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Note

Pour une désescalade des réponses sécuritaires dans le football – un modèle pour les questions de sécurité urbaine

Face au hooliganisme, les autorités françaises ont depuis les années 80 répondu par la répression, avec notamment des dispositifs policiers toujours plus impressionnants autour des stades. Cette politique s’est révélée inefficace et doit être comparée à celles, couronnées de succès, de nos voisins britanniques et allemands. Selon Patrick Mignon, sociologue du sport, des politiques de désescalade, menées grâce à la concertation de tous les acteurs notamment en Allemagne, peuvent être transposées en France et même servir de modèle à la lutte contre les violences scolaires ou urbaines.
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Le récent décès d’un supporter du Paris-Saint-Germain (PSG) à la suite d’affrontements entre supporters de ce club en marge d’un match opposant le PSG à l’Olympique de Marseille (OM) a entraîné une succession d’annonces émotionnelles et répressives de la part des autorités. Celles-ci appellent à un durcissement des sanctions à l’encontre des supporters violents et de leurs clubs et témoignent d’une surenchère sécuritaire de la part du gouvernement.

Loin d’être nouvelle, la violence entre supporters et le hooliganisme entourant certains matchs de foot constitue un phénomène récurrent depuis le milieu des années 80 et notamment le drame du Heysel en mai 1985. Les réponses des autorités ne sont pas nouvelles et le durcissement des sanctions est depuis lors croissant.

Depuis l’émergence du supportérisme extrême – le supportérisme pris comme sa propre fin – les réactions se sont essentiellement concentrées sur des stratégies de maintien de l’ordre pour éviter les affrontements et des sanctions pénales sans toutefois explorer d’autres voies. L’Etat, au travers des ministères de l’Intérieur et de la Justice, apparaît comme l’acteur principal de ces réponses et l’implication des autres acteurs concernés (ministère des sports, collectivités territoriales, clubs, associations de supporters) est faible.

25 ans après les premières sanctions force est de constater que le durcissement des réponses apportées n’a pas permis de résoudre le phénomène du supportérisme extrême.

D’autres pays européens, confrontés aux mêmes problèmes, ont cependant réussi à juguler ce phénomène en développant une politique engageant l’ensemble des acteurs concernés pour explorer d’autres voies que la répression et la surenchère.

Ces exemples étrangers peuvent-ils servir de modèle ? Le football peut-il être considéré comme un lieu d’expérimentation d’un art de la désescalade transposable à d’autres phénomènes sociaux (violences scolaires, violences urbaines) ?

Après avoir rappelé les contours du phénomène du supportérisme extrême, cette note s’attachera à démontrer l’échec et l’inadéquation des mesures uniquement sécuritaires (I).

Les réponses apportées en Allemagne et en Grande-Bretagne seront ensuite étudiées pour envisager dans quelles mesures elles peuvent constituer un modèle transposable pour la France dans une optique de désescalade (II).

1 – La réponse sécuritaire apportée depuis 25 ans au supportérisme extrême n’a pas permis de juguler le phénomène de violence en marge des matchs de football

1.1 – L’institutionnalisation du mouvement supporter a permis à des jeunes gens d’acquérir une position sociale

Le supportérisme extrême constitue un phénomène social transnational

Le supportérisme extrême constitue un phénomène international qui n’est pas propre à la France. En comparaison, le phénomène semble même moins développé en France que dans d’autres pays tels que l’Italie, la Russie ou l’Angleterre où l’on a recensé, selon certaines estimations, plus de 90 morts en marge des matchs de foot entre 1974 et 1990.

Révélé en France au moment des événements du Heysel, le supportérisme extrême se caractérise par le regroupement de jeunes gens [1] dans certaines parties du stade, en général derrière les buts, en vue de soutenir leurs équipes respectives, de développer des revendications concernant la place des supporters, dans le football, de partager des émotions fortes en vivant des moments de transgression, de manifester ainsi leur rapport à la société et à ses évolutions, éventuellement d’y exprimer des positions politiques.

Ce supportérisme extrême exprime le passage à un supportérisme qui devient à lui-même sa propre fin. Il se caractérise par la coexistence de grandes associations de supporters, les premières ont été fondées au milieu des années 1980, qui représentent aujourd’hui le mouvement ultra qui se veut un contre-pouvoir à l’intérieur du monde du football, et des groupes dits hooligans ou indépendants définis par la recherche de l’affrontement physique accompagnée souvent de revendications nationalistes. En conséquence, les tribunes sont devenues des territoires dans lesquels les différents groupes de supporters sont en compétition pour mobiliser le maximum de personnes autour de leurs objectifs.

Dans un contexte de crise économique et sociale, l’institutionnalisation du mouvement supporter, au travers de grandes associations, ou la routinisation du hooliganisme ont permis à des jeunes gens de faire carrière dans le supportérisme et d’obtenir un statut social en acquérant une place dans le monde des tribunes, dans la vie des clubs, dans le monde du football, dans les villes et dans la société.

Le supportérisme extrême constitue un mode d’expression et de recherche d’émotions sur fond de politisation extrême

Ce phénomène a engendré une situation de tension entre supporters, entre supporters et clubs, entre supporters et passants, entre supporters et police. Ces tensions s’expriment dans différents registres : définition d’un style « supporter » (vêtements, langage), d’une ambiance des tribunes (produits psycho-actifs, chants, bannières, fumigènes, style oppositionnel), d’une guerre ritualisée entre supporters, d’une recherche de rapport de force avec les représentants de l’autorité (stadiers, forces de l’ordre) ou d’affrontement avec les autres supporters, d’une compétition entre groupes pour les honneurs, et d’actions vis-à-vis des clubs comme les grèves du soutien.

Les supporters revendiquent un droit à l’expression qui se traduit par des conflits avec les clubs, par la mise en cause notamment des directions ou par des pressions sur les joueurs [2] . Ce supportérisme extrême peut se caractériser également par un positionnement politique proche de l’extrême droite, qui se traduit par des comportements racistes, notamment en Italie, mais aussi dans le virage Boulogne du Parc des Princes où des cris de singe résonnent dès qu’un joueur noir touche un ballon. Enfin, ils recherchent également de fortes émotions par la violence, c’est le phénomène des « fights », qui se veulent des affrontements organisés entre groupes rivaux, et les transgressions diverses (alcool, drogue, langage, utilisation de technologies prohibées comme les fumigènes).

En France, les faits liés à la violence sont identifiés et connus. Si depuis 2006 et surtout en 2009–2010, de nombreux incidents ont émaillés des rencontres de football, notamment en marge des rencontres du PSG ou de l’OGC Nice, la situation ne semble cependant pas plus grave qu’auparavant. Sur cinq ans, seule une douzaine de faits de violence, le plus souvent liés à des agressions à caractère raciste, a fait l’objet d’un jugement. Si la mobilisation dans les tribunes a cru régulièrement depuis les années 1980, les violences relevant du hooliganisme proprement dit, répondent elles, à un fonctionnement cyclique lié au renouvellement du leadership dans les groupes hooligans. Toutefois, les années récentes sont caractérisées par une exacerbation des tensions entre certains groupes pour des raisons idéologiques, avec notamment l’opposition entre les tribunes « Auteuil », qui se réclament de l’anti-racisme et se veut ouverte aux jeunes venant des banlieues sensibles, et « Boulogne », foyer d’une agitation nationaliste revendiquée et qui accueille des supporters proches de l’extrême droite.

Face à la nécessité de protéger les dizaines de milliers de supporters contre quelques centaines d’hooligans engagés dans une confrontation dure – qui comporte toujours le risque d’une issue fatale, comme dans les confrontations entre bandes – les autorités publiques ont largement accru les mesures de répression et de mise à l’écart des individus et des groupes considérés comme dangereux. Cette attitude a été adoptée dans tous les pays de l’Union européenne, à des degrés et selon un équilibre variables entre action répressive et action préventive.

1.2 – Les réactions émotionnelles et sécuritaires des gouvernements n’ont pas permis de juguler le supportérisme extrême

Depuis 20 ans, la réponse au hooliganisme a entraîné une surenchère sécuritaire sans prendre en compte la dimension sociale et culturelle du sport

Face aux supporters extrêmes, les réactions sont récurrentes. Elles prennent dans un premier temps un aspect émotionnel et vindicatif : « ces supporters n’ont rien à faire avec le football », « ce sont des barbares », ce sont des « fous et des insupportables » [3] et entraînent un durcissement des mesures sécuritaires. Elles peinent à distinguer, parmi les supporters extrêmes, ceux qui relèvent d’une logique de mobilisation militante et festive et ceux qui relèvent d’une logique de recherche de l’affrontement et/ou de la prise de position politique d’extrême droite.

Depuis près de 20 ans et la première loi votée en 1993 relative à la sécurité des manifestations sportives, l’arsenal sécuritaire et répressif s’est considérablement développé. Outre les procédures de droit commun relatives au maintien de l’ordre public – avec un nombre toujours plus élevé de forces de l’ordre mobilisées (1 000 policiers étaient déployés pour le match Paris-Bordeaux, du 10 avril dernier) – à la lutte contre les bandes organisées, de multiples dispositifs spécifiques ont été mis en place : stadiers, vidéo-surveillance, interdiction des déplacements, interdictions administratives et judiciaires de stade, dissolution d’associations de supporters…

L’absence relative du ministère des sports est révélatrice de l’approche de l’Etat. Si les lois sur la sécurité dans et aux abords des stades ont été portées par les ministres des sports (M. Alliot-Marie, E. Avice, J-F. Lamour), ce sont ensuite les ministres de l’intérieur et de la justice qui sont chargés de leur mise en œuvre. L’absence d’initiative des ministres des sports en vue d’une politique d’envergure, embrassant la dimension sociale et culturelle du sport est à regretter. La dimension principalement sécuritaire des politiques est révélatrice de la méconnaissance de ce qui se passe parmi les supporters et de la distance prise longtemps vis-à-vis du sport professionnel en général et du football en particulier qui semble aujourd’hui repris en considération pour sa dimension économique d’entreprise de spectacle.

Une surenchère sécuritaire sur cette question serait injustifiée, inefficace, porteuse de confusion et témoigne d’une méconnaissance du phénomène

Injustifiée tout d’abord car la situation en France est moins grave que dans d’autres pays européen (cf. supra). La marginalité du hooliganisme, que l’on peut comparer à des affrontements entre bandes rivales, n’est certes pas une raison pour ne pas agir.

Mais l’escalade répressive n’a pas été efficace. Elle n’a pas permis de mettre fin aux affrontements. La répression a entraîné des effets contre-productifs en instituant le match de football comme un lieu dangereux, exacerbant les tensions entre supporters de deux camps et entre supporters et forces de l’ordre. L’accroissement des dispositifs policiers (2 800 policiers et gendarmes mobilisés lors de la saison 2008 / 2009 pour un match PSG / OM) a entraîné un déplacement des incidents de l’intérieur des stades vers une périphérie de plus en plus éloignée.

La dissolution des groupes de supporters apparaît, elle, comme une fausse bonne idée. Les associations de supporters ne sont pas des partis politiques qui donnent des ordres. De ce fait, elles peuvent aussi être impuissantes face aux actes de certains de leurs membres ou sympathisants. Elles jouent toutefois un rôle régulateur et modérateur. En organisant le spectacle, elles donnent des orientations et régulent les comportements. Leur dissolution n’entraîne pas un éloignement de leurs membres, mais un éparpillement, les rendant plus difficiles à contrôler, surtout lorsqu’ils rejoignent des groupes non officiels et plus violents.

Cette surenchère sécuritaire entraîne également un amalgame où allumages de fumigène, insultes, vandalisme et violences physiques sont mises sur un même plan. Cette stratégie de la peur et de la menace généralisée est porteuse de confusion et témoigne en réalité d’un manque de connaissance, d’analyse et d’objectivation du phénomène.

2 – L’exemple allemand peut constituer un modèle pour une politique de désescalade associant et responsabilisant l’ensemble des acteurs concernés au sein d’instances de régulation

2.1 – Si le modèle libéral britannique ne semble pouvoir être transposé à la France, rien ne s’oppose a priori à une politique de concertation comme l’ont fait l’Allemagne ou la Belgique

La politique britannique n’a pas résolu le problème du hooliganisme et ne semble pas transposable à la France

Pour beaucoup, le football anglais représente un modèle : un football de clubs qui domine l’Europe, des clubs riches, un hooliganisme éradiqué.

La lutte contre le hooliganisme britannique a pris corps dans les années 80 face à des problèmes bien plus graves que ceux que connaît la France. Les violences récurrentes y ont entraîné des dizaines de morts et ont conduit à l’exclusion des clubs anglais des coupes européennes.

La politique britannique d’endiguement du hooliganisme repose sur trois piliers : une régulation par le marché, une politique répressive forte et une décontraction des relations entre supporters et forces de l’ordre.

Mise en place à l’époque thatchérienne, la lutte contre les dérives du supportérisme en Angleterre laisse une large place à la régulation par le marché. Les clubs de foot, qui sont depuis longtemps de véritables entreprises, ont ainsi restreint l’accès à l’offre des spectacles sportifs en augmentant considérablement le prix des billets afin de mieux contrôler le public composant les stades. Ainsi le prix moyen d’une place pour un match de foot s’élève à 43€ en Angleterre contre 26€ en France.

Cette régulation par le marché a été complétée par une politique répressive sévère avec l’adoption de plusieurs lois spécifiques condamnant la violence ainsi que le langage « abusif », appuyée sur l’omniprésence de la vidéosurveillance. Ces lois prévoient des interdictions de stades, de lourdes amendes et même des peines de prison.

En contrepartie, cette répression du hooliganisme s’est doublée d’une décontraction des relations entre police, sociétés de sécurité privée et supporters avec notamment la limitation de la présence des forces de police aux abords des stades et la suppression des grillages autour des stades.

Ce dispositif a effectivement amélioré la santé économique et sportive du football anglais et transformé la composition du public dans lesquelles les familles sont plus présentes.

Cette politique a cependant généré des effets pervers. Le hooliganisme n’a ainsi pas disparu du football britannique. Le problème a simplement été déplacé vers des divisions inférieures ou lors des déplacements à l’étranger. Elle a également eu des impacts sur la composition du public des stades en rendant le football plus coûteux pour les classes populaires en raison de l’augmentation du prix des places. Plus généralement le libéralisme appliqué au football place aujourd’hui le football britannique dans une situation financière précaire si l’on en juge le montant de la dette des clubs anglais, dont certains sont en quasi cessation de paiement du fait des excès de dépenses et de la dépréciation des actifs financiers.

Ce modèle ne semble pas transposable à la France. En effet, les clubs hexagonaux n’ont pas une réserve de public assez nombreuse pour se permettre une politique de tarification élevée.

La culture des supporters britanniques et français est également largement différente. En effet, le poids politique des associations de supporters britanniques explicitement opposées au hooliganisme est bien plus important que celui des associations françaises, ce qui permet de limiter la présence des forces de l’ordre aux abords des stades, en contrepartie d’un large autocontrôle et d’une autodiscipline certaine. L’initiative de Football in the community , dont l’objectif est de promouvoir l’insertion sociale, le développement personnel et la santé par la pratique du football, témoigne également de l’importance de la culture foot en Grande Bretagne et de l’implication des clubs professionnels.

Une nouvelle gouvernance du supporterisme a permis à l’Allemagne d’endiguer le phénomène du hooliganisme

Suite à la mort d’un supporter au début des années 80, les autorités publiques ont mis en place un vaste processus de concertation : le plan Sport und Sicherheit (Sport et Sécurité). Ce plan a permis de réunir l’ensemble des acteurs impliqués : forces de l’ordre, clubs de football, associations de supporters, représentants des villes et des Länder, travailleurs sociaux et experts.

Partant d’un diagnostic partagé grâce à une analyse du phénomène par les experts, cette démarche a permis de hiérarchiser les problèmes et de définir des stratégies de traitement différenciées selon les cas à traiter : répression pour les plus violents ; travail socio-éducatif pour les autres.

Cette démarche s’est également traduite par la mise en place des Fan Projekt . Ces structures pérennes qui associent supporters, clubs, services sociaux et police ont permis d’expérimenter la « désescalade ». Cette approche consiste à trouver, à chaque fois que cela est possible, les moyens de réduire les effectifs policiers, de créer des espaces de discussion et de concertation entre supporters et police. La réussite de ces initiatives réside dans leur caractère régulier et dans l’organisation fréquente de séminaires de réflexion entre les différentes parties. On peut rapprocher ce fonctionnement avec celui du système belge du fan-coaching , mis en place après les événements du Heysel.

Ces réflexions sont également portées, depuis 1998, par la fondation Nivel [4] . Il est ici intéressant de noter que les Allemands ont créé une fondation pour réfléchir sur les questions de violence en marge des rencontres de football à l’occasion d’un incident survenu en France, mais qu’il n’y a pas de réelle implication française dans le projet.

Cette nouvelle gouvernance du supportérisme a été complétée par une modernisation des stades. Ceux-ci offrent désormais des loges aux prix élevés, mais pratiquent également une politique tarifaire basse pour les spectateurs et supporters pour garantir un accès au plus large public possible. Ceci fait du championnat allemand le recordman des affluences en Europe. A titre d’exemple des risques acceptés dans le cadre de cette politique, on notera que les stades allemands ont été adaptés aux demandes des supporters. Il est en effet possible d’assister debout aux matches de la Bundesliga, les sièges étant remis en place pour les rencontres européennes pour se conformer aux exigences de l’UEFA.

Certes, le hooliganisme n’a pas été éradiqué. L’intérêt du modèle allemand est de proposer une démarche appuyant une vision de l’ordre des tribunes qui met à distance aussi bien le tout répressif que les lois du marché et qui peut préfigurer ce que pourrait être une politique de désescalade.

A priori rien n’empêche la transposition à la France d’une telle réingénierie du processus de décision. Néanmoins, la réticence de certains acteurs n’a, jusqu’à aujourd’hui, pas permis d’aboutir à une telle approche de co-gestion du supportérisme. Chacun restant campé sur ses positions et les compétences de chaque acteur restant cloisonnées.

2.2 – L’implication et la responsabilisation de l’Etat, des collectivités, des clubs et des supporters permettraient de mener une politique de désescalade

La relance de la concertation entre tous les acteurs, sur la base d’un diagnostic partagé, constitue un préalable indispensable à toute politique de lutte contre le hooliganism e

L’initiative prise par la Secrétaire d’Etat aux sports en janvier 2010 d’organiser une convention des supporters pour définir une politique du supportérisme constitue un événement à signaler. Néanmoins, cette initiative a été victime du poids de la logique répressive existante, du manque de bonne volonté des différents acteurs institutionnels du football et de la méfiance ordinaire du mouvement protestataire des supporters vis-à-vis des institutions. Cette méfiance a été également alimentée par les promesses non tenues par la Ligue de Football Professionnel aux quelques moments où elle avait décidé de mener une politique favorable dans les années qui ont suivi la Coupe du Monde de 1998, à travers la publication de deux rapports préconisant la mise en place d’une politique du supportérisme et la mise en œuvre d’un début de concertation.

Après l’échec de la politique « tout sécuritaire » et l’exemple allemand, cette démarche constitue aujourd’hui la voie à privilégier pour qui souhaite réellement traiter le phénomène du hooliganisme.

La relance d’une telle initiative, à la charge du ministère des sports, en concertation avec les autres acteurs institutionnels nécessite en premier lieu d’établir un état des lieux des connaissances et des problèmes à traiter. L’établissement d’un diagnostic partagé par tous constitue un préalable indispensable à toute politique visant à endiguer le hooliganisme. L’identification des causes du phénomène ainsi qu’une analyse sereine de la situation sont nécessaires pour lutter contre les dérives du supportérisme. Ce temps d’identification apparaît fondamental pour distinguer les cibles spécifiques à traiter (ce qui relève de la répression et ce qui relève du travail de relation sociale ou « politique ») et explorer toutes les voies qui permettent de faire baisser la tension.

La deuxième étape d’une telle politique est de définir les objectifs à atteindre. Cette politique doit servir à résoudre les problèmes de violence en marge des rencontres de football en se basant sur une démarche de désescalade. Le niveau de tension actuel ne peut être durable. Il n’est pas acceptable qu’un sport, vecteur d’intégration sociale et porteur de valeurs humanistes, se joue dans des enceintes retranchées protégées par des centaines de policiers et à huis clos. La désescalade du couple violence-répression constitue donc un objectif en soi. Nous considérons que le football pourrait être un lieu d’expérimentation de la désescalade répressive à l’œuvre dans tous les domaines de la vie sociale impliquant les jeunes : stades, école, quartiers.

Une telle politique nécessite un travail de concertation pour prendre des engagements sur les principes à mettre en œuvre (structures locales de concertation, nouvelle gouvernance du supportérisme), les orientations à définir (politique orientée vers la proximité plutôt que vers le rapport de force, développement des condamnations alternatives telles que les travaux d’intérêt général…).

Pour réussir, une démarche de désescalade doit responsabiliser chacun des acteurs

Elle nécessite l’implication de nombreux acteurs : Etat, collectivités territoriales, supporters, clubs de foot.

L’action de l’Etat suppose l’implication des ministères en charge des sports, de la cohésion sociale, de la sécurité, de la justice mais également de la politique de la ville. L’articulation de ces différentes instances est essentielle pour traiter le fond du problème et ne pas se limiter aux conséquences.

Jusqu’à présent, les collectivités territoriales sont assez peu présentes dans les actions de lutte contre le supportérisme extrême. Leur implication est cependant déterminante. Outre qu’elles participent à l’économie des clubs de foot en mettant à disposition les stades, en participant aux financements des centres de formation ou en intégrant les clubs de football à leur politique de communication, les violences en marge des rencontres sportives nuisent considérablement à leur image de marque. Les collectivités constituent donc aujourd’hui l’acteur de proximité le mieux à même de traiter les causes sociales du hooliganisme.

Le monde du football doit également être responsabilisé. C’est à lui que revient de définir une idée mobilisatrice autour du football qui ne soit pas réductible à la réussite économique. Depuis une vingtaine d’années, les responsables du football français se sont plus préoccupés de gérer le développement économique de leur sport (marché des transferts, droits télévision, exonérations fiscales) que de traiter la question des supporters ou du rôle social et culturel du football qu’ils ont eu tendance à abandonner à l’Etat et à ses différents services.

La Ligue de football professionnel ainsi que les clubs de football ont tout intérêt à agir. Le coût de leur inaction pourrait se révéler élevé avec la perte de public, la dégradation de l’image des clubs et l’augmentation des coûts liés à la sécurisation des rencontres sportives.

L’implication des clubs dans ce cadre pourrait se traduire par la tentative de créer une culture de club, impliquant une politique du supportérisme, ce qui est aujourd’hui trop rarement le cas, et plus largement une culture du football. Il est bon de rappeler que la Fédération française de football a publié en 2008 un Livre blanc du football qui pourrait servir de point de départ pour une telle réflexion.

Les associations de supporters constituent un acteur majeur et ne peuvent être écartés de toute démarche de concertation. Les supporters ne doivent pas être perçus comme des masses dangereuses et irrationnelles. Il n’est pas question pour autant de défendre une vision angélique des associations de supporters, mais une vision réaliste de leur rôle en tant que groupes s’inscrivant dans un rapport de force et en tant qu’élément régulateur des tribunes. Ils doivent être considérés comme des acteurs légitimes du monde du football, souvent plus fidèles à leur club que des joueurs ou dirigeants dont la longévité dépasse rarement 3 ou 4 ans. Pour cela, ils ont un droit à exprimer leurs points de vue sur l’évolution des clubs et du football. En contrepartie de la reconnaissance de leur légitimité et de leur place dans le football et dans les clubs, les associations de supporteurs pourraient être plus responsabilisées en raison des actes de leurs membres. Car un des enjeux du processus serait aussi de faire passer des groupements défendant souvent des intérêts très particuliers à des préoccupations d’intérêt général.

L’échec des politiques répressives à endiguer le hooliganisme nécessite de repenser les politiques de lutte contre le supportérisme extrême. L’exemple allemand de désescalade par la concertation de l’ensemble des acteurs concernés peut dans ces conditions constituer un modèle pour la France.

Une atténuation de la logique répressive et une valorisation des mesures préventives sont nécessaires et possibles à la condition de l’implication réelle et de la responsabilisation du monde du football et des associations de supporters.

Cette logique de désescalade mérite d’être tentée, dans le football comme dans la lutte contre les violences urbaines ou scolaires.

  1. En général, de 15 à 25 ans, mais selon l’ancienneté du mouvement dans chaque pays, l’institutionnalisation des associations ou l’existence d’une culture hooligan, certains poursuivent leur carrière de supporter extrême au-delà de 30 ans.

  2. Cette pression peut être d’autant plus forte sur les clubs que les associations détiennent un pouvoir économique grâce à la gestion des billets dans leurs espaces, comme c’est le cas à Marseille.

  3. Déclaration du Ministre de l’Intérieur, lors d’un déplacement au Parc des Princes le 10 avril 2010.

  4. En référence au gendarme Nivel grièvement blessé en 1998 par des hooligans allemands à Lens lors de la Coupe du monde

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