concernées (UEFA, FIFA, FIFPro et la Commission Européenne), un accord « politique » en 2001 a conduit à une importante réforme du système de transfert géré par la FIFA pour la famille du football. Cet accord poursuivait notamment trois objectifs [3]  : mettre fin aux indemnités de transferts exorbitantes ; assurer un degré minimum de stabilité contractuelle ; permettre une solidarité financière entre les clubs de football afin de promouvoir un meilleur équilibre compétitif au sein des compétitions.

Une récente étude [4] commandée par la Commission Européenne et menée par KEA European Affairs en collaboration avec le Centre du droit et d’économie du sport de Limoges a ainsi analysé et quantifié l’évolution du marché des transferts au niveau européen en vue d’évaluer son efficience. Entre la saison 1995–1996 et la saison 2010–2011, le nombre de transferts a été multiplié par 3,2 – passant de 5 735 à 18 307 –, tandis que dans le même temps les indemnités de transferts ont été multipliées par 7,4 – passant d’environ 400 millions d’euros à plus de 3 milliards d’euros.

Au-delà de cette image globale qui laisse à penser que l’évolution a été constante, l’aspect spéculatif du marché des transferts a évolué : deux périodes ont existé, et l’éclatement de la bulle spéculative en 2001–2002 en a été le tournant. On est passé d’une spéculation liée à la vente de joueurs dans une logique financière à une pression inflationniste exercée par les salaires et les transferts liée à une logique plus sportive.

Le changement de stratégie de la part des clubs sur le marché des transferts ainsi que la crise financière ont eu pour effet de restreindre l’inflation des indemnités de transferts à un nombre limité de joueurs – principalement les « superstars », de clubs et d’opérations. La pression inflationniste sur les salaires demeure cependant une problématique qui touche l’ensemble du marché.

1. 1 – Initialement spéculative, l’inflation des transferts dans le foot résulte depuis 2002 d’une logique sportive

Depuis 2002, l’inflation sur les transferts est passée d’une logique financière à une logique sportive

1995–2002 : un marché spéculatif lié à la vente de joueur dans une logique financière

Une première période, entre 1995 et 2002, durant laquelle la croissance des transferts a été très forte aussi bien en volume qu’en valeur, peut être identifiée. Elle se caractérise par une explosion des coûts liés aux joueurs au niveau des indemnités de transferts et des salaires. Durant cette période, la volonté de la très grande majorité des clubs européens était de réaliser des plus-values, des gains financiers sur les opérations de transferts.

Cette logique financière et très spéculative a conduit au paiement de très fortes indemnités de transferts au cours des saisons 2000–2001 et 2001–2002, qui font encore date aujourd’hui. Parmi les cinq plus gros transferts jamais réalisés, deux l’ont été au cours des saisons précédemment citées avec Zinedine Zidane vendu pour une valeur de 73,5 millions d’euros et Luis Figo pour 60 millions d’euros. Parmi les dix plus gros transferts, cinq ont été réalisés lors de ces deux saisons. Les salaires aussi ont connu une forte expansion. En Espagne et en Italie, les masses salariales ont ainsi triplé entre 1995 et 2001, passant de 15 millions d’euros par club à environ 45 millions d’euros.

Cependant, cette spéculation financière maintenue artificiellement a conduit à l’éclatement de la bulle spéculative. Le système a en effet tenu tant que le marché était haussier et que les clubs réalisaient des plus-values. Mais dès qu’il s’est retourné, les moins-values ont fait s’effondrer les recettes et ont dégradé le bilan des clubs : elles ont alors rendu impossible le financement de la masse salariale et ont poussé les clubs dans de graves difficultés financières, voire dans le surendettement.

2002–2011 : une pression inflationniste liée à la vente de joueurs dans une logique sportive

Entre 2002 et 2011, le marché des transferts évolue. Il montre tout d’abord des signaux d’accalmie, du retour à une certaine modération. Cependant, la menace d’une nouvelle hausse, déconnectée des prix réels du marché, n’est pas éradiquée : elle se focalise dorénavant sur les meilleurs joueurs.

Evolution des dépenses de transferts du Big-5 entre 1996 et 2012 (€m)

Source : www.transfermarkt.de , press (processing CDES)

Même si le montant global des indemnités de transferts n’a pas diminué, l’éclatement de la bulle spéculative a mis temporairement fin à l’inflation qui entourait la plupart des opérations de transferts. Ce retour à un peu de bon sens et à un peu d’ordre dans ce marché déconnecté n’est cependant pas lié à une réelle prise de conscience. Il est plus le fruit d’un manque de « combattants ». Les difficultés croissantes auxquelles les clubs italiens et espagnols sont confrontés ont réduit la compétition entre les clubs, et chacun s’attache à conserver les meilleurs joueurs. Parallèlement, la nouvelle régulation mise en place par la FIFA suite à l’accord de 2001 [5] , encadrant un peu plus les opérations de transferts, a fait le reste. Ainsi, le marché des transferts est marqué par une période de diminution et de stagnation entre 2002 et 2006.

Le marché des transferts n’est cependant pas à l’abri d’une nouvelle embellie. Il demeure un marché dérégulé, marqué par des dysfonctionnements qui entretiennent des mouvements à la hausse. Ainsi, entre 2007 et 2009, lorsque certains clubs disposent à nouveau de largesses financières, un pic sans précédent a été atteint, constituant un nouveau record en matière de dépenses.

L’arrivée de nouveaux mécènes participe à cette forte augmentation des dépenses en matière de transferts, mais elle ne constitue pas la seule explication. Même si les activités spéculatives ne sont pas aussi répandues et au même niveau qu’avant 2002, des dérives et des excès demeurent. Le marché se déconnecte donc à nouveau de la réalité et aucun garde-fou n’existe contre ce phénomène. Certaines stratégies sur le marché des transferts conduisent à amplifier cette inflation. L’exemple du Real Madrid est à cet égard édifiant, puisque dans sa logique de recrutement de « galactiques », de nouvelles stars, le club a déboursé 94 millions d’euros en 2009 pour recruter Cristiano Ronaldo. Cette stratégie de recrutement se fait généralement au profit des superstars avec une surcote par rapport au talent réel du joueur [6] , ce qui entretient la pression à la hausse sur ce segment de marché. A titre d’exemple, la Premier League atteint alors des montants records en matière de dépenses d’indemnités de transferts : 932 millions d’euros pour la saison 2007–2008 et 849 millions d’euros pour celle de 2008–2009.

Ce regain de forme et les nouveaux records établis sur le marché des transferts témoignent du risque permanent d’une nouvelle pression inflationniste. Ils démontrent aussi que le marché des transferts n’en a pas fini avec ses excès, qui font courir de nombreux risques aux clubs européens.

Les stratégies agressives menées sur le marché des transferts par certains clubs exercent une pression considérable sur les autres clubs, qui se doivent d’augmenter les ressources dépensées sur leurs joueurs, principalement les salaires, afin de rester compétitifs. Dans cette optique, certaines stratégies mises en place par ces derniers sur le marché des transferts – fruits d’une logique très court-termiste – peuvent s’avérer très risquées et peuvent par conséquent conduire à leur faillite s’ils n’ont pas les fonds et les revenus nécessaires. Des clubs de Premier League anglaise ont ainsi été rétrogradés, comme Portsmouth F.C. qui n’a pas su faire face à sa dette grandissante alors que ses dépenses en matière de salaires atteignaient 100 % de son chiffre d’affaires. Plus récemment, le club des Glasgow Rangers a connu le même sort.

Pour pouvoir rivaliser et se maintenir dans l’élite, les clubs se doivent de suivre les prix du marché qui se trouvent être fortement à la hausse, même si cela les oblige à vivre au-dessus de leurs moyens. Le championnat espagnol en est le meilleur exemple. Au début de la saison 2011–2012, dix clubs de première division se sont ainsi déclarés en cessation de paiement : Sporting de Gijón, Málaga, Real Zaragoza, Levante, Real Sociedad, Mallorca, Racing, Betis, RayoVallecano et Granada.

Une inflation désormais limitée à un nombre restreint de joueurs et de clubs, mais qui touche également les salaires

La période s’étalant de 2002 à 2011 diffère de la logique purement spéculative qui caractérise la période 1995–2002. A ce titre, elle affiche des caractéristiques bien particulières qu’il faut appréhender pour comprendre le phénomène et y répondre efficacement.

Un marché très fortement segmenté au profit des « superstars »

Pour comprendre les menaces qui pèsent aujourd’hui sur l’économie du football et les dérives liées aux transferts de joueurs, il convient de rappeler une caractéristique essentielle : le marché du travail y est très segmenté. A ce titre, les excès et les fortes indemnités de transferts se situent sur le marché primaire supérieur, celui des « superstars » ; et dans une moindre mesure sur le marché primaire inférieur, constitué de bons joueurs expérimentés. C’est sur ce segment de marché que l’on trouve les plus fortes indemnités de transferts et les salaires les plus élevés.

Le rapport de la FIFA intitulé « Global Transfer Market » (2011) confirme cette forte segmentation qui induit le paiement d’indemnités de transfert très différentes selon le segment de marché considéré. Pour les transferts internationaux, le montant moyen des indemnités de transfert se situe à plus de 1,5 millions de dollars (USD), alors que la médiane se situe seulement à 200 000 dollars (USD). Cela signifie qu’un nombre restreint de transferts, dont les indemnités sont très élevées, rehaussent la moyenne, alors que la majorité des indemnités de transfert représente un montant assez limité. Il est d’ailleurs nécessaire de rappeler que la très grande majorité des transferts de joueurs se réalise ainsi sans qu’aucune compensation financière ne soit payée : seulement 10 % des transferts internationaux en 2011 sont le fruit d’un accord entre deux clubs donnant lieu au paiement d’une indemnité de transfert.

Un marché qui se caractérise par une très forte concentration

Parallèlement, le marché des transferts se caractérise par une très forte concentration à deux niveaux : un nombre limité de clubs – ceux qui ont les plus gros revenus et/ou sont supportés par des mécènes – réalisent la plus grande majorité des dépenses en matière de transferts, concentrée sur un faible nombre d’opérations.

Le Big-5 [7] représente à lui seul plus de 55 % des 3 milliards dépensés en Europe. Et si on regarde de plus près, le pourcentage des dépenses de transferts pour les 20 clubs européens avec le chiffre d’affaire le plus élevé (Deloitte, 2012) atteint à lui seul 33 % de l’ensemble des dépenses de transfert réalisées au sein de l’UE.

De plus, au sein de chaque championnat du Big-5, 10 % des transferts réalisés au cours de la saison 2010–2011 (impliquant le paiement d’une indemnité de transfert pour rupture de contrat) représentent environ 50 % des indemnités de transferts payées par l’ensemble des clubs au sein de chaque ligue. Concrètement, on constate que les dix plus fortes indemnités de transfert en France correspondent à 66,3 % du total des dépenses de transfert réalisées au sein de l’hexagone. Ce chiffre atteint respectivement 57,4 % et 55,2 % en Espagne et en Allemagne.

Une inflation sur les salaires

Les signes d’une économie purement spéculative se sont estompés concernant les indemnités de transfert. Il existe désormais une forte pression à la hausse sur un segment de marché très spécifique. Cependant, ces excès engendrent une pression inflationniste sur les salaires de l’ensemble du marché.

La Premier League anglaise en est l’exemple parfait. Pour la saison 2010–2011 [8] , les salaires de la ligue ont augmenté de 14 % (201 millions de livres), ce qui équivaut à plus de 80 % de l’augmentation du chiffre d’affaires (241 millions de livres). En atteignant le montant record d’environ 1,6 milliard d’euros, le ratio de la Premier League entre la masse salariale et le chiffre d’affaires a atteint un pourcentage sans précédent, à hauteur de 70 %. Cette augmentation est principalement liée aux clubs qui ont fini dans les premières positions, et en particulier Chelsea et Manchester City, qui ont respectivement un ratio de 84 % et 114 %. Les autres clubs de la ligue restés dans l’élite ont quant à eux connu une croissance plus modeste qui s’élève tout de même à 8 % pour les saisons 2009–2010 et 2010–2011.

En ce qui concerne l’Europe, selon le dernier rapport de l’UEFA [9] , 223 clubs de première division (soit 34 %) ont une masse salariale qui représente plus de 70 % du chiffre d’affaires du club. Cette donnée reste la même pour les clubs participant aux phases de qualification et aux phases de groupe de la Champions League et de l’Europa League, puisqu’environ un tiers des clubs sont au-dessus de 70 %. Enfin, en 2011, 73 clubs de première division en Europe dépensent plus de 100 % de leur revenu en salaires, contre 55 l’année précédente. Ces données prouvent que la pression inflationniste sur les salaires ne se limite pas qu’aux grands clubs d’Europe, mais que l’ensemble des clubs doit revaloriser les contrats des joueurs s’ils veulent espérer les conserver au sein de leurs équipes.

Le marché des transferts et les opérations de recrutement de joueurs sont donc marqués par un risque inflationniste élevé. Même si la bulle spéculative n’atteint pas les mêmes proportions que durant la période 1995–2002, les indemnités de transfert sont encore marquées par des montants exorbitants entretenus à la hausse. Les salaires subissent quant à eux une même pression à la hausse qui ne se cantonne pas à un simple segment de marché, puisque les clubs sont poussés à la surenchère pour pouvoir conserver leurs joueurs. La menace d’une nouvelle inflation et donc d’une nouvelle bulle sur le marché des transferts n’est par conséquent toujours pas écartée, malgré le ralentissement des dépenses – fortement lié à la crise économique et financière – qui touche le vieux continent au cours des dernières années. Les dérives persistent.

Par conséquent, les instances sportives et les autorités publiques se doivent de prendre en compte les particularités du marché des transferts. Les excès qui concernent les indemnités de transferts sont dorénavant très largement limités à un nombre restreint d’acteurs et de recrutements de joueurs. C’est en effet sur le marché du segment primaire, et surtout au niveau supérieur de ce segment, qu’une régulation doit être envisagée. En revanche, la problématique des salaires touche l’ensemble des clubs, même les plus petits. Par conséquent, il convient aussi de comprendre l’ensemble des causes pour formuler une réponse appropriée.

1. 2 – Les caractéristiques du marché du foot et des ressources abondantes expliquent l’inflation sur les transferts et les salaires

A la suite de l’arrêt Bosman en 1995, les clubs et les joueurs ont profité de la libéralisation du marché du travail et de l’abolition des quotas de nationalité pour se lancer dans une logique favorisant l’émergence d’une économie spéculative et la dérégulation du marché. De même, ils ont tourné à leur avantage la décision du juge européen de considérer qu’un joueur en fin de contrat pouvait partir et changer de club sans que ce dernier ne puisse le retenir ou exiger une quelconque indemnité de transfert.

Couplé à l’explosion des recettes des clubs grâce à l’avènement de la télévision payante partout en Europe, l’effet a donc été double : les clubs peuvent recruter autant de joueurs communautaires qu’ils le souhaitent. Cela s’est traduit par une très forte hausse des mouvements de joueurs ainsi que des indemnités de transfert, qui ont été multipliées respectivement par trois et sept entre 1995 et 2011. En outre, les clubs doivent garantir la conservation de leurs meilleurs joueurs en offrant des salaires très élevés. Parallèlement, ils doivent aussi s’assurer d’être en capacité de pouvoir exiger des indemnités de transfert avant l’échéance des contrats des joueurs, ce qui implique des négociations plus fréquentes dans le temps et des revalorisations de contrat potentiellement plus nombreuses. Tout cela a contribué à l’explosion des dépenses de transferts et de salaires, mais a aussi participé à accélérer le laps de temps entre la signature et la revente.

Les effets de l’arrêt Bosman se sont principalement traduits lors de la période 1995–2002. Il a ouvert une fenêtre d’opportunité pour de nombreux clubs qui ont réalisé d’importantes plus-values entre l’achat et la revente de joueurs. Les excès et dérives de la période 2002–2011 s’inscrivent dans une logique plus sportive et par conséquent d’autres raisons plus spécifiques à la période concernée doivent être prises en compte.

Les règles comptables spécifiques au football

Cette pression inflationniste est d’abord encouragée par les règles comptables spécifiques au football. Initialement, les joueurs de football étaient considérés comme des salariés normaux : leurs salaires étaient des dépenses et les indemnités de transferts comptabilisées en charges. Désormais, les clubs doivent enregistrer les indemnités d’acquisition des joueurs en immobilisations incorporelles à l’actif du bilan. Le joueur est donc valorisé comptablement comme un actif du club à la valeur d’achat du contrat, au même titre qu’un investissement mobilier ou immobilier, et est amorti selon la durée initiale du contrat [10] . Une telle réglementation gonfle artificiellement les bilans des clubs et leur permet de s’endetter auprès des banques. Elle les incite à avoir un turn-over rapide afin que leurs actifs – les joueurs – ne se déprécient pas trop sur la durée et ne dégradent pas la situation bilancielle du club. À titre d’exemple, lorsqu’un club paie une indemnité de transfert de 50 millions d’euros pour recruter un joueur et que celui-ci s’engage pour quatre ans, le club dispose alors de 12,5 millions d’euros en actif par an lors des quatre prochaines années.

Il n’est aucunement pris en compte l’éventualité d’une revente à un montant moins élevé, ou encore pire, d’une éventuelle blessure du joueur, voire de contre-performances qui changent radicalement sa valeur sur le marché.

Une augmentation continue des droits de retransmission télévisée

Une des raisons principales des dérives actuelles est l’augmentation des droits TV, qui se maintiennent et s’accroissent même depuis 2001. Ceux-ci ont permis aux clubs qui étaient en difficulté financièrement d’avoir accès à de nouveaux fonds, qui pouvaient être dépensés en recrutement de joueurs. Ceux-ci leur ont aussi servi de garantie lorsqu’ils s’endettaient auprès des banques et des autres créanciers. L’augmentation des autres sources de revenus combinée au manque de contrôle économique des clubs dans la très grande majorité des championnats nationaux a aussi participé à ce mouvement.

Enfin, certaines ligues (Espagne et Portugal) continuent de négocier les droits TV de manière individuelle et non pas collective, ce qui accroit les capacités financières de certains clubs. Par exemple, le Real Madrid et le F.C Barcelone se partagent la moitié de l’ensemble des droits TV en Espagne, avec environ 150 millions d’euros chacun. Fruit d’une négociation individuelle, la répartition se fait donc au détriment des autres clubs de la ligue : Madrid et Barcelone touchent ainsi douze fois plus que les 12 millions d’euros de droits TV perçus par le dernier club sur la liste. Même les autres grands clubs d’Europe ne touchent pas autant, puisque le F.C. Bayern Munich a par exemple perçu 30 millions d’euros de droits TV lors de la saison 2011–2012, soit 20 % du montant perçu par les deux grands d’Espagne.

Un football devenu outil de marketing

L’internationalisation du football est aussi un facteur à prendre en compte. À travers l’achat de joueurs, les clubs réalisent dorénavant des investissements marketing importants pour créer des images de marque et accroître leurs revenus. L’achat de David Beckham par le Real Madrid ne s’inscrivait pas uniquement dans une logique sportive. Il a également permis au club merengue d’asseoir un peu plus son prestige à l’international et de réaliser des bénéfices supplémentaires (ventes de maillots, produits dérivés…) tout en attirant éventuellement un nouveau public, de nouveaux consommateurs. Le récent contrat offert par le PSG à ce joueur de 37 ans s’inscrit ainsi dans une pure logique marketing puisque cela lui permet de s’ouvrir de nouveaux marchés, de se donner une exposition internationale en associant deux marques internationalement connues, et de s’inscrire dans sa volonté d’acquérir de la légitimité. La politique du Real Madrid et de ses « galactiques » témoigne aussi de cet objectif d’augmenter ses recettes marketing, d’accroître le public touché aux quatre coins du monde et de créer une véritable image de marque autour du club grâce à des joueurs starifiés.

Les clubs anticipent cette augmentation des revenus afin de financer et amortir de tels recrutements. C’est par ce procédé, qui est à la source des dérives post 2001, que Cristiano Ronaldo et d’autres stars ont été recrutés.

Le contournement de l’Accord de 2001 et l’utilisation excessive de la période protégée

Malgré la volonté de la Commission Européenne à travers l’accord de 2001 de limiter les transferts exorbitants, ceux-ci se sont maintenus et ont même augmenté, atteignant de nouveaux montants records en 2009. L’étude menée par KEA et le CDES montre à ce titre que les clubs ont contourné les nouvelles règles mises en place par la FIFA. Les clubs ont pris l’habitude d’étendre continuellement la période protégée [11] des joueurs afin qu’ils restent sous contrat et que ceux-ci puissent exiger des indemnités de transfert en cas de départ du joueur. Cela permet aux clubs de conserver leur pouvoir de négociation et par là même d’exiger un certain montant d’indemnités, voire de faire monter les enchères sur leurs meilleurs joueurs. C’est ainsi devenu une pratique courante au sein des clubs de renouveler tous les deux, voire trois ans, le contrat de leurs joueurs.

Le rôle des agents

L’inflation est également entretenue par les agents de joueurs, même si là encore les dérives se limitent en grande partie au marché primaire (i.e. les superstars et les bons joueurs expérimentés). Ils sont payés sur la base de commissions représentant entre 5 et 10 % des rémunérations brutes perçues par le joueur sur la durée totale du contrat et versées lors de la conclusion de chaque transfert. Dès lors, l’agent a tout intérêt à favoriser la mobilité de son joueur dès le contrat signé : plus son joueur change de clubs, plus l’agent touche de commissions. Il n’a objectivement pas intérêt à voir son joueur participer à un projet sportif de moyen terme avec son club. De la même manière, il a tout intérêt à ce que le salaire du joueur augmente puisque ses commissions seront d’autant plus élevées. On assiste à un détournement du rôle des agents qui, au lieu de gommer l’asymétrie d’information entre clubs et joueurs, en jouent pour entretenir artificiellement le système.

L’arrivée de mécènes dans le football

Enfin, l’augmentation des indemnités de transferts est essentiellement liée à l’arrivée de nouveaux mécènes. La stratégie mise en place est simple : acheter dans un laps de temps très restreint un maximum de joueurs performants et de stars afin d’être compétitif au point de vue national et européen. Cela passe donc par une stratégie agressive sur le marché des transferts par laquelle le club ne se soucie guère des dépenses réalisées en termes d’indemnités de transfert et de salaires. Les indemnités payées sur le marché des transferts pour ce type de joueurs tendent ainsi à être déconnectées de la réalité. L’essentiel étant d’assurer le recrutement quel qu’en soit le prix, les clubs acheteurs formulent des offres que les clubs vendeurs ne peuvent refuser. Cela entraîne de larges déficits pour le club mais aussi une forte augmentation des dépenses courantes financées par les ressources personnelles de ces nouveaux acteurs.

A titre d’exemple, on peut citer Chelsea et l’arrivée de son propriétaire russe, Roman Abramovich ; ainsi que Manchester City après le rachat réalisé par Sheikh Mansour bin Zayed Al Nahyan ; ou encore le Paris Saint-Germain depuis l’arrivée du fonds d’investissement souverain, le Qatar Investment Authority (QIA).

Pour le premier, depuis l’arrivée du mécène Russe, le pourcentage des dépenses en matière de transfert comparé au total des dépenses de la Premier League anglaise a atteint 39 % lors de la première année et 32 % lors de la seconde. Il correspond ensuite à 18 % et 16 % lors de la 3 e et 4 e année. L’investissement se fait donc de manière conséquente sur le très court terme, ce qui a tendance à déstabiliser le marché.

De même, depuis l’arrivée du fonds qatari au PSG à l’été 2011, plus de 40 millions d’euros ont été dépensés à plusieurs reprises pour le recrutement d’un seul joueur. Depuis la saison 2011–2012, le PSG a ainsi dépensé plus de 250 millions d’euros et rémunère Zlatan Ibrahimovic à hauteur de 14 millions d’euros nets par an pour un coût brut estimé entre 22 et 24 millions par an. On est sur une même stratégie agressive et court-termiste, qui conduit à des excès très importants sur le marché des transferts.

La politique de Manchester City cristallise aussi les menaces que les nouveaux mécènes font peser sur l’économie du football. Depuis août 2008 et son rachat, le club a ainsi dépensé 581 millions d’euros pour un déficit global de la balance des transferts de 453 millions d’euros au cours des quatre dernières saisons. Cette politique montre aussi l’important volume de transferts. Il y a eu 129 arrivées pour 128 départs, et l’équipe est désormais composée seulement de joueurs expérimentés récemment transférés, et non de joueurs formés au sein du club.

Le pire reste l’effet que ces pratiques produisent sur le reste des acteurs et autres compétiteurs présents sur le marché des transferts. L’achat de joueurs pour des prix très élevés a tendance à relever l’ensemble des prix du marché primaire, et donc à entretenir une spéculation sur les indemnités de transferts à la hausse. Parallèlement, l’argent injecté est souvent réinvesti sur le marché des transferts, ce qui participe à développer son activité [12] . Cela se répercute sur les autres clubs qui doivent alors débourser plus d’argent pour acheter d’autres joueurs. De même, pour rester compétitifs, les clubs doivent proposer des salaires attractifs au regard de ceux proposés par les clubs les mieux dotés et/ou qui peuvent se reposer sur la fortune personnelle d’un riche donateur. Certains clubs vont jusqu’à prendre des risques considérables les menant à la faillite et à la relégation afin de maintenir un certain niveau sportif. Ceux qui ne peuvent rivaliser financièrement sont donc condamnés sur le plan sportif.

L’arrivée de ces mécènes qui ont des fonds illimités dérégulent le marché des transferts et les salaires proposés aux joueurs. Ils entretiennent une pression à la hausse et obligent le reste des clubs à s’endetter pour rester compétitifs.

Cette situation entraîne de graves menaces pour la santé du football professionnel européen, et remet en cause sa pérennité sur le long terme.

La crise économique de 2008 n’a fait que mettre en lumière un modèle économique déséquilibré, qui n’est plus en phase avec la réalité du marché. Les montants versés pour les transferts et les salaires des joueurs sont structurellement déconnectés du chiffre d’affaires commercial que ceux-ci génèrent aux travers des recettes de sponsoring, des droits de retransmission télévisés et des recettes de billetterie. Or il n’est pas possible de financer durablement des dépenses récurrentes par des recettes exceptionnelles – plus-values, endettement ou apports en capital non rentables. Le business model du football européen relève de la fuite en avant et ne peut que s’effondrer s’il continue ainsi.

2 – Les risques systémiques auxquels le football est exposé nécessitent une régulation européenne

2. 1 – Cette spirale inflationniste fait peser des risques majeurs sur le football professionnel européen

La crise de la dette menace la stabilité financière et contractuelle du football professionnel européen

La situation financière du football professionnel européen est inquiétante. En 2010, les clubs de première division ont creusé leurs pertes de 33 % par rapport à l’année précédente, atteignant le montant record de 1,6 milliard d’euros [13] . Au cours de cette même année 2010, 56 % des 733 clubs européens ont enregistré des pertes. Entre 2006 et 2010, les pertes des clubs de première division ont été multipliées par huit, passant de 216 millions d’euros à plus de 1,6 milliard d’euros. Ce chiffre atteint 1,7 milliard d’euros en 2011.

Ajouté à cela, l’UEFA a chiffré le montant total de l’endettement dans les championnats de première division européens à 8,4 milliards d’euros en 2010. Pour d’autres, les 733 clubs européens de première division afficheraient une dette globale de près de 15 milliards d’euros [14] . Les deux plus mauvais élèves sont respectivement l’Espagne avec 6 milliards de dettes pour l’ensemble des clubs professionnels, dont 3,5 pour les seuls clubs de première division ; et l’Angleterre pour qui la dette globale des clubs de Premier League atteint environ 4 milliards. Les deux championnats du Big-5 imposant une régulation sur la comptabilité des clubs, à savoir l’Allemagne et la France, ne subissent pas de pareilles dettes. Les clubs de Ligue 1, soumis au contrôle de la DNCG, sont en bien meilleure santé puisque leur endettement se chiffre à 151 millions d’euros pour l’année 2011–2012, un montant que la Ligue de football professionnel juge « très raisonnable en particulier par rapport aux pays voisins ». En Allemagne, l’endettement des clubs professionnels avoisine les 500 millions d’euros, ce qui est aussi convenable pour la ligue la plus rentable du football européen.

Malgré (ou à cause, selon certains) des revenus sans précédents et des chiffres d’affaires en constante hausse, les clubs européens, et en particulier les plus grands clubs d’Europe, ont contracté des dettes vertigineuses. Par exemple, en 2012, Manchester United enregistrait une dette de 537 millions d’euros [15] alors que son chiffre d’affaires s’élevait à 367 millions d’euros en 2010–2011 [16] , c’est-à-dire le troisième plus important après le Real Madrid et le FC Barcelone. Néanmoins, ces deux clubs enregistrent eux aussi des dettes globales impressionnantes. En 2010–2011 [17] , elle atteint 590 millions d’euros pour le Real Madrid, tandis que le F.C Barcelone émarge à 578 millions. Au-delà des dettes, les Grands d’Europe continuent de réaliser des pertes. À l’exception d’Arsenal qui a dégagé un profit d’environ 20 millions d’euros sur l’année 2012, après ceux de 57 et 65,8 millions d’euros respectivement en 2011 et 2010, la plupart des clubs ne réalisent pas de profits. En 2010, l’Inter Milan a essuyé des pertes estimées à 68 millions d’euros, tandis que dans le même temps, elles se chiffraient à 84 millions pour Chelsea, 83 millions pour Barcelone et à 146 millions pour les deux Manchester (United et City).

Cependant, cette situation ne concerne pas que les grands clubs du Big-5, et beaucoup d’autres sont aussi menacés par ce niveau considérable de dépenses réalisées.

Ainsi, d’autres clubs historiques et bien établis ne peuvent rivaliser sur le marché des transferts. L’exemple du club écossais des Rangers est édifiant. Le club a cumulé une dette qui s’élevait à 166 millions d’euros en 2012, ce qui lui a valu de ne pas être retenu pour participer à la Scottish Premier League. Un club qui a gagné 54 fois le Championnat d’Ecosse, 33 fois la Coupe, une fois la Coupe d’Europe des vainqueurs de coupes en 1972 et qui est suivi par 50 000 spectateurs en moyenne est tout simplement incapable de tenir face à cette fuite en avant des dépenses et des pertes cumulées.

La stabilité financière du football professionnel européen est en grand danger, et de nombreux clubs sont par conséquent menacés, à l’image des vingt-deux clubs espagnols qui se sont déjà déclarés en cessation de paiement. Ainsi, même si le krach généralisé tant redouté semble s’éloigner, la situation est plus que préoccupante, en particulier pour l’élite des clubs européens et leurs championnats respectifs.

Alors que l’UE est plongée dans une grave crise économique, financière et sociale, les dérives de gestion des clubs appellent une réponse des organisations sportives et des institutions publiques en charge du secteur.

L‘équité des compétitions est en jeu

Au-delà de la crise de la dette, les instances sportives font face à un autre enjeu. Elles se donnent pour objectif d’assurer l’équité des compétitions, et le marché des transferts ne fait donc pas exception. Or, on s’aperçoit que l’évolution du marché des transferts affecte l’équilibre compétitif, remettant en cause l’essence même du sport – accomplir des succès sportifs indépendamment des moyens financiers.

Les clubs disposant de ressources financières importantes sont à même de recruter les meilleurs joueurs, et par conséquent d’asseoir leur supériorité pour gagner des titres. Leurs résultats sportifs permettent en retour de recevoir des revenus plus importants. Ces clubs peuvent alors continuer de dépenser des sommes élevées sur le marché des transferts et par là-même entretenir le déséquilibre compétitif existant. Ce mécanisme auto-entretenu remet en cause la nécessaire incertitude des résultats, ceux-ci devant être pour l’essentiel le reflet des accomplissements sportifs indépendamment des moyens financiers. L’essence de la compétition sportive et ce qui la distingue de la concurrence économique traditionnelle est donc aujourd’hui en jeu.

Les règles en vigueur en matière de transfert ne parviennent pas à lutter efficacement contre les déséquilibres compétitifs, puisqu’il existe un lien très fort entre les dépenses en matière de transfert et les résultats sportifs, en particulier depuis 2001. Cette observation vaut à la fois pour les compétitions nationales et européennes. Ce constat se vérifie aussi avec les dépenses en termes de salaires, puisque l’on s’aperçoit que ceux qui dépensent le plus dans ce domaine réalisent les meilleures performances sportives.

L’émergence de nouvelles pratiques fait courir de graves risques pour l’intégrité des compétitions

Encore plus alarmant et préoccupant que l’équité, l’intégrité même des compétitions est, elle aussi, menacée par les récentes évolutions du marché des transferts. Il n’est pas question ici de parler de dopage ou de matchs truqués ; cependant, les difficultés financières rencontrées par certains clubs les poussent à trouver de nouveaux procédés pour rester compétitifs, et cela peut passer par des montages juridico-financiers à la fois innovants et dangereux pour l’équité.

À cet égard, le football professionnel européen fait dorénavant face à l’émergence d’une pratique inventée en Amérique Latine et qui s’étend sur le marché des transferts en Europe : la propriété de joueurs par des tiers. Il s’agit de la possibilité pour une tierce personne (i.e. un investisseur indépendant du club où le joueur évolue) d’acquérir des droits sur les futures indemnités de transferts du joueur. Au niveau européen, les clubs et les instances dirigeantes sportives demeurent partagés sur ce mécanisme. Le club du F.C Porto et bien d’autres utilisent d’ores et déjà cette pratique pour recruter de nouveaux joueurs à moindres frais afin de rester compétitifs. À l’inverse, le Comité exécutif de l’UEFA [18] a récemment adopté une position sans équivoque sur la propriété de joueurs par des tiers, appelant à son interdiction par principe.

Pour certains, ce mécanisme permet d’attirer de nouveaux investissements dans le football. Cela a pour effet de restaurer une certaine équité, en particulier pour les clubs qui ne peuvent pas recruter les meilleurs joueurs du fait d’un manque de ressources et de la faiblesse économique de nombreux championnats nationaux. Ainsi, ils peuvent rivaliser sur le marché des transferts avec des clubs plus prestigieux et mieux armés économiquement.

Cependant, cette pratique présente actuellement trop de risques et de menaces sur le jeu pour tolérer sa mise en œuvre en l’état. Tout d’abord, elle met en danger l’intégrité même des compétitions puisque les tierces personnes peuvent avoir un intérêt à manipuler le résultat sportif en influençant la performance des joueurs pour qui ils ont acheté des droits. De même, une tierce personne pourrait à la fois avoir des droits sur certains joueurs et être le propriétaire d’un club. Cette situation pourrait renforcer la volonté de cet investisseur d’influencer les performances sportives de « ses » joueurs dans l’intérêt de son club [19] .

Ce mécanisme peut aussi être considéré comme extrêmement dangereux dans le cas où cette pratique s’étendrait à toute l’Europe, dans la mesure où la circulation de joueurs risquerait d’être accrue pour réaliser des plus-values. Cela pourrait en outre exacerber les pressions inflationnistes sur les indemnités de transfert, ce qui pourrait conduire à une nouvelle spirale inflationniste et une nouvelle bulle spéculative.

Enfin, d’un point de vue éthique, cette pratique soulève la question d’un contrôle excessif sur le travail d’un être humain à des fins lucratives. Peut-on considérer un joueur de football professionnel comme n’importe quel autre actif financier, sur lequel on investirait en vue de réaliser des gains sur un futur transfert ? Au-delà de cette question, il convient aussi de s’interroger sur le devenir de la liberté de circulation et de décision du joueur. Parallèlement, celle du club est aussi en jeu puisque la limite est très floue entre la simple propriété d’un joueur et l’influence que peut exercer le propriétaire sur celui-ci et vis-à-vis du club. Cette barrière est très facilement franchissable pour un investisseur qui souhaiterait s’immiscer dans la stratégie sportive du joueur et/ou du club. D’ailleurs, l’actuel règlement de la FIFA en matière de transferts de joueurs [20] souffre de cette ambiguïté puisque l’article 18bis ne condamne par la propriété mais l’influence de tierces personnes. Il est à ce titre vivement critiqué par un ensemble d’acteurs au sein de la famille footballistique, qui le considère comme non-adapté, trop laxiste et comme devant être reformulé.

Le manque de transparence rend possible les activités frauduleuses

L’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché des transferts pose aussi des questions quant à la transparence et l’origine des fonds.

Certains mécènes qui sont prêts à investir des sommes exorbitantes, sans rapport avec la réalité du marché, afin d’attirer de nouveaux joueurs, ont des ressources financières dont la traçabilité est parfois très limitée. Plus de transparence et de contrôles sur la provenance des fonds ainsi que sur l’ensemble des destinataires permettraient de limiter le recrutement de joueurs à des prix très élevés financés par des capitaux douteux.

Cette problématique va de pair avec celles des différents intermédiaires tels que les agents ou les tierces personnes impliqués dans de telles opérations de transfert.

Une vraie connaissance de l’ensemble des parties ainsi que des montants engagés détaillant leurs origines et leurs destinations semble désormais plus que nécessaire pour limiter l’implication d’activités illégales dans le football. Le modèle de la « clearing house » adopté par la Premier League semble à cet égard pertinent.

Les collectivités publiques pourraient être contraintes de renflouer certains clubs au bord de la faillite

Face aux dettes contractées et aux pertes qui s’accumulent, il y a fort à parier que les pouvoirs publics n’abandonneront pas les clubs de football européens et sauveront l’ensemble du système, comme ce fut le cas en 2008 lorsque le système financier international menaçait de s’effondrer.

Le championnat espagnol en est l’exemple parfait. Très fortement frappé par la crise économique et sociale, les clubs de première division accusent une dette globale de 3,5 milliards d’euros, et dix d’entre eux se sont déclarés en cessation de paiement. Ce sont dorénavant les collectivités et plus particulièrement les régions qui se portent garantes. Elles essuient à coups de millions les dettes des clubs en difficulté et épongent par la même occasion les dépenses mirobolantes qu’ils ont réalisées. Ceci alors même que le pays est très fortement touché par le chômage, par un record historique de dette publique et une grave crise sociale : ces deniers publics pourraient et devraient être alloués à d’autres fins, bien plus urgentes.

Le cas du F.C Valence est symptomatique. En 2007, en pleine euphorie immobilière, ce club choisit de s’offrir un nouveau stade de 70 000 places, alors que le club ne compte que 39 000 abonnés. Le coût des travaux estimé à 300 millions d’euros doit être financé par la vente du terrain de l’ancien stade pour environ 400 millions d’euros. Deux ans plus tard, en pleine crise économique, les travaux s’arrêtent quand le club s’aperçoit qu’il n’arrive pas à vendre son ancienne enceinte. En 2011, le club accuse une dette globale de 382 millions d’euros, et c’est la région qui doit dorénavant financer les impayés. Désormais dans le capital du club de foot de Valence à hauteur de 70 % après sa prise de pouvoir, la région devra s’acquitter prochainement d’une nouvelle facture de 86 millions d’euros à rembourser au conglomérat bancaire Bankia. Et ce alors que la Generalitat Valenciana a un dû de 20,8 milliards d’euros, qu’elle est la deuxième région autonome la plus endettée d’Espagne derrière la Catalogne, que les pharmacies ne remboursent plus les achats de médicaments et que le taux de chômage atteint 28 % fin 2012. Il atteint même 52 % pour les jeunes, plaçant la région dans le triste record des dix régions de l’UE les plus touchées par le chômage des jeunes.

À l’image du football espagnol, il ne faudrait pas que partout en Europe on assiste à une nouvelle socialisation des pertes après la privatisation des profits. Il est temps de réguler un marché déconnecté des réalités, où de nombreux excès ne menacent pas uniquement le secteur du football professionnel, mais se répercutent à l’ensemble de la société.

2. 2 – Une régulation européenne urgente s’impose

Face à l’ensemble de ces menaces et à la grave crise de la dette, les instances sportives dirigeantes ne sont pas restées muettes. L’UEFA a par exemple mis en place l’outil du « Fair-play financier » (FPF) tandis que la FIFA a mis au point un nouvel instrument de monitoring des transferts internationaux : le FIFA TMS.

Cependant, bien que nécessaires et utiles, ces premières avancées semblent insuffisantes. Face aux dérives qu’engendrent les montants des transferts et des salaires, face aux risques systémiques qui pèsent sur le football, et parce que le football reste avant tout un sport vecteur de sociabilité, qui constitue un référent identitaire pour les territoires et leur population, on ne peut continuer le laisser-faire. La régulation s’impose, elle est urgente. Elle se doit d’être envisagée à l’échelle européenne.

Des premiers pas satisfaisants mais non suffisants : le Fair-play financier de l’UEFA

Le Fair-play financier a pour objectif d’interdire aux clubs de dépenser plus qu’ils ne gagnent

Après une phase d’observation, le FPF est devenu officiellement réalité depuis la saison 2012–2013 et poursuit certains objectifs théoriques.

Il vise à encourager les clubs à être plus rationnels et disciplinés. Il les encourage à avoir un niveau de gestion et d’organisation approprié avec les revenus liés au football et à développer des projets de long terme en assurant la stabilité financière du secteur. En pratique, il vise surtout à empêcher les clubs de dépenser plus que les revenus générés sur une période donnée ; à les encourager à opérer avec leurs revenus seulement, sans se reposer sur des contributions provenant d’investisseurs ou personnes tiers, et sans s’endetter ; et il incite à dépenser dans les installations sportives et dans d’autres activités pour la rentabilité à long terme du club plutôt que dans des dépenses spéculatives de court terme.

La règle est l’équilibre financier ou l’atteinte du « seuil de rentabilité », calculé en combinant le compte de résultat et le flux de trésorerie. Des ajustements pourront être faits en faveur de certains financements. Par exemple, pour encourager l’investissement dans de nouveaux stades, certaines dépenses d’infrastructure pourront ne pas être prises en compte. De même, pour encourager la formation, certains coûts pourront être retirés du calcul, tels que les salaires d’entraîneurs. De cette manière, la situation comptable du club se voudrait être améliorée de manière proactive. De la même façon, certains revenus qui ne sont pas liés au football ne pourront être pris en compte dans les recettes du club, et toutes les contributions de propriétaires devront être calculées à leur juste valeur.

Le premier contrôle aura lieu en 2013 pour les années financières finissant en 2011 et 2012. Ensuite, en 2014, trois saisons seront prises en compte (2011, 2012 et 2013) et parfois même cinq saisons. Dans ce cadre pluriannuel, un certain niveau de pertes sera toléré sous le concept de « déviation acceptable ». Sur trois saisons, une perte cumulée inférieure à 5 millions d’euros sera acceptée ; et si cela dépasse cette somme, il sera possible de restaurer le bilan comptable par une injection de capital exceptionnelle dans la limite de 45 millions d’euros sur les trois ans. Ce montant sera par la suite réduit.

Le Fair-play financier devrait permettre de limiter l’inflation sur les transferts

Le FPF n’est pas censé avoir un effet direct sur les transferts. Les recettes et dépenses en termes de transferts sont traitées de manière neutre par ce système. Cependant, il favorise le développement de la formation des joueurs, et par conséquent, les politiques de transferts pourraient voir leur coût relatif augmenté.

De plus, l’un des principaux objectifs de ces régulations est d’assurer le fait que les clubs européens puissent financer leur succès en termes sportif. Sur la problématique des transferts, l’introduction du FPF devrait par conséquent limiter la possibilité pour de nouveaux arrivants de déstabiliser le marché en investissant massivement en vue d’acquérir des « talents », comme Chelsea, Manchester City et le PSG l’ont récemment fait. De la même manière, la mise en œuvre de ces règles devrait mettre fin à l’inflation des indemnités de transfert. Dans le futur, les indemnités de transfert devraient nécessairement concorder avec les capacités financières des clubs, et en particulier les revenus réalisés. Cela devrait limiter leur importance, à moins que les clubs soient capables d’identifier de nouvelles sources de revenus.

Les clubs développent des stratégies pour contourner les règles du Fair-play financier

L’UEFA cherche donc à lutter contre la tendance inflationniste des dépenses des clubs en ce qui concerne les salaires et les indemnités de transfert. Le FPF poursuit l’objectif final de protéger la viabilité du football européen sur le long terme. Cependant, ce dernier souffre de quelques lacunes.

Pour commencer, le rôle et les actions des mécènes, qu’il faut à juste titre réguler, repoussent les limites de ce système.

Le PSG a en effet annoncé être en discussion avancée avec une banque du Qatar pour signer un nouveau contrat de sponsoring d’une valeur de 400 millions d’euros sur quatre ans. De même, Manchester City a annoncé un nouveau contrat avec Etihad Airways comprenant entre autre le « naming » du stade pour une valeur de 400 millions de livres (470 millions d’euros) pour une durée de dix ans. Ces nouveaux contrats, enregistrés dans le bilan des clubs, pourront leur permettre d’être en règle vis-à-vis du FPF tout en maintenant la mise en œuvre de leurs stratégies fortement déstabilisatrices sur le marché des transferts. La définition par l’UEFA du déficit n’établit pas de critères objectifs. De ce fait, une dimension subjective subsiste dans l’appréciation de ce qui peut être retenu pour élaborer le Fair-play financier. Le contrat dit de « naming » peut être vu comme une injection de capitaux, une sorte d’investissement direct à l’étranger en vue de réaliser des bilans comptables favorables aux clubs.

En outre, il faudra s’assurer de la réévaluation de ces contrats par rapport aux valeurs du marché et aux contrats précédents signés par les clubs. À titre de comparaison, le contrat récemment conclu entre Arsenal et la compagnie Emirates atteint 150 millions de livres (175 millions d’euros). Il comprend un contrat de « naming » du stade pour une durée de 15 ans et une extension du contrat de sponsor maillot jusqu’à la saison 2018–2019. Alors que ce contrat obtenu par Arsenal représente déjà un record en la matière, il n’est rien comparé à celui signé par Manchester City – supérieur d’environ 300 millions d’euros pour une durée de contrat plus courte – et celui envisagé par le PSG.

Ces contrats ressemblent donc fort à des subventions déguisées, destinées à contourner les règles du Fair-play financier. L’UEFA, qui a affirmé à plusieurs reprises être très prudente quant à cette problématique, devra tout de même faire face à ce premier obstacle et à la dimension subjective qui entoure les règles du FPF.

Ensuite, au-delà des mécènes, le cas de certains clubs tels que le Real Madrid et plus généralement leur politique en matière de transfert posent aussi problème. Malgré une forte dette et des dépenses très élevées en termes de salaires et d’indemnités de transferts, la stratégie d’investissement du Real Madrid – dépenser généreusement en vue d’atteindre dans le futur un niveau de succès qui génère des revenus supérieurs aux coûts occasionnés – pousse aussi le FPF au bout de ses limites. Cette spéculation sur des résultats sportifs et cette anticipation d’une hausse des recettes est dangereuse et menace la santé du football européen sur le long terme. Cependant, le FPF en l’état ne pourra mettre un terme à ces pratiques déstabilisatrices.

Entre 2006 et 2011, les dépenses nettes de transferts du Real Madrid ont atteint 432 millions d’euros, ce qui représente le montant le plus élevé de la période considérée après Manchester City. L’ensemble du passif du club se chiffre à environ 600 millions d’euros de « dettes », mais qui ne correspondent pas à la définition du FPF. Selon la définition des règles de l’UEFA, le Real Madrid cumulerait une dette nette d’environ 185 millions d’euros en prenant en compte ce que Madrid doit aux autres clubs en termes d’indemnités de transferts et de remboursement vis-à-vis des banques. Par conséquent, bien que le Real Madrid se soit déjà trouvé dans de sérieuses difficultés financières dans le passé en adoptant la même stratégie [21] et qu’il doive encore payer un montant d’indemnités de transferts extrêmement élevé aux autres clubs – 111 millions d’euros nets –, le club madrilène semble répondre confortablement aux exigences du FPF.

En effet, malgré des dépenses massives, le Real Madrid réalise des profits année après année : 44 millions d’euros en 2007, 51 millions d’euros en 2008, 25 millions d’euros 2009 et 31 millions d’euros en 2010. En quatre années, le Real Madrid a ainsi réalisé 150 millions d’euros de profit. Alors que l’équité des compétitions et la viabilité du football européen sont gravement mises en danger par de telles stratégies, ce club remplit les conditions du FPF pour la simple raison qu’il perçoit des revenus très élevés. L’UEFA confirme ce constat en déclarant que « les règles financières du fair-play financier n’empêchent pas les clubs de dépenser de l’argent dans le cadre de transferts, mais les incitent plutôt à équilibrer leurs comptes à la fin de la saison ». A l’image du Real Madrid qui dispose d’une dette nette inférieure aux revenus globaux, les clubs pourront continuer à dépenser des montants exorbitants, fortement déstabilisateurs, tant que la régulation ne sera pas pleinement efficace.

Cette critique se doit d’être mise en parallèle avec de nombreuses recherches [22] qui ont montrés que le FPF aurait un impact certain sur l’équité des compétitions en la réduisant. Il favoriserait ainsi les gros marchés, les grands clubs d’Europe – mieux établis – du fait de leurs revenus importants. A cet égard, les instances sportives se doivent de penser à des mécanismes complémentaires qui ont pour but de restaurer un plus grand équilibre compétitif entre les clubs, tout en maîtrisant leurs coûts.

Enfin, même si l’UEFA en la personne de son président Michel Platini s’est trop engagée pour pouvoir désormais reculer, il faut aussi comprendre les enjeux et les risques qu’un tel mécanisme peut poser vis-à-vis de l’UEFA. Une mise en perspective est nécessaire.

Cette institution a besoin de joueurs et d’équipes prestigieuses et séduisantes afin de promouvoir la marque de ses compétitions, et en particulier la Champions League. Cette compétition serait bien moins attrayante pour les sponsors, les téléspectateurs, les annonceurs, etc. si de grands clubs composés de stars tels que le F.C. Barcelone avec Lionel Messi ou encore Manchester United avec Robin Van Persie ne pouvaient plus y participer. Le premier accuse par exemple un large déficit (83 millions de pertes pour l’année 2009–2010) et pourrait par conséquent se voir sanctionner par l’UEFA. Cependant, radier de tels clubs serait contre-productif pour l’UEFA, qui pourrait voir les clubs sous la menace d’exclusion décider de créer et rejoindre une ligue rivale similaire au format de celle de la Champions League. Les supporters et l’ensemble du marché préféreront sans aucun doute une compétition avec des clubs plombés par des déficits tels que Chelsea, Manchester City, Inter Milan, Liverpool, Barcelone et Manchester United à une compétition sans ces équipes remplacées par des clubs de second plan aux finances saines et prospères. Déjà par le passé, l’UEFA avait été menacée par le G-14 et la constitution d’une ligue européenne dissidente. Elle l’avait empêchée en acceptant des concessions sur la distribution des revenus liés à la Champions League. Les règles du FPF de l’UEFA constituent donc un dossier sensible, sur lequel elle devra agir prudemment pour satisfaire l’ensemble des parties, au premier rang desquelles elle (et ses propres revenus) figure(nt).

L’introduction du FPF est plus que nécessaire et il faut l’accueillir de manière positive. Il témoigne de la prise en compte des dérives du football professionnel européen par les instances sportives et d’une réelle volonté de les combattre. Cependant, il faut s’assurer que ce mécanisme atteigne les bons objectifs poursuivis lors de sa mise en œuvre ; et par-dessus tout, il apparaît très clairement que ce domaine d’activité aurait tort de s’en contenter vu les limites et lacunes dont il souffre. D’autres mesures s’avèrent donc nécessaires pour répondre aux enjeux et menaces qui pèsent sur ce secteur.

Une régulation européenne plus poussée s’avère indispensable

Limiter les dérives du marché des transferts

L’étude conduite par KEA et le CDES sur les transferts de joueurs confirme le fait que l’accord de 2001 n’a pas réussi à limiter les indemnités de transfert exorbitantes. Une des raisons d’une telle situation réside dans la manière dont le mécanisme de période protégée est régulé. Il est ainsi devenu pratique courante parmi les clubs de renouveler les contrats de leur meilleurs joueurs pour qu’une nouvelle période protégée commence à nouveau. Ceci leur a donc permis de contourner les règles instaurées après l’accord de 2001, et de pouvoir négocier les indemnités de transfert aux montants qu’ils veulent.

Il est par conséquent proposé de limiter ces indemnités après l’extension du contrat du joueur. Ce dernier, qui aura alors joué au minimum deux ou trois saisons pour le même club et qui s’engage de nouveau, pourra ainsi amortir très largement l’investissement réalisé pour le recruter à travers des revenus sportifs et marketing. On peut dès lors imaginer un système à travers lequel la future indemnité pourrait par exemple être limitée à 70 % du salaire total du joueur sur l’ensemble de son contrat. Pour éviter toute dérive à la hausse des salaires et l’inefficience de la règle, les effets de seuils mais aussi des exceptions et critères complémentaires [23] pourraient être pris en compte lors de la détermination du pourcentage limite. De même, le pourcentage établi peut être sujet à modification pour mieux prendre en compte les différents segments du marché des joueurs, loin d’être uniforme. Les prolongations de contrat dans le seul but d’exiger des indemnités de transferts élevées seraient ainsi rendues plus difficiles.

Ensuite, il convient de mettre en avant la pratique des « buy-out clauses » et l’opportunité qu’elle représente. Il s’agit d’un accord contractuel entre le joueur et le club qui fixe un certain montant pour lequel le joueur est libre de partir si un club consent à payer cette somme. Cette clause libératoire fut par exemple fixée à 12 millions d’euros entre l’attaquant Olivier Giroud et le club de Montpellier et à 9 millions d’euros entre Newcastle et Demba Ba. Ces deux joueurs ont respectivement été transférés à Arsenal et Chelsea, qui ont payé le montant stipulé par la clause. Néanmoins, malgré les avantages qu’elles représentent pour l’ensemble des parties, ces clauses débouchent souvent sur des montants excessifs très largement fixés par les clubs [24] , qui empêchent effectivement le possible départ d’un joueur. Lionel Messi aurait ainsi une clause de départ qui se chiffre à 250 millions d’euros, tandis que pour son partenaire du Barça Pedro, elle se chiffre à 150 millions d’euros. Le record serait établi par Cristiano Ronaldo, puisque cette clause serait fixée à un milliard d’euros.

Ce mécanisme des « buy-out clauses » représente malgré tout une opportunité pour répondre efficacement au besoin de stabilité contractuelle du secteur, tout en limitant les indemnités de transferts exorbitantes. Il est par conséquent proposé de réguler leur utilisation afin d’éviter l’application de pratiques abusives et d’établir des critères objectifs pour le calcul des indemnités.

Cette proposition, conjointe à celle de limiter les indemnités après l’extension de contrat, aurait pour but de ramener plus de rationalité sur le marché des transferts, lors de l’établissement des indemnités, en s’appuyant sur la prise en compte de critères objectifs.

Préserver l’intégrité et améliorer l’équité des compétions via le marché des transferts

Les dérives du marché des transferts font courir une grave menace sur l’essence même du sport : récompenser les performances sportives indépendamment des moyens financiers. Ce marché contribue à mettre à mal le besoin d’équité des compétitions, remettant en cause la nécessaire incertitude des résultats sportifs. Il convient donc d’envisager des amendements aux règles internationales en matière de transferts afin de donner aux règlementations sportives garantes de l’esprit du jeu une nouvelle légitimité.

Cela passe premièrement par l’établissement d’une redevance sur les indemnités de transferts les plus élevées. Il s’agit un peu à la manière d’une « taxe Tobin » d’établir un prélèvement sur un segment de marché très spécifique : le marché primaire, et notamment le marché primaire supérieur. Le montant de cette redevance abonderait une caisse destinée à améliorer la redistribution entre les clubs les plus riches et ceux plus démunis financièrement. Les sommes perçues auraient pour objectif d’œuvrer pour le rétablissement d’un certain équilibre compétitif.

Deuxièmement, il convient d’établir une limite concernant le nombre de joueurs disponibles par club, comme c’est déjà le cas dans une multitude de sports. Restreindre l’effectif à 25 joueurs par équipe permettrait d’améliorer l’équité des compétitions et empêcherait certaines pratiques abusives sur le marché des transferts qui permettent de maintenir la domination des clubs les plus fortunés et de limiter le développement de carrières sportives à fort potentiel. Concernant ce dernier point, une limite peut aussi être envisagée quant au nombre de jeunes joueurs formés au sein des académies.

En outre, au-delà de l’équité, l’intégrité même du football est menacée par le mécanisme de la propriété de joueurs par des tiers. Etant donné les risques [25] qu’une telle pratique fait peser sur le football professionnel européen et les enjeux moraux qui l’entourent, son interdiction pure et simple doit dans un premier temps être considérée et soutenue par l’ensemble des parties prenantes.

Enfin, même si sa mise en œuvre dépend avant tout d’une réelle volonté politique puisqu’elle doit obligatoirement s’envisager au niveau européen, un système de « salary cap » plafonnant la masse salariale des clubs doit être envisagé. Il pourrait imposer une limite de 55 % du chiffre d’affaires. On rétorque parfois qu’un tel système est indissociable d’une ligue fermée, comme c’est le cas aux États-Unis. C’est inexact : ce que la NBA a pu imposer contractuellement à ses franchisés, l’Europe peut l’imposer par la règle, soit issue de l’UEFA, soit de la législation communautaire après consultations des parties prenantes à travers le dialogue social européen.

Assurer la viabilité et la pérennité du football professionnel européen sur le long terme

Pour assurer la pérennité du football professionnel européen sur le long terme, le Fair-play financier – bien que nécessaire – doit s’accompagner de nouvelles mesures.

La première d’entre elles et la plus urgente correspond à la mise en place d’une « DNCG européenne ». Elle aurait pour but d’exercer un contrôle comptable et financier rigoureux des clubs, sur le modèle pratiqué en France avec la Direction nationale du contrôle de gestion. Elle handicape actuellement les clubs français dans la course au gigantisme européen mais elle a permis de juguler les dérives financières de ces clubs. Les derniers chiffres de l’endettement des clubs de Ligue 1 sont ainsi inférieurs à 90M€.

En outre, parallèlement à cette mesure, une plus grande transparence et un meilleur contrôle des opérations de transferts sont désormais nécessaires. Pour commencer, cela passerait par une amélioration du système de contrôle des transferts instauré par la FIFA : le FIFA Transfer Monitoring System. Étendre ses missions et son impact est essentiel sur trois aspects : le contrôle, la transparence et les transferts domestiques (i.e. au sein d’une même ligue).

Ensuite, il faut rendre obligatoire la publication en ligne par chaque fédération nationale d’un rapport annuel sur les transferts, avec des données minimum incluant le nom des parties et les agents. Cela améliorera le contrôle et le suivi des transactions, de même que l’activité des agents. Une telle publication doit aussi être envisagée pour les plus grands clubs européens. Les informations fournies par ces derniers devraient être du même niveau que les détails fournis par les clubs côtés en bourse tels que le F.C Porto, l’Olympique Lyonnais et le Borussia Dortmund.

Enfin, pour limiter et sanctionner les activités frauduleuses et illégales qui entourent parfois le transfert de joueurs, chaque ligue nationale et/ou fédération doit se doter d’une chambre de compensation pour assurer le paiement des indemnités de transferts avant que cela ne puisse s’envisager à l’échelon communautaire. La Premier League dispose par exemple d’un « clearing-house system » qui met en place un mécanisme de contrôle des opérations de transferts nationaux. Cela permet aussi d’assurer le respect des échéances et en cas de défaut de paiement de prélever directement à la source ou d’imposer des sanctions fortement préjudiciables.

Concrètement, lors du transfert d’un joueur d’un club anglais à un autre, l’indemnité de transfert est versée par l’intermédiaire de la Premier League. Le club qui recrute le joueur verse cette somme sur un compte identifié au sein de la Premier League, qui est ensuite chargée de reverser cette somme au club qui transfère le joueur. En cas de défaillance du club dans le paiement d’une indemnité de transfert, la Ligue peut effectuer des compensations soit sur un transfert national sortant réalisé par ce club, soit sur d’autres versements (droits TV par exemple). Des pénalités financières peuvent également être appliquées si aucune de ces deux solutions n’est possible. En cas de non-respect des échéances suivantes ou d’impossibilité de sanctionner le club défaillant sur le plan financier, plusieurs possibilités existent : interdiction de recrutement, paiement d’intérêts de retard, amendes. Un tel mécanisme doit désormais s’envisager à l’échelle européenne.

  1. Terra Nova, Essai : « Changer ou disparaître : quel avenir pour le football ? », 21 mars 2011 :

    www.tnova.fr/essai/changer-ou-dispara-tre-quel-avenir-pour-le-football

  2. Les cinq championnats européens les plus importants sont communément appelés le « Big-5 ». Il s’agit de l’Allemagne, l’Angleterre, l’Espagne, la France et l’Italie.

  3. Communication CE 5 Mars 2001 IP/01/824.

    Lettre de Michel Zen-Ruffinen à Mario Monti, Commissaire Européen, datant du 30 Octobre 2000.

  4. “Legal and Economic aspects of the transfers of players”, KEA European Affairs – CDES, 2013 :

    http://www.keanet.eu/en/sport.html

  5. La Commission Européenne a par exemple requis de la part de la FIFA qu’elle amende ses régulations sur les transferts en ce qui concerne les points suivants : i) Les indemnités de formation doivent être acceptées dans le cas de transferts de joueurs de moins de 23 ans ; ii) La création d’une seule période de transfert par saison et une autre période limitée à la mi-saison ; iii) La durée minimale et maximale des contrats seraient respectivement de 1 et 5 ans, sauf disposition contraire de la législation nationale ; iv) La création d’un mécanisme de solidarité qui permet la redistribution de revenus aux clubs impliqués dans la formation et l’éducation des joueurs de football.

  6. “Mechanisms of Superstar Formation in German Soccer: Empirical Evidence”, European Sport Management Quarterly , Vol. 8, p. 145–164, 2008.

  7. Le Big-5 représente les cinq championnats européens les plus importants. Il s’agit de l’Allemagne, l’Angleterre, l’Espagne, la France et l’Italie.

  8. Annual Review of Football Finance 2012, Deloitte.

  9. Rapport de benchmarking sur la procédure d’octroi de licence aux clubs, UEFA, Exercice 2011.

  10. Comité de la réglementation comptable, règlement n°2004–07 du 23 novembre 2004 relatif au traitement comptable des indemnités de mutation versées par les sociétés à objet sportif visées à l’article 11 de la loi n°84–610 du 16 juillet 1984 (relative à l’organisation et à la formation des activités physiques et sportives).

  11. Période de trois ans suivant l’entrée en vigueur d’un contrat si le contrat en question a été conclu avant le 28 e anniversaire du professionnel, ou une période de deux ans suivant l’entrée en vigueur d’un contrat si le contrat en question a été conclu après le 28 e anniversaire du professionnel.

  12. L’été dernier, Valence ne se met à recruter que lorsque le F.C. Barcelone recrute Jordi Alba. Sinon, il n’aurait pas été en mesure de négocier l’arrivée de joueurs.

  13. Panorama du football interclubs européen, Rapport de benchmarking sur la procédure d’octroi de licences aux clubs, UEFA, exercice financier 2010.

  14. Jérôme Hessel, « Pourquoi le football européen est au bord de la ruine », Atlantico, 5 février 2012 :

    http://www.atlantico.fr/decryptage/mercato-football-europeen-clubs-triple-fair-play-financier-michel-platini-manchester-united-barcelone-fc-real-madrid-#XxYZDepFykQjyoV7.99

  15. « Manchester United : une entrée en Bourse surtout au profit des propriétaires », Le Monde , août 2012 :

    http://www.lemonde.fr/sport/article/2012/08/09/manchester-united-une-entree-en-bourse-surtout-au-profit-des-proprietaires_1743793_3242.html

  16. Football Money League 2012, Deloitte.

  17. « Foot espagnol: des paillettes sur le terrain, des trous dans les comptes », Avril 2012, AFP.

  18. www.uefa.com , 11/12/2012 :

    http://fr.uefa.com/uefa/aboutuefa/organisation/executivecommittee/news/newsid=1906458.html

  19. Cela peut se faire lors d’une confrontation directe lorsque les joueurs dont il est en partie propriétaire sont rivaux d’un soir du club de ce même propriétaire. Mais, cela peut aussi se faire de manière indirecte lorsque les joueurs dont il est en partie propriétaire jouent contre un club qui se trouve en compétition avec son propre club – soit pour une qualification, une lutte pour le titre, voire pour éviter une relégation.

  20. « Règlement concernant le Statut et le Transfert des Joueurs », FIFA.

  21. Faisant face à des sérieuses difficultés financières, le club est seulement parvenu à résoudre cette crise en vendant son terrain d’entraînement en 2001. La controverse se situe sur la somme effectivement payée dans la mesure où une subvention publique a considérablement augmenté sa valeur, après que les autorités de la ville reclassent la zone en secteur de développement.

    De même, plus récemment (avril 2013), la Commission européenne chercherait à savoir si des clubs de football européens, dont le Real Madrid, n’ont pas bénéficié d’aide d’Etat illégale. Selon The Independent , Bruxelles soupçonne le club et la mairie de Madrid d’avoir conclu un accord illégal concernant le rachat d’un terrain municipal vendu au club en 1998 pour 421 000 euros et racheté par la ville pour 22,7 millions d’euros en 2011.

  22. Peeters, T., Szymanski, S., “Vertical Restraints in Soccer: Financial Fair Play and the English Premier League”, Papier de Recherche n°028, Faculté d’Economie Appliquée d’Anvers, 2012.

    Preuss, H., Haugen, K.K., & Schubert, M., “UEFA Financial Fair Play: The Curse of Regulation”, Working Paper N°7, Institut de la Science du Sport, Mainz, 2012.

    Sass, M., “Long-term Competitive Balance under UEFA Financial Fair Play Regulations”, Working Paper N°5. Faculté d’Economie et de Management, Magdebourg, 2012.

  23. Il s’agit par exemple du statut international du joueur, du nombre de sélections en équipe première, de l’âge du joueur, etc.

  24. Pour un contrat espagnol, décision n°16394 de la Chambre de Résolution des Litiges (CRL), Janvier 2006 ;

    Pour un contrat brésilien, décision n°114796 de la Chambre de Résolution des Litiges (CRL), Novembre 2004 ;

    Cette approche a été confirmée par la jurisprudence du Tribunal Administratif du Sport (TAS):

    TAS 2006/A/1082 Real Valladolid CF SAD c/Diego Daniel Barreto Caceres & Club Cerro Porteno ;

    TAS 2006/A/1104 Diego Daniel Barreto Caceres c/ Real Valladolid CF SAD ;

    TAS 2004/A/780 Christian Maicon Henning v/ Prudentopolis Esporte Clube & FIFA.

  25. Il convient aussi de noter que du point de vue du Fair-play financier, cette pratique instaure aussi un avantage compétitif dont certains clubs et certaines ligues peuvent bénéficier sur d’autres. En effet, les clubs qui peuvent avoir recours à ce mécanisme auront des bilans financiers qui ne prennent pas en compte l’ensemble des dépenses de transfert puisque un pourcentage de l’indemnité est payé par une personne tierce. De ce fait, ils peuvent recruter des joueurs sans dégrader leurs bilans dans les mêmes mesures que d’autres clubs qui ne peuvent tout simplement pas le faire (en France et en Angleterre par exemple). Ceci représente des désavantages compétitifs non négligeables, et une forte entorse au principe d’équité des compétitions.

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